L’album Hayti Lives, le sixiĂšme de Vox Sambou a Ă©tĂ© lancĂ© il y a quelques semaines, mais Vox Sambou Ă©tait toujours en dĂ©placement Ă  l’étranger. Qu’à cela ne tienne, nous avons finalement contactĂ© cet artiste et travailleur, associĂ© Ă  l’excellent groupe composite Nomadic Massive et aussi auteur-compositeur-interprĂšte solo de MontrĂ©al et originaire de LimbĂ©, municipalitĂ© plantĂ©e prĂšs du Cap-HaĂŻtien dans le nord de l’üle.  Conversation Ă©crite avec un incontournable de la culture afro-descendante de MontrĂ©al.

PAN M 360 : Hayti Lives est un projet Ă  la fois poĂ©tique et activiste. Comment une posture critique ou mĂȘme militante peut-elle devenir de l’art en 2025?

Vox Sambou: En tant que musicien, je me sens toujours guidĂ© par les mots intemporels de l’excellente musicienne Nina Simone « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne, est de reflĂ©ter l’époque dans laquelle il vit. Je pense que cela s’applique aux peintres, aux sculpteurs, aux poĂštes, aux musiciens
 Pour moi, c’est un choix personnel. Mais j’ai choisi de reflĂ©ter mon Ă©poque et les situations dans lesquelles je me trouve. C’est, Ă  mes yeux, mon devoir. »

PAN M 360 : Il y a tellement à dire sur Hayti actuellement, aux prises avec une incroyable malédiction sociale, économique ou politique. Quels sont les thÚmes retenus dans tes nouvelles chansons?

Vox Sambou: Dans mes nouvelles chansons du projet Hayti Lives, j’aborde les thĂšmes de l’amour, l’unitĂ© et la rĂ©sistance. Ce n’est pas une malĂ©diction qui frappe HaĂŻti, mais une injustice persistante. Je t’écris ces mots depuis LimbĂ©, nord d’HaĂŻti oĂč je vois de l’espoir dans les visages des marchandes, des professeurs et des jeunes Ă©coliers. La rĂ©alitĂ© quotidienne est une leçon de rĂ©silience. L’article de Michel Vastel, paru en 2003, rĂ©vĂšle une vĂ©ritĂ© mĂ©connue : l’Initiative d’Ottawa sur HaĂŻti montre le rĂŽle actif de certains États, dont le Canada et la France, dans la dĂ©stabilisation politique du pays. La France, surtout, refuse de rembourser la rançon de l’indĂ©pendance, une dette imposĂ©e Ă  HaĂŻti pour avoir osĂ© se libĂ©rer. VoilĂ  la vraie tragĂ©die.

PAN M 360 : Peut-on choisir 3 Ă  5 chansons et en dĂ©crire plus prĂ©cisĂ©ment le choix du sujet et la dĂ©marche poĂ©tique?

Vox Sambou: 

Eritaj‹:Cette chanson est une dĂ©claration d’identitĂ© et de mĂ©moire. À travers les mots “Istwa nou, memwa nou se zam nou pou’n pa peri”, je veux insister sur le fait que l’hĂ©ritage haĂŻtien, son histoire, sa culture, sa rĂ©sistance est une arme puissante contre l’effacement. C’est un sujet qui est ancrĂ© dans une dĂ©marche de transmission intergĂ©nĂ©rationnelle et de rĂ©affirmation des racines africaines d’HaĂŻti. J’ai utilisĂ© des rythmes issus de la tradition orale.

Sergo : ‹Sergo rend hommage Ă  ma mĂšre et Ă  toutes ces femmes haĂŻtiennes dans l’histoire du pays. Ces femmes sont des piliers de l’économie, de l’éducation et de la rĂ©sistance, depuis l’indĂ©pendance en 1804 jusqu’à aujourd’hui. Le nom Sergo est un symbole de dignitĂ©, de courage et de force. Avec mes musiciens, j’ai pu travailler sur les rythmes de percussions petro, des influences congolaises et le hip-hop. Mon dĂ©sir le plus cher est de cĂ©lĂ©brer la mĂ©moire vivante de ces femmes Ă  travers une Ă©nergie musicale en constante Ă©lĂ©vation

KriminĂšl: Cette chanson est nĂ©e d’un sentiment d’urgence face Ă  la situation d’instabilitĂ© persistante en HaĂŻti. Elle dĂ©nonce la violence imposĂ©e par la communautĂ© internationale, mais surtout, elle appelle Ă  la conscience collective et Ă  la rĂ©sistance citoyenne. J’interpelle la population Ă  se rĂ©veiller. Ma dĂ©marche s’appuie sur la rĂ©pĂ©tition et l’intensitĂ© rythmique des percussions haĂŻtiennes (notamment les rythmes petro), amplifiĂ©es par des influences congolaises, du hip-hop et de l’afrobeat pour crĂ©er cette chanson

Voyaje: Cette chanson puise son inspiration en 2017 Ă  Helsinki World Music Festival lorsque j’ai fait la premiĂšre partie de Calypso Rose, icĂŽne de la musique de Trinidad et Tobago. C’est une chanson qui Ă©voque le voyage identitaire, celui des enfants de la diaspora africaine qui cherchent Ă  se reconnecter Ă  leurs racines. 

PAN M 360 : Étant francophone et ayant dĂ©jĂ  passĂ© du temps en HaĂŻti, je comprends partiellement le crĂ©ole (la langue d’expression de cet album sauf exceptions en français), mais j’aimerais savoir si tu as des modĂšles poĂ©tiques en littĂ©rature crĂ©ole.

Vox Sambou: Depuis mon plus jeune Ăąge, Ă  LimbĂ© en HaĂŻti, j’ai toujours Ă©tĂ© baignĂ© dans la littĂ©rature haĂŻtienne. Ceux qui m’ont le plus influencĂ© sont Oswald Durand et FrankĂ©tienne. Le premier, poĂšte du XIXe siĂšcle, a donnĂ© Ă  la langue haĂŻtienne ses lettres de noblesse avec des textes comme Choucoune, cĂ©lĂ©brant l’amour et la culture populaire. FrankĂ©tienne, Ă©crivain prolifique du XXe siĂšcle, fondateur du spiralisme, mĂȘle poĂ©sie, chaos et rĂ©volte pour exprimer la complexitĂ© de l’ñme haĂŻtienne. Ces deux poĂštes nourrissent mon Ă©criture et mon engagement artistique.

PAN M 360 : Comment tu peux rendre le crĂ©ole haĂŻtien attractif aux non crĂ©olophones?

Vox Sambou: La langue haĂŻtienne est dĂ©jĂ  profondĂ©ment riche et attirante. Pour moi, la meilleure façon de la rendre plus accessible est par la musique, un langage universel. À travers mes chansons, j’utilise la langue haĂŻtienne pour interpeller nos sociĂ©tĂ©s, Ă©veiller les consciences, Ă©lever notre humanitĂ© et partager l’amour.

PAN M 360 : Afin que les non crĂ©oles puissent s’instruire davantage sur la crĂ©olophonie en chanson, peux-tu nous parler de ta dĂ©marche en tant qu’auteur de chansons?

Vox Sambou: En tant qu’artiste, je ne m’impose pas un style ni une langue prĂ©cise. Par exemple, le refrain de la chanson Goumen (« se battre ») m’est d’abord venu en langue portugaise ; j’ai simplement choisi de le traduire en langue haĂŻtienne guidĂ©e par l’inspiration, le rythme et le message, tout en respectant les sonoritĂ©s et les langues qui m’habitent.

PAN M 360 : Comment fais-tu la distinction entre ton travail solo et ton travail en collectif, surtout avec Nomadic Massive? OĂč sont les diffĂ©rences, les distinctions, les choix stylistiques?

Vox Sambou: Nomadic Massive demeure l’une de mes grandes Ă©coles de vie. De 2004 Ă  2017, j’y ai vĂ©cu et partagĂ© des moments extraordinaires d’apprentissage, de scĂšne et de fraternitĂ© artistique. Ce collectif m’a permis de dĂ©velopper une conscience musicale et politique forte. Le projet Vox Sambou, quant Ă  lui, est plus personnel : il puise dans la musique traditionnelle haĂŻtienne, avec un style moins centrĂ© sur le hip-hop et davantage orientĂ© vers la fusion des rythmes afro-descendants. C’est un espace plus intime, de rĂ©flexion et de connexion directe avec mes racines.

PAN M 360 : Plusieurs musicien.ne.s ont contribuĂ© Ă  cet album. Peux-tu nous expliquer le processus de recrutement?

Vox Sambou : Pour ce projet, j’ai commencĂ© par travailler les bases musicales avec le batteur et percussionniste canado-congolais Lionel Kizaba, avant d’inviter les autres membres de mon groupe. Ma dĂ©marche est organique.

PAN M 360 : Qui est le noyau de tes collaborateurs.trices?  En studio? Sur scĂšne? 

Vox Sambou: Depuis plus de 15 ans, je travaille avec une Ă©quipe fidĂšle et talentueuse. En studio comme sur scĂšne, mon noyau reste presque le mĂȘme. David Ryshpan (claviers), Jean-Daniel Thibeault-Desbiens (batterie), DiĂ©gal LĂ©ger (basse), Rommel Ribeiro (guitare), RĂ©mi Cormier (trompette), Malika Tirolien (voix), Ronald Nazaire (percussions), Frank O Sullivan (guitare) et Lionel Kizaba (percussionniste et batteur) sont mes collaborateurs proches. Avec eux, j’ai construit une complicitĂ© musicale et humaine qui nourrit la cohĂ©rence artistique de tous mes projets.

PAN M 360 : Qui a fait les arrangements et la rĂ©alisation? Que cherchiez-vous?

Vox Sambou: J’ai composĂ© et travaillĂ© les structures de base des morceaux moi-mĂȘme, en laissant place Ă  l’intuition et Ă  l’ñme des rythmes. Par la suite, RĂ©mi Cormier et Modibo Keita ont apportĂ© leur touche sur certaines sections de cuivres, Malika Tirolien, quant Ă  elle, a signĂ© des arrangements marquants de clavier et de guitare, notamment sur la chanson KriminĂšl. Je cherche Ă  donner au projet une richesse sonore qui respecte Ă  la fois mes racines et mes intentions musicales.

PAN M 360 : L’objet musical de cet album, dit-on, est une rencontre entre les Antilles (surtout HaĂŻti) et l’Afrique centrale (surtout Congo) : pourquoi donc?

Vox Sambou: Je souhaite honorer notre hĂ©ritage culturel. Cet album invite les enfants de la diaspora Ă  se rĂ©approprier leurs racines Ă  travers le pouvoir unificateur de l’art. Je crois sincĂšrement que l’art est le seul pont capable de reconnecter la jeunesse africaine dispersĂ©e Ă  sa terre d’origine et, ainsi, lui offrir la paix!

PAN M 360 : Les choix stylistiques sont Ă©clectiques : rythmes rara, vaudou, dancehall, afrobeat,  soukouss, rap kreyol, afro-jazz, etc.
 Quelle serait ta propre description? 

Vox Sambou: Je fais de la musique traditionnelle haïtienne fusionnée avec le jazz et le hip-hop

PAN M 360 : Tu choisis une approche instrumentale, trĂšs peu d’électronique dans ce travail de prime abord? Question de goĂ»t, tout simplement? Peux-tu nous dĂ©crire ton jardin musical? Ce qui te fait le plus vibrer?

Vox Sambou: J’ai toujours Ă©tĂ© attirĂ© par une approche instrumentale organique. Ce qui me fait vibrer, ce sont les tambours, les voix humaines, les souffles de cuivres, les rythmes enracinĂ©s. Mon jardin musical, c’est la terre d’HaĂŻti, nourrie des Ă©chos d’Afrique, de la CaraĂŻbe et des rues de MontrĂ©al. C’est un espace oĂč se rencontrent tradition et innovation, oĂč chaque son porte une histoire, un cri, une mĂ©moire vivante. Je cherche avant tout Ă  crĂ©er du lien, Ă  faire vibrer l’humain.

PAN M 360 : Quels sont tes prochains projets, solo ou autres? Spectacles et autres?

Vox Sambou : Le 17 mai, nous avons lancĂ©  l’album Hayti Lives Ă  SĂŁo Paulo, une Ă©tape importante de ce nouveau projet. En juin, nous poursuivrons avec des concerts Ă  Rio de Janeiro, puis nous allons partir pour une sĂ©rie de dates en Europe. Cet Ă©tĂ©, nous serons Ă©galement en tournĂ©e dans l’ouest du Canada. Que ce soit au Canada ou Ă  l’étranger, chaque performance est une occasion de crĂ©er du lien, de porter nos messages et de cĂ©lĂ©brer la richesse des cultures afro-descendantes.

Le chef Francis ChoiniĂšre a eu envie de cĂ©lĂ©brer la fin de la dixiĂšme saison d’existence de l’Orchestre Philharmonique et ChƓur des MĂ©lomanes (OPCM) avec le Graal de tout chef et orchestre qui se respecte : une symphonie de Mahler. Dans ce cas-ci, la DeuxiĂšme, intitulĂ©e RĂ©surrection, et qui sera donnĂ©e Ă  la Maison symphonique de MontrĂ©al le samedi 24 mai Ă  19h30. 

J’en ai discutĂ© avec le chef qui, malgrĂ© une expĂ©rience qui s’étoffe d’annĂ©e en annĂ©e, demeure encore dans la catĂ©gorie des ‘’jeunes’’ artistes. Sera-t-il un jour vieux ce garçon? Haha. 

Mahler, Symphonie Résurrection, dirigée par Leonard Bernstein

Depuis maintenant 8 ans, ExposĂ© Noir est un courant constant de la scĂšne underground montrĂ©alaise, façonnant discrĂštement des espaces oĂč la musique, les visuels et la communautĂ© se rejoignent. Nous nous sommes entretenus avec M, l’un des deux organisateurs principaux du projet, pour parler de ses dĂ©buts, de leur approche curatoriale et de la façon dont ils ont naviguĂ© dans les marĂ©es changeantes du paysage local de la musique Ă©lectronique.

PAN M 360 : ExposĂ© Noir fait partie de l’underground montrĂ©alais depuis prĂšs d’une dĂ©cennie. Pourriez-vous nous ramener Ă  ses dĂ©buts ? Quel est l’Ă©lĂ©ment qui vous a poussĂ© Ă  crĂ©er et de quel type d’espace rĂȘviez-vous Ă  l’Ă©poque ? Revenons au dĂ©but. Quelle a Ă©tĂ© l’Ă©tincelle et quel type d’espace essayions-nous de crĂ©er ?

M : Le projet a dĂ©butĂ© en 2017. Ce n’Ă©tait pas mon idĂ©e, mais celle de mon coorganisateur, qui est venu avec ce concept trĂšs inspirĂ© par la culture underground en Europe quÊŒil ne voyait pas nĂ©cessairement ici Ă  MontrĂ©al, oĂč il prend la musique Ă©lectronique mais fait infuser diffĂ©rentes couches d’art visuel et de design pour une expĂ©rience plus intentionnellement curatĂ©e. De A Ă  Z, du moment oĂč vous arrivez Ă  l’espace, en passant par le type d’artistes que vous rĂ©servez. Donc, oui, je dirais que c’est un peu nĂ© de cela, comme « ok, voici quelque chose que nous nÊŒavons pas nĂ©cessairement Ă  grande Ă©chelle et qu’il serait cool d’importer « .

Nous nous sommes rencontrĂ©s par hasard. Il nÊŒavait aucune expĂ©rience en matiĂšre d’organisation, mais il avait une vision de ce qu’il voulait faire et, aprĂšs ĂȘtre venu Ă  une fĂȘte de loft que j’avais organisĂ©e, il m’a contactĂ© et m’a demandĂ© si j’aimais la techno. J’adore la techno. Nous ne nous connaissions pas du tout, mais nous avons commencĂ© Ă  nous rencontrer et nous avons eu beaucoup de chance pour notre premier Ă©vĂ©nement. Les Ă©toiles se sont alignĂ©es. GrĂące Ă  une connexion mutuelle, nous avons eu accĂšs Ă  la Fonderie Darling, qui est en fait assez difficile Ă  rĂ©server, et nous avons eu un DJ qui n’est pas nĂ©cessairement notre style aujourd’hui, mais qui Ă  l’Ă©poque Ă©tait davantage underground, Amelie Lens. Elle est aujourd’hui l’un des plus grands noms de la musique techno, et nous l’avons eue au bon moment, quand elle Ă©tait trĂšs populaire, mais pas encore inabordable ou trop commerciale. Les choses se sont bien mises en place, et c’Ă©tait vraiment un gros bordel, mais finalement nous nous en sommes sortis et nous nous sommes dit : « Ok, c’est cool. Quelle est la suite ? Depuis lors, les opportunitĂ©s se sont alignĂ©es et nous avons continuĂ©, dĂ©finissant notre approche au cours du processus.

PAN M 360 : C’est trĂšs Ă©laborĂ©. Et cela s’inscrit parfaitement dans le cadre de la deuxiĂšme question : Au fil des ans, comment avez-vous vu Ă©voluer la scĂšne techno et la musique Ă©lectronique expĂ©rimentale Ă  MontrĂ©al ? Comme lorsque tu parlais avec ce DJ, c’Ă©tait intĂ©ressant au dĂ©part, mais tu cherchais peut-ĂȘtre quelque chose d’autre. ExposĂ© Noir s’est-il toujours dĂ©veloppĂ© parallĂšlement Ă  ces changements, ou parfois contre eux ?

M : Je pense vraiment que cÊŒest Ă  100 % Ă  cĂŽtĂ©. Il faudrait que je rĂ©flĂ©chisse bien pour trouver comment nous sommes allĂ©s Ă  l’encontre des changements. Je dirais plutĂŽt que nous en avons fait partie. Au dĂ©but, nous Ă©tions des dĂ©butants, mais maintenant nous faisons partie d’une sorte de vague d’organisateurs. Dans ma tĂȘte, je suis toujours ce nouvel organisateur, mais les gens commencent Ă  venir me demander conseil, comme des promoteurs qui ont dix ans de moins que vous, et vous rĂ©alisez que vousÊŒĂȘtes un ancien maintenant. Cela se passe vraiment sans qu’on s’en rende compte. J’ai vu la scĂšne Ă©voluer de façon trĂšs positive – je dirais mĂȘme qu’elle n’a connu que des aspects positifs. Il y a peut-ĂȘtre des aspects qui ont empirĂ©, mais cÊŒest plus universel, par exemple, l’influence des mĂ©dias sociaux et des grandes entreprises technologiques sur la façon dont nous consommons l’information et sur la nature de l’information consommĂ©e, et comment cela façonne la culture de certaines façons.

J’ai vu la scĂšne se professionnaliser de maniĂšre trĂšs positive, non pas dans le sens oĂč elle est devenue plus commerciale, mais au sens oĂč des choses comme la sĂ©curitĂ© et le partage d’informations entre les organisateurs ont changĂ© de maniĂšre spectaculaire. Auparavant, il y avait beaucoup de contrĂŽle et les gens s’en sortaient en faisant toutes sortes de choses. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de transparence et de coopĂ©ration. Je travaille toujours avec d’autres organisateurs qui font des soirĂ©es disco et des soirĂ©es bass music, complĂštement diffĂ©rentes. Mais nous savons tous que nous travaillons dans le mĂȘme but. JÊŒai donc vu les choses prendre une direction vraiment positive. Bien sĂ»r, il y a toujours moyen de s’amĂ©liorer, mais pour moi, la tendance est positive.

PAN M 360 : Les programmations d’ExposĂ© Noir ont toujours trouvĂ© un Ă©quilibre dĂ©licat entre les artistes locaux et internationaux. Quelle est votre approche de la programmation et quels types de conversations espĂ©rez-vous ouvrir entre ces diffĂ©rentes communautĂ©s ?

M : Oui, cÊŒest une excellente question. Je veux dire, je pense qu’une perspective peut-ĂȘtre plus critique de nos Ă©vĂ©nements qui est parfois soulevĂ©e, et qui me semble valable, est le fait que nous sommes trĂšs orientĂ©s vers les artistes internationaux. La plupart de nos soirĂ©es sont au moins Ă  moitiĂ© ou majoritairement locales, mais elles finissent parfois par ĂȘtre plus internationales, comme celle-ci.

La plupart de nos soirĂ©es sont au moins Ă  moitiĂ© ou majoritairement locales, mais elles finissent parfois par ĂȘtre plus internationales, comme celle-ci. Mon point de vue est quÊŒil ne sÊŒagit pas seulement de quantitĂ©, mais aussi dÊŒoffrir un plateau de grande qualitĂ© aux artistes. CÊŒest un aspect important de ce que nous essayons de faire. Nous ne nous contentons pas d’engager nos amis tout le temps, nous essayons de trouver l’occasion parfaite d’engager quelqu’un d’une maniĂšre qui nous enthousiasme vraiment. PlutĂŽt que de prĂ©senter un concert de plus, nous essayons de crĂ©er le meilleur plateau possible pour que les artistes puissent se rencontrer et jouer avec d’autres artistes extraordinaires du monde entier. Nous voyons souvent des gens citer nos soirĂ©es comme l’une de leurs rĂ©alisations sur leur profil, ce qui les aide Ă  obtenir d’autres concerts.

PAN M 360 : Les quatre jours Ă  venir ressemblent Ă  la fois Ă  une expansion et Ă  un aboutissement. Qu’est-ce qui vous a poussĂ© Ă  faire ce pas audacieux maintenant, avec l’expĂ©rience du BelvĂ©dĂšre, mĂȘme si vous l’avez dĂ©jĂ  fait auparavant ? Et comment cet Ă©vĂ©nement reflĂšte-t-il votre situation actuelle et celle d’ExposĂ© Noir ?

M : Nous avons une Ă©quipe vraiment formidable ! Certaines personnes sont plus centrales et d’autres sont plus indirectement impliquĂ©es, mais au fond, il n’y a que deux personnes. Nous avons une dynamique oĂč l’un de nous sera le rĂȘveur irrĂ©aliste, et l’autre sera comme : « Ok, non, revenons Ă  la rĂ©alitĂ©.Ëź Il s’agit souvent d’une poussĂ©e et d’une traction, et nous nous relayons.

Cette fois, c’Ă©tait mon partenaire qui devenait dingue, et il y avait le festival Wire Ă  New York qui amenait beaucoup d’artistes extraordinaires dans la rĂ©gion. Lorsqu’un certain nombre d’artistes se joignent Ă  l’Ă©vĂ©nement, d’autres artistes le voient et se disent : « Oh, je veux jouer Ă  cette fĂȘte ! Au dĂ©but, c’Ă©tait un rĂȘve, puis on s’est dit : « D’accord, nous nous sommes enfoncĂ©s dans ce trou. Comment pouvons-nous nous en sortir ?

PAN M 360 : La représentation, la diversité et les espaces plus sûrs ont toujours fait partie de votre ADN. Au-delà des mots à la mode, comment gérez-vous personnellement ces questions lorsque vous construisez des espaces qui sont vraiment accueillants et transformateurs ?

M : Je pense que cÊŒest une trĂšs bonne question parce que ces concepts peuvent ĂȘtre une arme Ă  double tranchant dans la mesure oĂč ils peuvent ĂȘtre symbolisĂ©s. C’est ce qui se passe dans certaines organisations, comme la FiertĂ© par exemple. Elles constituent aujourd’hui l’establishment Ă  MontrĂ©al, et mĂȘme si leur mandat est censĂ© reprĂ©senter la diversitĂ©, elles intimident les petites organisations et groupes au sein de ces communautĂ©s. Nous sommes heureux parce que lorsque vous regardez les donnĂ©es de nos rĂ©servations, un pourcentage Ă©norme est constituĂ© de minoritĂ©s de genre ou de minoritĂ©s raciales, comme une majoritĂ©. Mais cela nÊŒest jamais au premier plan de nos objectifs. Ce qui me semble le plus important, c’est de mettre en lumiĂšre les contributions de ces diffĂ©rentes communautĂ©s. Nous nous intĂ©ressons aux contributions extraordinaires des artistes noirs d’une certaine rĂ©gion ou de d’artistes homosexuels d’autres rĂ©gions et nous leur accordons de l’espace sur la plateforme.

Nous voulons aussi que notre vie ne soit pas ennuyeuse. On voit de plus en plus de promoteurs dĂ©passĂ©s – ce sont six Blancs avec la mĂȘme coupe de cheveux et portant des T-shirts noirs, comme je le fais en ce moment. Nous devons donc ĂȘtre conscients que nous ne sommes pas toujours des experts en la matiĂšre. Et quand on est ouvert Ă  tout ce qui se passe de cool, comme les folles soirĂ©es Mamba Negra au BrĂ©sil ou les Mjunta Ă  Berlin, le simple fait d’ĂȘtre au courant de ce qui se passe de gĂ©nial va nous inspirer en tant que programmateurs et nous rendre la vie beaucoup plus facile.

PAN M 360 : Les espaces que vous avez frĂ©quentĂ©s – comme les « ùmes industrielles brutes » du BelvĂ©dĂšre – semblent toujours profondĂ©ment liĂ©s Ă  l’expĂ©rience que vous crĂ©ez. Comment voyez-vous la relation entre l’environnement physique, le son et l’Ă©nergie collective de la foule ?

M : Personnellement, j’ai toujours considĂ©rĂ© l’espace comme l’une des principales tĂȘtes d’affiche. Dans la fiction, il y a une perspective intĂ©ressante oĂč vous pouvez considĂ©rer des objets inanimĂ©s ou des choses comme le vent ou un lieu comme un personnage. Je trouve cela trĂšs intĂ©ressant, de penser Ă  l’espace comme ayant presque sa propre agence. Vous pouvez le considĂ©rer comme un autre artiste dans votre programmation. CÊŒest quelque chose qui attire les gens, mais cÊŒest aussi quelque chose qui encadre votre travail. Par exemple, lorsque nous utilisons de nouveaux lieux, ce que nous cherchons souvent Ă  faire, cÊŒest un tout nouveau puzzle. Cela nous oblige Ă  repenser le flux des choses. Mais si l’on prend un lieu existant comme le centre scientifique, on se dit :  » D’accord, nous l’avons dĂ©jĂ  fait plusieurs fois, mais comment passer Ă  l’Ă©tape suivante ? Il y a toujours de nouveaux dĂ©fis et de nouvelles occasions avec chaque espace, et Ă©videmment, nous prenons l’aspect visuel trĂšs au sĂ©rieux, alors nous faisons un effort Ă©norme pour trouver de nouveaux lieux. Cela prend beaucoup plus de temps qu’on ne le pense.

PAN M 360 : Au-delĂ  de la piste de danse, ExposĂ© Noir est devenu un point de rencontre pour une communautĂ© plus vaste d’artistes, d’activistes et de rĂȘveurs. Comment voyez-vous votre rĂŽle, non seulement en tant qu’organisateur, mais aussi en tant que travailleur culturel soutenant les Ă©cosystĂšmes et les voix locales ?

M : Il est trĂšs important de garder cela en tĂȘte. Un festival comme celui-ci compte au moins 50 ou 60 personnes sur la liste de paie et un bon noyau de 30 personnes qui travaillent pour nous chaque mois. Nous sommes devenus en quelque sorte un employeur, ce qui est assez fou, et je pense que cet aspect est souvent nĂ©gligĂ©. Il y a donc un phĂ©nomĂšne Ă©conomique trĂšs intĂ©ressant qui se produit lorsque des personnes ont des difficultĂ©s Ă  obtenir un emploi de 9 Ă  5, mais ont des compĂ©tences extraordinaires Ă  mettre Ă  profit.

Pour ce qui est de la culture, honnĂȘtement, je n’en ai aucune idĂ©e, car il y a une sorte d’approche dĂ©libĂ©rĂ©ment distante. Il ne sÊŒagit pas dÊŒessayer de vous donner une certaine image ou de promouvoir un certain look. J’aime aller Ă  mes soirĂ©es et voir des gens de tous les horizons. Je vois de jeunes artistes, des sexagĂ©naires qui s’amusent, de jeunes professionnels qui se lĂąchent. Je pense que la culture gĂ©nĂ©rale est vraiment cool – et nous sommes honorĂ©s d’en faire partie – et sa partie nocturne fournit un espace vraiment incroyable pour que les gens soient davantage eux-mĂȘmes, ou du moins explorent d’autres parties d’eux-mĂȘmes. Si nous parvenons Ă  offrir ce type d’espace, je dirais que j’en suis trĂšs reconnaissant.

PAN M 360 : Mener un projet indĂ©pendant et communautaire aussi longtemps n’est pas une mince affaire. Nous en sommes tous conscients. Quelles ont Ă©tĂ© les leçons les plus difficiles ou les moments de doute auxquels vous avez Ă©tĂ© confrontĂ© au fil des ans, et qu’est-ce qui vous permet de continuer Ă  avancer ?

M : Il y a certainement beaucoup de dĂ©fis Ă  relever, et nous sommes constamment en train de plaisanter ou de parler sĂ©rieusement de lancer la serviette, ou quoi que ce soit d’autre. C’est toujours notre derniĂšre annĂ©e de fonctionnement Ă  plein rĂ©gime, et je ne sais pas ce que 2026 nous rĂ©serve. Nous ne fermons pas la porte, mais il est certain que les aspects sanitaires et financiers ont Ă©tĂ© difficiles Ă  gĂ©rer. CÊŒest difficile pour nos relations. Pour un Ă©vĂ©nement comme celui-ci, non seulement je suis ici pendant quatre jours, mais je suis aussi ici des semaines avant, Ă  travailler sans relĂąche, et toutes les relations amicales ou amoureuses ne sont pas compatibles avec cela. Nous avons la chance d’avoir des partenaires qui le sont, mais cela n’a pas toujours Ă©tĂ© le cas. Il y a donc un coĂ»t personnel, et mĂȘme sur le plan financier, les gens voient un grand Ă©vĂ©nement et supposent que nous roulons sur l’or, mais en rĂ©alitĂ©, nous nous en sortons Ă  peine. Du cĂŽtĂ© positif, nous essayons de faire de nos Ă©vĂ©nements des espaces plus sains pour nous-mĂȘmes et pour notre personnel, oĂč le bien-ĂȘtre est au centre. Nous planifions mieux les choses, proposons des expressos et des fruits de bonne qualitĂ© afin de prendre davantage soin de nous-mĂȘmes et de notre Ă©quipe. Mais en fin de compte, on ne peut affirmer que ce soit viable pour toujours.

À un moment donnĂ©, cÊŒest comme si nous avions fait notre temps, que nous avons prĂ©parĂ© la place Ă  d’autres. On laisse un vide et on laisse d’autres personnes le combler. Je me souviens que vous avez Ă©galement mentionnĂ© les fĂȘtes de jour, qui sont une option, en particulier Ă  mesure que nous vieillissons. Les fĂȘtes de jour sont formidables et s’inscrivent dans une vision plus large de la culture nocturne que je soutiens pleinement. Je pense que nous devrions crĂ©er un mot diffĂ©rent pour dĂ©signer la vie nocturne, qui inclurait les fĂȘtes de jour, car elles font partie de la mĂȘme culture. J’adorerais que du vendredi au lundi matin, on puisse sortir Ă  n’importe quelle heure et que les fĂȘtes soient gĂ©niales. Vous pouvez y aller sobrement, vous pouvez dormir, vous pouvez rester debout toute la nuit. CÊŒest ce que jÊŒaimerais voir.

PAN M 360 : Les Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes se sont Ă©galement ouvertes aux installations artistiques. Comme lors de l’Ă©dition prĂ©cĂ©dente au BelvĂ©dĂšre. Quelles conversations espĂ©rez-vous susciter en rĂ©unissant musique, arts visuels et nouvelles technologies dans un mĂȘme espace ?

M : Je ne sais pas dans quelle mesure nous nous intĂ©ressons aux nouvelles technologies. Je dirais que nous sommes presque un peu vieux jeu dans notre approche. Tout ce que nous faisons aurait pu ĂȘtre fait dans les annĂ©es 90. NousÊŒne sommes certainement pas si originaux ou peut-ĂȘtre mĂȘme pas si innovants d’une certaine maniĂšre. Certaines choses sont tout simplement intemporelles. Par exemple, nous n’utilisons presque jamais de projections visuelles. Ce ne sont que nos goĂ»ts personnels. À moins quÊŒil y ait une installation vraiment spĂ©cifique – par exemple, lorsque nous avons organisĂ© notre Ă©vĂ©nement de trois jours l’annĂ©e derniĂšre, nous avions une exposition de photos de Sven Marquardt. Ensuite, il y a eu un live set de MMSI avec des visuels de Deograph sur des rideaux de boucherie, et c’Ă©tait en quelque sorte innovant. Mais en gĂ©nĂ©ral, nous travaillons avec un tas de machines Ă  brouillard et un tas de lumiĂšres que nous construisons et concevons en interne. Ce sont juste des Ă©quipements qui fonctionnent, des choses que vous pouvez faire vous-mĂȘme et crĂ©er cet effet Ă©laborĂ© et impressionnant avec des coĂ»ts minimes.

Ce genre d’aspect multidisciplinaire a toujours Ă©tĂ© important pour nous depuis le dĂ©but. Comme je le disais, nous avons fait un dĂ©filĂ© vraiment incroyable avec un jeune designer, Jesse Colucci, qui dirige Process Visual, avec le Festival international du film sur lÊŒart, et avec Cinema Erotica. C’Ă©tait trĂšs amusant de crĂ©er quelque chose de vraiment inattendu pour les gens, qu’ils ne voient pas souvent dans les Ă©vĂ©nements de musique Ă©lectronique. Nous avons la chance de pouvoir organiser des Ă©vĂ©nements auxquels les gens viendront de toute façon, parce que cÊŒest la fĂȘte, cÊŒest ce qui se passe. Les gens sortent. Ils nÊŒont pas nĂ©cessairement ce privilĂšge dans le monde du cinĂ©ma et des arts visuels. Il est difficile de rĂ©unir plus de 100 personnes dans une galerie. Nous sommes donc en mesure de les exposer Ă  des photographies vintage en noir et blanc ou Ă  un film expĂ©rimental de mauvaise qualitĂ©. Bien sĂ»r, lorsque nous faisons ce genre de choses, j’Ă©prouve une certaine nervositĂ©. Est-ce que cela va avoir du sens ? Est-ce que ça va marcher ? VousÊŒfaites un acte de foi, mais si vous trouvez des gens vraiment talentueux, vous pouvez leur faire confiance – ilsÊŒauront la mission et ils feront bien les choses.

PAN M 360 : En regardant vers l’avenir, qu’il s’agisse ou non d’un tournant pour ExposĂ© Noir, quels sont les questions, les rĂȘves, les dĂ©fis qui vous animent encore ? Y a-t-il de nouveaux territoires que vous avez envie d’explorer ?

M : Certainement, nousÊŒessayons toujours de changer les choses pour ne pas nous lasser du projet, et nous nous lançons toujours des dĂ©fis. Il y a un certain cĂŽtĂ© sisyphĂ©en Ă  cela : notre Ă©quipe s’amĂ©liore et nous devenons plus expĂ©rimentĂ©s, mais l’Ă©vĂ©nement lui-mĂȘme devient plus complexe. CÊŒest un tapis roulant qui accĂ©lĂšre sans cesse. Nous ne voulons pas ĂȘtre des gens qui font toujours la mĂȘme chose avec une fĂȘte. Nous voulons rendre notre derniĂšre annĂ©e aussi spĂ©ciale que possible, de sorte quÊŒĂ  la fin, nous aurons créé des souvenirs et des sentiments forts qui se perpĂ©tueront Ă  l’avenir.

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Le violoniste Sergey et la pianiste Lusine Khachatryan, frĂšre et sƓur, mĂšnent chacun carriĂšres de soliste Ă  l’échelle internationale et se retrouvent sporadiquement en duo pour y interprĂ©ter des Ɠuvres du grand rĂ©pertoire et intĂ©grer Ă  leurs programmes des Ɠuvres armĂ©niennes modernes ou contemporaines. Issus d’une famille de musiciens d’Erevan oĂč ils sont nĂ©s, Sergey et Lusine tiennent immanquablement Ă  faire dĂ©couvrir et savourer les Ɠuvres des meilleurs compositeurs de leur nation, il sera question cette fois d’Arno Babajanian (1921-1983), qui fut aussi un pianiste de trĂšs haut niveau.

Rappelons au demeurant que Sergey Khachatryan a remportĂ© le Premier Prix du VIIIe Concours international Jean Sibelius Ă  Helsinki en 2000, et le Grand Prix du Concours Reine Elisabeth Ă  Bruxelles en 2005.Quant Ă  Lusine Khachatryan, elle est laurĂ©ate du Concours International de Piano Ă  « CittĂ  di Ostra» (Italie 2023).Inutile de souligner que toustes deux se sont produit.e.s sur les plus grandes scĂšnes d’Europe, d’Asie et d’AmĂ©rique.

Avant leur passage attendu du tandem Ă  MontrĂ©al, soit ce dimanche Ă  la Salle Pierre-Mercure dans un programme mis de l’avant par Pro Musica, Lusine Khachatryan rĂ©pond aux questions d’Alain Brunet pour PAN M 360.

PAN M 360: Vous avez choisi d’interprĂ©ter une Ɠuvre d’Arno Babadjanian. Vous avez Ă©galement enregistrĂ© des Ɠuvres de Komitas, d’Eduard Bagdasarian, d’Aram Khatchaturyan et d’autres encore, j’imagine. Pourquoi celle-ci, en ce dimanche Ă  MontrĂ©al ?

Lusine Khachatryan: Nous avons dĂ©cidĂ© de crĂ©er un programme composĂ© de deux sonates de Beethoven et deux sonates du 20Ăšme siĂšcle. La Sonate pour violon et piano dÂŽArno Babadjanian est une fantastique sonate, pour nous est une des meilleures sonates du 20Ăšme siĂšcle. Les compositions de ces trois gĂ©nies sont influencĂ©es par leur origines, mais finalement toutes ces Ɠuvres dÂŽart deviennent universelles Ă  travers le langage musical. Langage qui dĂ©fie toute frontiĂšre.

PAN M 360 : Y a-t-il un danger pour vos carriĂšres respectives si votre rĂ©putation est exclusivement liĂ©e Ă  votre identitĂ© armĂ©nienne ? Cherchez-vous un Ă©quilibre entre l’ArmĂ©nien qui est en vous et votre capacitĂ© Ă  interprĂ©ter l’ensemble du rĂ©pertoire ?

Lusine Khachatryan: En effet nous sommes armĂ©niens, cela fait partie de notre identitĂ©. Mais en tant qu’artistes, le langage musical est notre façon de communiquer avec le monde et c’est un langage qui est universel.

PAN M 360: On peut aussi deviner qu’il existe une grande et solide tradition d’interprĂ©tation et de haute virtuositĂ© du cĂŽtĂ© armĂ©nien, comme Sergei Babayan (classique) ou Tigran Hamasyan (jazz). Une source d’inspiration ?

Lusine Khachatryan: Oui, c’est vrai. Il a beaucoup de merveilleux musiciens et artistes armĂ©niens. On pourrait en nommer indĂ©finiment. Personnellement, je m’inspire Ă©normĂ©ment des compositeurs et aussi d’autres formats comme le théùtre et la peinture par exemple. C’est ainsi que mon projet de piano – théùtre est nĂ©. En m’inspirant pour crĂ©er quelque chose de nouveau, pas seulement musicalement mais aussi visuellement. 

PAN M 360: Retournez-vous rĂ©guliĂšrement Ă  Erevan ? Quelle est, selon vous, l’ambiance aprĂšs les rĂ©centes souffrances du peuple armĂ©nien dans le Haut-Karabagh (Artsakh) ?

Lusine Khachatryan: Nous voyageons en ArmĂ©nie tous les ans, pour rendre visite Ă  notre famille, Ă  nos amis et pour jouer en concert. Cette annĂ©e, nous aurons l’occasion de jouer, mĂȘme deux fois, en tant que solistes. AprĂšs la perte d’Artsakh, l’ambiance en ArmĂ©nie Ă©tait profondĂ©ment triste. Nous sommes toujours trĂšs inquiets des attaques constantes de la part de l’AzerbaĂŻdjan Ă  la RĂ©publique d’ArmĂ©nie. Ce qui est Ă©galement inquiĂ©tant, c’est la propagande qui continue Ă  s’exercer contre les ArmĂ©niens : l’idĂ©e de l’AzerbaĂŻdjan de l’ouest, le dĂ©ni de l’identitĂ© armĂ©nienne, la propagande dans les Ă©coles. Tout cela est extrĂȘmement inquiĂ©tant. La relation entre l’AzerbaĂŻdjan et la Turquie, pays qui jusqu’à aujourd’hui continue de nier le gĂ©nocide armĂ©nien. Il y a beaucoup de chemin Ă  faire vers la paix, et pour l’instant, la situation n’est pas trĂšs prometteuse. 

PAN M 360 : Quelle importance accordez-vous Ă  votre travail en duo par rapport Ă  vos carriĂšres en solo ?

Lusine Khachatryan: Travailler en duo avec mon frĂšre a ouvert beaucoup d’horizons pour moi, musicalement et personnellement. C’est une collaboration d’une grande valeur pour moi. Un espace familier oĂč je me sens en sĂ©curitĂ©, libre et trĂšs apprĂ©ciĂ©e. Il rĂšgne entre nous une ambiance non compĂ©titive, nous Ă©voluons dans une zone qui n’est pas minĂ©e par l’ambition individuelle. Nos personnalitĂ©s sont trĂšs diffĂ©rentes mais nos valeurs musicales sont trĂšs similaires, d’oĂč le rĂŽle et l’influence musicale de nos parents.

Artistiquement parlant, la musique est toujours notre premiĂšre prioritĂ©. Ni notre carriĂšre, ni notre persona. C’est toujours la musique qui doit prendre la parole, qui doit ĂȘtre la protagoniste. Bien sĂ»r, cette mentalitĂ©, cette maniĂšre d’aborder la musique et l’interprĂ©tation a un cĂŽtĂ© positif mais comporte aussi beaucoup d’inconvĂ©nients dans le monde actuel. Un monde tellement concentrĂ© sur l’individualisme.

M 360: Quels ont été vos professeurs les plus influents ? Les plus grands interprÚtes de piano et de violon ?

Lusine Khachatryan: Notre premiĂšre et principale influence ont Ă©tĂ© nos parents. Tous les deux sont musiciens, pianistes formidables. Par aprĂšs nous avons beaucoup appris de nos professeurs au conservatoire: professeur Sontraud Speidel et professeur Dr. Saule Tatubaeva dans mon cas. Sergey a Ă©tudiĂ© avec plusieurs professeurs mais le professeur qui a vraiment marquĂ© son apprentissage en tant que violoniste est Josef Rissin. 

PAN M 360: Avez-vous des compositeurs ou des Ɠuvres prĂ©fĂ©rĂ©s dans le rĂ©pertoire classique ou contemporain ?

Lusine Khachatryan: Je suis devenue pianiste grĂące Ă  Chopin. Je considĂ©rais mon Ăąme sƓur dans le monde musical. Maintenant mes prĂ©fĂ©rences et mon goĂ»t musical ont un peu changĂ©. Je m’intĂ©resse beaucoup et je suis trĂšs inspirĂ©e par les impressionnistes et la musique du 20 et du 21e siĂšcle. Les compositeurs contemporains sont aussi trĂšs intĂ©ressants. L’annĂ©e derniĂšre, par exemple, j’ai jouĂ© la premiĂšre Ă  Paris d’une Ɠuvre composĂ©e par Sona Talian In A-Mur. Pouvoir travailler avec elle et participer Ă  la naissance et Ă  la crĂ©ation de cette piĂšce m’a beaucoup inspirĂ©e.

PAN M 360: Comment avez-vous mis en place le programme de Montréal ?

Lusine Khachatryan: Nous voulions prĂ©senter deux Ă©poques contrastantes, deux ambiances. La premiĂšre sonate de Beethoven et la sonate de Debussy ont plus en commun que la Sonate n.4 de Beethoven par exemple. La quatriĂšme sonate de Beethoven est pleine de dĂ©sespoir, d’inquiĂ©tude et de turbulence. Elle peut ĂȘtre comparable Ă  la sonate de Babadjanian qui transmet un certain esprit tragique et combattant. 

La premiĂšre sonate de Beethoven et la sonate de Debussy par contre se caractĂ©risent par une certaine lĂ©gĂšretĂ© et insouciance. Elles se caractĂ©risent toutes les deux par cet Ă©lĂ©ment flottant, presque cĂ©leste. Debussy a composĂ© la sonate juste avant sa mort, et elle transmet loin du tragique un sentiment presque de joie. Peut-ĂȘtre l’anticipation de la sĂ©paration du monde physique et matĂ©riel. 

Si notre programme devait ĂȘtre un tableau, ce serait un tableau de Vermeer pour moi. Avec des motifs plus obscurs, les ombres et puis des couleurs pleines de lumiĂšre qui Ă©blouit le regard.

PROGRAMME

LUDWIG VAN BEETHOVEN, Sonate pour violon et piano No. 1 en rĂ© majeur, op.12

LUDWIG VAN BEETHOVEN, Sonate pour violon et piano No. 4 en la mineur, op.23

-ENTRACTE-

CLAUDE DEBUSSY, Sonate pour violon et piano en sol mineur

ARNO BABADJANIAN, Sonate pour violon et piano en si bĂ©mol mineur

DurĂ©e : 90 minutes avec entracte

Je ne sais pas si vous avez en tĂȘte une image prĂ©fabriquĂ©e lorsque l’on dit ‘’organiste’’, mais si c’est le cas, elle ne correspond probablement pas au gabarit physique de la MontrĂ©alaise Maria Gajraj. La jeune dame originaire d’Ottawa et de racines trinidadiennes, la vingtaine, menue et ultra souriante, dĂ©tonne dans le corpus professionnel habituel des artistes qui maĂźtrisent le ‘’Roi des instruments’’. Maria se prĂ©pare Ă  faire paraĂźtre un premier album, Exhale (titre pertinent dans le cas de l’orgue), sur lequel elle propose un voyage entre bĂ©atitude planante et minimalisme rĂ©pĂ©titif envoĂ»tant, guidĂ© par des compositions contemporaines issues de plumes fĂ©minines et non-binaires. Aussi bien dire un ovni musical qui vient gentiment (et utilement) bouleverser les a-prioris de la musique d’orgue. 

Un rĂ©pertoire signĂ© de jeunes pousses telles George Rahi, Hania Rani et Esther-Ruth Teel, ainsi qu’une valeur sĂ»re, Ann Southam dont l’extrait des Glass Houses ici transposĂ© aux tuyaux est trĂšs convaincant. 

LISEZ MA CRITIQUE DE L’ALBUM EXHALE

Dans l’entretien qu’elle m’a accordĂ©, Maria Gajraj m’a rĂ©vĂ©lĂ© que cet album et son rĂ©pertoire reprĂ©sentaient un moment charniĂšre de sa vie musicale, une sorte de redĂ©couverte du plaisir de l’instrument, aprĂšs un passage Ă  vide. 

C’est avec Exhale que je suis retombĂ©e en amour avec l’orgue

Ça ne faisait pourtant pas longtemps qu’elle s’y Ă©tait mis! Depuis l’ñge de 19 ans seulement. 19 ans? Un peu tard, non? Oui et non. Attendez, je rĂ©capitule son histoire.

Maria grandit dans un famille d’origine trinidadienne dans la rĂ©gion d’Ottawa. Elle apprend le piano, plusieurs annĂ©es. Le cĂŽtĂ© ultra compĂ©titif de la discipline ne l’attire guĂšre, alors elle se destine Ă  une carriĂšre en ingĂ©nierie. Puis, une offre fortuite lui donne l’occasion de tĂąter de l’orgue dans une Ă©glise d’Ottawa. Elle ne maĂźtrise pas tous les dĂ©tails des pĂ©dales, des clapets et autres manivelles du grand Gargantua, mais elle sait jouer de la musique, et un clavier! Alors elle se lance et un jour oĂč, dit-elle, le soleil perce Ă  travers les magnifiques vitraux de l’endroit, elle se sent si bien qu’elle dĂ©cide que c’est cela qu’elle veut faire dans la vie! Rien de surprenant lĂ -dedans, c’est souvent comme ça que ça se passe avec des instruments de musique. 

Elle se retrouve Ă  McGill, mais traverse un moment d’incertitude. J’aime la musique des grands compositeurs, mais il y a quelque chose qui manque, une connexion intime qui ne s’exerce pas. ‘’Je ne me retrouve pas dans l’histoire de vie de ces hommes blancs d’un autre temps’’. Encore une fois, pas une critique qualitative, mais bien une sentiment de proximitĂ© culturelle qui fait que l’expĂ©rience n’est pas 100% authentique pour la jeune femme. 

Arrive Chabe Castillo, de McGill, qui l’invite Ă  enregistrer quelque chose sur l’orgue de facture Wolff de la salle Redpath, un trĂšs bel instrument de style classique français. Il lui demande ce qu’elle a envie de jouer. Et voilĂ  que ça se place, les noms s’additionnent, partant de ses amours musicales personnelles et de ses valeurs qui l’amĂšnent Ă  privilĂ©gier les compositrices, les artistes non-binaires et les compositeurs non europĂ©ens. Elle est d’ailleurs en pleine finale de Doctorat sur le rĂ©pertoire d’orgue des CaraĂŻbes, un pan entier qui demeure largement mĂ©connu. 

Un compositeur qui la fascine particuliĂšrement : Edward Margetson, de St Kitts, qui aprĂšs avoir Ă©migrĂ© aux États-Unis en 1919, fera partie du mouvement de la Renaissance de Harlem! Si ce rĂ©pertoire est difficile Ă  trouver et surtout Ă  Ă©couter, Maria aimerait bien en enregistrer quelques perles dans un avenir proche.

Je lui demande nĂ©anmoins quel compositeur ‘’traditionnel’’ (Blanc, EuropĂ©en) la touche plus que d’autres.. Seulement un? Messiaen! Ces couleurs fantastiques, ces rythmes! D’ailleurs, Maria n’est certainement pas dĂ©tachĂ©e du monde europĂ©en de la musique car elle a pris la co-direction en janvier dernier de l’ensemble de musique ancienne Comtessa, dans lequel elle manie l’organetto, une version portative mĂ©diĂ©vale du grand frĂšre d’églises. Elle aime beaucoup, dit-elle, la musique du Moyen-Âge. 

Si vous cherchez son nom dans un moteur de recherche, vous risquez Ă©galement de le voir associĂ© Ă  la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours dans le Vieux-MontrĂ©al, oĂč elle est prĂ©sentement attitrĂ©e comme organiste, et aussi peut-ĂȘtre Ă  Sapphonix Collective, un projet qu’elle mĂšne avec son amie Esther-Ruth Teel, et qui est une proposition inusitĂ©e d’évĂ©nements prĂ©sentant de la musique (deux orgues!) en combinaison avec d’autres arts (visuels, de performance, tatouage, etc.). 

Pour toutes ces raisons, pour la bouffĂ©e d’air frais que Maria Gajraj propose d’apporter dans l’ordinaire de la pratique et de l’écoute de l’orgue comme instrument musical et pour des valeurs inclusives qui ne limitent jamais la qualitĂ© fondamentale des expĂ©riences esthĂ©tiques proposĂ©es, Maria Gajraj est un nom que vous devriez retenir car il risque de rĂ©sonner de plus en plus sur la scĂšne montrĂ©alaise (Ă©ventuellement canadienne, nord-amĂ©ricaine et plus), et surtout d’enrichir substantiellement le mode musical dĂ©jĂ  riche la mĂ©tropole culturelle. 

Les rĂ©pertoires des disparus la chanson quĂ©bĂ©coise d’expression française ne sont pas tous connus des gĂ©nĂ©rations qui leur succĂšde. On connaĂźt FĂ©lix Leclerc, Claude LĂ©veillĂ©e, Jean-Pierre Ferland, Sylvain LeliĂšvre, Gerry Boulet, DĂ©dĂ© Fortin ou Karl Tremblay, connaĂźt-on vraiment leur rĂ©pertoire ? C’est encore moins Ă©vident pour Lawrence Lepage ou Georges Dor. VoilĂ  un programme qui mĂ©rite quelques explications de son concepteur, l’auteur, compositeur, interprĂšte et circassien Louis-Dominique LĂ©vesque, Ă  la tĂȘte d’un groupe de musiciens en marche depuis 2009 et qui prĂ©sente rĂ©guliĂšrement un programme de chansons d’artistes disparus. Que je me souvienne se veut une transmission du legs chansonnier quĂ©bĂ©cois, que l’on peut qualifier de spectacle mĂ©moire. Alain Brunet l’a interviewĂ© en amont de son concert prĂ©vu le samedi 31 mai Ă  la Salle Claude-LĂ©veillĂ©e de la Place des Arts.

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Érick D’Orion est un artiste extrĂȘme qui prend son travail trĂšs au sĂ©rieux sans se prendre au sĂ©rieux. Humour absurde trĂšs contagieux ! Iconoclaste du noise, de l’électro, de l’improvisation libre et autres Ă©lectrochocs, il est aussi commissaire d’Ɠuvres sonores, un mĂ©tier connexe qu’il exerce avec ouverture et enthousiasme depuis nombre d’annĂ©es au FIMAV. Sa contribution est devenue essentielle, Ă  tel point que mĂȘme une version rĂ©duite du festival ne peut Ă©carter ce dont il est responsable: le parcours d’installations sonores dĂ©ployĂ© Ă  l’extĂ©rieur, soit la plus importante opĂ©ration de mĂ©diation culturelle du FIMAV pour la population des Bois-Francs. VoilĂ  pourquoi ce travail mĂ©rite d’ĂȘtre soulignĂ© et que PAN M 360 met en ligne cette interview d’Alain Brunet. 

PAN M 360 : De quels autres parcours d’installations sonores t’es-tu inspirĂ© depuis les dĂ©buts de ta participation au FIMAV en tant que commissaire d’Ɠuvres ?

Érick D’Orion: Bien que notre parcours soit assez unique dans le milieu des festivals de musique, je me suis inspirĂ© de certains Ă©vĂ©nements et festivals oĂč j’ai eu l’occasion de prĂ©senter mon travail d’installation ainsi que des concerts, principalement dans des contextes spĂ©cialisĂ©s en art audio et en art Ă©lectronique. Le festival City Sonic en Belgique, auquel j’ai participĂ© Ă  trois reprises, constitue probablement l’inspiration la plus significative. D’ailleurs, pour 2026 ou 2027, je suis en dĂ©marche pour accueillir le travail d’un artiste français dont je suis le parcours depuis ma premiĂšre participation Ă  ce festival.Il convient Ă©galement de mentionner que nous avons prĂ©sentĂ© deux Ɠuvres du duo Scenocosme en 2019, artistes eux aussi rencontrĂ©s lors d’un de mes passages Ă  City Sonic. Plus prĂšs de nous, le Mois Multi a Ă©galement Ă©tĂ© une belle influence, puisque j’ai dĂ©couvert les installations sonores dĂšs la premiĂšre Ă©dition de ce festival Ă  QuĂ©bec.

PAN M 360 : En tant qu’artiste du son (tu joues d’ailleurs avec le FIRE! la semaine prochaine) , comment situes-tu ton travail?

Érick D’Orion: Mon travail tangue vers une approche radicale du son, de l’expĂ©rience d’Ă©coute. Je tente d’exprimer une Ă©nergie dynamique et j’aimerais qu’on retrouve l’esprit du free jazz dans ce que je fais. Fondamentalement, c’est du free jazz : l’Ă©motion, l’expression, la joie et une certaine forme de spiritualitĂ© hors de l’Ă©sotĂ©risme!

PAN M 360 : Comment ce concept a-t-il progressĂ© au FIMAV au fil des ans? Combien d’annĂ©es exactement? Le budget a-t-il augmentĂ© au fil du temps?

Érick D’Orion: J’en suis Ă  ma quinziĂšme programmation sur 16 Ă©ditions. La premiĂšre annĂ©e, 3 Ɠuvres Ă©taient proposĂ©es, dont une de mes crĂ©ations. Par la suite, on m’a invitĂ© Ă  prendre le poste de commissaire et j’ai prĂ©sentĂ© 4 Ɠuvres. Le projet s’est dĂ©veloppĂ© au fil des annĂ©es et le volet mĂ©diation est devenu hyper important avec, depuis 6 ans, plus de 40 visites scolaires annuellement. Le budget a pris de l’ampleur ce qui fait que maintenant, je peux programmer une dizaine d’Ɠuvres avec des moyens pertinents afin d’accueillir correctement les artistes.

PAN M 360 : Comment se dĂ©roule le processus de sĂ©lection?

Érick D’Orion: Je reçois spontanĂ©ment une trentaine de dossiers chaque annĂ©e. Je prĂ©fĂšre Ă©viter de lancer des appels de dossiers, car je n’aime pas l’idĂ©e de faire travailler inutilement des artistes sur des projets conçus expressĂ©ment pour notre festival, qui risquent au final de ne pas ĂȘtre retenus, simplement parce que la concurrence est trop forte. En rĂ©alitĂ©, je cherche Ă  Ă©viter la logique de compĂ©tition Ă  tout prix.

Je privilĂ©gie plutĂŽt une approche de terrain : je me dĂ©place, je visite des expositions, et lorsque je suis en dĂ©placement professionnel dans d’autres villes, je prends le temps d’aller voir ce qui se passe dans les centres d’artistes. Je discute aussi avec mes ami·es dans la communautĂ© artistique, car oui, j’aime collaborer avec des gens que je connais — pas exclusivement, mais cela arrive souvent. AprĂšs tout, c’est un rĂŽle qui repose sur une confiance rĂ©ciproque.

PAN M 360 : Peux-tu dĂ©crire sommairement les Ɠuvres et leurs crĂ©ateur.trice.s  sĂ©lectionnĂ©.e.s cette annĂ©e? (la plus longue rĂ©ponse Ă  fournir!)

Érick D’Orion:  Ah ! Cette annĂ©e, le hasard fait bien les choses : une grande place est accordĂ©e Ă  des artistes en dĂ©but de carriĂšre, dont plusieurs sont encore dans leur parcours universitaire !

Par exemple, LĂ©a Boudreau — artiste et compositrice, laurĂ©ate d’un prix Opus l’an dernier — et Simon Chioini, tous deux en fin de maĂźtrise Ă  l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, nous prĂ©sentent une Ɠuvre in situ sur l’espace acoustique d’un lieu.
MĂȘme chose pour le trio de QuĂ©bec MMV2005, composĂ© de finissants Ă  la maĂźtrise en arts visuels Ă  l’UniversitĂ© Laval, qui nous offriront une installation performative et Ă©volutive, dĂ©ployĂ©e toute la semaine — une Ɠuvre vivante, en constante transformation.

Max Boutin, pour sa part, vient de terminer un doctorat en Ă©tudes et pratiques des arts Ă  l’UQAM. Il nous propose une installation qui explore l’univers du skateboard, entre culture urbaine et poĂ©sie du geste.
Et enfin, Giuseppe Masia, lui aussi en fin de maütrise à l’UQAM (son jury viendra d’ailleurs visiter ses Ɠuvres pendant la semaine !), travaille le son en fabriquant des tourne-disques maison et en trafiquant des disques vinyles — un travail artisanal, brut, inventif.

Voilà pour la « filiÚre scolaire ».

À cela s’ajoute le retour de Pascale Leblanc Lavigne, qui avait marquĂ© les esprits en 2022 avec deux Ɠuvres mĂ©morables. Cette fois, elle revient avec une installation d’envergure, Ă©voquant la chute de neige dans un certain chaos poĂ©tique.
Le trio Théùtre Rude IngĂ©nierie, de QuĂ©bec, nous propose deux Ɠuvres mĂ©caniques Ă  forte dimension théùtrale.
Et pour couronner le tout, nous avons la visite d’un artiste majeur dans le champ de l’art audio : le Français FĂ©lix Blume. GrĂące Ă  un partenariat avec le centre d’artistes Avatar Ă  QuĂ©bec, nous prĂ©senterons deux Ɠuvres de l’artiste, dont une en premiĂšre mondiale, dĂ©veloppĂ©e en rĂ©sidence au mois d’avril.

PAN M 360 : Y a-t-il un ratio local / international dans le choix des Ɠuvres?

Érick D’Orion: Il n’y a pas de ratio imposĂ©, juste un dĂ©sir d’avoir le plus possible des Ɠuvres inĂ©dites sur le territoire.

PAN M 360: Cherches-tu une cohĂ©rence entre les Ɠuvres lorsque tu les sĂ©lectionnes? Comment construis-tu le parcours?

Érick D’Orion:  Je suis probablement un trĂšs mauvais commissaire — un imposteur parmi mes collĂšgues ! La pratique curatoriale repose normalement sur une rĂ©flexion prĂ©alable : le ou la commissaire dĂ©veloppe une pensĂ©e, puis sĂ©lectionne des Ɠuvres en cohĂ©rence avec cette logique, tissant un fil conducteur qui va au-delĂ  d’une simple thĂ©matique.

Moi, je fonctionne Ă  l’instinct. Je me laisse guider par les rencontres, les Ă©lans, les intuitions. Le hasard s’impose, et, sans que ce soit volontaire, un sens Ă©merge. Le sujet s’installe de lui-mĂȘme, presque en douce. L’eau finit toujours par trouver son chemin, en quelque sorte.

Mais ça
 ça reste entre nous !

PAN M 360 : Haha! du commissariat  free jazz en quelque sorte. Et quels sont les critĂšres de production pour des Ɠuvres qui devront affronter les intempĂ©ries?

Érick D’Orion: C’Ă©tait une considĂ©ration importante qui devenait de plus en plus contraignante avec le temps dans ma sĂ©lection. Depuis quelques annĂ©es, nous optons pour des Ɠuvres qui peuvent ĂȘtre prĂ©sentĂ©es dans des conteneurs que nous amĂ©nageons. Outre la protection des intempĂ©ries, nous sommes assurĂ©s d’une sĂ©curitĂ© accrue en dehors des heures de diffusion puisque ça se ferme Ă  clĂ©. 

PAN M 360 : Quelle a Ă©tĂ© la participation rĂ©elle de la population locale au fil du temps? Simple curiositĂ© ou adhĂ©sion au concept?

Érick D’Orion: C’est un mĂ©lange de curiositĂ© et de rĂ©elle adhĂ©sion au projet.
Je suis prĂ©sent sur le terrain pendant la majeure partie du festival, et je reconnais des visages d’annĂ©e en annĂ©e — des gens qui viennent me parler, prendre des nouvelles, me dire que le retour du parcours est toujours un bon signe. (Et pourtant, je n’habite mĂȘme pas Ă  Victoriaville !) Les groupes scolaires sont aussi un bel exemple de cette adhĂ©sion : les enfants se souviennent des Ɠuvres des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, ils en parlent, ils les attendent.
Certains bĂ©nĂ©voles se sont mĂȘme inscrits parce que le parcours leur a permis de dĂ©couvrir le festival — c’est dire Ă  quel point cette proposition rejoint les gens.

PAN M 360 : As-tu dĂ©jĂ  songĂ© Ă  un musĂ©e permanent en plein air avec de telles installations  sonores comme on peut en voir ailleurs? 

Érick D’Orion: MusĂ©e, non. Mais quelques Ɠuvres permanentes en partenariat avec la ville, ça serait franchement une rĂ©ussite.

PAN M 360 : Comment peut-on envisager la pĂ©rennitĂ© de ces Ɠuvres? ÉphĂ©mĂšres? SaisonniĂšres? Permanentes? Ah! Je viens de rĂ©pondre sans le vouloir Ă  ta question!

PAN M 360 : Quel est l’avenir de ce parcours Ă  Victo?  

Érick D’Orion: L’avenir me permet de penser que ça va encore grossir. Me rendre Ă  15 Ɠuvres et que ça dure 2 semaines est une idĂ©e que j’ai et qui trouve Ă©cho auprĂšs de l’Ă©quipe.

PAN M 360: As-tu d’autres projets similaires dans ta besace, Ă  prĂ©senter ailleurs?

Érick D’Orion: Oui, je serai Ă  la tĂȘte d’une dĂ©lĂ©gation d’artistes du QuĂ©bec pour un Ă©vĂ©nement majeur dĂ©but 2026 en France. J’y programmerai 6 solos de musique expĂ©rimentales et 5 installations durant une semaine. Je ne peux nommer l’Ă©vĂ©nement mais je tiendrai les afficionados de PAN M 360 au courant. Et je prĂ©pare quelque chose de gros d’ici 3 ans pour une exposition d’installations sonores ambulantes. À suivre….!

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Nous revoilĂ  Ă  passer le printemps, l’étĂ© et l’automne au Piknic Electronik !  Vu l’immensitĂ© de la programmation qui dure 5 mois au parc Jean-Drapeau, Alain Brunet a suggĂ©rĂ© Ă  Mathieu Constance, responsable de la programmation au Piknic, de l’interviewer mensuellement. Il sera question d’identifier et commenter ses principaux choix de mai, juin, juillet, aoĂ»t, septembre et octobre. Commençons par le commencement, le mois de mai !

PAN M 360: Commençons par l’ouverture ce week-end. La combientiĂšme au juste? Et comment se prĂ©pare-t-on Ă  une telle ouverture? Infrastructures, accueil etc.?

Mathieu Constance: 23e Ă©dition! C’est incroyable quand on y pense. On travaille lĂ -dessus depuis un bout dĂ©jĂ  pour la prĂ©-prod et le montage, et on a hĂąte d’accueillir les festivaliers de nouveau au parc Jean-Drapeau

PAN M 360 : Es-tu le seul Ă  programmer la saison entiĂšre, sinon comment ça fonctionne?

Mathieu Constance: Notre Ă©quipe de prog compte 3 membres maintenant – et c’est partagĂ© entre prog locale et internationale surtout. Mais nous discutons de tous les artistes que nous voulons prĂ©senter ensemble.

PAN M 360 : CĂŽtĂ© programmation, peut-on parler d’un angle d’attaque cette annĂ©e? Un genre ou un sous-genre de prĂ©dilection? Une tendance lourde? Un thĂšme rĂ©current? 

Mathieu Constance: On essaie de ne pas trop se donner de restrictions quand on commence. Bien sĂ»r, on veut mettre de l’avant des sons Ă©mergents le plus possible et assurer une diversitĂ© sur tous nos lineups. Cette annĂ©e, on retrouve beaucoup de premiĂšres performances Ă  MontrĂ©al sur le lineup et on en est particuliĂšrement fiers!

PAN M 360 : On y reviendra un peu plus en dĂ©tail chaque mois, mais peux-tu  nommer et prĂ©senter trĂšs briĂšvement tes 5 meilleures prises cette annĂ©e?

Mathieu Constance: Je ne dirais pas qu’il y a des meilleurs en soi, mais j’ai particuliùrement hñte de voir le premier headline de Nico de Andrea, le retour de Sally C, Bambii, le closing de Notion et
 notre artiste surprise du 7 septembre.

PAN M 360 : Pour le premier week-end, tu as programmĂ© 8 artistes le 18 mai et 6 le 19, ce qui constitue un vrai coup d’envoi. Comment as-tu imaginĂ© la progression des deux scĂšnes?

Mathieu Constance: Pour moi. ce premier week-end est particuliĂšrement rĂ©ussi vu qu’on y retrouve beaucoup de styles, l’ouverture se fait avec la house / afro house mĂ©lodique de STRYV, ChloĂ© et Tommy sur le mainstage. Sur la 2e scĂšne, Collection Disques Durs prĂ©sente un lineup fort en tempo et Ă©nergie, qui en laisse pour tous les goĂ»ts. 

Le lundi, on prĂ©sente une lĂ©gende du techno, Enrico Sangiuliano, avec une artiste locale qui ne nĂ©cĂ©ssite plus d’intro Ă  ce stade, BitterCaress. Et la 2e scĂšne, prĂ©sentĂ©e par Club SagacitĂ©, accueille Arthi, rĂ©sidente de Rinse FM.

PAN M 360 : Quels sont les artistes clés ce week-end?  Description et commentaire sur ton choix!

Mathieu Constance:

STRYV – compositeur de Move avec Adam Port qui a rĂ©coltĂ© plus de 500 millions de streams, oui 500 MILLIONS. C’est une track qui dicte  l’étĂ© 2025, et une premiĂšre performance Ă  MontrĂ©al!

Lobsta B – ceux qui Ă©tait lĂ  en 2023 savent que ce sera ludique, high energy et tout un party sur notre nouvelle 2e scĂšne.

BitterCaress – Toujours un highlight, elle mettra l’ambiance parfaite pour la venue d’un des grands de la techno.

Arthi – Une saveur de UKG, dancehall et autres sera une autre belle premiùre pour une artiste du UK qui commence a faire parler!

PAN M 360 : Le 25 mai, Fred Everything se livre Ă  un marathon sur la scĂšne Banque National! Mais encore? D’oĂč vient cette idĂ©e? 

Mathieu Constance: Fred est un incontournable de la scÚne montréalaise et célÚbre son 30Úme anniversaire de DJ, et le 20e de son label, Lazy Days Recordings. On voulait souligner le moment avec quelque chose de différent et spécial! Un marathon set de 5h sera, sans doutes, plein de surprises.

PAN M 360 : Autre must le 25?

Mathieu Constance: Boys Noize livra une performance inoubliable, c’est sĂ»r. C’est son 2e passage chez nous et un artiste qu’on essaie de ravoir depuis la seconde qu’il est descendu de scĂšne en 2022.

PAN M 360  : On se reparle dans la semaine du 26 pour le mois de juin! Le questionnaire sera plus court alors. :))

BILLETS ET INFOS

Pour son dernier concert de sa saison 2024-2025, l’Orchestre symphonique de Laval invite le public a une soirĂ©e de dĂ©couvertes avec, dans ce programme essentiellement composĂ© de musique romantique allemande la premiĂšre symphonie de Johannes Brahms et deux Ɠuvres qui sont peut interprĂ©tĂ©s: l’Ouverture Genoveva de Robert Schumann et le Concerto pour violoncelle de la compositrice française Marie JaĂ«ll. DirigĂ© par le jeune chef Andrei Feher, l’OSL accueillera pour interprĂ©ter cette page de musique par Bryan Cheng, violoncelliste canadien qui s’est imposĂ© comme l’un des jeunes artistes les plus captivants de la scĂšne musicale classique. Alexandre Villemaire de PAN M 360 a pu s’entretenir avec lui avant le concert pour parler rĂ©pertoire, interprĂ©tation et projets futurs.

PAN M 360 : Vous allez interprĂ©ter dans ce concert avec l’Orchestre symphonique de Laval, le Concerto pour violoncelle en fa majeur de Marie JaĂ«ll, une compositrice française de la fin du XIXe siĂšcle dont l’Ɠuvre est peu connue ou jouĂ©e. Est-ce que cette Ɠuvre a Ă©tĂ© une dĂ©couverte pour vous et pourquoi?

Bryan Cheng : Oui, cela a Ă©tĂ© une vĂ©ritable dĂ©couverte. Je ne connaissais pas le concerto pour violoncelle de Marie JaĂ«ll, ni mĂȘme sa musique en gĂ©nĂ©ral, avant ce projet, et j’ai Ă©tĂ© frappĂ© par la grande qualitĂ© lyrique de sa voix. C’est aussi rafraĂźchissant de jouer un concerto historique pour violoncelle composĂ© par une compositrice, car elles ont Ă©tĂ© largement sous-reprĂ©sentĂ©es au fil des siĂšcles. C’est un vĂ©ritable joyau cachĂ© du rĂ©pertoire, avec quelque chose de profondĂ©ment captivant Ă  offrir.

PAN M 360 : Parlez-nous un peu de ce concerto. Comment est-il construit et quelles en sont les particularitĂ©s au niveau de l’interprĂ©tation?

Bryan Cheng : Le concerto est en trois mouvements et suit une structure assez classique, mais il se distingue par une grande personnalitĂ©. Le premier mouvement a une intensitĂ© dramatique, avec des Ă©lans amples et des surprises harmoniques. Le deuxiĂšme est trĂšs lyrique, profondĂ©ment introspectif – il Ă©voque presque une scĂšne d’opĂ©ra. Le dernier mouvement est Ă  la fois exubĂ©rant et virtuose. L’interprĂ©tation du concerto demande de la finesse technique et aussi une rĂ©elle sensibilitĂ© Ă©motionnelle. Ce n’est pas un concerto de dĂ©monstration : on a besoin d’une honnĂȘtetĂ© et une richesse de couleurs.

PAN M 360 : Le programme du concert fait une belle part Ă   la musique allemande avec, en plus du Concerto, l’Ouverture Genoveva de Schumann et la Symphonie no 1 de Brahms. De quelle maniĂšre le langage musical de JaĂ«ll s’insĂšre-t-il en complĂ©mentaritĂ© avec les deux autres Ɠuvres du programme?

Bryan Cheng : JaĂ«ll partage avec Schumann et Brahms une profondeur d’expression et une architecture solide. On sent dans son langage une affinitĂ© avec l’école germanique, mais enrichie d’une finesse harmonique qui Ă©voque le raffinement français. Elle Ă©tablit en quelque sorte un pont entre ces deux traditions. Son concerto, placĂ© entre Schumann et Brahms, permet de percevoir Ă  la fois les rĂ©sonances communes et la singularitĂ© de sa voix.

PAN M 360 : Vous jouez sur un violoncelle Stradivarius « Bonjour » de 1696, prĂȘtĂ© gĂ©nĂ©reusement par la Banque d’instruments de musique du Conseil des Arts du Canada. Quelle relation entretenez-vous avec cet instrument?

Bryan Cheng : C’est un immense privilĂšge de jouer sur ce violoncelle. Le « Bonjour » possĂšde une voix puissante et d’une subtilitĂ© remarquable. Il a un caractĂšre bien affirmĂ©, mais il est aussi trĂšs rĂ©actif — on a vraiment l’impression de dialoguer avec un partenaire musical Ă  part entiĂšre. AprĂšs sept annĂ©es passĂ©es Ă  jouer avec lui, une vĂ©ritable complicitĂ© s’est installĂ©e. Cet instrument a façonnĂ© non seulement mon son, mais aussi ma maniĂšre de penser la musique.

PAN M 360 : La nature de l’instrument influence-t-elle votre maniĂšre d’interprĂ©ter les Ɠuvres ou la façon dont vous les aborder?

Bryan Cheng : Oui, absolument. Chaque instrument vous pousse Ă  repenser certains passages, Ă  explorer de nouvelles couleurs, de nouvelles articulations. Avec le « Bonjour », je me surprends Ă  Ă©couter plus attentivement les voix intĂ©rieures, Ă  rechercher des phrasĂ©s plus souples, une rĂ©sonance plus profonde. Ce n’est pas un instrument qui se contente de reproduire ce qu’on lui demande : il nous pousse Ă  aller plus loin.

PAN M 360 : Vous jouissez d’une carriĂšre prolifique qui a commencĂ© trĂšs jeune. Carnegie Hall Ă  14 ans, dĂ©buts Ă  l’Elbphilharmonie Ă  20 ans avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, en plus de plusieurs distinctions et nominations, dont le Prix Yves Paternot, et deux nominations aux JUNOS. Quels sont les dĂ©fis de dĂ©marrer une carriĂšre quand on est encore adolescent ou jeune adulte et qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui dans la poursuite de votre carriĂšre et de ce que vous voulez partager avec le public?

Bryan Cheng : Commencer jeune peut ĂȘtre Ă  la fois exaltant et exigeant. On grandit en tant que personne en mĂȘme temps qu’on Ă©volue comme musicien, et trouver un Ă©quilibre n’est pas toujours simple. Je suis reconnaissant envers les mentors et les expĂ©riences qui m’ont permis de rester ancrĂ©. Aujourd’hui, ce qui me motive, c’est la connexion : Ă  travers la musique, avec le public, avec les compositeurs d’hier et d’aujourd’hui. Je veux que chaque concert soit une rencontre vivante, un moment partagĂ© de dĂ©couverte.

PAN M 360 : Quels sont les prochains projets qui vous attendent?

Bryan Cheng : Cette annĂ©e et la saison Ă  venir s’annoncent riches en moments forts, avec plusieurs dĂ©buts trĂšs attendus aux cĂŽtĂ©s d’orchestres et de musiciens exceptionnels, dans des salles parmi les plus prestigieuses du monde. Je ferai notamment mes dĂ©buts avec le Chamber Orchestra of Europe sous la direction de Sir AndrĂĄs Schiff, au Carnegie Hall avec le pianiste Kirill Gerstein, au Concertgebouw d’Amsterdam avec l’Orchestre Philharmonique Janaček d’Ostrava, ainsi qu’avec la NDR Radiophilharmonie de Hanovre et le Musikkollegium Winterthur.

Au Canada, je me rĂ©jouis de jouer pour la premiĂšre fois avec l’Orchestre symphonique de QuĂ©bec et de retrouver l’Orchestre du Centre national des Arts Ă  Ottawa pour la crĂ©ation mondiale d’une Ɠuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur canadien Samy Moussa.

Par ailleurs, je serai le musicien en rĂ©sidence de Cecilia Concerts Ă  Halifax pour la saison 2025-2026, oĂč je proposerai trois programmes trĂšs variĂ©s en compagnie de certains de mes collaborateurs internationaux les plus proches.

Je poursuis toujours le dĂ©veloppement de nouveaux projets et nouvelles collaborations, par exemple des enregistrements mettant en lumiĂšre des Ɠuvres peu jouĂ©es — comme le concerto de JaĂ«ll. Ce qui me passionne, c’est de continuer Ă  bĂątir des passerelles entre le rĂ©pertoire familier et celui qui reste encore Ă  dĂ©couvrir.

crédit photo : Andrej Grilc

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PremiĂšre participation au StĂ©rĂ©o Africa Festival, il est l’une des tĂȘtes d’affiche cette annĂ©e et est connu pour ses concerts endiablĂ©s. Impossible de rester assis lorsque cet artiste pluridisciplinaire monte sur scĂšne. Issu d’une famille d’artistes, la musique entre tĂŽt dans sa vie et n’en sortira plus. Guitariste et chanteur, il manie les deux parfaitement. Il sera accompagnĂ© d’un full band composĂ© de musiciens tout aussi talentueux que lui, dont certains ont participĂ© aux soirĂ©es Jazz Up du festival quelques jours plus tĂŽt. Notre journaliste Sandra Gasana l’a rencontrĂ© Ă  quelques heures de son spectacle tant attendu Ă  la Maison de la Culture Douta Seck.

Crédit photo et vidéographie: Cheikh Oumar Diallo

En 2017, Blair Thomson avait arrangĂ© un premier programme symphonique avec le groupe montrĂ©alais Half Moon Run et l’OSM. Blair Thomson avait dĂ©jĂ  arrangĂ© pour (notamment) Michel Rivard et La Symphonie rapaillĂ©e, l’expĂ©rience avec HMR avait plus que concluante, le public et la critique s’Ă©taient rĂ©galĂ©s. Printemps 2025, un second chapitre symphonique s’Ă©crit peu aprĂšs la sortie de l’EP Another Woman. Blair Thomson a raffinĂ© le discours orchestral, encore plus en phase avec le cĂ©lĂšbre band pop. Il y aura des tubes, il y aura des voix harmonisĂ©es, il y aura Devon Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips, et il y aura l’OSM sous la direction d’Adam Johnson! L’architecte de tout ça nous en explique la construction avec PAN M 360. Alain Brunet a interviewĂ© Blair Thomson avant qu’il se rende Ă  la rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale, prĂ©cĂ©dant le cycle Half Moon Run de 3 jours Ă  la Maison symhonique.

BILLETS ET INFOS

VoilĂ  un band californien jouissant d’un culte juste assez gros pour rĂ©jouir les mĂ©lomanes qui convergeront ce week-end au Festival international de musique actuelle de Victoriaville.

Sleepytime Gorilla Museum a suscitĂ© de l’intĂ©rĂȘt auprĂšs des fans de musique actuelle, aprĂšs quoi une dizaine d’annĂ©es de silence avant cette reconstitution. 

Le groupe a réémergĂ© avec Of the Last Human Being , un album hybride chaudement accueilli par sa base. L’expĂ©rience SGM implique une furieuse exĂ©cution en temps rĂ©el, offerte par artistes dĂ©bridĂ©s qui chantent et jouent aussi de multiples instruments, qu’ils soient consacrĂ©s ou inventĂ©s. 

On dit de SGM qu’il malaxe dans son bol le mĂ©tal, le rock progressif, la musique classique/moderne/contemporaine et plus encore, le tout dĂ©clinĂ© dans une théùtralitĂ© contagieuse! 

Alors parlons au guitariste, flûtiste et chanteur Nils Frykdahl, question de nous préparer au concert du samedi 17 mai à Victoriaville.

PAN M 360:  RĂ©cemment, Sleepytime Gorilla Museum a repris du service aprĂšs un long hiatus. Un album l’annĂ©e derniĂšre, de nouveaux concerts, de nouveaux projets… Pourquoi avez-vous reformĂ© le collectif ?

Nils Frykdahl : Le long hiatus Ă©tait un accident. Nous Ă©tions toujours sur le point de nous occuper de nos affaires inachevĂ©es, mais les diverses exigences de la vie… familles, aĂźnĂ©s, enfants… nous ont conduits sur des cĂŽtes opposĂ©es et dans trois rĂ©gions diffĂ©rentes de la Californie du Nord. La finalisation de l’album et du film nous a naturellement amenĂ©s Ă  notre support prĂ©fĂ©rĂ© : la scĂšne.

PAN M 360 : Prog, metal, grindcore, funk, jazz, musique classique contemporaine, art rock… Comment les genres et sous-genres musicaux ont-ils Ă©voluĂ© au sein de ce grand groupe ?

Nils Frykdahl : Nous Ă©coutons et apprĂ©cions toutes sortes de musique et tout cela nous traverse et Ă©merge diffĂ©remment d’une chanson Ă  l’autre, chacun d’entre nous Ă©crivant et aucun d’entre nous ne filtrant par genre.

PAN M 360 : Soyons plus prĂ©cis : avant de les intĂ©grer dans votre langage, quelles formes prenez-vous au mĂ©tal ? Du prog ? Du funk ? Du jazz ? D’autres influences ?

Nils Frykdahl : L’application des principes de la polyrythmie africaine Ă  la musique heavy a certainement Ă©tĂ© l’un des gestes fondateurs du groupe.AprĂšs avoir Ă©tĂ© initiĂ© Ă  la polyrythmie par CK Ladzepko, pour qui elle doit ĂȘtre ressentie dans le corps, « elle doit sortir en dansant », et aprĂšs avoir ressenti la coexistence de 2, 3 et 4, il Ă©tait tout Ă  fait naturel d’essayer d’Ă©tendre les nombres… 5 et 3 cohabitant si joyeusement dans Sleep is Wrong. Un geste sonore contrastant, que l’on retrouve dans certains classiques modernes, le free jazz et le mĂ©tal extrĂȘme, est l’Ă©crasement du rythme : trop rapide ou chaotique pour ĂȘtre vraiment ressenti comme une pulsation ou un motif. Il ne s’agit donc pas de rock&roll, mais de musique de mĂ©diation, principalement Ă  des fins religieuses.

PAN M 360 : Comment ĂȘtes-vous perçus par les fans de chacun de ces genres ?

Nils Frykdahl : Il est certain que certains nous considĂšrent comme des monstres ou des travestis, mais il y a des gens ouverts d’esprit dans tous ces genres qui sont prĂȘts Ă  cĂ©lĂ©brer ce monde incroyable avec nous.

PAN M 360 : Vous adressez-vous principalement Ă  un public intĂ©ressĂ© par les formes de musique d’avant-garde ?

Nils Frykdahl : Non. Nous attirons des amateurs de sensations fortes de tous Ăąges, dont certains n’Ă©coutent pas, de leur propre aveu, de musique lourde ou d’avant-garde en gĂ©nĂ©ral.Nous sommes toujours ravis d’amener des auditeurs improbables Ă  la beautĂ© de ces formes.

PAN M 360 : Comment attirez-vous les autres, le cas échéant ?

Nils Frykdahl : Il semble que les frontiĂšres entre les genres soient moins restrictives que jamais, les artistes et le public se dĂ©plaçant librement Ă  travers le monde et les siĂšcles.Le festival Big Ears de Knoxville (Tennessee), qui nous a accueillis l’annĂ©e derniĂšre, en est un excellent exemple.

PAN M 360 : L’Ă©criture de vos Ɠuvres est prĂ©cise et rigoureuse, tout comme l’exĂ©cution.Pouvez-vous dĂ©crire la chaĂźne crĂ©ative, de la composition Ă  l’enregistrement et Ă  la reprĂ©sentation publique ?

Nils Frykdahl : Les chansons commencent d’abord avec l’un d’entre nous, mais elles sont ensuite soumises Ă  un processus intensif de rĂ©pĂ©titions, chaque musicien façonnant sa partie. Ce remaniement n’est jamais entiĂšrement terminĂ©, mĂȘme aprĂšs l’enregistrement, car l’affinage se poursuit pendant chaque rĂ©pĂ©tition, que nous venons de terminer pendant quatre jours ici, dans le vieux Community Hall en bois de Woods Hole MA. Tout sera lĂ©gĂšrement nouveau.

PAN M 360 : Êtes-vous adepte du collage hyperactif, comme l’Ă©tait Zappa tout au long de sa carriĂšre, ou Zorn Ă  certains moments ?

Nils Frykdahl: Non. Nos chansons restent jalousement distinctes les unes des autres, parlant souvent de choses totalement disparates ou évoquant des émotions trÚs spécifiques.

PAN M 360 : Votre intĂ©rĂȘt pour le texte est important. Vous ne prĂ©voyez pas de formes de chansons « normales » ; le texte et le chant (ou le growl) sont des matĂ©riaux parmi d’autres. Pourquoi intĂ©grer le texte et les voix dans cette musique ? Quels sont les thĂšmes ou les approches littĂ©raires qui les motivent ? Nous savons que vous vous ĂȘtes intĂ©ressĂ© au dadaĂŻsme.

Nils Frykdahl : Notre intĂ©rĂȘt pour Dada rĂ©side dans son catalyseur en tant que dĂ©fi positif Ă  la police de la rectitude artistique, la sĂ©paration entre l’artifice et la sincĂ©ritĂ©, le sens et le non-sens, le théùtre et l’authenticitĂ©.L’interprĂ©tation de Dada comme nihilisme ne m’intĂ©resse pas, c’est trop facile. Bien sĂ»r, la vie peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme dĂ©pourvue de sens.Ouvre les yeux, salamandre.

La plupart des chansons commencent par des impulsions verbales qui façonnent le flux de la musique, mais parfois c’est l’inverse.

PAN M 360 : On vous a dĂ©crit comme un collectif.Comment maintenez-vous la cohĂ©sion et la motivation d’un tel collectif ?

Nils Frykdahl : Le plaisir que nous Ă©prouvons Ă  Ă©couter les contributions souvent surprenantes des uns et des autres fait partie de ce qui nous a attirĂ©s les uns vers les autres, il y a tant d’annĂ©es, car nous voulions travailler avec des gens que nous ne pouvions pas deviner. La cohĂ©sion est aujourd’hui maintenue par l’effort de nombreux voyages, mais c’est en soi quelque chose que beaucoup d’entre nous aiment.

PAN M 360 : Comment dĂ©cririez-vous le processus de crĂ©ation des Ɠuvres, les compositions, l’espace rĂ©servĂ© Ă  l’improvisation, l’appropriation du matĂ©riel par les interprĂštes et l’exĂ©cution ?

Nils Frykdahl : L’improvisation n’est gĂ©nĂ©ralement inscrite dans la musique que de maniĂšre assez limitĂ©e, mais le chaos inĂ©vitable du spectacle vivant permet de voir ce qui se passe lorsque nous sommes pris par surprise.

PAN M 360 : Quelle est la dynamique du leadership et de l’investissement personnel au sein du collectif ?

Nils Frykdahl : Nous contribuons tous selon nos inclinations. Certains sont plus enclins Ă  prĂ©parer le petit-dĂ©jeuner, d’autres le dĂźner, d’autres encore les sauces…Cela inclut notre Ă©quipe :John Karr au son, Wind Beaver au merch, Ă  la conduite et Ă  la connaissance de la plupart des choses, et, nouveautĂ© pour cette Ă©dition, Lyndsey aux lumiĂšres (bien qu’un passeport tardif puisse l’empĂȘcher d’aller au Canada, hĂ©las).

PAN M 360 : Comment maintenir une telle compagnie en 2025 ? Au quotidien, Ă  moyen ou long terme ?

Nils Frykdahl : Par Ă -coups, et Ă  l’aide de nouvelles machines de communication Ă  longue distance.

PAN M 360 : Est-ce votre premier concert au Québec ?

Nils Frykdahl : Non. Nous avons dĂ©jĂ  jouĂ© Ă  MontrĂ©al au moins une ou deux fois, et beaucoup d’entre nous y Ă©taient aussi dans le cadre d’autres projets.En fait, la chanson Greenless Wreath sur « In Glorious Times » a Ă©tĂ© commencĂ©e et en grande partie Ă©crite sur le Mont Royal lors d’une promenade dans le vent changeant d’une superbe journĂ©e d’automne-hiver.

PAN M 360 : Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Nils Frykdahl : Élever nos voix dans des chants de louange ! Chez vous !

PERSONNEL DE SGM

Sleepytime Gorilla Museum:

Nils Frykdahl – guitare, flĂ»te, voix

Carla Kihlstedt – violon, guitare percussion, voix

Michael Mellender – guitare, Tangularium, trompette, percussion, voix

Dan Rathbun – basse, dulcimer, percussion, voix

Matthias Bossi – batterie, percussions, voix

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