Les extraits Love Outta Luck, The Willow et Better This Way ont précédé la sortie de l’album homonyme du groupe The Damn Truth sous étiquette Spectra Musique. Réalisé par le mythique producteur Bob Rock (Mötley Crue, The Offspring, Bon Jovi, Metallica), ce quatrième opus relance la formation montréalaise sur les routes du rock. À la veille du coup d’envoi au MTelus, soit ce mercredi 26 mars, le batteur Dave Traina s’entretiet avec Alain Brunet pour nous en expliquer davantage sur les motivations récentes du groupe, son allégeance au classic rock et au hard rock, et bien sûr sur l’encadrement du mentor Bob Rock qui a aussi travaillé sur l’album précédent de The Damn Truth, Now or Nowhere. Contenu exclusif sur PAN M 360!
Interviews
Il s’appelle Moulaye Dicko, mais on le connaît sous celui de Dicko Fils. En quelque 20 années de carrière, le musicien burkinabè, joueur de kora et de n’goni, a produit douze albums, dont le tout récent La route. Une vedette dans son pays natal (le Burkina Faso) et dans une large partie de l’Afrique de l’Ouest, l’artiste a néanmoins dû emprunter le chemin de l’exil et s’installer à Montréal. Car, voyez-vous, l’homme, plutôt timide, n’a quand même pas froid aux yeux et s’est investi depuis 2016 dans une cause humaniste, celle de combattre certaines traditions ancestrales comme les mariages forcés des jeunes filles, l’excision, et le refus d’éduquer les filles pour les confiner au rôle de femme de maison. Cet engagement courageux dans une société encore très attachée à ces coutumes lui a valu des problèmes avec des opposants. Des problèmes suffisamment graves pour l’obliger à s’installer sous des cieux certes plus froids, mais aussi plus cléments pour ce genre de militantisme.
C’est donc à Montréal que Dicko Fils à finaliser la construction de La route, le douzième album de sa carrière. Un album qui poursuit dans la même voie que les précédents, c’est-à-dire celle d’une adaptation des rythmes, couleurs instrumentales et particularités mélodiques de la musique traditionnelle peule à la modernité. Tant à travers la cohabitation des instruments traditionnels et modernes (guitares, batterie, lutherie électronique), il y a également l’apport de facettes stylistiques importées d’autres genres musicaux qui permettent un arrimage conséquent de la musique de Dicko avec celle d’autres stars de la musique ouest-africaine. On peut penser à Salif Keita et Oumou Sangaré. Là encore, selon Dicko, cette modernisation n’a pas toujours été facile. Certains lui ont reproché de ‘’gâter’’ la tradition peule. Mais il a poursuivi son chemin, accumulant sur celui-ci des dividendes appréciables comme l’appréciation et l’admiration d’une nouvelle génération de musiciens peuls qui sillonnent désormais dans les traces laissées derrière lui.
Quand je lui demande de dresser un bilan de sa carrière, de ces 20 années de musique et des résultats dont il est fier, il me dit que c’est le message de paix entre les peuples qui a été entendu par des milliers et des milliers de ses compatriotes qui lui font penser qu’il y a lieu d’être positif. Mais, tout de même, il a dû s’exiler. Le combat ne peut pas encore s’arrêter, et ce combat il affirme être prêt à le mener à partir d’ici, désormais.
Lors du concert de lancement donné au Balattou le 8 mars 2025, de nombreux représentants de festivals étaient présents avec pour résultat que Dicko a des engagements pour la prochaine saison de Québec à Hamilton, en passant par Ottawa et Halifax (et Montréal bien sûr).
Je lui demande comment s’est passé sa relocalisation. Il ne ment pas : ç’a été difficile. D’ailleurs, il était en tournée quand des menaces sérieuses lui ont été proférées. L’exil a donc été très subit, sans trop de réflexion ni de préparation. Mais Dicko avait déjà un bon réseau au Québec. Montréal est depuis longtemps une ville visitée par l’artiste lors de ses nombreuses tournées. Nuits d’Afrique et d’autres amis lui ont permis d’atterrir relativement en douceur. Il ne fait pas de doute que l’accueil positif qu’il a reçu l’aide à amortir le choc et à se concentrer sur la poursuite de sa mission et de sa carrière (les deux sont intimement liées désormais).
La route est donc en partie balisée par une certaine montréalitude, et ce pour notre plus grande fierté, car il s’agit d’un album d’Afro pop bien mené, bellement produit et qui a toutes les qualités requises pour se démarquer sur les scènes où Dicko Fils se présentera.
Déjà, confirme-t-il, il a reçu des appels d’ailleurs dans le monde pour aller le présenter en concert. La route est droit devant, pas en arrière.
Événement culturel majeur du printemps musical qui rythme la métropole, le Concours musical international de Montréal (CMIM) accueillera du 25 mai au 6 juin vingt-quatre artistes lyriques exceptionnels pour son édition de 2025 qui est dédiée à la voix. À travers ces différentes éditions consacrées au violon et au piano, le CMIM contribue, tant par son identité que par son ancrage dans le milieu culturel montréalais et à l’international, au dynamisme culturel de Montréal et au lancement de carrières d’artistes internationaux de la nouvelle génération. En plus du rayonnement, c’est plus de 160 000 $ en prix et bourses qui seront remis aux différents lauréats et gagnants des prix spéciaux de l’édition de Voix 2025. Alors que les préparatifs en vue de ces deux intenses semaines de compétition sont en branle, Alexandre Villemaire, collaborateur pour PAN M 360, a discuté avec Shira Gilbert, directrice artistique du CMIM, au sujet des différents aspects de cette édition du concours.
Cette entrevue a été réalisée en français et en anglais.
Découvrez les 24 concurrents et concurrentes de Voix 2025 ICI
Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://concoursmontreal.ca/fr/voix-2025/
crédit photo : Tam Photography
Rose Cousins devrait figurer sur votre radar si ce n’est déjà fait. Cette talentueuse auteure-compositrice-interprète et multi-instrumentiste originaire de l’Île-du-Prince-Édouard (aujourd’hui installée à Halifax) a remporté plusieurs prix JUNOS et ses chansons cinématographiques ont été diffusées dans de nombreuses émissions télévisées.
Elle s’est également fait connaître pour son interprétation dépouillée de « I Would Die 4 U » de Prince, mais avec son dernier album, Conditions of Love : Vol. 1, Rose Cousins a complètement revigoré son son. Mettant le piano, son premier instrument, à l’avant-plan comme instrument principal de ce nouveau lot de chansons, Rose a livré 10 belles chansons, ses communions et ses réminiscences sur le sujet audacieux de l’amour. Avant sa tournée pancanadienne Conditions of Love Tour (qui comprend un spectacle à la Sala Rossa le 7 avril), Rose a eu le temps de discuter de l’abandon des chansons, de son amour de la nature, du piano et de la photographie.
PAN M 360 : J’ai donc écouté Conditions of Love : Volume One. Je l’ai vraiment apprécié. C’est un excellent album pour se promener à Montréal. Et je voulais juste vous demander si vous trouviez que votre écriture était comme une expérience cathartique, pour libérer des choses, ou pour raconter une histoire plus large.
Rose Cousins : Je pense que les deux. Je veux dire, c’est sûr que l’écriture a toujours été et sera toujours cathartique pour moi, c’est sûr. Je pense que c’est peut-être plus large dans la mesure où je chante, j’espère, vous savez, des choses non spécifiques, enfin, spécifiques à moi, mais pas que vous sachiez nécessairement. J’espère donc que quelqu’un pourra l’écouter et se dire « Oh, tu me connais aussi » et qu’il y aura une porte d’entrée pour lui aussi.
PAN M 360 : Des idées vagues sur l’expérience humaine que les gens peuvent comprendre ?
Rose Cousins : Je pense que c’est le rôle de la musique. Nous essayons de trouver des moyens, même en dehors de la musique, de nous rapprocher les uns des autres. Et la musique est l’instigatrice d’une connexion plus profonde pour moi et, je suppose, pour tous ceux qui viennent me voir, mais aussi pour tous ceux qui écoutent de la musique. Je veux dire, vous savez, vous entrez dans la salle d’un groupe que vous aimez tant, et quelle est la chose que vous obtenez d’eux ? Ce n’est pas nécessairement les choses spécifiques qu’ils disent dans leurs paroles, mais ça peut être un sentiment qu’ils créent.
Il peut s’agir d’une nostalgie qu’ils évoquent dans votre propre expérience. Peut-être que les gens vivent une expérience côte à côte. Ils se rencontrent peut-être lors d’un spectacle. Je pense que c’est à la fois spécifique et non spécifique. Si la chanson peut, une fois qu’elle est sortie, faire son propre travail, ce n’est pas à moi d’organiser une expérience.
PAN M 360 : Oui, une fois que la chanson est sortie, c’est comme si elle ne t’appartenait plus.
Rose Cousins : Je pense que oui. Il y a un abandon qui doit se produire parce que la façon dont quelqu’un interprète une chanson n’est pas nécessairement la même que celle dont je l’ai écrite. Et cela n’a pas d’importance. Si elle les touche et leur apporte quelque chose, alors le travail est fait.
PAN M 360 : L’une des chansons qui m’a le plus touchée est « Forget Me Not ». J’adore toutes les références poétiques à la nature, comme les cornouillers, les lilas et les pissenlits. Trouvez-vous que la nature se glisse toujours dans vos compositions ?
Rose Cousins: Oui, je pense que ça a toujours été là quelque part. Mais il y a une ligne de fond sur ce disque, celle du monde naturel : la lune dans « Borrowed Light », toutes les fleurs, les arbres et les plantes dans « Forget Me Not », et le loup dans « Wolf and Man ». Je pense que c’est parce que j’ai écrit ce disque pendant la période de la pandémie que j’ai eu une communion plus profonde avec la nature.
J’ai un chien. Je me promenais tout le temps et je me trouvais au même endroit où les saisons changeaient, au même endroit où, normalement, je n’aurais fait que courir, faire des tournées et tout le reste. J’avais une communion différente, plus profonde, avec les saisons, en particulier le printemps et l’été. Je voyais et j’identifiais des plantes, ou bien on me montrait des plantes ou des arbres dont je n’aurais pas pensé à connaître le nom auparavant, mais je me disais « whoa ». C’est comme si je regardais, je regardais tout cela prendre vie, puis mourir, puis prendre vie, puis mourir. Donc, oui, le monde naturel fait partie intégrante de cet album. J’ai grandi dans l’Île-du-Prince-Édouard, à courir près de l’océan et dans les bois. Et je pense que c’est une sorte de retour à cela.
PAN M 360 : Le piano a toujours été présent dans votre musique, mais en tant qu’instrument d’accompagnement, parfois en arrière-plan. Mais dans cet album, il est au premier plan dès le début. Qu’est-ce qui vous a poussé à lui donner plus d’importance en tant qu’instrument principal ?
Rose Cousins : Le piano est mon premier instrument, celui que j’aime le plus et celui qui, au début de ma carrière, était le plus difficile à transporter. Je ne l’ai donc pas fait. Je jouais simplement de la guitare, et l’ami avec lequel j’ai coproduit cet album, Joshua Van Tassel, qui est mon batteur depuis longtemps, vivait à Toronto. Il est originaire de Nouvelle-Écosse. Il est retourné en Nouvelle-Écosse en 2022 et m’a envoyé chercher un piano pour lui. Piano, que j’ai complètement évité pendant tout le temps où j’ai vécu ici parce qu’ils ont des pianos à 80 000 dollars, n’est-ce pas ? Je ne peux pas aller dans ce magasin.
Je suis allé essayer ce piano pour lui, puis j’ai été dans la salle d’exposition et j’ai vu un vieux piano à queue d’occasion. Je leur ai demandé : « Qu’est-ce qu’il y a avec ce piano ? Il était réservé, mais j’ai toujours voulu un piano complet, alors j’ai dit : « Pouvez-vous me mettre sur la liste des vieux pianos sympas ? » C’était un jeudi, et le lundi, ils m’ont appelé. Ils m’ont dit : « Le piano est disponible ». J’y suis allé et ils l’ont installé dans une salle de récital. J’ai passé quelques heures avec lui et j’ai fait une dépression existentielle complète : « Puis-je m’offrir ce piano ? Est-ce que je mérite d’avoir ce piano ? Ce qui est ridicule, parce que quand j’ai dit ça à mes amis qui essayaient de m’aider à prendre une décision, ils m’ont dit : « Tu joues du piano pour gagner ta vie. »
PAN M 360 : C’est vrai, c’était votre premier instrument après tout.
Rose Cousins : Oui. C’est comme une communion très spéciale qui se produit entre moi et le piano. Et j’ai l’impression que mes sentiments s’expriment sous la forme la plus pure qui soit. Et oui, une fois que j’ai eu ce piano chez moi, je me suis dit : « C’est ça. Je veux enregistrer mon disque sur ce piano, dans cette maison, avec Josh. Et oui, c’est un peu comme ça que c’est né.

PAN M 360 : Quel type de piano ? Puisqu’il est utilisé, a-t-il une histoire ?
Rose Cousins : C’est un Baldwin de 1967 et l’homme qui l’a déposé, qui me l’a vendu, m’a dit qu’il avait été joué par une femme de l’Orchestre symphonique de Cincinnati. Il a donc certainement des kilomètres à son actif !
PAN M 360 : Le titre de l’album est Conditions of Love : Vol. 1. Y aura-t-il un deuxième volume ? Avez-vous des projets ?
Rose Cousins : Il s’agit plutôt de l’infinité de volumes qui peuvent exister sur ce sujet, n’est-ce pas ? Je veux dire que ce n’est pas un sujet sur lequel on pourrait écrire tous les volumes. Est-ce le début d’une exploration pour moi ? Est-ce l’exploration continue que je fais depuis que j’écris et que je joue ? Je pense que tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent pourrait faire l’objet d’un volume, mais je le vois vraiment comme le sujet sans fin sur lequel nous écrivons tous. Nous essayons tous de comprendre comment naviguer dans l’amour dans toutes ses conditions.
PAN M 360 : Avez-vous des passions non musicales en dehors de la musique qui influencent votre art ?
Rose Cousins : Oui, la photographie. Je fais de la photographie analogique, donc des films et des polaroïds, des 35 mils et des polaroïds. Pour l’illustration de cet album, j’ai travaillé avec une photographe nommée Lindsay Duncan, qui est une merveilleuse collaboratrice. Elle vit à Toronto. Nous avions, enfin, j’avais une vision très spécifique de ce que je voulais faire, et elle a été formidable. Donc, chaque chanson a sa propre photo dans le vinyle de luxe, les singles qui sont sortis, ils ont tous une photo de moi. La plupart d’entre elles me représentent en train de fuir la scène, mais moi dans ce costume rose dans la scène. Le costume rose représente ou symbolise l’amour.
Photos by Lindsay Duncan
Depuis qu’il préside aux destinées de l’Ensemble ArtChoral (anciennement Arts-Québec), le chef et directeur artistique Matthias Maute a entrepris un projet ambitieux: réunir dans une série discographique le répertoire choral a capella de la Renaissance à aujourd’hui. Une épopée qui couvre plus de six siècles de styles musicaux. Avec déjà sept volumes parus sur les onze projetés, le collaborateur pour PAN M 360 Frédéric Cardin, s’est entretenu avec Matthias Maute pour parler de l’avancement du projet dans la foulée des plus récentes parutions du catalogue, les volumes Baroque I et Moderne.
PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer une série sur l’histoire du chant choral, de la Renaissance à aujourd’hui?
Matthias Maute: Tout a commencé pendant la pandémie : plus de concerts, plus de public… mais toujours de la musique ! On s’est dit : si on ne peut pas chanter en direct, chantons pour l’Histoire. Résultat ? Une bibliothèque numérique du répertoire a cappella, de la Renaissance à aujourd’hui. Un voyage musical à travers le temps, sans masque et sans quarantaine !
PAN M 360 : Sur quels critères vous êtes-vous appuyé pour faire le choix du répertoire, qui est tellement immense?
Matthias Maute : J’ai suivi mon oreille et mon cœur : il fallait cette étincelle magique, ces œuvres qui nous transportent et nous font vivre une expérience unique. En gros, si ça me donne des frissons ou l’envie de chanter sous la douche, c’était un bon candidat ! Mais pas question de se limiter au coup de cœur : on a aussi plongé dans les recherches pour dénicher des pièces qui incarnent vraiment leur époque et leur style. Résultat ? Un répertoire qui raconte une histoire, pas juste une suite de belles mélodies !
PAN M 360 : Vous avez divisé le Baroque en deux volumes, bien sûr à cause de la durée de cette période. Mais on peut également parler de deux champs stylistiques différents représentés par ces deux volumes. Comment pourriez-vous décrire la différence fondamentale entre ces deux Baroques?
Matthias Maute : Le XVIIe siècle, c’est le Baroque en pleine effervescence : les compositeurs explorent, expérimentent, se lancent dans de nouvelles formes et jouent avec les surprises musicales. Un vrai laboratoire d’idées ! Le XVIIIe siècle, lui, marque un Baroque plus mûr, plus structuré, où l’équilibre et la maîtrise prennent le dessus. On passe de l’exploration à l’accomplissement, avec des œuvres plus longues, pleines de tensions et de contrastes maîtrisés. En gros, si le XVIIe est l’esprit libre et aventureux, le XVIIIe est le génie qui affine son art !
PAN M 360 : Dans Moderne, vous avez manifestement fait le choix de ne pas visiter le répertoire d’avant-garde/expérimental et atonal. Pourquoi?
Matthias Maute : Cette bibliothèque digitale s’adresse aux millions de choristes à travers le monde. On voulait donc un répertoire exigeant, mais chantable ! L’avant-garde atonale, aussi fascinante soit-elle, reste l’apanage de quelques ensembles spécialisés. Et puis, soyons honnêtes : aujourd’hui, la grande majorité des compositions chorales restent tonales, parce que les compositeurs savent bien que peu de chœurs veulent – ou peuvent – se lancer dans l’atonal pur et dur !
PAN M 360 : On dit que la série s’étalera sur 11 volumes. Sept sont sortis jusqu’à maintenant. Doit-on prévoir un volume Contemporain? Mais encore, quels seront les autres thèmes?
Matthias Maute : Il y aura des surprises, mais ce n’est pas encore le moment de tout révéler ! Ce que je peux dire, c’est qu’un des prochains volumes sera entièrement consacré aux œuvres de deux compositeurs montréalais : Jaap Nico Hamburger… et moi-même ! J’ai bien hâte de partager ça avec vous !
PAN M 360 : Quelles pièces regrettez-vous le plus de ne pas avoir pu inclure dans les volumes parus?
Matthias Maute : Tout ce que j’aurais aimé enregistrer, mais qui n’a pas trouvé sa place sur disque, a fini par prendre vie en concert ! Autant dire que je suis comblé. Avec une seule exception : la musique d’Ana Sokolović… mais ce n’est qu’une question de temps, puisqu’on la chantera bientôt lors d’un concert à la Maison symphonique !
PAN M 360 : Quel bilan faites-vous de votre arrivée à la direction de ce qui s’appelait (pendant longtemps) l’Ensemble vocal Arts-Québec?
Matthias Maute : Ma rencontre avec les chanteurs a été une véritable révélation. Les projets multiples, stimulants, ont fait naître des résultats qui m’enthousiasment toujours. Chaque fois que je me retrouve devant le chœur, mon cœur bat plus vite – j’adore la façon dont ils chantent. La voix, c’est un langage qui touche au plus profond de nous-mêmes. Si je devais faire un bilan, ce serait ça : beaucoup de gens ont été touchés par la magie de la voix humaine. Moi aussi, j’en fais partie. Et je crois que même les choristes ne sont pas en reste !
La Béninoise Angélique Kidjo figure assurément parmi les mégastars de l’Afrique, et fort probablement celle de sa génération ayant acquis la plus grande notoriété en Amérique du Nord où elle vit depuis nombre d’années. Cette réputation s’est rendue jusqu’aux yeux et aux oreilles du compositeur Philip Glass, pionnier et pilier du minimalisme américain aux côtés des Steve Reich et Terry Riley. Une décennie plus tôt, Glass composait une œuvre en trois mouvements, Ifé, trois chants Yorùbá, consacrée à la chanteuse africaine, avec livret en langue yoruba. L’œuvre a été exécutée depuis, l’Orchestre symphonique de Montréal prend ici le relais sous la direction de la cheffe suisse-australienne Elena Schwarz. Avant quoi, la volubile Angélique se prête à cet entretien avec Alain Brunet qui lui parle sporadiquement depuis les années 90.
PAN M 360 : Quelle fut la motivation d’interpréter une telle œuvre?
Angélique Kidjo : Le directeur artistique du London Philharmonic, Timothy Walker, m’avait suggéré de chanter avec un orchestre symphonique. Il avait fumé quoi? Il a rencontré alors mon prof de chant et me dit qu’il va réfléchir. Une année plus tard, le London Philharmonic vient jouer au Lincoln Center et me recontacte en me disant qu’un compositeur devrait écrire pour moi. Il me donne en exemple Philip Glass, que je connais personnellement. Nous prenons rendez-vous avec Philip qui nous invite chez lui et accepte. « Pas de problème, dit Philip en me regardant: “ Angélique, tu choisis le sujet, tu m’écris trois textes et je t’écris une oeuvre .” Alors j’ai écrit trois textes qui racontent la création de l’univers selon les Yorubas. Je l’écris et je la traduis en français comme en anglais en disant à Phillip que cette langue est très tonale. Il ne dit rien et me revient un an plus tard en me fournissant une musique piano-voix. Je me dis alors « Comment il a fait ? »
PAN M 360 : Et comment donc?
Angélique Kidjo : Lorsque nous nous sommes rencontrés aux premières répétition, je lui ai demandé et il m’a regardée avec un sourire diablotin en me disant : « Tu ne connais pas tout sur moi, Angélique…J’ai étudié la phonétique! » Et il me fournit alors le manuscrit de l’œuvre en écriture phonétique. Et c’est là que tout a vraiment commencé. L’Orchestre philharmonique du Luxembourg a d’abord commandé l’œuvre. Philip était sur place. Il expliquait alors aux journalistes que lui et moi avions construit un pont sur lequel on n’avait pas encore commencé à marcher.
PAN M 360 : Et pourquoi choisir le yoruba plutôt que le fon, ta langue maternelle?
Angélique Kidjo : Mais je parle les deux. On parle quatre langues au Bénin. La mythologie de la création du monde chez les Yorubas est la même que celle des Fons. On me l’a aussi racontée en yoruba, parce que des gens de ma famille étaient de descendance yoruba – du côté de mon grand-père maternel dont les aïeux furent des esclaves yorubas à Bahia au Brésil pour ensuite retourner en Afrique. Avant la colonisation, les royaumes yoruba et fon se sont fait la guerre et des prisonniers ont vécu chez nous comme chez eux. C’est pourquoi, d’ailleurs, que tu dois parler plusieurs langues en Afrique, sinon tu ne peux pas bouger! Je suis donc issue de ce métissage et puisque j’ai une certaine facilité avec les langues, j’ai choisi le yoruba. En fait, je n’ai pas choisi cette langue rationnellement. Lorsque l’inspiration me vient avec une langue, j’écris dans cette langue.
PAN M 360 : Et de quelle manière cet opéra a-t-il été conçu par Philip Glass pour une artiste africaine ?
Angélique Kidjo : Philip reste toujours Philip. Ce qui est incroyable chez lui, c’est sa souplesse et sa capacité d’adaptation. Dire que sa musique est répétitive est réducteur. Il va où la musique le mène, il peut s’adapter aux nombre de mesures que suggère un air ou un texte. L’œuvre commence par un premier mouvement, le dieu suprême Olodumare qui envoie le dieu tutélaire des artistes Obatala et Oduduwa, le dieu de la logique, afin de construire le monde. Il leur donne un sac, un coq et du vin de palme en leur disant de ne boire qu’une fois la tâche accomplie. Obatala n’écoute pas cette consigne et devient saoul, Oduduwa doit le traîner là où il va. Oduduwa se retrouve devant une étendue d’eau à l’infini. Olodumare lui dit alors de vider le sac et mettre le coq sur le contenu du sac, de la poussière noire, de manière à ce que le coq éparpille le tout et crée là terre ferme. Ainsi naissent les continents et Yemanja, la déesse de la mer qui n’a pas été prévenue de céder son territoire, se met en colère et fait appel à d’autres divinités afin de créer un monde autour de cette terre nouvelle. C’est donc le deuxième mouvement. Le troisième mouvement met en scène le dieu Osumare, deux serpents qui s’entrelacent pour tenir la Terre afin qu’elle ne tombe pas, et donc ce dieu mâle-femelle tient la Terre et y garantit la fécondité. Ce récit s’inscrit progressivement dans la musique de Philip.
PAN M 360 :Point de vue formel, Philip Glass s’est-il inspiré de mélodies
Angélique Kidjo : Il s’est inspiré phonétiquement de la musique de la langue pour composer cette œuvre, tout en restant lui-même.
PAN M 360 : Cette œuvre a été faite il y a une décennie. Vous l’avez interprétée maintes fois?
Angélique Kidjo : Oui, d’ailleurs, on vient de la faire à Manchester, début février, avec le chef Robert Ames. Jusque là, je n’ai été dirigée que par des hommes et, pour la première fois, une femme dirigera à Montréal :Elena Schwarz. C’est un rêve qui se réalise!
PAN M 360 : De la part d’une artiste féministe qui s’est construite à partir de l’Afrique, puis en Europe et en Amérique du Nord, ça tombe sous le sens!
Angélique Kidjo : Oui, absolument. Je suis une féministe pragmatique, je travaille avec les hommes, j’ai grandi avec 7 frères et mon père aussi a construit la femme que je suis. Il existe beaucoup d’hommes qui veulent des égales à leurs côtés, mon père voyait ma mère comme son égale et elle avait autant de pouvoir que mon père. Ma fille est aussi élevée comme ça, elle est indépendante et responsable. Et cette fois je travaillerai avec une femme cheffe.
PAN M 360 : Philip Glass a-t-il fait autre chose pour toi?
Angélique Kidjo : Sa 12e symphonie, Logia, a été composée pour les 100 ans du Los Angeles Philharmonic, et il me voulait pour soliste du 3e mouvement pour voix et orgue. Il m’avait alors appelée pour me dire qu’il m’avait poussé sous le bus en rigolant. Je lui ai dit It’s okay with me! (rires)
PAN M 360 : Alors fin prête pour Montréal?
Angélique Kidjo : Je ne tiens jamais rien pour acquis. Tant que ce n’est pas fini, plein de choses peuvent se produire…
PAN M 360 : Projets?
Angélique Kidjo : J’espère revenir très bientôt pour la sortie mon nouvel album prévu en août.
PAN M 360: À très bientôt, donc !
Angélique Kidjo: Oui !
Angélique Kidjo et l’OSM ce mercredi 19 mars, 19h30, Maison symphonique. Billets et infos ici
Artistes
Orchestre symphonique de Montréal
Elena Schwarz, cheffe d’orchestre
Angélique Kidjo, chant
Œuvres
Leoš Janáček, La petite renarde rusée, Suite (arr. C. Mackerras, 22)
Philip Glass, Ifé, trois chants Yorùbá (20 minutes)
Entracte (20 min)
Ludwig van Beethoven, Symphonie no 6 en fa majeur, op. 68, « Pastorale » (39 minutes)
Artistes
Orchestre symphonique de Montréal
Elena Schwarz, cheffe d’orchestre
Angélique Kidjo, chant
Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, présentateur
Œuvres
Ludwig van Beethoven, Symphonie no 6 en fa majeur, op. 68, « Pastorale » (39 min)
Philip Glass, Ifé, trois chants Yorùbá (20 min)
Concert sans entracte
Stradivatango, né de la complicité musicale entre Stéphane Tétreault et Denis Plante, explore un équilibre subtil entre tradition et réinvention. Porté par la sonorité profonde du violoncelle et les murmures envoûtants du bandonéon, l’album déploie une expressivité saisissante, entre vertige et grâce.
PAN M 360 : Stradivatango fusionne des influences baroques et tango d’une manière unique. Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette combinaison, et comment avez-vous, avec Denis Plante, façonné l’identité musicale de l’album ?
Stéphane Tétreault : Stradivatango est né de notre fascination pour la rencontre entre le baroque et le tango. Le tango, comme la musique baroque, exige une maîtrise du phrasé et de l’ornementation, mais aussi une liberté d’interprétation. Avec Denis Plante, nous avons façonné un son qui respecte cette spontanéité, où le bandonéon et le violoncelle dialoguent comme des danseurs suspendus entre vertige et grâce. Chaque pièce de l’album s’inscrit dans cette dualité entre tradition et réinvention.
PAN M 360 : Le violoncelle et le bandonéon ont des timbres très distincts. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans leur dialogue, et comment avez-vous abordé l’équilibre entre ces deux instruments ?
Stéphane Tétreault : Le violoncelle et le bandonéon ont des personnalités très contrastées : l’un chante avec profondeur et lyrisme, l’autre murmure avec une mélancolie presque résignée. Ce contraste est précisément ce qui rend leur dialogue fascinant. Comme dans une danse, l’équilibre repose sur une écoute mutuelle : parfois l’un mène, parfois l’autre, et parfois ils se fondent en une seule voix.
PAN M 360 : Le tango est une musique très expressive, souvent chargée d’intensité et de passion. Quels aspects du genre résonnent le plus en vous, et comment les exprimez-vous à travers votre jeu ?
Stéphane Tétreault : Le tango me touche par sa théâtralité et son intensité émotionnelle. C’est une musique qui porte en elle une nostalgie indomptable, une tension entre la douleur et l’exaltation. Mon jeu cherche à traduire cette expressivité, en sculptant chaque phrase avec le souffle du tango, en jouant sur les silences, les accents et les couleurs pour faire ressentir cette dualité entre élégance et fureur.
PAN M 360 : Denis Plante a structuré Stradivatango comme une suite baroque. Avez-vous abordé cette œuvre avec une sensibilité « historiquement informée » ou avez-vous préféré une approche plus moderne ?
Stéphane Tétreault : Stradivatango s’inspire des structures baroques tout en embrassant pleinement l’âme du tango. Chaque pièce explore une esthétique où les danses anciennes se réinventent à travers le prisme du bandonéon et du violoncelle. Tout en incorporant des éléments d’une pratique historiquement informée, j’ai cherché à capturer l’essence expressive du tango, en intégrant sa liberté rythmique et son intensité dramatique dans un cadre qui rappelle la sophistication et l’élan des suites baroques.
PAN M 360 : Votre Stradivarius Comtesse de Stainlein est un instrument exceptionnel. Comment sa sonorité influence-t-elle votre interprétation du tango par rapport à d’autres styles que vous avez explorés ?
Stéphane Tétreault : Ma Comtesse enrichit le tango d’une profondeur sonore unique. Son timbre chaleureux et sa résonance m’ouvrent un vaste champ d’expressions, allant de la délicatesse des harmonies impressionnistes de Cobián à la fougue dramatique de Piazzolla. Elle insuffle au tango une ampleur presque orchestrale à la musique de Denis Plante, où chaque note devient une histoire à part entière.
PAN M 360 : Y a-t-il un passage ou un moment précis sur l’album qui a une signification particulière pour vous ? Si oui, pourquoi ?
Stéphane Tétreault : Un moment marquant pour moi est Le prince écarlate, un hommage à Vivaldi qui illustre parfaitement la fusion entre baroque et tango. Son écriture vertigineuse évoque les traits violonistiques vivaldiens tout en conservant la tension dramatique du tango. Il incarne l’essence de Stradivatango : une conversation entre deux époques, portée par la virtuosité et l’émotion.
PAN M 360 : Que souhaitez-vous que les auditeurs retiennent de Stradivatango ? Y a-t-il une émotion, une histoire ou une atmosphère spécifique que vous aimeriez leur faire ressentir ?
Stéphane Tétreault : J’aimerais que les auditeurs ressentent cette alchimie entre le passé et le présent, entre la sophistication baroque et l’intensité du tango. Plus qu’un simple album, Stradivatango est une immersion dans un univers où chaque note est une histoire, où la musique danse sur un fil tendu entre nostalgie et passion.
Considéré comme « l’un des ensembles américains les plus importants pratiquant une musique véritablement expérimentale » (I Care If You Listen), l’ensemble TAK, basé à New York, s’arrêtera à Montréal le dimanche 16 mars pour clôturer la troisième édition de La Semaine du Neuf. Les musiciens de l’ensemble TAK partageront la scène avec la mezzo-soprano Kristin Hoff qui interprétera Love Songs d’Ana Sokolovic avant de présenter en première canadienne l’œuvre de Taylor Brook, Star Maker Fragments. Inspirée du roman Star Maker d’Olaf Stapledon paru en 1937, cette œuvre mixte (instrumentale et électronque) promet d’être un voyage musical et philosophique à travers l’espace et les sons. Alexandre Villemaire de PAN M 360 a posé quelques questions à Laura Cocks, directrice et flûtiste de l’ensemble TAK, à propos de cette performance à venir.
PAN M 360 : Qu’est-ce qui a déclenché cette collaboration entre Taylor Brook et le TAK Ensemble sur Star Maker Fragments ?
Laura Cocks : TAK travaille avec Brook depuis le tout début. Après avoir collaboré à une représentation de son œuvre Ecstatic Music pour notre tout premier concert en 2013, nous avons été très reconnaissants de poursuivre et d’approfondir notre relation de travail avec Taylor au cours des 12 dernières années. C’est une personne et un musicien extrêmement réfléchi, et l’opportunité de créer de la musique avec eux est profondément intéressante et expressive, tout en étant à la fois précise et claire – c’est la combinaison ultime. Après notre première collaboration en 2013, nous avons travaillé sur plusieurs autres œuvres avec Taylor, ce qui a donné lieu à un album-portrait de son œuvre en 2016 (Ecstatic Music), à la représentation de plusieurs itérations d’une œuvre théâtrale avec TELE-violet, c’est en 2019 que nous avons commencé à travailler sur Star Maker Fragments. Taylor avait une nouvelle idée pour une pièce, et quand Taylor a une idée, nous l’écoutons tous. Nous trouvons ses créations réfléchies de mondes entiers absolument irrésistibles et cette puissance expressive finement réglée est devenue une partie essentielle du langage musical et de l’identité de TAK au cours des 12 dernières années. Nous avons été immédiatement frappés par la façon dont Taylor fait tourner des mondes de sons et de structures, et nous sommes ravis de partager bientôt cette collaboration avec vous tous.
PAN M 360 : L’œuvre est basée sur le roman de science-fiction Star Maker (1937) d’Olaf Stapledon. Quels sont les thèmes sous-jacents du roman et comment sont-ils exprimés dans la musique ?
Laura Cocks : Le roman met en scène un narrateur humain qui est transporté hors de son corps et qui devient un observateur désincarné voyageant à travers l’espace et le temps. Brook rend de manière évocatrice les descriptions de sociétés imaginaires de Stapledon avec ses lignes microtonales et transcendantes. Critiquant implicitement la montée de l’autoritarisme mondial, tant dans la musique que dans le texte, Brook se délecte de l’optique empathique et pacifiste de Stapledon. Le texte de l’œuvre reste d’actualité, bien qu’il ait été écrit il y a près de cent ans. Lorsque le narrateur rencontre d’autres êtres et décrit leurs sociétés, nous entendons de nombreux échos du consentement tacite et de la sublimation en fascisme à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.
PAN M 360 : Connaissiez-vous le roman de Stapledon avant de créer cette pièce ? Qu’est-ce qui vous a frappé dans son écriture ?
Laura Cocks : Personnellement, je ne le connaissais pas, mais d’autres membres du groupe le connaissaient. C’était une joie de découvrir cette œuvre à la fois musicalement et textuellement. Il y a une touche presque anthropologique dans la façon dont Stapledon décrit les pratiques et les modalités de relations de diverses sociétés.
PAN M 360 : L’expérimentation joue un rôle fondamental dans l’identité et la pratique artistique du TAK Ensemble. Je suppose que c’est également le cas pour Star Maker Fragments. Quel type d’expérimentation entre en jeu dans l’élaboration du produit définitif et comment s’articule-t-elle avec les idées du compositeur ?
Laura Cocks : Lorsque Taylor a commencé à travailler sur Star Maker Fragments, il a partagé avec nous de nombreux fichiers sonores provenant de diverses sources – sons de lasers, de la NASA, etc. – et nous avons expérimenté sur chacun de nos instruments la meilleure façon de recréer ces sons, de trouver des parallèles et des sons dans les conversations que Taylor tissait dans l’œuvre à la fois dans sa composition notée et dans la partie électronique. L’œuvre est conçue comme une pièce quasi impossible et de nombreuses expérimentations ont été menées pour créer l’électronique avec laquelle l’ensemble joue en concert. Il y a plusieurs versions de chaque membre de TAK dans la partie électronique et, à chaque écoute, j’entends une nouvelle façon de voir le monde et l’extérieur du monde, comme nous y invite l’imagination absolument brillante et l’orchestration minutieuse de Taylor.
PAN M 360 : Après votre passage à Montréal pour la Semaine du Neuf, quels sont vos prochains concerts et projets ?
Laura Cocks : TAK travaille avec de nombreux étudiants compositeurs cette saison et a créé près de 40 œuvres étudiantes. À notre retour de Montréal, nous serons en résidence au Peabody Institute à l’Université de New York et au Graduate Center et nous terminerons notre saison par un concert d’œuvres pour TAK de Christian Quiñones, Aliayta Foon-Dancoes, Jessie Marino et Bethany Younge. Nous attendons avec impatience la deuxième édition de notre festival, SWOONFEST, en septembre (avec Yarn/Wire, RAGE THORMBONES, Gushes, Nursalim Yadi Anugerah, Las Mariquitas, Qiujian Levi Lu et Victoria Cheah) et la sortie de notre nouvel album avec des œuvres d’Eric Wubbels, Tyshawn Sorey, Bethany Younge, Lewis Nielson et Golnaz Shariatzadeh. Nous sommes actuellement en train de travailler sur des commandes qui nous enthousiasment avec Qiujiang Levi Lu, Victoria Cheah, Golnaz Shariatzadeh, Ann Cleare et Hannah Kendall.
photo: Joanna (Asia) Mieleszko
L’ancrage de cette production se trouve dans le poème bilingue de l’auteur et performeur Kaie Kellough, qui évoque les thèmes de la langue et de l’appartenance à un lieu, une culture. Le programme explore les styles de cinq compositeurs-trices multidisciplinaires d’exception: Eliot Britton, Nicole Lizée, Derek Charke, Luna Pearl Woolf et Bret Higgins. Sur scène, on parle d’un alliage entre lyrisme, groove et textures exploratoires et aussi d’un dialogue entre les instrumentistes et le récitant. Mais encore ? Alain Brunet a posé quelques questions à la violoncelliste Andrea Stewart et au contrebassiste Thibault Bertin-Maghit, de collectif9.
PAN M 360: « collectif9 et Architek Percussion mènent une réflexion poétique sur l’identité et l’appartenance, à travers les mots et les sons ». Que motive cette réflexion sur l’identité et l’appartenance en 2025?
Andrea Stewart (collectif9) : Lorsque nous avons conçu ce spectacle (de 2016 à 2018), nous voulions créer un espace de rencontre qui accueillerait des artistes, des membres de la communauté et des mélomanes de tous genres. L’idée était que nous arrivions tous quelque part avec nos propres histoires et expériences, et que nous pouvions tous apprendre de celles-ci – des nôtres et de celles des autres. De 2016, quand nous nous sommes lancés dans ce projet en 2025, cette réflexion était toujours d’actualité. Le mouvement et la migration, ainsi que les émotions qui les accompagnent, sont des sujets très humains. Nous avons été inspirés par le sentiment d’aventure, de solitude, d’acceptation qui accompagne nos mouvements, et par la manière dont cela peut être lié à la fois aux personnes et au territoire, aux voyages physiques et émotionnels. Le concept est à la fois abstrait et clair, ce qui le rend propice à une exploration artistique. La structure du spectacle en tient compte : des mouvements et des sections des différentes pièces sont entrelacés tout au long du programme, soulignant les différentes perspectives et contextes de chaque compositeur-rice et de leur langage. Le texte est le point de départ commun, et il se développe différemment selon les mains qui le manient.
PAN M 360: Vous avez choisi d’ancrer cette réflexion à travers un texte de l’auteur bilingue Kaie Kellough, réputé pour ses liens avec les musiques de création?
Thibault Bertin-Maghit (collectif9) : En effet, nous avons approché Kaie assez tôt dans le processus de création du spectacle. On connaissait son travail littéraire et aussi sa pratique comme performer dans le monde de la musique de création. Le thème qu’on voulait explorer recoupait les sujets souvent abordés par Kaie, ce choix s’est donc imposé très naturellement. Aussi, le fait qu’il écrive autant en anglais qu’en français était important pour nous pour pouvoir intégrer la dualité de la langue dans l’ADN du spectacle.
PAN M 360 : Comment ce texte devient-il le liant de l’exécution des œuvres au programme?
Thibault Bertin-Maghit : Les 5 pièces au programme ont toutes été commandées spécifiquement pour ce spectacle et chaque compositeur-trice a défini son rapport au texte pour sa pièce. Le texte reçoit donc toutes sortes de traitements: déclamé, chanté, scandé, pré-enregistré, altéré électroniquement. On le retrouve aussi à l’écran, intégré dans les projections vidéo.
PAN M 360 : Comment les œuvres choisies pour ce programme correspondent-elles à sa thématique?
Thibault Bertin-Maghit : Notre idée était de mettre côte à côte les approches de chacun des compositeur-trice-s par rapport à notre sujet pour apprécier d’autant plus leurs visions et leurs langages contrastants. Chez Woolf par exemple, la thématique a mené à la création d’univers à saveurs folkloriques inventées, alors que chez Lizée, la notion de lieu d’appartenance se matérialise dans des symboles issus de la culture populaire, que ce soit des jeux de société, des émissions TV ou des bonbons.
PAN M 360 : Comment avez-vous imaginé d’abord ce programme à deux ensembles?
Andrea Stewart : Nos deux ensembles existent depuis à peu près la même période (collectif9 depuis 2011 et Architek Percussion depuis 2012), mais notre amitié existait déjà avant cela. Nous avons toujours eu une approche artistique similaire – collectif9 étant un ensemble à cordes qui aimait le groove et Architek étant un quatuor de percussions multidimensionnel – et nous avions déjà discuté d’une collaboration à plusieurs reprises sans trouver comment ça pourrait vraiment se concrétiser. Lorsque le Conseil des arts du Canada a annoncé son programme Nouveau chapitre en 2016, offrant un financement exceptionnel pour de grands projets, il nous a semblé que c’était le moment de rêver, et nous l’avons fait. Si nous imaginons que la musique est le reflet de nos expériences, l’idée de parcourir la musique de cinq compositeurs stylistiquement différents semblait tout à fait pertinente à l’expérience de la vie elle-même, et nous étions tous tournés vers le monde, désireux de voir et de ressentir les expériences des autres. Ce fut une période très stimulante lorsque notre projet a commencé à prendre véritablement racine, et quand l’opportunité de financement nous a permis d’élargir le champ de notre imagination.
PAN M 360 : Quel est l’historique de la collaboration entre Collectif9 et Architek Percussion, deux ensembles en pleine ascension au Canada?
Andrea Stewart : Quelque part, mon jardin est notre première collaboration. La beauté d’une collaboration, quelle qu’elle soit, est qu’elle reste avec vous et que l’idée de développement est toujours présente. C’était un projet énorme à entreprendre en 2016. Nous avons beaucoup appris jusqu’à la première en 2018 et nous avons continué à développer notre vision du spectacle lorsque nous l’avons emmené en tournée à travers le Canada en 2018-19. Nous voici en 2025, et nous continuons à faire des ajustements, à clarifier des idées, à trouver de nouvelles voies. J’espère que nous aurons toujours l’impression d’être en pleine ascension si nous continuons à vouloir apprendre et changer.
PAN M 360 : Quelles sont les forces spécifiques à chacun de ces ensembles dans le contexte de ce programme?
Thibault Bertin-Maghit : Pour ce qui est de collectif9, je pense que notre force réside dans notre capacité à bouger ensemble, à respirer ensemble, et c’est d’autant plus important dans un contexte où le matériel musical est dense. On a besoin de cette fluidité et de cette unité pour rendre le tout cohérent.
Andrea Stewart : En ce qui concerne nos collègues d’Architek, ils sont totalement dévoués à l’idée du travail collectif. Ils arrivent avec une telle énergie et une telle attention pour le projet en cours qu’il devient très inspirant de travailler avec des collaborateurs prêts à s’immerger totalement dans la musique (et dans un projet), et c’est tellement évident avec Architek.
PAN M 360 : Comment avez-vous prévu arrimer les deux ensembles à travers ce répertoire?
Andrea Stewart : Tout le répertoire a été écrit pour les deux ensembles, et comme c’est nous qui avons commandé les œuvres, certains compositeurs ont pensé spécifiquement à nous lorsqu’ils ont écrit la musique. En ce sens, les deux ensembles sont très liés. Le tout devient un très grand ensemble de musique de chambre, et la complicité entre les individus en témoigne.
Q : Plus précisément, parlons de ces œuvres et des configurations orchestrales qui y sont sous-tendues. Pourriez-vous SVP nous en dire davantage sur les œuvres au programme?
* Luna Pearl Woolf: But I Digress… (2018) – 19 min
* Bret Higgins: among, within, beneath, atop (2018) – 8 min
* Derek Charke: the world is itself a cargo carried (2018) – 15 min
* Eliot Britton: Backyard Blocks (2018) – 17 min
* Nicole Lizée: Folk Noir/Canadiana (2018) – 14 min
Thibault Bertin-Maghit La pièce de Luna est constituée de 9 mouvements très courts. Chacun est très ciselé, très travaillé et nous amène dans un lieu géographique imaginaire.
La pièce de Brett reflète son univers jazz avec une ambiance plus feutrée et un peu d’improvisation.
La pièce de Derek est celle la plus chargée d’adrénaline du programme avec les parties les plus lourdes et groovy du spectacle.
Eliot, quant à lui, nous a donné un matériel plus ouvert dans lequel chacun de nous a des zones pour ornementer et varier les textures sonores. On est ici dans des sphères parfois plus pop/groove, avec aussi des cues électroniques.
Finalement, Nicole, nous a servi son désormais traditionnel cocktail de glitch, déphasages, instruments inusités, bande électronique, le tout synchronisé sur un film de sa concoction, rempli de référence pop des dernières décennies.
Je ne pourrais pas parler des artistes derrière le spectacle sans mentionner la collaboration de Myriam Boucher. Elle a conçu les projections vidéo pour le spectacle, utilisant ses propres images ainsi que des illustrations de Melissa Di Menna et Julien Bakvis, elles-mêmes inspirées du poème de Kaie. L’univers visuel qui en résulte est souvent aquatique et poétique, et donne une grande place à la nature; l’élément, s’il en est un, qui nous unis toutes et tous.
PAN M 360 : Eliot Britton (Toronto), Nicole Lizée (Montréal), Derek Charke (Vallée d’Annapolis), Luna Pearl Woolf (Montréal) et Bret Higgins (Toronto) : tous ces artistes sont anglophones, y compris l’auteur Kaie Kellough. Doit-on en déduire que la réflexion sur l’identité et l’appartenance résulte d’une réflexion anglo-canadienne dans le cas qui nous occupe? Ou encore cette sélection d’artistes relève-t-elle du hasard?
Andrea Stewart : C’est l’une des raisons pour lesquelles il est intéressant de revenir à un spectacle créé il y a tant d’années : nous réalisons qu’il y a toujours plus à faire pour créer une image artistique plus complète des ressentis de notre société. Je crois que nous pouvons dire que cette réflexion est vraie pour les locuteurs de toutes les langues à travers le pays. C’est la réflexion que nous avons lorsque nous trouvons nos communautés, où qu’elles soient, ou lorsque nous nous attachons à un territoire particulier.
La langue des membres de l’équipe créative de Quelque part, mon jardin peut être considérée comme un portrait instantané de l’état d’esprit de l’ensemble à l’époque : en tant qu’ensemble majoritairement francophones en 2016 – lorsque nous avons commencé à travailler sur ce projet – collaborer avec des artistes anglophones nous a semblé être un lien important à établir. Depuis 2016, notre identité culturelle, sociétale et linguistique en tant qu’ensemble est devenue plus complexe, et cela a un impact sur nos choix artistiques. Il est important de regarder en arrière et de voir ce que nous avons pu manquer, et ce que nous aimerions voir à l’avenir.
PAN M 360 : Dans ce contexte d’incertitude croissante sur les souverainetés canadienne et québécoise face à un géant américain très clairement impérialiste qui veut redessiner la carte de ce continent, y a-t-il lieu d’inscrire un tel programme dans ce contexte? Est-il pertinent de lier cette réflexion sur l’identité et l’appartenance à la géopolitique actuelle?
Thibault Bertin-Maghit : Je pense que ce spectacle met de l’avant notre désir de transversalité, notre besoin de mettre nos différences côte à côte. La différence nous enrichit, nous ouvre les yeux sur d’autres visions du monde plus qu’elle nous intimide ou nous effraie. Les réalités migratoires d’il y a 7 ans sont toujours d’actualité et le futur va nécessiter notre mobilisation et notre unité pour combattre la division et le repli sur soi. Dans ce sens, ce spectacle est certainement un appel à se rassembler pour faire face ensemble aux défis qui nous attendent.
Le 16 mars prochain, dans le cadre de la Semaine du Neuf, accueille le TAK Ensemble qui présente Star Maker Fragments. En première partie la mezzo-soprano Kristin Hoff interprétera Love Songs d’Ana Sokolović, un opéra pour voix seule qui explore l’amour sous toutes ses facettes et dans plus de 100 langues. Entre chants, murmures et bruits, cette œuvre intense et contrastée nous plonge dans un voyage sur le thème des amours, où se mêlent passion, tendresse, perte et découverte.
Pour l’occasion, PAN M 360 a réalisé une interview avec Kristin Hoff qui nous partage ici son regard sur cette œuvre fascinante.
PAN M 360: Comment décririez-vous cette œuvre à quelqu’un qui ne la connaît pas?
Kristin Hoff: Love Songs est un opéra pour une seule voix, sans instruments d’accompagnement. Il est parfois chanté, parfois parlé, parfois bruité. La pièce aborde les thèmes de l’amour débridé, de l’amour tendre, de l’amour d’un enfant, de l’amour mûr et de l’amour pour quelqu’un que nous avons perdu. Chacun de ces thèmes est précédé d’un mouvement de Doves (colombes), qui s’amuse avec les mots I love you in, répétés à l’infini, en 100 langues, pour introduire chaque nouvelle section. La seule section qui ne comporte pas de mouvement de colombes est la toute dernière, l’amour pour quelqu’un que nous avons perdu.
Love Songs est un voyage non linéaire à travers différentes expériences et angles de l’amour, une chanson d’amour au cœur pur avec toutes les langues, couleurs et personnages que vous pouvez imaginer. C’est surprenant, émouvant, drôle et dévastateur – une aventure unique. J’espère que le public viendra l’esprit, les oreilles et le cœur ouverts.
PAN M 360: Vous avez interprété Love Songs dans plusieurs villes canadiennes et elle est devenue un classique de votre répertoire. Qu’est-ce qui vous attire tant dans cette œuvre?
Kristin Hoff: Cette pièce m’interpelle pour de nombreuses raisons : j’adore le travail d’Ana Sokolović. C’est une compositrice très, très inventive. Love Songs a tellement de contrastes, de couleurs et de caractères différents, ce qui signifie que je découvre de nouvelles choses à chaque fois que je travaille dessus, même 12 ans plus tard. De plus, il y a quelque chose de très libérateur, d’habilitant et de satisfaisant dans le fait de se tenir seul sur une scène. Tout repose sur mes épaules, ce qui, d’une certaine manière, représente une pression considérable. Mais j’aime que la pièce me consume et ne laisse aucune place aux petites inquiétudes insidieuses qui peuvent s’infiltrer dans les situations de représentation.
PAN M 360: Qu’apportez-vous de personnel à cette œuvre? Sur quels aspects mettez-vous particulièrement l’accent en tant qu’interprète?
Kristin Hoff: Hmm, j’ai vraiment l’impression de tout apporter à cette pièce, d’une manière que la plupart des autres pièces ne requièrent pas. Tout de mon cerveau, de mon corps, de mes sentiments. Une présence totale, je pense !
PAN M 360: Cette œuvre est un véritable défi vocal, notamment en raison de ses multiples inflexions et de l’utilisation de 100 langues ! Comment préparez-vous une telle performance?
Kristin Hoff: Tout d’abord, je suis une personne qui aime les défis. Je me souviens d’avoir commencé à apprendre cette œuvre il y a 12 ans et d’avoir été à la fois ravi et complètement intimidé par ce que j’allais devoir investir pour vraiment l’apprendre, pour le mémoriser. J’ai toujours aimé les langues, et la recherche sur la prononciation et la traduction a été un plaisir. Je crois que ce processus d’apprentissage et de mémorisation m’a demandé six mois de travail acharné. J’ai eu la chance de bénéficier d’un soutien important de la part du Conseil des Arts du Canada pour la période d’apprentissage. 12 ans plus tard, le processus de préparation du spectacle est très différent. J’ai beaucoup moins peur de la pièce, car je la connais au plus profond de mes os. Cela dit, je sais aussi très bien qu’il n’y a pas de raccourci pour éviter l’immense engagement mental et physique nécessaire pour se replonger dans la pièce et la jouer. Je dois faire de la place pour cela dans mon emploi du temps, dans mon corps, mon esprit et mon âme.
PAN M 360: Parmi vos nombreux engagements, vous êtes notamment directrice artistique et générale de Musique 3 Femmes et directrice exécutive du côté vocal des Mini-Concerts Santé. En quoi ces engagements influencent-ils votre approche artistique et votre travail d’interprète?
Kristin Hoff: Musique 3 Femmes est une compagnie d’opéra montréalaise qui se concentre presque entièrement sur la création. En fait, Love Songs est jusqu’à présent le seul spectacle que nous ayons produit qui ne soit pas également une œuvre pour laquelle nous avons soutenu le processus de création. Diriger cette compagnie et commander, développer et produire de nouvelles créations d’opéra grâce à mon travail avec M3F signifie qu’en tant qu’interprète, j’ai un plus grand respect pour les défis que représentent la production et la présentation de spectacles, ainsi que pour les personnes qui dirigent les organisations artistiques et rendent possible la multiplication des représentations.
J’ai également un plus grand respect et une meilleure compréhension des motivations et du processus des créateurs eux.elles-mêmes. En tant qu’artiste, j’éprouve une grande joie à travailler directement avec les créateur.trices. Je sais que presque tous les compositeurs vivants sont prêts à discuter des modifications à apporter à la partition et à mon interprétation pour améliorer mon interprétation de l’œuvre. L’interprétation de la musique nouvelle est une chose vivante et qui respire – j’adore ça !
Pour la Semaine du Neuf, le Quatuor Bozzini célèbre ses 25 ans d’activités professionnelles au service des musiques de création, soit avec des créations de trois compositeurs-trices d’exception: Michael Oesterle, Linda Catlin Smith et Martin Arnold – lisez notre autre interview à ce titre. Pour cette occasion très spéciale, PAN M 360 publie deux interviews avec les membres de cet excellent quatuor montréalais: Alissa Cheung, violon, Clemens Merkel, violon, Stéphanie Bozzini, alto, Isabelle Bozzini, violoncelle. Le concert sera présenté ce vendredi 14 mars, 19h30, au Music Media Room. Une interview avec les membres du Bozzini y est exclusivement consacrée, parlons ici de ce quart de siècle de vie musicale, ce qui n’est pas rien !
PANM 360 :: L’effusion d’amitié, L’effusione d’amicizia pour reprendre le titre italien du programme de La Semaine du Neuf est un titre choisi pour cette commémoration, n’est-ce pas? En relation avec les origines partiellement italiennes des frangines Isabelle et Stéphanie ? En tout cas, on devine que l’amitié règne toujours !
Stéphanie Bozzini: Certainement, l’amitié règne toujours! Ce titre spécifiquement est emprunté à une œuvre de Michael Oesterle (avec sa permission) pour violon ou alto solo, l’effusione d’amicizia, écrite en 1996, que Clemens et moi-même avons tous deux joué quelques fois.
Isabelle Bozzini : Ma sœur a vendu la mèche… Ça ne vient donc pas de nos racines suisse-italiennes, même si ça leur fait honneur. Ce clin d’œil à une œuvre de jeunesse de Michael va comme un gant au contexte: des créations de musiciens avec lesquels nous avons développé au fil des ans de grandes affinités artistiques, et également des amitiés solides. Nous trouvions que c’était une bonne façon de rendre hommage à nos 3 amis, collègues, collaborateurs de quelques décennies. Ce titre décrit bien notre relation avec eux.
Clemens Merkel: C’est aussi une métaphore pour toutes ces amitiés que nous avons développées au fil des 25 ans. Car le point de départ de notre travail de création commence toujours par la relation avec les compositeurs-trices et les autres artistes. Et si on est chanceux, pour citer le film Casablanca, “this is the beginning of a great friendship!”.
Stéphanie Bozzini: D’une certaine façon aussi, c’est un clin d’œil à l’amitié en général, à l’empathie, la compassion, l’écoute et le partage, dont nous avons tant besoin ces temps-ci.
PAN M 360 : Chacun.e d’entre vous pourrait-il livrer un témoignage de votre raison d’être en tant que quatuor?
Alissa Cheung: Jouer dans un quatuor à cordes est une expérience très riche. Non seulement peut-on compter sur un grand héritage et un canon d’œuvres composées, mais avons-nous le privilège artistique de commander et d’aider à déterminer les chefs-d’œuvre de notre époque.
Clemens Merkel: L’équilibre est optimal en termes d’instrumentation, mais aussi sur le plan démocratique, puisque nous sommes tous directeurs artistiques et auto-producteurs de notre ensemble. Nous travaillons bien en équipe et apprécions également travailler avec d’autres collaborateurs tout au long de notre parcours artistique, qu’il s’agisse d’artistes du son, des arts visuels, du théâtre ou de la danse.
C’est sûr que ça peut paraître un peu bizarre, mais la première raison pour laquelle j’ai commencé à jouer du quatuor à cordes avec Isabelle et Stéphanie, c’est parce que j’avais besoin d’argent. Quand je suis venu à Montréal en 1998, je retournais encore très souvent en Allemagne pour des engagements, mais comme je n’étais pas assez présent là-bas, les engagements ont décliné. Cependant, je n’avais pas de réseau à Montréal, je n’avais pas étudié ici et je n’avais pratiquement pas de contacts. Lorsque les Bozzini ont dû remplacer l’un de leurs violonistes, c’est tout naturellement que j’ai pris la relève. Je ne l’ai pas regretté une seconde et maintenant je ne peux plus imaginer faire autre chose. Bien sûr, j’ai également utilisé mes contacts en Europe pour présenter le quatuor en Europe dès le début. À ce jour, c’est l’un de nos axes importants.
Stéphanie Bozzini : Nous sommes privilégiés de faire ce métier, c’est une chance et avec ça vient des responsabilités envers les créateurs et le public. C’est toujours sur notre radar. On est en constante conversation, à 4, avec nos collaborateurs. C’est très intime comme travail.
PAN M 360 : Rappelez-nous les premiers balbutiements du Bozzini ?
Isabelle Bozzini: Avec notre quatuor étudiant, nous avions fait connaissance avec Michael Oesterle au Forum du NEM en 1996. Jeune compositeur talentueux et frondeur, il nous avait impressionnés par sa faconde extraordinaire! Nous lui avions donc commandé un quatuor à cordes, une première commande professionnelle soutenue par le CAC pour lui et nous. De son côté, à la suggestion du compositeur allemand Gerhard Stäbler, Michael invitait Clemens Merkel pour le concert de fondation de l’Ensemble KORE en 1997.
Ces 2 événements re-brassent les cartes et mènent, à travers une rencontre à la Chapelle Historique du Bon-Pasteur à une histoire d’amour et d’immigration, et à la fondation du Quatuor Bozzini… à la blague, nous disons que Michael et Guy Soucie ont été les parrains du quatuor!
Isabelle Bozzini: Clemens nous a apporté une expertise et un savoir-faire acquis au début de sa carrière en Allemagne et ailleurs en Europe, où il a joué avec de nombreux ensembles, et travaillé avec les plus grands compositeurs et chefs. Ça nous a beaucoup inspirés, et nous a également permis de renouer avec nos racines européennes. En même temps, nous avions notre savoir-faire québécois et nord-américain; dès le départ nous avons embrassé cette dualité et travaillé à cultiver nos relations avec les créateurs d’ici, issu de toutes les générations.
Clemens Merkel: Quand j’ai commencé à jouer avec le quatuor, il avait un autre nom que je ne trouvais pas particulièrement élégant ou pratique. C’est pourquoi j’ai insisté pour changer le nom et suggéré le nom de famille des deux sœurs Bozzini, suivant la tradition de nommer le quatuor d’après le primarius, mais maintenant d’après la « bass and rhythm section”. Fait intéressant, mon beau-père était un peu piqué au début que nous n’ayons pas demandé la permission d’utiliser son nom. Il avait négligé le fait que c’est aussi le nom de ses filles ! Entre-temps, le nom est devenu une marque, et il ne faut pas le sous-estimer.
Stéphanie Bozzini: Je me souviens de notre motivation, notre plaisir à découvrir de la nouvelle musique, notre énergie – comme seulement des jeunes peuvent avoir! -, de longues répétitions pour peaufiner maints détails. Notre première tournée en Europe était vraiment marquante. Nous avons rencontré des membres du collectif Wandelweiser dont Jürg Frey, et joué sa musique pour la première fois dans cette tournée en 2001, ça a beaucoup influencé notre parcours et notre esthétique. Pré-iPad, on se bricolait des œuvres d’art de partitions, je me souviens d’une œuvre reçue par fax, une page à la fois qui rentrait!
PAN M 360 : De quelle manière chacun.e d’entre vous a joint le quatuor ?
Isabelle Bozzini: Je suis tombée en amour avec le quatuor à cordes en 1987, année de cégep où Marcel St-Cyr et Tom Williams m’avaient donné la permission de jouer dans un quatuor plutôt qu’à l’orchestre de l’université McGill. En 1994, je réalise ce rêve en fondant avec ma sœur Stéphanie un quatuor d’étudiantes qui se dédiait à 50% à la création. Après quelques concerts, concours et projets, et l’arrivée de Clemens à Montréal fin 1997 pour la fondation de l’Ensemble Kore (Oesterle/Courroux), nous avons naturellement fait la transition à partir de 1998 pour ainsi devenir le Quatuor Bozzini, avec un profil franchement dédié à la création. Pour moi, c’est simplement le choix qui m’a toujours le plus inspirée comme cordiste, et du moment qu’on trouve des “âmes sœurs” pour mener le projet, il faut s’accrocher contre vents et marées!
Alissa Cheung: Vers 2013, le quatuor était à la recherche d’un.e violoniste. Laura Andriani était une amie commune et savait que je cherchais un changement professionnel – par rapport à mon poste de violoniste à l’Orchestre symphonique d’Edmonton. À l’automne 2013, j’ai passé une audition en personne à Montréal, qui comprenait des extraits de James Tenney, de Beethoven, de Walter Boudreau, de Jo Kondo et de Thomas Stiegler. Nous avons également parlé de nos objectifs de carrière et artistiques. Au printemps 2014, nous avons donné quelques concerts ensemble dans le cadre de la série de récitals Salon qb, avec de la musique de Maxime McKinley, Denis Gougeon et John Cage, et il était clair que c’était le bon choix pour tout le monde. Onze ans plus tard, nous sommes toujours ensemble et en pleine forme !
Clemens Merkel: Je suis venu à Montréal pour la première fois fin 1997, puis de plus en plus souvent et longtemps à partir de 1998. Mais c’était d’abord pour des raisons personnelles, si je peux m’exprimer ainsi. Ensuite, j’ai décidé de m’installer complètement à Montréal, et c’était certainement une décision risquée, car j’avais déjà travaillé avec beaucoup de succès en Allemagne, soit pendant presque une dizaine d’années avec différents ensembles et en tant que soliste. Quand j’ai commencé à jouer avec le quatuor, il n’y avait que quelques concerts par année, et il n’était pas du tout question de le faire à plein temps. Ce n’est venu qu’un peu plus tard, lorsque nous avons décidé de tout miser sur une seule carte et de pousser le quatuor de toutes nos forces. Ça a bien fonctionné.
Stéphanie Bozzini: Après nos études, le QB était la continuation de notre quatuor étudiant de l’époque. Le travail avec des compositeurs, entre autres dans les ateliers de musique contemporaine de l’UdM avec Lorraine Vaillancourt, nous a vraiment donné envie de continuer. Au départ nous avions tous d’autres projets personnels en plus du quatuor. On a réalisé que le potentiel était là et que ce serait vraiment plus satisfaisant si on se dédiait à temps plein au quatuor. C’était un pari risqué, on a risqué et on ne regrette rien!
PAN M 360 : Quelles sont d’après chacun.e de vous vos qualités propres en tant qu’interprète au sein du quatuor?
Isabelle Bozzini: Pour moi, le rythme a toujours compté avant tout, et je prends mon rôle de « basse » très au sérieux! J’ai beaucoup travaillé comme musicienne baroque, et développé un sens aigu de la conduite harmonique et de la résonance des accords. À nos débuts, nous avons beaucoup focalisé sur le son, que nous souhaitions « droit ». Nous insistions pour jouer absolument tout sans vibrato! Nous avons développé un sens du son d’ensemble qui nous est propre. Mais je dirais que pas mal tout le quatuor nage dans les mêmes eaux. Je me rappelle une conversation avec le Hilliard Ensemble où ils nous expliquaient qu’un tel avait la charge de la hauteur (pitch), l’autre du rythme, l’autre de l’équilibre, etc… Au Quatuor Bozzini, je ne vois pas autant de frontières clairement délimitées. J’avoue qu’il m’arrive d’impatienter mes collègues en insistant pour travailler un détail dans quelques mesures… d’autres ont un sens et un besoin plus urgent d’accéder à la vue d’ensemble!
Alissa Cheung: La perspective compositionnelle, le sens du flux ou de l’énergie pour les phrases et la structure globale, la communication du contenu émotionnel de la musique au public.
Stéphanie Bozzini: Le pragmatisme, l’écoute, la réflexion, l’habilité à trouver un terrain d’entente et de compromis (j’écris ça, mais je réalise que ça s’applique à nous tous!). Musicalement, le son, le flux, la balance et les intentions guident mon travail. Revenir au travail de base, et « gosser » dans les détails je trouve très important et satisfaisant aussi. Mais je préfère le sentiment libérateur de se lancer dans la forme dans son ensemble. Alléger l’atmosphère en craquant une blague, j’aime faire sourire mes collègues.
Clemens Merkel: La vue d’ensemble est très importante pour moi, les questions stylistiques, les aspects du son, le flux de la musique. Ce sont des choses qui vont souvent au-delà du passage individuel ou même de la pièce. Ce que nous faisons doit être clair, bien pensé et logique et avoir toujours notre propre caractère. Mais ensuite, bien sûr, il s’agit toujours de détails, d’ajustements minimes dans le traitement de l’archet, le rythme et l’intonation. C’est vraiment toujours un travail d’équipe et le quatuor n’est si bon que si vous parvenez à regrouper les forces des quatre membres de manière qu’il en résulte plus que la simple somme des quatre membres.
PAN M 360 : Comment se vit la direction artistique et le choix des œuvres pour vos programmes? Une directrice artistique tranche au terme de remue-méninges? Comment ça se passe?
Isabelle Bozzini: Mes collègues me taquinent souvent, m’appelant “ tantôt le grand manitou” ou “la reine”, mais en réalité nous travaillons depuis nos débuts en mode collaboratif, 2.0 avant la lettre. Notre structure à l’horizontal nous permet à la fois une grande souplesse et un investissement enthousiaste des membres et collaborateurs dans le projet “Quatuor Bozzini ”! Collectivement, nous remettons régulièrement nos choix en question, nous choisissons ce que nous souhaitons explorer, et nous favorisons une conversation soutenue et une collaboration étroite avec les artistes qui composent pour nous. Il faut dire qu’au fil des ans, nous avons été très bien entourés, sans compter le riche répertoire existant pour quatuor. Et puis bien sûr, nous avons un goût pour l’aventure et la cocréation, que ce soit en musique ou avec d’autres disciplines. Toutes ces rencontres nous ont nourris et nous ont fait grandir artistiquement.
Alissa Cheung: Pour nous, la musique et la composition sont toujours au premier plan. Nous ne ressentons pas le besoin d’étaler nos compétences en tant que musiciens, mais nous voulons vraiment communiquer une musique qui a une voix forte et qui expérimente peut-être une idée qui est rarement adoptée par d’autres compositeurs plus conventionnels. Parfois, le contexte du choix artistique change, par exemple, entre les commandes de festivals et les ateliers, mais nous parvenons généralement à nous mettre d’accord sur les personnes avec lesquelles nous voulons travailler. Et bien sûr, si nous avons une bonne expérience de travail avec les compositeurs, nous voulons poursuivre cette collaboration aussi longtemps que possible, comme le prouve le programme Effusione di Amicizia.
Clemens Merkel: Comme le dit Isabelle plus haut, nous sommes tous impliqués dans la direction artistique et aussi dans l’administration de notre entreprise. Je crois que c’est l’une de nos forces : que nous nous identifions tous les quatre très fortement à ce que nous jouons et à ce que nous faisons, à tous les projets, concerts, tournées, CD, ateliers. Nous le voyons comme une unité où chaque élément contribue au tableau d’ensemble. La preuve en est lque nous pouvons établir des relations à long terme avec les compositeurs, ceux ayant participé au « Composer’s Kitchen » avec nous il y a plus de 15 ans reviennent maintenant en tant que mentors. Pour nous, c’est le signe que nous avons bien fait les choses, comme nous le voulions, à notre façon.
Stéphanie Bozzini: Le partage à 4 des décisions et orientations fait la force de notre quatuor. C’était très important il y a 25 ans, et ça n’a pas changé. Nos affinités avec la musique qu’on programme dicte nos décisions artistiques. Et dans un sens, c’est le quatuor qui tranche (cet organisme – presque au sens propre du terme- que nous avons créé!). Découvrir de nouveaux langages, de nouvelles façons de faire, sortir des sentiers battus sont des choses qui nous ont toujours attiré et motivent nos décisions artistiques.
PAN M 360 : Peut-on parler de cycles dans l’évolution du Bozzini sur 25 ans ?
Isabelle Bozzini: Je dirais que oui. En questionnement sur une planification pluriannuelle il y a quelques années, nous avions dégagé quelques “époques” du Bozzini. La première, de 2000 à 2007 environ, un cycle de recherche: de notre identité, de notre son, des esthétiques qui nous interpellaient. La construction de notre réseau, et le début de relations suivies avec de nombreux artistes. La période où nous avons établi les “grandes lignes”. La deuxième, de 2008 à 2018 environ, je l’ai appelé une période d’expansion, de croissance. Nous avons élargi nos réseaux, diversifié nos soutiens, et multiplié les activités, tant localement qu’à travers le Canada et à l’international. C’est aussi la période où nous avons commencé à développer nos projets interdisciplinaires (Hozhro, Ange Noir, Une idée sinon vraie, etc). La suivante, je l’avais nommée “la maturité”. Sortis de notre état de “relève éternelle”, nous avions un certain sentiment d’aboutissement, et plus de moyens pour atteindre nos ambitions. Ce fut de courte durée, puisque nous sommes bientôt tombés dans la marmite de la “réinvention”, qui malheureusement a l’air de vouloir s’incruster! Mais bon, ça nous oblige à ne pas nous endormir sur nos lauriers…
Clemens Merkel: C’est un peu comme dans la vraie vie, il y a ces cycles d’environ 7 ans si vous regardez de 2000 à 2007, de 2007 à 2014, de 2014 à environ 2020. Cela signifie que nous sommes toujours dans ce cycle de covid et post-covid. peut-être est-il rassurant de voir que nous avons un nouveau cycle autour de 2027 qui, espérons-le, sera assez merveilleux.
PAN M 360 : Quels sont d’après vous, les programmes marquants de votre histoire
Isabelle Bozzini: Quelques jalons ressortent pour moi:
Les 3 concerts de notre première série officielle (20 octobre 2020, 9 février et 11 mai 2021), dont nous avions longuement discuté et soupesé la programmation. Chaque concert proposait un quatuor de Charles Ives, une œuvre du New York School (Feldman, Cage, Wolff), et 2 œuvres québécoises mêlant relève et artistes établis (6 en tout dont 4 créations: Jérôme Blais, Justin Mariner-création, Luc Marcel-création, John Rea, Michael Oesterle-création et Jean Lesage-création);
La création mondiale en mai 2001 à Düsseldorf du Streichquartett n.2 de Jürg Frey
“L’Événement Wandelweiser” dans le cadre de notre résidence au Théâtre La Chapelle en septembre 2003. En résidence au TLC pendant 2 ans, nous avons également présenté In Tempore Belli (Crumb et Reich), et notre premier Composer’s Kitchen au printemps 2005;
“La Quadrature du Cercle” en 2006, où à l’invitation de la SMCQ nous donnions un programme particulièrement virtuose, avec les créations mondiales de Rumore Sui de Denys Bouliane, Quatuor à cordes no 3 “Objets trouvés, commentaires et digressions” de Jean Lesage, et Le Grand Méridien de Walter Boudreau;
La création d’une œuvre à 4 mains de Joane Hétu et Jean Derome, Le Mensonge et l’Identité;
La création de Hozhro, notre premier grand projet interdisciplinaire en coproduction, pour lequel nous avons rapidement mangé beaucoup de croûtes! Et la chance d’avoir une équipe de feu avec qui nous avons élaboré le projet de 2006 à 2009: Michel Gonneville (composition et textes), Mario Côté (vidéo), Pierre Thibault (installation et scénographie), Danièle Desnoyers (chorégraphie et mise en scène);
Ange Noir au OFFTA en 2011! Ayant commandé dès 2007 un texte à Jean-Frédéric Messier pour accompagner Black Angels de George Crumb dans le cadre d’un concert jeunesse avec narrateur au festival Klangspuren en Autriche, nous avons eu l’insigne honneur de faire partie d’une des dernières productions de l’illustre Théâtre MOMENTUM!;
Les concerts avec Alvin Lucier et Pauline Oliveros au festival SIP 2015, un de nos favoris de tous les concerts que nous avons présentés avec ce grand-petit festival! Chaque moment avec Alvin était une poésie…;
La résidence fantastique avec Eliane Radigue en juillet 2017, qui a mené à la création de Occam Delta XV à Suoni en 2018, et à plusieurs reprises depuis;
Le printemps 2021, où nous avons enregistré en rafale les intégrales de Christian Wolff, Michael Oesterle, Tom Johnson et Bryn Harrisson (et les disques précédents consacrés à Linda Smith, Cassandra Miller et Ana Sokolovic!);
Tous les ateliers et concerts du Composer’s Kitchen depuis 2005;
Notre spectacle Innamorati, développé avec la formidable marionnettiste Marcelle Hudon.
Nous venons d’en présenter une 3e série avec le CAM en tournée, et ce n’est que le début!
Je regrette déjà ceux que je ne mentionne pas, mais il faut que je m’arrête avant d’écrire la biographie complète!
Alissa Cheung:
Wigmore Hall 3 décembre 2022– intégrale des quatuors de Gerald Barry intercalé avec les œuvres de Cassandra Miller, Michael Oesterle, Claude Vivier et Tanya Tagaq;
Trip 12 novembre 2020 – inofficiellement notre concert de 20e anniversaire avec les œuvres de Christopher Butterfield, Cassandra Miller, Michael Oesterle, Thomas Stiegler et Jennifer Walshe;
Une idée sinon vraie 2019-2020 – musiques d’Ana Sokolović avec Marc Boivin, danse;
SIPFest 10 août 2018 – concert clôture d’une résidence avec des jeunes compositeurs.trices indonésien.nes
Clemens Merkel: Question difficile, il y en a tellement. Bien sûr, certains programmes et projets se démarquent. Mais pour moi, ce sont les relations à long terme qui se développent sur de nombreuses années qui se démarquent. Pour n’en nommer que quelques-uns : Michael Oesterle, Jürg Frey, Cassandra Miller, mais aussi Ana Sokolovic, Jimmie Leblanc, Christian Wolff, Eliane Radigue et beaucoup d’autres. Je ne peux – ou ne veux – pas séparer l’art et la relation humaine. Il est tout aussi important pour le quatuor que nous accordions autant d’attention à une pièce d’un jeune compositeur dans un atelier qu’à une pièce d’un compositeur très connu avec qui nous travaillons depuis longtemps. Ce n’est peut-être pas le but de cette question, mais les relations interpersonnelles, en particulier avec les jeunes artistes, sont extrêmement importantes pour nous.
Stéphanie Bozzini: Nos projets multidisciplinaires qui ont toujours été initiés par des réflexions qui dépassent le cadre d’un quatuor à cordes en récital, qui nous poussaient et qui souvent nous faisaient nous aventurer sur des terrains inconnus, parfois dans des situations inconfortables (!), mais toujours dans l’idée d’avancer plus avant :Une idée Sinon vraie (danse), Innamorati (théâtre d’ombre, marionnettes), Ange Noir (théâtre), Musique de chambre noire, Les Petites Portes (vidéo), etc…
Les concerts marathons, le premier étant l’Odyssée du Quatuor en 2001 au Théâtre La Chapelle, puis Wigmore Hall 2022, Aldeburgh Festival 2023, BBC dans la série Hear and Now en 2007 (qui a marqué toute une génération de jeunes compositeurs britanniques qui entendaient un quatuor qui jouait sans vibrato, dans une esthétique très dépouillée, et dont plusieurs se sont inspiré).
Nos concerts et programmes découlant de longues collaborations au fil des ans: Eliane Radigue, Jürg Frey, Michael Osterle, Martin Arnold, James Tenney, Alvin Lucier, Christian Wolff.
Programmer des compositrices et compositeurs d’ici pas beaucoup joués à l’international à travers notre rôle d’ambassadeurs de la création canadienne et québécoise: ex. Jimmie Leblanc à Gaudeamus aux Pays-Bas qui avait reçu un accueil vraiment favorable, est un exemple récent qui me vient en tête pour n’en nommer qu’un seul.
Au niveau personnel, les projets / programmes où on a pu établir des liens très forts et durables avec nos collaborateurs. Ces échanges donnent toute une autre dimension au travail.
PAN M 360 : De quoi chacune et chacun d’entre vous êtes le plus fiers d’avoir accompli dans ce quatuor?
Isabelle Bozzini: Garder le cap, avec tous les aléas du métier, et les milles aspects à comprendre/apprendre pour mener sa barque. Maintenir le feu, pour chaque jour remettre l’ouvrage sur le métier avec plaisir. Apprendre la patience, entre nous et avec nos collaborateurs; la vigilance est de mise. Cultiver la curiosité et le sens du risque, pour permettre chaque petit miracle de la création!
Alissa Cheung: Les relations humaines et la communauté de tous nos collaborateurs.trices.
Stéphanie Bozzini: L’idée d’avoir créé un organisme. Presque au sens propre du terme, en constante mouvance, où chacun trouve sa place, où l’écoute est priorisée, où chacun s’adapte. On met nos forces en commun pour faire avancer notre mission. Être là l’un pour l’autre en temps de besoins. Fière d’avoir persévéré malgré les difficultés, les défis. Fière des liens qu’on établit et préserve entre nous, avec les gens qui nous soutiennent au bureau, et aussi tous les artistes et amis que nous avons rencontré au long des 25 ans. C’est très enrichissant.
Clemens Merkel: Lorsque nous commençons notre carrière comme jeunes musiciens, nous ne savons jamais exactement où cela nous mènera. Le quatuor a donné une direction claire, c’est une tâche et aussi une obligation (peut-être une idée très allemande). Soit l’obligation envers mes collègues, envers les compositrices et compositeurs qui nous font confiance et nous donnent leur musique. Je suis très fier que nous ayons réussi à vivre et à survivre en quatuor dans un milieu ici au Québec et au Canada ou il y n’y a pas beaucoup ce qu’on appelle une « marché », tout ça en jouant la musique que nous jugeons importante. Jouer de la musique de Montréal, du Québec et du Canada en Europe, apporter de la musique d’Europe ici. C’est un corpus de travail qui s’est développé au fil des ans, qui se compose de nombreux éléments qui s’assemblent comme un grand casse-tête. Bien sûr, je suis fier de nombreux événements individuels, concerts, projets, mais après tant d’années, c’est en fait ce qui me remplit de satisfaction et en même temps me donne la motivation de continuer aussi longtemps que je le peux
PAN M 360 : Croyez-vous que ce concert de la Semaine du Neuf est le plus important de votre saison 25e anniversaire?
Clemens Merkel: C’est toujours le prochain concert qui est le plus important!
Isabelle Bozzini: Je suis assez d’accord avec Clemens…! C’est un concert-phare de nos 25 ans, mais nous avons choisi de célébrer sur toute la durée de 2025, parce qu’un quart-de-siècle ça se célèbre en grand, et parce que cette année nous avons une série d’événements particulièrement juteux.
PAN M 360: Résumez-nous les concerts déjà présentés dans ce contexte et ceux qui viennent d’ici la fin de cette saison ? Il va sans dire, nous en reparlerons dans le contexte d’autres articles.
Isabelle Bozzini: Après Effusione d’Amicizia à la Semaine du Neuf, il y aura la création de l’opéra Hiroshima Mon Amour en coproduction avec Carte Blanche et Chants Libres au FTA, entrecoupé de plusieurs présences à des grands festivals allemands, Witten et Darmstadt. Un concert aux Suoni Per Il Popolo (qui fête aussi son 25e!) avec Sarah Hennies. La création le 15 août à Time:Spans d’œuvres de Cassandra Miller, Zosha Di Castri et Taylor Brook, un grand projet de co-commande avec Le Vivier et Soundstreams (Toronto), œuvres qui seront données à Montréal en octobre et à Toronto en 2026. En septembre, un retour à Gaudeamus et une première présence à Musica Strasbourg, et encore bien plus. À suivre!
En raison de circonstances imprévues, Matthew Warren Ruth ne jouera pas le 15 mars dans le cadre de La Semaine du Neuf, plus précisément lors d’un concert où il devait présenter ses propres œuvres en plus de celles de Tim Brady en deuxième partie. Au lieu de cela, Tim Brady jouera l’intégralité de sa pièce pour guitare solo Symphony in 18 Parts et de sa pièce For Guitar. Nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions sur ces deux pièces avant ce samedi.
PAN M 360 – En ce qui concerne The Symphony in 18 Parts, je pensais que transformer une guitare solo en une symphonie entière serait un véritable défi en ce qui concerne les timbres, mais vous y êtes parvenu en 49 minutes. Comment avez-vous décidé de la qualité des sons que vous vouliez et de la manière de les utiliser ?
Tim Brady: The Symphony in 18 Parts a commencé par quelques petits morceaux de guitare. Ce n’est qu’après en avoir écrit trois ou quatre que j’ai décidé d’en faire une œuvre ambitieuse de 50 minutes. Mais une fois cette décision prise, je savais qu’il me fallait autant de variété que possible en termes de timbres et de sonorités. Six cordes pendant 50 minutes, c’est assez intense. J’ai donc passé du temps à chercher des effets et des boucles très contrastés, en jouant simplement avec les sons, avant de me lancer dans le processus de composition détaillé. Une fois que j’ai trouvé un large éventail de sonorités différentes, j’ai essayé d’imaginer le voyage que nous ferons ensemble dans la salle de concert – et comment ces sons pourraient contribuer à créer la forme du morceau, le voyage de l’auditeur.
PAN M 360 – Sauf erreur de ma part, il n’existe pas encore d’enregistrement commercial de votre pièce For Electric Guitar. Cette pièce sera-t-elle une ode à l’instrument ? Une pièce particulièrement idiomatique de la guitare ? Peut-être quelque chose de tout à fait différent ?
Tim Brady: Cette performance sera la première, aucun enregistrement n’a encore été publié. Je le sortirai probablement en 2026, mais c’est amusant de créer une pièce devant un public. Et, oui, c’est très idiomatique. Il y a quelques effets, mais beaucoup moins que dans The Symphony in 18 Parts. Il s’agit plutôt de jouer de la guitare. D’où le titre quelque peu laconique : « Pour guitare électrique » : « Pour guitare électrique ».
PAN M 360 – Je sais que vous avez déjà travaillé avec Matthew Warren Ruth et qu’il a composé pour vos Instruments of Happiness, un ensemble de guitare. Comment avez-vous commencé à collaborer et pourquoi vos sensibilités musicales respectives s’accordent-elles si bien ?
Tim Brady: En raison de circonstances imprévues, Matthew a malheureusement dû annuler sa prestation du 15 mars. C’est un excellent guitariste et un excellent compositeur. J’ai étudié avec lui à Concordia il y a plusieurs années. J’espère que le public aura l’occasion d’entendre davantage de sa musique au cours des prochaines années. Je jouerai l’intégralité des 18 mouvements de la Symphonie, puis, après un court entracte, la première de For Electric Guitar. Il y aura encore beaucoup de musique pour guitare !
PAN M 360 -Je vois, c’est dommage pour Matthew. Je suppose que je peux encore vous poser la question suivante : Comme la guitare électrique est un instrument relativement jeune, j’aimerais savoir ce que vous pensez de l’évolution de la musique pour guitare d’une génération à l’autre. Quelle est, selon vous, l’évolution de la musique de guitare ?
Tim Brady: En tant qu’instrument, la guitare électrique a beaucoup évolué depuis 1932 (date de son invention officielle). Les amplificateurs et instruments sont devenus plus flexibles et nuancés, et les effets (dont l’utilisation s’est développée depuis le milieu des années 1960, avec une croissance importante à la fin des années 1970) leur ont donné un nouveau son. Les plus jeunes sont de grands musiciens, capables de jouer dans un groupe de rock, une formation de jazz ou sous la direction d’un chef d’orchestre. Les bases restent les mêmes : six (voire sept ou huit…) cordes, son clean ou distordu, son doux ou fort, etc. Il existe quelques choix fondamentaux, mais chaque artiste trouvera sa propre voix.
PAN M 360 – Vous nous avez dit précédemment que vous preniez l’habitude d’improviser à la guitare tous les jours. Certaines des dix-huit parties de votre symphonie ont-elles été improvisées ou l’œuvre a-t-elle été davantage composée de bout en bout ?
Tim Brady: The Symphony in 18 Parts est composée à travers. J’utilise l’improvisation pour rester en contact avec la création musicale à un niveau viscéral, et je l’utilise parfois dans ma musique. Mais pas dans cette pièce.
PAN M 360 – Les noms des parties de la symphonie se situent quelque part entre le poétique et le méta. Avez-vous décidé de les nommer en fonction de vos choix esthétiques ? Y a-t-il une sorte de fil conducteur narratif ?
Tim Brady: Sincèrement, je ne sais pas trop ce que signifient ces titres ! Je voulais donner une identité à chaque section plutôt que de la nommer simplement « Movement 1 ». J’ai donc travaillé sur une série de phrases que j’ai trouvées intrigantes, puis j’ai essayé de déterminer s’il y avait une quelconque relation entre elles et la musique. Mais c’est très intuitif, je n’ai pas du tout planifié les titres.
PAN M 360 – Et enfin : J’ai besoin de savoir s’il y a un modèle de pédale ou d’effet, au fil des ans, pour lequel vous avez une préférence. Êtes-vous un féru d’électronique ou vous contentez-vous de ce qui sert la musique au moment présent ?
Tim Brady: J’aime suivre les tendances en matière de matériel et j’ai possédé des tonnes de matériel différent au fil des décennies, mais je n’ai pas acheté de nouveau matériel depuis un certain temps. Il vaut mieux connaître et utiliser le matériel que l’on connaît que d’essayer toujours quelque chose de nouveau. J’ai passé pas mal de temps sur le son et les réglages de base de mes guitares – micros, configurations de câblage alternatives, jauge de tension, hauteur des cordes et choix des bois. Tout commence par la guitare, qui doit sonner et bien faire se sentir. Toutes les pédales du monde n’arrangeront pas un instrument qui sonne mal.