Depuis maintenant 8 ans, Exposé Noir est un courant constant de la scène underground montréalaise, façonnant discrètement des espaces où la musique, les visuels et la communauté se rejoignent. Nous nous sommes entretenus avec M, l’un des deux organisateurs principaux du projet, pour parler de ses débuts, de leur approche curatoriale et de la façon dont ils ont navigué dans les marées changeantes du paysage local de la musique électronique.

PAN M 360 : Exposé Noir fait partie de l’underground montréalais depuis près d’une décennie. Pourriez-vous nous ramener à ses débuts ? Quel est l’élément qui vous a poussé à créer et de quel type d’espace rêviez-vous à l’époque ? Revenons au début. Quelle a été l’étincelle et quel type d’espace essayions-nous de créer ?

M : Le projet a débuté en 2017. Ce n’était pas mon idée, mais celle de mon coorganisateur, qui est venu avec ce concept très inspiré par la culture underground en Europe quʼil ne voyait pas nécessairement ici à Montréal, où il prend la musique électronique mais fait infuser différentes couches d’art visuel et de design pour une expérience plus intentionnellement curatée. De A à Z, du moment où vous arrivez à l’espace, en passant par le type d’artistes que vous réservez. Donc, oui, je dirais que c’est un peu né de cela, comme « ok, voici quelque chose que nous nʼavons pas nécessairement à grande échelle et qu’il serait cool d’importer « .

Nous nous sommes rencontrés par hasard. Il nʼavait aucune expérience en matière d’organisation, mais il avait une vision de ce qu’il voulait faire et, après être venu à une fête de loft que j’avais organisée, il m’a contacté et m’a demandé si j’aimais la techno. J’adore la techno. Nous ne nous connaissions pas du tout, mais nous avons commencé à nous rencontrer et nous avons eu beaucoup de chance pour notre premier événement. Les étoiles se sont alignées. Grâce à une connexion mutuelle, nous avons eu accès à la Fonderie Darling, qui est en fait assez difficile à réserver, et nous avons eu un DJ qui n’est pas nécessairement notre style aujourd’hui, mais qui à l’époque était davantage underground, Amelie Lens. Elle est aujourd’hui l’un des plus grands noms de la musique techno, et nous l’avons eue au bon moment, quand elle était très populaire, mais pas encore inabordable ou trop commerciale. Les choses se sont bien mises en place, et c’était vraiment un gros bordel, mais finalement nous nous en sommes sortis et nous nous sommes dit : « Ok, c’est cool. Quelle est la suite ? Depuis lors, les opportunités se sont alignées et nous avons continué, définissant notre approche au cours du processus.

PAN M 360 : C’est très élaboré. Et cela s’inscrit parfaitement dans le cadre de la deuxième question : Au fil des ans, comment avez-vous vu évoluer la scène techno et la musique électronique expérimentale à Montréal ? Comme lorsque tu parlais avec ce DJ, c’était intéressant au départ, mais tu cherchais peut-être quelque chose d’autre. Exposé Noir s’est-il toujours développé parallèlement à ces changements, ou parfois contre eux ?

M : Je pense vraiment que cʼest à 100 % à côté. Il faudrait que je réfléchisse bien pour trouver comment nous sommes allés à l’encontre des changements. Je dirais plutôt que nous en avons fait partie. Au début, nous étions des débutants, mais maintenant nous faisons partie d’une sorte de vague d’organisateurs. Dans ma tête, je suis toujours ce nouvel organisateur, mais les gens commencent à venir me demander conseil, comme des promoteurs qui ont dix ans de moins que vous, et vous réalisez que vousʼêtes un ancien maintenant. Cela se passe vraiment sans qu’on s’en rende compte. J’ai vu la scène évoluer de façon très positive – je dirais même qu’elle n’a connu que des aspects positifs. Il y a peut-être des aspects qui ont empiré, mais cʼest plus universel, par exemple, l’influence des médias sociaux et des grandes entreprises technologiques sur la façon dont nous consommons l’information et sur la nature de l’information consommée, et comment cela façonne la culture de certaines façons.

J’ai vu la scène se professionnaliser de manière très positive, non pas dans le sens où elle est devenue plus commerciale, mais au sens où des choses comme la sécurité et le partage d’informations entre les organisateurs ont changé de manière spectaculaire. Auparavant, il y avait beaucoup de contrôle et les gens s’en sortaient en faisant toutes sortes de choses. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de transparence et de coopération. Je travaille toujours avec d’autres organisateurs qui font des soirées disco et des soirées bass music, complètement différentes. Mais nous savons tous que nous travaillons dans le même but. Jʼai donc vu les choses prendre une direction vraiment positive. Bien sûr, il y a toujours moyen de s’améliorer, mais pour moi, la tendance est positive.

PAN M 360 : Les programmations d’Exposé Noir ont toujours trouvé un équilibre délicat entre les artistes locaux et internationaux. Quelle est votre approche de la programmation et quels types de conversations espérez-vous ouvrir entre ces différentes communautés ?

M : Oui, cʼest une excellente question. Je veux dire, je pense qu’une perspective peut-être plus critique de nos événements qui est parfois soulevée, et qui me semble valable, est le fait que nous sommes très orientés vers les artistes internationaux. La plupart de nos soirées sont au moins à moitié ou majoritairement locales, mais elles finissent parfois par être plus internationales, comme celle-ci.

La plupart de nos soirées sont au moins à moitié ou majoritairement locales, mais elles finissent parfois par être plus internationales, comme celle-ci. Mon point de vue est quʼil ne sʼagit pas seulement de quantité, mais aussi dʼoffrir un plateau de grande qualité aux artistes. Cʼest un aspect important de ce que nous essayons de faire. Nous ne nous contentons pas d’engager nos amis tout le temps, nous essayons de trouver l’occasion parfaite d’engager quelqu’un d’une manière qui nous enthousiasme vraiment. Plutôt que de présenter un concert de plus, nous essayons de créer le meilleur plateau possible pour que les artistes puissent se rencontrer et jouer avec d’autres artistes extraordinaires du monde entier. Nous voyons souvent des gens citer nos soirées comme l’une de leurs réalisations sur leur profil, ce qui les aide à obtenir d’autres concerts.

PAN M 360 : Les quatre jours à venir ressemblent à la fois à une expansion et à un aboutissement. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce pas audacieux maintenant, avec l’expérience du Belvédère, même si vous l’avez déjà fait auparavant ? Et comment cet événement reflète-t-il votre situation actuelle et celle d’Exposé Noir ?

M : Nous avons une équipe vraiment formidable ! Certaines personnes sont plus centrales et d’autres sont plus indirectement impliquées, mais au fond, il n’y a que deux personnes. Nous avons une dynamique où l’un de nous sera le rêveur irréaliste, et l’autre sera comme : « Ok, non, revenons à la réalité.ˮ Il s’agit souvent d’une poussée et d’une traction, et nous nous relayons.

Cette fois, c’était mon partenaire qui devenait dingue, et il y avait le festival Wire à New York qui amenait beaucoup d’artistes extraordinaires dans la région. Lorsqu’un certain nombre d’artistes se joignent à l’événement, d’autres artistes le voient et se disent : « Oh, je veux jouer à cette fête ! Au début, c’était un rêve, puis on s’est dit : « D’accord, nous nous sommes enfoncés dans ce trou. Comment pouvons-nous nous en sortir ?

PAN M 360 : La représentation, la diversité et les espaces plus sûrs ont toujours fait partie de votre ADN. Au-delà des mots à la mode, comment gérez-vous personnellement ces questions lorsque vous construisez des espaces qui sont vraiment accueillants et transformateurs ?

M : Je pense que cʼest une très bonne question parce que ces concepts peuvent être une arme à double tranchant dans la mesure où ils peuvent être symbolisés. C’est ce qui se passe dans certaines organisations, comme la Fierté par exemple. Elles constituent aujourd’hui l’establishment à Montréal, et même si leur mandat est censé représenter la diversité, elles intimident les petites organisations et groupes au sein de ces communautés. Nous sommes heureux parce que lorsque vous regardez les données de nos réservations, un pourcentage énorme est constitué de minorités de genre ou de minorités raciales, comme une majorité. Mais cela nʼest jamais au premier plan de nos objectifs. Ce qui me semble le plus important, c’est de mettre en lumière les contributions de ces différentes communautés. Nous nous intéressons aux contributions extraordinaires des artistes noirs d’une certaine région ou de d’artistes homosexuels d’autres régions et nous leur accordons de l’espace sur la plateforme.

Nous voulons aussi que notre vie ne soit pas ennuyeuse. On voit de plus en plus de promoteurs dépassés – ce sont six Blancs avec la même coupe de cheveux et portant des T-shirts noirs, comme je le fais en ce moment. Nous devons donc être conscients que nous ne sommes pas toujours des experts en la matière. Et quand on est ouvert à tout ce qui se passe de cool, comme les folles soirées Mamba Negra au Brésil ou les Mjunta à Berlin, le simple fait d’être au courant de ce qui se passe de génial va nous inspirer en tant que programmateurs et nous rendre la vie beaucoup plus facile.

PAN M 360 : Les espaces que vous avez fréquentés – comme les « âmes industrielles brutes » du Belvédère – semblent toujours profondément liés à l’expérience que vous créez. Comment voyez-vous la relation entre l’environnement physique, le son et l’énergie collective de la foule ?

M : Personnellement, j’ai toujours considéré l’espace comme l’une des principales têtes d’affiche. Dans la fiction, il y a une perspective intéressante où vous pouvez considérer des objets inanimés ou des choses comme le vent ou un lieu comme un personnage. Je trouve cela très intéressant, de penser à l’espace comme ayant presque sa propre agence. Vous pouvez le considérer comme un autre artiste dans votre programmation. Cʼest quelque chose qui attire les gens, mais cʼest aussi quelque chose qui encadre votre travail. Par exemple, lorsque nous utilisons de nouveaux lieux, ce que nous cherchons souvent à faire, cʼest un tout nouveau puzzle. Cela nous oblige à repenser le flux des choses. Mais si l’on prend un lieu existant comme le centre scientifique, on se dit :  » D’accord, nous l’avons déjà fait plusieurs fois, mais comment passer à l’étape suivante ? Il y a toujours de nouveaux défis et de nouvelles occasions avec chaque espace, et évidemment, nous prenons l’aspect visuel très au sérieux, alors nous faisons un effort énorme pour trouver de nouveaux lieux. Cela prend beaucoup plus de temps qu’on ne le pense.

PAN M 360 : Au-delà de la piste de danse, Exposé Noir est devenu un point de rencontre pour une communauté plus vaste d’artistes, d’activistes et de rêveurs. Comment voyez-vous votre rôle, non seulement en tant qu’organisateur, mais aussi en tant que travailleur culturel soutenant les écosystèmes et les voix locales ?

M : Il est très important de garder cela en tête. Un festival comme celui-ci compte au moins 50 ou 60 personnes sur la liste de paie et un bon noyau de 30 personnes qui travaillent pour nous chaque mois. Nous sommes devenus en quelque sorte un employeur, ce qui est assez fou, et je pense que cet aspect est souvent négligé. Il y a donc un phénomène économique très intéressant qui se produit lorsque des personnes ont des difficultés à obtenir un emploi de 9 à 5, mais ont des compétences extraordinaires à mettre à profit.

Pour ce qui est de la culture, honnêtement, je n’en ai aucune idée, car il y a une sorte d’approche délibérément distante. Il ne sʼagit pas dʼessayer de vous donner une certaine image ou de promouvoir un certain look. J’aime aller à mes soirées et voir des gens de tous les horizons. Je vois de jeunes artistes, des sexagénaires qui s’amusent, de jeunes professionnels qui se lâchent. Je pense que la culture générale est vraiment cool – et nous sommes honorés d’en faire partie – et sa partie nocturne fournit un espace vraiment incroyable pour que les gens soient davantage eux-mêmes, ou du moins explorent d’autres parties d’eux-mêmes. Si nous parvenons à offrir ce type d’espace, je dirais que j’en suis très reconnaissant.

PAN M 360 : Mener un projet indépendant et communautaire aussi longtemps n’est pas une mince affaire. Nous en sommes tous conscients. Quelles ont été les leçons les plus difficiles ou les moments de doute auxquels vous avez été confronté au fil des ans, et qu’est-ce qui vous permet de continuer à avancer ?

M : Il y a certainement beaucoup de défis à relever, et nous sommes constamment en train de plaisanter ou de parler sérieusement de lancer la serviette, ou quoi que ce soit d’autre. C’est toujours notre dernière année de fonctionnement à plein régime, et je ne sais pas ce que 2026 nous réserve. Nous ne fermons pas la porte, mais il est certain que les aspects sanitaires et financiers ont été difficiles à gérer. Cʼest difficile pour nos relations. Pour un événement comme celui-ci, non seulement je suis ici pendant quatre jours, mais je suis aussi ici des semaines avant, à travailler sans relâche, et toutes les relations amicales ou amoureuses ne sont pas compatibles avec cela. Nous avons la chance d’avoir des partenaires qui le sont, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a donc un coût personnel, et même sur le plan financier, les gens voient un grand événement et supposent que nous roulons sur l’or, mais en réalité, nous nous en sortons à peine. Du côté positif, nous essayons de faire de nos événements des espaces plus sains pour nous-mêmes et pour notre personnel, où le bien-être est au centre. Nous planifions mieux les choses, proposons des expressos et des fruits de bonne qualité afin de prendre davantage soin de nous-mêmes et de notre équipe. Mais en fin de compte, on ne peut affirmer que ce soit viable pour toujours.

À un moment donné, cʼest comme si nous avions fait notre temps, que nous avons préparé la place à d’autres. On laisse un vide et on laisse d’autres personnes le combler. Je me souviens que vous avez également mentionné les fêtes de jour, qui sont une option, en particulier à mesure que nous vieillissons. Les fêtes de jour sont formidables et s’inscrivent dans une vision plus large de la culture nocturne que je soutiens pleinement. Je pense que nous devrions créer un mot différent pour désigner la vie nocturne, qui inclurait les fêtes de jour, car elles font partie de la même culture. J’adorerais que du vendredi au lundi matin, on puisse sortir à n’importe quelle heure et que les fêtes soient géniales. Vous pouvez y aller sobrement, vous pouvez dormir, vous pouvez rester debout toute la nuit. Cʼest ce que jʼaimerais voir.

PAN M 360 : Les éditions précédentes se sont également ouvertes aux installations artistiques. Comme lors de l’édition précédente au Belvédère. Quelles conversations espérez-vous susciter en réunissant musique, arts visuels et nouvelles technologies dans un même espace ?

M : Je ne sais pas dans quelle mesure nous nous intéressons aux nouvelles technologies. Je dirais que nous sommes presque un peu vieux jeu dans notre approche. Tout ce que nous faisons aurait pu être fait dans les années 90. Nousʼne sommes certainement pas si originaux ou peut-être même pas si innovants d’une certaine manière. Certaines choses sont tout simplement intemporelles. Par exemple, nous n’utilisons presque jamais de projections visuelles. Ce ne sont que nos goûts personnels. À moins quʼil y ait une installation vraiment spécifique – par exemple, lorsque nous avons organisé notre événement de trois jours l’année dernière, nous avions une exposition de photos de Sven Marquardt. Ensuite, il y a eu un live set de MMSI avec des visuels de Deograph sur des rideaux de boucherie, et c’était en quelque sorte innovant. Mais en général, nous travaillons avec un tas de machines à brouillard et un tas de lumières que nous construisons et concevons en interne. Ce sont juste des équipements qui fonctionnent, des choses que vous pouvez faire vous-même et créer cet effet élaboré et impressionnant avec des coûts minimes.

Ce genre d’aspect multidisciplinaire a toujours été important pour nous depuis le début. Comme je le disais, nous avons fait un défilé vraiment incroyable avec un jeune designer, Jesse Colucci, qui dirige Process Visual, avec le Festival international du film sur lʼart, et avec Cinema Erotica. C’était très amusant de créer quelque chose de vraiment inattendu pour les gens, qu’ils ne voient pas souvent dans les événements de musique électronique. Nous avons la chance de pouvoir organiser des événements auxquels les gens viendront de toute façon, parce que cʼest la fête, cʼest ce qui se passe. Les gens sortent. Ils nʼont pas nécessairement ce privilège dans le monde du cinéma et des arts visuels. Il est difficile de réunir plus de 100 personnes dans une galerie. Nous sommes donc en mesure de les exposer à des photographies vintage en noir et blanc ou à un film expérimental de mauvaise qualité. Bien sûr, lorsque nous faisons ce genre de choses, j’éprouve une certaine nervosité. Est-ce que cela va avoir du sens ? Est-ce que ça va marcher ? Vousʼfaites un acte de foi, mais si vous trouvez des gens vraiment talentueux, vous pouvez leur faire confiance – ilsʼauront la mission et ils feront bien les choses.

PAN M 360 : En regardant vers l’avenir, qu’il s’agisse ou non d’un tournant pour Exposé Noir, quels sont les questions, les rêves, les défis qui vous animent encore ? Y a-t-il de nouveaux territoires que vous avez envie d’explorer ?

M : Certainement, nousʼessayons toujours de changer les choses pour ne pas nous lasser du projet, et nous nous lançons toujours des défis. Il y a un certain côté sisyphéen à cela : notre équipe s’améliore et nous devenons plus expérimentés, mais l’événement lui-même devient plus complexe. Cʼest un tapis roulant qui accélère sans cesse. Nous ne voulons pas être des gens qui font toujours la même chose avec une fête. Nous voulons rendre notre dernière année aussi spéciale que possible, de sorte quʼà la fin, nous aurons créé des souvenirs et des sentiments forts qui se perpétueront à l’avenir.

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Le violoniste Sergey et la pianiste Lusine Khachatryan, frère et sœur, mènent chacun carrières de soliste à l’échelle internationale et se retrouvent sporadiquement en duo pour y interpréter des œuvres du grand répertoire et intégrer à leurs programmes des œuvres arméniennes modernes ou contemporaines. Issus d’une famille de musiciens d’Erevan où ils sont nés, Sergey et Lusine tiennent immanquablement à faire découvrir et savourer les œuvres des meilleurs compositeurs de leur nation, il sera question cette fois d’Arno Babajanian (1921-1983), qui fut aussi un pianiste de très haut niveau.

Rappelons au demeurant que Sergey Khachatryan a remporté le Premier Prix du VIIIe Concours international Jean Sibelius à Helsinki en 2000, et le Grand Prix du Concours Reine Elisabeth à Bruxelles en 2005.Quant à Lusine Khachatryan, elle est lauréate du Concours International de Piano à « Città di Ostra» (Italie 2023).Inutile de souligner que toustes deux se sont produit.e.s sur les plus grandes scènes d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

Avant leur passage attendu du tandem à Montréal, soit ce dimanche à la Salle Pierre-Mercure dans un programme mis de l’avant par Pro Musica, Lusine Khachatryan répond aux questions d’Alain Brunet pour PAN M 360.

PAN M 360: Vous avez choisi d’interpréter une œuvre d’Arno Babadjanian. Vous avez également enregistré des œuvres de Komitas, d’Eduard Bagdasarian, d’Aram Khatchaturyan et d’autres encore, j’imagine. Pourquoi celle-ci, en ce dimanche à Montréal ?

Lusine Khachatryan: Nous avons décidé de créer un programme composé de deux sonates de Beethoven et deux sonates du 20ème siècle. La Sonate pour violon et piano d´Arno Babadjanian est une fantastique sonate, pour nous est une des meilleures sonates du 20ème siècle. Les compositions de ces trois génies sont influencées par leur origines, mais finalement toutes ces œuvres d´art deviennent universelles à travers le langage musical. Langage qui défie toute frontière.

PAN M 360 : Y a-t-il un danger pour vos carrières respectives si votre réputation est exclusivement liée à votre identité arménienne ? Cherchez-vous un équilibre entre l’Arménien qui est en vous et votre capacité à interpréter l’ensemble du répertoire ?

Lusine Khachatryan: En effet nous sommes arméniens, cela fait partie de notre identité. Mais en tant qu’artistes, le langage musical est notre façon de communiquer avec le monde et c’est un langage qui est universel.

PAN M 360: On peut aussi deviner qu’il existe une grande et solide tradition d’interprétation et de haute virtuosité du côté arménien, comme Sergei Babayan (classique) ou Tigran Hamasyan (jazz). Une source d’inspiration ?

Lusine Khachatryan: Oui, c’est vrai. Il a beaucoup de merveilleux musiciens et artistes arméniens. On pourrait en nommer indéfiniment. Personnellement, je m’inspire énormément des compositeurs et aussi d’autres formats comme le théâtre et la peinture par exemple. C’est ainsi que mon projet de piano – théâtre est né. En m’inspirant pour créer quelque chose de nouveau, pas seulement musicalement mais aussi visuellement. 

PAN M 360: Retournez-vous régulièrement à Erevan ? Quelle est, selon vous, l’ambiance après les récentes souffrances du peuple arménien dans le Haut-Karabagh (Artsakh) ?

Lusine Khachatryan: Nous voyageons en Arménie tous les ans, pour rendre visite à notre famille, à nos amis et pour jouer en concert. Cette année, nous aurons l’occasion de jouer, même deux fois, en tant que solistes. Après la perte d’Artsakh, l’ambiance en Arménie était profondément triste. Nous sommes toujours très inquiets des attaques constantes de la part de l’Azerbaïdjan à la République d’Arménie. Ce qui est également inquiétant, c’est la propagande qui continue à s’exercer contre les Arméniens : l’idée de l’Azerbaïdjan de l’ouest, le déni de l’identité arménienne, la propagande dans les écoles. Tout cela est extrêmement inquiétant. La relation entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, pays qui jusqu’à aujourd’hui continue de nier le génocide arménien. Il y a beaucoup de chemin à faire vers la paix, et pour l’instant, la situation n’est pas très prometteuse. 

PAN M 360 : Quelle importance accordez-vous à votre travail en duo par rapport à vos carrières en solo ?

Lusine Khachatryan: Travailler en duo avec mon frère a ouvert beaucoup d’horizons pour moi, musicalement et personnellement. C’est une collaboration d’une grande valeur pour moi. Un espace familier où je me sens en sécurité, libre et très appréciée. Il règne entre nous une ambiance non compétitive, nous évoluons dans une zone qui n’est pas minée par l’ambition individuelle. Nos personnalités sont très différentes mais nos valeurs musicales sont très similaires, d’où le rôle et l’influence musicale de nos parents.

Artistiquement parlant, la musique est toujours notre première priorité. Ni notre carrière, ni notre persona. C’est toujours la musique qui doit prendre la parole, qui doit être la protagoniste. Bien sûr, cette mentalité, cette manière d’aborder la musique et l’interprétation a un côté positif mais comporte aussi beaucoup d’inconvénients dans le monde actuel. Un monde tellement concentré sur l’individualisme.

M 360: Quels ont été vos professeurs les plus influents ? Les plus grands interprètes de piano et de violon ?

Lusine Khachatryan: Notre première et principale influence ont été nos parents. Tous les deux sont musiciens, pianistes formidables. Par après nous avons beaucoup appris de nos professeurs au conservatoire: professeur Sontraud Speidel et professeur Dr. Saule Tatubaeva dans mon cas. Sergey a étudié avec plusieurs professeurs mais le professeur qui a vraiment marqué son apprentissage en tant que violoniste est Josef Rissin. 

PAN M 360: Avez-vous des compositeurs ou des œuvres préférés dans le répertoire classique ou contemporain ?

Lusine Khachatryan: Je suis devenue pianiste grâce à Chopin. Je considérais mon âme sœur dans le monde musical. Maintenant mes préférences et mon goût musical ont un peu changé. Je m’intéresse beaucoup et je suis très inspirée par les impressionnistes et la musique du 20 et du 21e siècle. Les compositeurs contemporains sont aussi très intéressants. L’année dernière, par exemple, j’ai joué la première à Paris d’une œuvre composée par Sona Talian In A-Mur. Pouvoir travailler avec elle et participer à la naissance et à la création de cette pièce m’a beaucoup inspirée.

PAN M 360: Comment avez-vous mis en place le programme de Montréal ?

Lusine Khachatryan: Nous voulions présenter deux époques contrastantes, deux ambiances. La première sonate de Beethoven et la sonate de Debussy ont plus en commun que la Sonate n.4 de Beethoven par exemple. La quatrième sonate de Beethoven est pleine de désespoir, d’inquiétude et de turbulence. Elle peut être comparable à la sonate de Babadjanian qui transmet un certain esprit tragique et combattant. 

La première sonate de Beethoven et la sonate de Debussy par contre se caractérisent par une certaine légèreté et insouciance. Elles se caractérisent toutes les deux par cet élément flottant, presque céleste. Debussy a composé la sonate juste avant sa mort, et elle transmet loin du tragique un sentiment presque de joie. Peut-être l’anticipation de la séparation du monde physique et matériel. 

Si notre programme devait être un tableau, ce serait un tableau de Vermeer pour moi. Avec des motifs plus obscurs, les ombres et puis des couleurs pleines de lumière qui éblouit le regard.

PROGRAMME

LUDWIG VAN BEETHOVEN, Sonate pour violon et piano No. 1 en ré majeur, op.12

LUDWIG VAN BEETHOVEN, Sonate pour violon et piano No. 4 en la mineur, op.23

-ENTRACTE-

CLAUDE DEBUSSY, Sonate pour violon et piano en sol mineur

ARNO BABADJANIAN, Sonate pour violon et piano en si bémol mineur

Durée : 90 minutes avec entracte

Je ne sais pas si vous avez en tête une image préfabriquée lorsque l’on dit ‘’organiste’’, mais si c’est le cas, elle ne correspond probablement pas au gabarit physique de la Montréalaise Maria Gajraj. La jeune dame originaire d’Ottawa et de racines trinidadiennes, la vingtaine, menue et ultra souriante, détonne dans le corpus professionnel habituel des artistes qui maîtrisent le ‘’Roi des instruments’’. Maria se prépare à faire paraître un premier album, Exhale (titre pertinent dans le cas de l’orgue), sur lequel elle propose un voyage entre béatitude planante et minimalisme répétitif envoûtant, guidé par des compositions contemporaines issues de plumes féminines et non-binaires. Aussi bien dire un ovni musical qui vient gentiment (et utilement) bouleverser les a-prioris de la musique d’orgue. 

Un répertoire signé de jeunes pousses telles George Rahi, Hania Rani et Esther-Ruth Teel, ainsi qu’une valeur sûre, Ann Southam dont l’extrait des Glass Houses ici transposé aux tuyaux est très convaincant. 

LISEZ MA CRITIQUE DE L’ALBUM EXHALE

Dans l’entretien qu’elle m’a accordé, Maria Gajraj m’a révélé que cet album et son répertoire représentaient un moment charnière de sa vie musicale, une sorte de redécouverte du plaisir de l’instrument, après un passage à vide. 

C’est avec Exhale que je suis retombée en amour avec l’orgue

Ça ne faisait pourtant pas longtemps qu’elle s’y était mis! Depuis l’âge de 19 ans seulement. 19 ans? Un peu tard, non? Oui et non. Attendez, je récapitule son histoire.

Maria grandit dans un famille d’origine trinidadienne dans la région d’Ottawa. Elle apprend le piano, plusieurs années. Le côté ultra compétitif de la discipline ne l’attire guère, alors elle se destine à une carrière en ingénierie. Puis, une offre fortuite lui donne l’occasion de tâter de l’orgue dans une église d’Ottawa. Elle ne maîtrise pas tous les détails des pédales, des clapets et autres manivelles du grand Gargantua, mais elle sait jouer de la musique, et un clavier! Alors elle se lance et un jour où, dit-elle, le soleil perce à travers les magnifiques vitraux de l’endroit, elle se sent si bien qu’elle décide que c’est cela qu’elle veut faire dans la vie! Rien de surprenant là-dedans, c’est souvent comme ça que ça se passe avec des instruments de musique. 

Elle se retrouve à McGill, mais traverse un moment d’incertitude. J’aime la musique des grands compositeurs, mais il y a quelque chose qui manque, une connexion intime qui ne s’exerce pas. ‘’Je ne me retrouve pas dans l’histoire de vie de ces hommes blancs d’un autre temps’’. Encore une fois, pas une critique qualitative, mais bien une sentiment de proximité culturelle qui fait que l’expérience n’est pas 100% authentique pour la jeune femme. 

Arrive Chabe Castillo, de McGill, qui l’invite à enregistrer quelque chose sur l’orgue de facture Wolff de la salle Redpath, un très bel instrument de style classique français. Il lui demande ce qu’elle a envie de jouer. Et voilà que ça se place, les noms s’additionnent, partant de ses amours musicales personnelles et de ses valeurs qui l’amènent à privilégier les compositrices, les artistes non-binaires et les compositeurs non européens. Elle est d’ailleurs en pleine finale de Doctorat sur le répertoire d’orgue des Caraïbes, un pan entier qui demeure largement méconnu. 

Un compositeur qui la fascine particulièrement : Edward Margetson, de St Kitts, qui après avoir émigré aux États-Unis en 1919, fera partie du mouvement de la Renaissance de Harlem! Si ce répertoire est difficile à trouver et surtout à écouter, Maria aimerait bien en enregistrer quelques perles dans un avenir proche.

Je lui demande néanmoins quel compositeur ‘’traditionnel’’ (Blanc, Européen) la touche plus que d’autres.. Seulement un? Messiaen! Ces couleurs fantastiques, ces rythmes! D’ailleurs, Maria n’est certainement pas détachée du monde européen de la musique car elle a pris la co-direction en janvier dernier de l’ensemble de musique ancienne Comtessa, dans lequel elle manie l’organetto, une version portative médiévale du grand frère d’églises. Elle aime beaucoup, dit-elle, la musique du Moyen-Âge. 

Si vous cherchez son nom dans un moteur de recherche, vous risquez également de le voir associé à la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal, où elle est présentement attitrée comme organiste, et aussi peut-être à Sapphonix Collective, un projet qu’elle mène avec son amie Esther-Ruth Teel, et qui est une proposition inusitée d’événements présentant de la musique (deux orgues!) en combinaison avec d’autres arts (visuels, de performance, tatouage, etc.). 

Pour toutes ces raisons, pour la bouffée d’air frais que Maria Gajraj propose d’apporter dans l’ordinaire de la pratique et de l’écoute de l’orgue comme instrument musical et pour des valeurs inclusives qui ne limitent jamais la qualité fondamentale des expériences esthétiques proposées, Maria Gajraj est un nom que vous devriez retenir car il risque de résonner de plus en plus sur la scène montréalaise (éventuellement canadienne, nord-américaine et plus), et surtout d’enrichir substantiellement le mode musical déjà riche la métropole culturelle. 

Les répertoires des disparus la chanson québécoise d’expression française ne sont pas tous connus des générations qui leur succède. On connaît Félix Leclerc, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Sylvain Lelièvre, Gerry Boulet, Dédé Fortin ou Karl Tremblay, connaît-on vraiment leur répertoire ? C’est encore moins évident pour Lawrence Lepage ou Georges Dor. Voilà un programme qui mérite quelques explications de son concepteur, l’auteur, compositeur, interprète et circassien Louis-Dominique Lévesque, à la tête d’un groupe de musiciens en marche depuis 2009 et qui présente régulièrement un programme de chansons d’artistes disparus. Que je me souvienne se veut une transmission du legs chansonnier québécois, que l’on peut qualifier de spectacle mémoire. Alain Brunet l’a interviewé en amont de son concert prévu le samedi 31 mai à la Salle Claude-Léveillée de la Place des Arts.

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Érick D’Orion est un artiste extrême qui prend son travail très au sérieux sans se prendre au sérieux. Humour absurde très contagieux ! Iconoclaste du noise, de l’électro, de l’improvisation libre et autres électrochocs, il est aussi commissaire d’œuvres sonores, un métier connexe qu’il exerce avec ouverture et enthousiasme depuis nombre d’années au FIMAV. Sa contribution est devenue essentielle, à tel point que même une version réduite du festival ne peut écarter ce dont il est responsable: le parcours d’installations sonores déployé à l’extérieur, soit la plus importante opération de médiation culturelle du FIMAV pour la population des Bois-Francs. Voilà pourquoi ce travail mérite d’être souligné et que PAN M 360 met en ligne cette interview d’Alain Brunet. 

PAN M 360 : De quels autres parcours d’installations sonores t’es-tu inspiré depuis les débuts de ta participation au FIMAV en tant que commissaire d’œuvres ?

Érick D’Orion: Bien que notre parcours soit assez unique dans le milieu des festivals de musique, je me suis inspiré de certains événements et festivals où j’ai eu l’occasion de présenter mon travail d’installation ainsi que des concerts, principalement dans des contextes spécialisés en art audio et en art électronique. Le festival City Sonic en Belgique, auquel j’ai participé à trois reprises, constitue probablement l’inspiration la plus significative. D’ailleurs, pour 2026 ou 2027, je suis en démarche pour accueillir le travail d’un artiste français dont je suis le parcours depuis ma première participation à ce festival.Il convient également de mentionner que nous avons présenté deux œuvres du duo Scenocosme en 2019, artistes eux aussi rencontrés lors d’un de mes passages à City Sonic. Plus près de nous, le Mois Multi a également été une belle influence, puisque j’ai découvert les installations sonores dès la première édition de ce festival à Québec.

PAN M 360 : En tant qu’artiste du son (tu joues d’ailleurs avec le FIRE! la semaine prochaine) , comment situes-tu ton travail?

Érick D’Orion: Mon travail tangue vers une approche radicale du son, de l’expérience d’écoute. Je tente d’exprimer une énergie dynamique et j’aimerais qu’on retrouve l’esprit du free jazz dans ce que je fais. Fondamentalement, c’est du free jazz : l’émotion, l’expression, la joie et une certaine forme de spiritualité hors de l’ésotérisme!

PAN M 360 : Comment ce concept a-t-il progressé au FIMAV au fil des ans? Combien d’années exactement? Le budget a-t-il augmenté au fil du temps?

Érick D’Orion: J’en suis à ma quinzième programmation sur 16 éditions. La première année, 3 œuvres étaient proposées, dont une de mes créations. Par la suite, on m’a invité à prendre le poste de commissaire et j’ai présenté 4 œuvres. Le projet s’est développé au fil des années et le volet médiation est devenu hyper important avec, depuis 6 ans, plus de 40 visites scolaires annuellement. Le budget a pris de l’ampleur ce qui fait que maintenant, je peux programmer une dizaine d’œuvres avec des moyens pertinents afin d’accueillir correctement les artistes.

PAN M 360 : Comment se déroule le processus de sélection?

Érick D’Orion: Je reçois spontanément une trentaine de dossiers chaque année. Je préfère éviter de lancer des appels de dossiers, car je n’aime pas l’idée de faire travailler inutilement des artistes sur des projets conçus expressément pour notre festival, qui risquent au final de ne pas être retenus, simplement parce que la concurrence est trop forte. En réalité, je cherche à éviter la logique de compétition à tout prix.

Je privilégie plutôt une approche de terrain : je me déplace, je visite des expositions, et lorsque je suis en déplacement professionnel dans d’autres villes, je prends le temps d’aller voir ce qui se passe dans les centres d’artistes. Je discute aussi avec mes ami·es dans la communauté artistique, car oui, j’aime collaborer avec des gens que je connais — pas exclusivement, mais cela arrive souvent. Après tout, c’est un rôle qui repose sur une confiance réciproque.

PAN M 360 : Peux-tu décrire sommairement les œuvres et leurs créateur.trice.s  sélectionné.e.s cette année? (la plus longue réponse à fournir!)

Érick D’Orion:  Ah ! Cette année, le hasard fait bien les choses : une grande place est accordée à des artistes en début de carrière, dont plusieurs sont encore dans leur parcours universitaire !

Par exemple, Léa Boudreau — artiste et compositrice, lauréate d’un prix Opus l’an dernier — et Simon Chioini, tous deux en fin de maîtrise à l’Université de Montréal, nous présentent une œuvre in situ sur l’espace acoustique d’un lieu.
Même chose pour le trio de Québec MMV2005, composé de finissants à la maîtrise en arts visuels à l’Université Laval, qui nous offriront une installation performative et évolutive, déployée toute la semaine — une œuvre vivante, en constante transformation.

Max Boutin, pour sa part, vient de terminer un doctorat en études et pratiques des arts à l’UQAM. Il nous propose une installation qui explore l’univers du skateboard, entre culture urbaine et poésie du geste.
Et enfin, Giuseppe Masia, lui aussi en fin de maîtrise à l’UQAM (son jury viendra d’ailleurs visiter ses œuvres pendant la semaine !), travaille le son en fabriquant des tourne-disques maison et en trafiquant des disques vinyles — un travail artisanal, brut, inventif.

Voilà pour la « filière scolaire ».

À cela s’ajoute le retour de Pascale Leblanc Lavigne, qui avait marqué les esprits en 2022 avec deux œuvres mémorables. Cette fois, elle revient avec une installation d’envergure, évoquant la chute de neige dans un certain chaos poétique.
Le trio Théâtre Rude Ingénierie, de Québec, nous propose deux œuvres mécaniques à forte dimension théâtrale.
Et pour couronner le tout, nous avons la visite d’un artiste majeur dans le champ de l’art audio : le Français Félix Blume. Grâce à un partenariat avec le centre d’artistes Avatar à Québec, nous présenterons deux œuvres de l’artiste, dont une en première mondiale, développée en résidence au mois d’avril.

PAN M 360 : Y a-t-il un ratio local / international dans le choix des œuvres?

Érick D’Orion: Il n’y a pas de ratio imposé, juste un désir d’avoir le plus possible des œuvres inédites sur le territoire.

PAN M 360: Cherches-tu une cohérence entre les œuvres lorsque tu les sélectionnes? Comment construis-tu le parcours?

Érick D’Orion:  Je suis probablement un très mauvais commissaire — un imposteur parmi mes collègues ! La pratique curatoriale repose normalement sur une réflexion préalable : le ou la commissaire développe une pensée, puis sélectionne des œuvres en cohérence avec cette logique, tissant un fil conducteur qui va au-delà d’une simple thématique.

Moi, je fonctionne à l’instinct. Je me laisse guider par les rencontres, les élans, les intuitions. Le hasard s’impose, et, sans que ce soit volontaire, un sens émerge. Le sujet s’installe de lui-même, presque en douce. L’eau finit toujours par trouver son chemin, en quelque sorte.

Mais ça… ça reste entre nous !

PAN M 360 : Haha! du commissariat  free jazz en quelque sorte. Et quels sont les critères de production pour des œuvres qui devront affronter les intempéries?

Érick D’Orion: C’était une considération importante qui devenait de plus en plus contraignante avec le temps dans ma sélection. Depuis quelques années, nous optons pour des œuvres qui peuvent être présentées dans des conteneurs que nous aménageons. Outre la protection des intempéries, nous sommes assurés d’une sécurité accrue en dehors des heures de diffusion puisque ça se ferme à clé. 

PAN M 360 : Quelle a été la participation réelle de la population locale au fil du temps? Simple curiosité ou adhésion au concept?

Érick D’Orion: C’est un mélange de curiosité et de réelle adhésion au projet.
Je suis présent sur le terrain pendant la majeure partie du festival, et je reconnais des visages d’année en année — des gens qui viennent me parler, prendre des nouvelles, me dire que le retour du parcours est toujours un bon signe. (Et pourtant, je n’habite même pas à Victoriaville !) Les groupes scolaires sont aussi un bel exemple de cette adhésion : les enfants se souviennent des œuvres des années précédentes, ils en parlent, ils les attendent.
Certains bénévoles se sont même inscrits parce que le parcours leur a permis de découvrir le festival — c’est dire à quel point cette proposition rejoint les gens.

PAN M 360 : As-tu déjà songé à un musée permanent en plein air avec de telles installations  sonores comme on peut en voir ailleurs? 

Érick D’Orion: Musée, non. Mais quelques œuvres permanentes en partenariat avec la ville, ça serait franchement une réussite.

PAN M 360 : Comment peut-on envisager la pérennité de ces œuvres? Éphémères? Saisonnières? Permanentes? Ah! Je viens de répondre sans le vouloir à ta question!

PAN M 360 : Quel est l’avenir de ce parcours à Victo?  

Érick D’Orion: L’avenir me permet de penser que ça va encore grossir. Me rendre à 15 œuvres et que ça dure 2 semaines est une idée que j’ai et qui trouve écho auprès de l’équipe.

PAN M 360: As-tu d’autres projets similaires dans ta besace, à présenter ailleurs?

Érick D’Orion: Oui, je serai à la tête d’une délégation d’artistes du Québec pour un événement majeur début 2026 en France. J’y programmerai 6 solos de musique expérimentales et 5 installations durant une semaine. Je ne peux nommer l’événement mais je tiendrai les afficionados de PAN M 360 au courant. Et je prépare quelque chose de gros d’ici 3 ans pour une exposition d’installations sonores ambulantes. À suivre….!

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Nous revoilà à passer le printemps, l’été et l’automne au Piknic Electronik !  Vu l’immensité de la programmation qui dure 5 mois au parc Jean-Drapeau, Alain Brunet a suggéré à Mathieu Constance, responsable de la programmation au Piknic, de l’interviewer mensuellement. Il sera question d’identifier et commenter ses principaux choix de mai, juin, juillet, août, septembre et octobre. Commençons par le commencement, le mois de mai !

PAN M 360: Commençons par l’ouverture ce week-end. La combientième au juste? Et comment se prépare-t-on à une telle ouverture? Infrastructures, accueil etc.?

Mathieu Constance: 23e édition! C’est incroyable quand on y pense. On travaille là-dessus depuis un bout déjà pour la pré-prod et le montage, et on a hâte d’accueillir les festivaliers de nouveau au parc Jean-Drapeau

PAN M 360 : Es-tu le seul à programmer la saison entière, sinon comment ça fonctionne?

Mathieu Constance: Notre équipe de prog compte 3 membres maintenant – et c’est partagé entre prog locale et internationale surtout. Mais nous discutons de tous les artistes que nous voulons présenter ensemble.

PAN M 360 : Côté programmation, peut-on parler d’un angle d’attaque cette année? Un genre ou un sous-genre de prédilection? Une tendance lourde? Un thème récurrent? 

Mathieu Constance: On essaie de ne pas trop se donner de restrictions quand on commence. Bien sûr, on veut mettre de l’avant des sons émergents le plus possible et assurer une diversité sur tous nos lineups. Cette année, on retrouve beaucoup de premières performances à Montréal sur le lineup et on en est particulièrement fiers!

PAN M 360 : On y reviendra un peu plus en détail chaque mois, mais peux-tu  nommer et présenter très brièvement tes 5 meilleures prises cette année?

Mathieu Constance: Je ne dirais pas qu’il y a des meilleurs en soi, mais j’ai particulièrement hâte de voir le premier headline de Nico de Andrea, le retour de Sally C, Bambii, le closing de Notion et… notre artiste surprise du 7 septembre.

PAN M 360 : Pour le premier week-end, tu as programmé 8 artistes le 18 mai et 6 le 19, ce qui constitue un vrai coup d’envoi. Comment as-tu imaginé la progression des deux scènes?

Mathieu Constance: Pour moi. ce premier week-end est particulièrement réussi vu qu’on y retrouve beaucoup de styles, l’ouverture se fait avec la house / afro house mélodique de STRYV, Chloé et Tommy sur le mainstage. Sur la 2e scène, Collection Disques Durs présente un lineup fort en tempo et énergie, qui en laisse pour tous les goûts. 

Le lundi, on présente une légende du techno, Enrico Sangiuliano, avec une artiste locale qui ne nécéssite plus d’intro à ce stade, BitterCaress. Et la 2e scène, présentée par Club Sagacité, accueille Arthi, résidente de Rinse FM.

PAN M 360 : Quels sont les artistes clés ce week-end?  Description et commentaire sur ton choix!

Mathieu Constance:

STRYV – compositeur de Move avec Adam Port qui a récolté plus de 500 millions de streams, oui 500 MILLIONS. C’est une track qui dicte  l’été 2025, et une première performance à Montréal!

Lobsta B – ceux qui était là en 2023 savent que ce sera ludique, high energy et tout un party sur notre nouvelle 2e scène.

BitterCaress – Toujours un highlight, elle mettra l’ambiance parfaite pour la venue d’un des grands de la techno.

Arthi – Une saveur de UKG, dancehall et autres sera une autre belle première pour une artiste du UK qui commence a faire parler!

PAN M 360 : Le 25 mai, Fred Everything se livre à un marathon sur la scène Banque National! Mais encore? D’où vient cette idée? 

Mathieu Constance: Fred est un incontournable de la scène montréalaise et célèbre son 30ème anniversaire de DJ, et le 20e de son label, Lazy Days Recordings. On voulait souligner le moment avec quelque chose de différent et spécial! Un marathon set de 5h sera, sans doutes, plein de surprises.

PAN M 360 : Autre must le 25?

Mathieu Constance: Boys Noize livra une performance inoubliable, c’est sûr. C’est son 2e passage chez nous et un artiste qu’on essaie de ravoir depuis la seconde qu’il est descendu de scène en 2022.

PAN M 360  : On se reparle dans la semaine du 26 pour le mois de juin! Le questionnaire sera plus court alors. :))

BILLETS ET INFOS

Pour son dernier concert de sa saison 2024-2025, l’Orchestre symphonique de Laval invite le public a une soirée de découvertes avec, dans ce programme essentiellement composé de musique romantique allemande la première symphonie de Johannes Brahms et deux œuvres qui sont peut interprétés: l’Ouverture Genoveva de Robert Schumann et le Concerto pour violoncelle de la compositrice française Marie Jaëll. Dirigé par le jeune chef Andrei Feher, l’OSL accueillera pour interpréter cette page de musique par Bryan Cheng, violoncelliste canadien qui s’est imposé comme l’un des jeunes artistes les plus captivants de la scène musicale classique. Alexandre Villemaire de PAN M 360 a pu s’entretenir avec lui avant le concert pour parler répertoire, interprétation et projets futurs.

PAN M 360 : Vous allez interpréter dans ce concert avec l’Orchestre symphonique de Laval, le Concerto pour violoncelle en fa majeur de Marie Jaëll, une compositrice française de la fin du XIXe siècle dont l’œuvre est peu connue ou jouée. Est-ce que cette œuvre a été une découverte pour vous et pourquoi?

Bryan Cheng : Oui, cela a été une véritable découverte. Je ne connaissais pas le concerto pour violoncelle de Marie Jaëll, ni même sa musique en général, avant ce projet, et j’ai été frappé par la grande qualité lyrique de sa voix. C’est aussi rafraîchissant de jouer un concerto historique pour violoncelle composé par une compositrice, car elles ont été largement sous-représentées au fil des siècles. C’est un véritable joyau caché du répertoire, avec quelque chose de profondément captivant à offrir.

PAN M 360 : Parlez-nous un peu de ce concerto. Comment est-il construit et quelles en sont les particularités au niveau de l’interprétation?

Bryan Cheng : Le concerto est en trois mouvements et suit une structure assez classique, mais il se distingue par une grande personnalité. Le premier mouvement a une intensité dramatique, avec des élans amples et des surprises harmoniques. Le deuxième est très lyrique, profondément introspectif – il évoque presque une scène d’opéra. Le dernier mouvement est à la fois exubérant et virtuose. L’interprétation du concerto demande de la finesse technique et aussi une réelle sensibilité émotionnelle. Ce n’est pas un concerto de démonstration : on a besoin d’une honnêteté et une richesse de couleurs.

PAN M 360 : Le programme du concert fait une belle part à  la musique allemande avec, en plus du Concerto, l’Ouverture Genoveva de Schumann et la Symphonie no 1 de Brahms. De quelle manière le langage musical de Jaëll s’insère-t-il en complémentarité avec les deux autres œuvres du programme?

Bryan Cheng : Jaëll partage avec Schumann et Brahms une profondeur d’expression et une architecture solide. On sent dans son langage une affinité avec l’école germanique, mais enrichie d’une finesse harmonique qui évoque le raffinement français. Elle établit en quelque sorte un pont entre ces deux traditions. Son concerto, placé entre Schumann et Brahms, permet de percevoir à la fois les résonances communes et la singularité de sa voix.

PAN M 360 : Vous jouez sur un violoncelle Stradivarius « Bonjour » de 1696, prêté généreusement par la Banque d’instruments de musique du Conseil des Arts du Canada. Quelle relation entretenez-vous avec cet instrument?

Bryan Cheng : C’est un immense privilège de jouer sur ce violoncelle. Le « Bonjour » possède une voix puissante et d’une subtilité remarquable. Il a un caractère bien affirmé, mais il est aussi très réactif — on a vraiment l’impression de dialoguer avec un partenaire musical à part entière. Après sept années passées à jouer avec lui, une véritable complicité s’est installée. Cet instrument a façonné non seulement mon son, mais aussi ma manière de penser la musique.

PAN M 360 : La nature de l’instrument influence-t-elle votre manière d’interpréter les œuvres ou la façon dont vous les aborder?

Bryan Cheng : Oui, absolument. Chaque instrument vous pousse à repenser certains passages, à explorer de nouvelles couleurs, de nouvelles articulations. Avec le « Bonjour », je me surprends à écouter plus attentivement les voix intérieures, à rechercher des phrasés plus souples, une résonance plus profonde. Ce n’est pas un instrument qui se contente de reproduire ce qu’on lui demande : il nous pousse à aller plus loin.

PAN M 360 : Vous jouissez d’une carrière prolifique qui a commencé très jeune. Carnegie Hall à 14 ans, débuts à l’Elbphilharmonie à 20 ans avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, en plus de plusieurs distinctions et nominations, dont le Prix Yves Paternot, et deux nominations aux JUNOS. Quels sont les défis de démarrer une carrière quand on est encore adolescent ou jeune adulte et qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui dans la poursuite de votre carrière et de ce que vous voulez partager avec le public?

Bryan Cheng : Commencer jeune peut être à la fois exaltant et exigeant. On grandit en tant que personne en même temps qu’on évolue comme musicien, et trouver un équilibre n’est pas toujours simple. Je suis reconnaissant envers les mentors et les expériences qui m’ont permis de rester ancré. Aujourd’hui, ce qui me motive, c’est la connexion : à travers la musique, avec le public, avec les compositeurs d’hier et d’aujourd’hui. Je veux que chaque concert soit une rencontre vivante, un moment partagé de découverte.

PAN M 360 : Quels sont les prochains projets qui vous attendent?

Bryan Cheng : Cette année et la saison à venir s’annoncent riches en moments forts, avec plusieurs débuts très attendus aux côtés d’orchestres et de musiciens exceptionnels, dans des salles parmi les plus prestigieuses du monde. Je ferai notamment mes débuts avec le Chamber Orchestra of Europe sous la direction de Sir András Schiff, au Carnegie Hall avec le pianiste Kirill Gerstein, au Concertgebouw d’Amsterdam avec l’Orchestre Philharmonique Janaček d’Ostrava, ainsi qu’avec la NDR Radiophilharmonie de Hanovre et le Musikkollegium Winterthur.

Au Canada, je me réjouis de jouer pour la première fois avec l’Orchestre symphonique de Québec et de retrouver l’Orchestre du Centre national des Arts à Ottawa pour la création mondiale d’une œuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur canadien Samy Moussa.

Par ailleurs, je serai le musicien en résidence de Cecilia Concerts à Halifax pour la saison 2025-2026, où je proposerai trois programmes très variés en compagnie de certains de mes collaborateurs internationaux les plus proches.

Je poursuis toujours le développement de nouveaux projets et nouvelles collaborations, par exemple des enregistrements mettant en lumière des œuvres peu jouées — comme le concerto de Jaëll. Ce qui me passionne, c’est de continuer à bâtir des passerelles entre le répertoire familier et celui qui reste encore à découvrir.

crédit photo : Andrej Grilc

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Première participation au Stéréo Africa Festival, il est l’une des têtes d’affiche cette année et est connu pour ses concerts endiablés. Impossible de rester assis lorsque cet artiste pluridisciplinaire monte sur scène. Issu d’une famille d’artistes, la musique entre tôt dans sa vie et n’en sortira plus. Guitariste et chanteur, il manie les deux parfaitement. Il sera accompagné d’un full band composé de musiciens tout aussi talentueux que lui, dont certains ont participé aux soirées Jazz Up du festival quelques jours plus tôt. Notre journaliste Sandra Gasana l’a rencontré à quelques heures de son spectacle tant attendu à la Maison de la Culture Douta Seck.

Crédit photo et vidéographie: Cheikh Oumar Diallo

En 2017, Blair Thomson avait arrangé un premier programme symphonique avec le groupe montréalais Half Moon Run et l’OSM. Blair Thomson avait déjà arrangé pour (notamment) Michel Rivard et La Symphonie rapaillée, l’expérience avec HMR avait plus que concluante, le public et la critique s’étaient régalés. Printemps 2025, un second chapitre symphonique s’écrit peu après la sortie de l’EP Another Woman. Blair Thomson a raffiné le discours orchestral, encore plus en phase avec le célèbre band pop. Il y aura des tubes, il y aura des voix harmonisées, il y aura Devon Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips, et il y aura l’OSM sous la direction d’Adam Johnson! L’architecte de tout ça nous en explique la construction avec PAN M 360. Alain Brunet a interviewé Blair Thomson avant qu’il se rende à la répétition générale, précédant le cycle Half Moon Run de 3 jours à la Maison symhonique.

BILLETS ET INFOS

Voilà un band californien jouissant d’un culte juste assez gros pour réjouir les mélomanes qui convergeront ce week-end au Festival international de musique actuelle de Victoriaville.

Sleepytime Gorilla Museum a suscité de l’intérêt auprès des fans de musique actuelle, après quoi une dizaine d’années de silence avant cette reconstitution. 

Le groupe a réémergé avec Of the Last Human Being , un album hybride chaudement accueilli par sa base. L’expérience SGM implique une furieuse exécution en temps réel, offerte par artistes débridés qui chantent et jouent aussi de multiples instruments, qu’ils soient consacrés ou inventés. 

On dit de SGM qu’il malaxe dans son bol le métal, le rock progressif, la musique classique/moderne/contemporaine et plus encore, le tout décliné dans une théâtralité contagieuse! 

Alors parlons au guitariste, flûtiste et chanteur Nils Frykdahl, question de nous préparer au concert du samedi 17 mai à Victoriaville.

PAN M 360:  Récemment, Sleepytime Gorilla Museum a repris du service après un long hiatus. Un album l’année dernière, de nouveaux concerts, de nouveaux projets… Pourquoi avez-vous reformé le collectif ?

Nils Frykdahl : Le long hiatus était un accident. Nous étions toujours sur le point de nous occuper de nos affaires inachevées, mais les diverses exigences de la vie… familles, aînés, enfants… nous ont conduits sur des côtes opposées et dans trois régions différentes de la Californie du Nord. La finalisation de l’album et du film nous a naturellement amenés à notre support préféré : la scène.

PAN M 360 : Prog, metal, grindcore, funk, jazz, musique classique contemporaine, art rock… Comment les genres et sous-genres musicaux ont-ils évolué au sein de ce grand groupe ?

Nils Frykdahl : Nous écoutons et apprécions toutes sortes de musique et tout cela nous traverse et émerge différemment d’une chanson à l’autre, chacun d’entre nous écrivant et aucun d’entre nous ne filtrant par genre.

PAN M 360 : Soyons plus précis : avant de les intégrer dans votre langage, quelles formes prenez-vous au métal ? Du prog ? Du funk ? Du jazz ? D’autres influences ?

Nils Frykdahl : L’application des principes de la polyrythmie africaine à la musique heavy a certainement été l’un des gestes fondateurs du groupe.Après avoir été initié à la polyrythmie par CK Ladzepko, pour qui elle doit être ressentie dans le corps, « elle doit sortir en dansant », et après avoir ressenti la coexistence de 2, 3 et 4, il était tout à fait naturel d’essayer d’étendre les nombres… 5 et 3 cohabitant si joyeusement dans Sleep is Wrong. Un geste sonore contrastant, que l’on retrouve dans certains classiques modernes, le free jazz et le métal extrême, est l’écrasement du rythme : trop rapide ou chaotique pour être vraiment ressenti comme une pulsation ou un motif. Il ne s’agit donc pas de rock&roll, mais de musique de médiation, principalement à des fins religieuses.

PAN M 360 : Comment êtes-vous perçus par les fans de chacun de ces genres ?

Nils Frykdahl : Il est certain que certains nous considèrent comme des monstres ou des travestis, mais il y a des gens ouverts d’esprit dans tous ces genres qui sont prêts à célébrer ce monde incroyable avec nous.

PAN M 360 : Vous adressez-vous principalement à un public intéressé par les formes de musique d’avant-garde ?

Nils Frykdahl : Non. Nous attirons des amateurs de sensations fortes de tous âges, dont certains n’écoutent pas, de leur propre aveu, de musique lourde ou d’avant-garde en général.Nous sommes toujours ravis d’amener des auditeurs improbables à la beauté de ces formes.

PAN M 360 : Comment attirez-vous les autres, le cas échéant ?

Nils Frykdahl : Il semble que les frontières entre les genres soient moins restrictives que jamais, les artistes et le public se déplaçant librement à travers le monde et les siècles.Le festival Big Ears de Knoxville (Tennessee), qui nous a accueillis l’année dernière, en est un excellent exemple.

PAN M 360 : L’écriture de vos œuvres est précise et rigoureuse, tout comme l’exécution.Pouvez-vous décrire la chaîne créative, de la composition à l’enregistrement et à la représentation publique ?

Nils Frykdahl : Les chansons commencent d’abord avec l’un d’entre nous, mais elles sont ensuite soumises à un processus intensif de répétitions, chaque musicien façonnant sa partie. Ce remaniement n’est jamais entièrement terminé, même après l’enregistrement, car l’affinage se poursuit pendant chaque répétition, que nous venons de terminer pendant quatre jours ici, dans le vieux Community Hall en bois de Woods Hole MA. Tout sera légèrement nouveau.

PAN M 360 : Êtes-vous adepte du collage hyperactif, comme l’était Zappa tout au long de sa carrière, ou Zorn à certains moments ?

Nils Frykdahl: Non. Nos chansons restent jalousement distinctes les unes des autres, parlant souvent de choses totalement disparates ou évoquant des émotions très spécifiques.

PAN M 360 : Votre intérêt pour le texte est important. Vous ne prévoyez pas de formes de chansons « normales » ; le texte et le chant (ou le growl) sont des matériaux parmi d’autres. Pourquoi intégrer le texte et les voix dans cette musique ? Quels sont les thèmes ou les approches littéraires qui les motivent ? Nous savons que vous vous êtes intéressé au dadaïsme.

Nils Frykdahl : Notre intérêt pour Dada réside dans son catalyseur en tant que défi positif à la police de la rectitude artistique, la séparation entre l’artifice et la sincérité, le sens et le non-sens, le théâtre et l’authenticité.L’interprétation de Dada comme nihilisme ne m’intéresse pas, c’est trop facile. Bien sûr, la vie peut être interprétée comme dépourvue de sens.Ouvre les yeux, salamandre.

La plupart des chansons commencent par des impulsions verbales qui façonnent le flux de la musique, mais parfois c’est l’inverse.

PAN M 360 : On vous a décrit comme un collectif.Comment maintenez-vous la cohésion et la motivation d’un tel collectif ?

Nils Frykdahl : Le plaisir que nous éprouvons à écouter les contributions souvent surprenantes des uns et des autres fait partie de ce qui nous a attirés les uns vers les autres, il y a tant d’années, car nous voulions travailler avec des gens que nous ne pouvions pas deviner. La cohésion est aujourd’hui maintenue par l’effort de nombreux voyages, mais c’est en soi quelque chose que beaucoup d’entre nous aiment.

PAN M 360 : Comment décririez-vous le processus de création des œuvres, les compositions, l’espace réservé à l’improvisation, l’appropriation du matériel par les interprètes et l’exécution ?

Nils Frykdahl : L’improvisation n’est généralement inscrite dans la musique que de manière assez limitée, mais le chaos inévitable du spectacle vivant permet de voir ce qui se passe lorsque nous sommes pris par surprise.

PAN M 360 : Quelle est la dynamique du leadership et de l’investissement personnel au sein du collectif ?

Nils Frykdahl : Nous contribuons tous selon nos inclinations. Certains sont plus enclins à préparer le petit-déjeuner, d’autres le dîner, d’autres encore les sauces…Cela inclut notre équipe :John Karr au son, Wind Beaver au merch, à la conduite et à la connaissance de la plupart des choses, et, nouveauté pour cette édition, Lyndsey aux lumières (bien qu’un passeport tardif puisse l’empêcher d’aller au Canada, hélas).

PAN M 360 : Comment maintenir une telle compagnie en 2025 ? Au quotidien, à moyen ou long terme ?

Nils Frykdahl : Par à-coups, et à l’aide de nouvelles machines de communication à longue distance.

PAN M 360 : Est-ce votre premier concert au Québec ?

Nils Frykdahl : Non. Nous avons déjà joué à Montréal au moins une ou deux fois, et beaucoup d’entre nous y étaient aussi dans le cadre d’autres projets.En fait, la chanson Greenless Wreath sur « In Glorious Times » a été commencée et en grande partie écrite sur le Mont Royal lors d’une promenade dans le vent changeant d’une superbe journée d’automne-hiver.

PAN M 360 : Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Nils Frykdahl : Élever nos voix dans des chants de louange ! Chez vous !

PERSONNEL DE SGM

Sleepytime Gorilla Museum:

Nils Frykdahl – guitare, flûte, voix

Carla Kihlstedt – violon, guitare percussion, voix

Michael Mellender – guitare, Tangularium, trompette, percussion, voix

Dan Rathbun – basse, dulcimer, percussion, voix

Matthias Bossi – batterie, percussions, voix

BILLETS ET INFOS

Dans la brume phosphorescente d’un rêve qui s’effrite, A Place to Bury Strangers revient à Montréal cette semaine – non pas en tant que groupe, mais comme une transmission d’une fréquence erronée où le shoegaze bruyant se dissout dans l’électricité pure. Leur nouvel album, Synthesizer, est une séance éclairée au néon où les fantômes analogiques luttent avec les démons numériques dans une cathédrale d’amplificateurs explosés. Chaque morceau est une synapse qui s’allume à l’envers, une faille dans le tissu sonore qui recâble votre système nerveux pour en faire un conduit pour leurs berceuses apocalyptiques. La guitare du fondateur du groupe, Oliver Ackermann, hurle comme un satellite mourant et son chant chantonne comme un fantôme pétrifié, mais maintenant, les synthétiseurs s’élèvent, serpents cybernétiques chuchotant et hurlant en code binaire.

La pochette de l’album Synthesizer de A Place to Bury Strangers n’est pas seulement une image, c’est un portail, un circuit imprimé déguisé en tache de Rorschach, vibrant de bruits latents. L’emballage de l’album peut être transformé en un instrument branché directement sur le système nerveux de l’album, une hallucination tactile où l’art se joue de vous. Il ne s’agit pas d’une hyperbole pour l’effet dramatique. Avec son entreprise de pédales, Death By Audio, Ackermann a en effet dessiné le schéma du synthétiseur utilisé sur l’album, au recto et au verso du gatefold de l’album, et avec de bonnes connaissances en soudure, vous pouvez vous aussi créer cette machine à bruit.

Avant leur passage à Montréal cette semaine, nous avons parlé avec Oliver du nouvel album, de la destruction et du fait de jouer chaque concert comme si c’était le dernier au monde, et de son amour pour les nouveaux sons, parfois impossibles à utiliser.

PAN M 360 : Vous avez votre société de pédales, Death By Audio, depuis presque aussi longtemps que vous faites de la musique avec A Place To Bury Strangers. Vous utilisez certaines de ces pédales et de ces équipements en tournée, alors est-ce que la société a toujours été en phase avec le groupe pour vous ?

Oliver Ackermann: Tout à fait. L’un des aspects les plus intéressants de cette société de pédales et du groupe, c’est qu’elle se concentre sur la recherche de ces sons et de ces bruits en permanence. Et c’est ce qui est si excitant, c’est de chercher ces choses pour découvrir « Oh, comment pouvons-nous les créer ? » et « Comment pouvons-nous en repousser les limites et créer cela d’un point de vue scientifique ? ». Et puis, du point de vue musical, on veut créer ces choses pour créer plus de musique. C’est ainsi que tout reste excitant. Ils se nourrissent l’un l’autre. Même les nouvelles technologies qui sortent constamment, on peut toujours s’enthousiasmer pour ces choses et essayer d’expérimenter. Le rythme de la technologie rend les choses si folles. Si vous vous lassez des circuits analogiques, ou même de la programmation numérique, c’est un tout autre monde qui s’ouvre à vous. J’adore ça.

PAN M 360 : Oui, et votre groupe est connu pour être le plus bruyant de New York et pour avoir ces murs intenses de bruit et de son, mais avez-vous déjà créé quelque chose et êtes-vous arrivé à un point où vous vous êtes dit :  » Peut-être que c’est trop de bruit ou que c’est trop fou ?

Oliver Ackermann : Ça arrive tout le temps ! Il y a des pédales que je n’utiliserai pas, que nous avons créées et que nous vendons chez Death By Audio parce que je me dis que c’est trop fou pour cette partie. Mais c’est aussi basé sur vos préférences personnelles. Je peux toujours voir la valeur de ces choses pour quelqu’un d’autre et ce qu’est leur musique, tu vois ? C’est pour ça qu’on a créé ça, parce qu’on se dit : « Oh, c’est vraiment génial et je pense que le monde devrait avoir ça », mais ça va aussi dans l’autre sens. Je peux créer des choses qui sont peut-être même dangereuses ou qui ne semblent pas très bonnes pour les autres, mais que j’aime et que je peux utiliser.

PAN M 360 : En partant de cela, ce nouvel album, Synthesizer, l’album physique peut être transformé en synthétiseur. Pouvez-vous me dire comment vous avez eu cette idée et comment vous l’avez mise en œuvre ?

Oliver Ackermann : Je crois que c’était il y a une dizaine d’années. Je regardais des circuits imprimés et je me disais que c’était magnifique, comme de l’art. Je me suis alors dit qu’il fallait que ça devienne une pochette d’album un jour. Je n’avais même pas l’idée d’en faire quelque chose de constructible à l’époque. Et puis, nous avons construit tous ces synthétiseurs pour nous-mêmes afin de partir en tournée dans des étuis de guitare ou quelque chose comme ça, pour économiser le poids du coût des vols aériens. Nous avions donc un tas de synthétiseurs bizarres dans des étuis, et c’est alors que le déclic s’est produit : « Et si on pouvait construire un synthé à partir d’un circuit imprimé sur la pochette d’un album ? Et puis j’ai eu l’idée de faire jouer le synthé sur toutes les pistes de l’album. Il est donc possible de construire ce synthé bruyant et fou, et peu de gens ont un projet comme celui-ci qui sonne aussi mal (rires). Je pense que je voulais dépasser les limites de ce genre de choses.

PAN M 360 : Et n’importe qui peut le construire ? Est-ce qu’il faut savoir comment construire des synthétiseurs ?

Oliver Ackermann : C’est vraiment un projet avancé (rires), pour les gens qui aiment faire des soudures méticuleuses, et vous pouvez facilement souder ensemble tellement de choses qui ne devraient pas être connectées. Mais même si vous vous trompez, vous obtenez un synthétiseur personnalisé qui fonctionne un peu ! Je pense que j’ai même converti quelques personnes qui sont venues à Death By Audio de temps en temps et qui ont vu à quel point ce projet était excitant. C’est comme si vous traîniez avec vos amis, vous soudez un tas de choses ensemble pour faire du son et du bruit. Que voulez-vous faire de plus ?

PAN M 360 : Êtes-vous déjà en quelque sorte sur la prochaine chose aussi ? Je veux dire, depuis que l’album est sorti en octobre, êtes-vous déjà sur la trajectoire d’un autre album ou d’un EP ou quelque chose comme ça ?

Oliver Ackermann : Oui, tout à fait. J’ai une feuille de calcul où j’ai écrit ce que je pensais être 45 bonnes chansons ou quelque chose comme ça. Et puis nous avons commencé à réserver des concerts en avion, et nous avons commencé à réserver du temps de studio avec des amis qui sont ingénieurs dans différents endroits. Je pense que nous allons probablement écrire des chansons dans ces différents studios et capturer ces moments.

PAN M 360 : C’est une approche intéressante. Pensez-vous que l’espace ou l’essence de l’espace dans lequel vous décidez d’enregistrer se retrouve dans la chanson ou le disque ?

Oliver Ackermann : Je veux dire que toutes ces choses doivent l’influencer. Les microphones sonnent différemment et ces espaces, c’est ton corps dans ce moment bizarre qui essaie d’improviser et de ne pas se planter, mais peut-être qu’une erreur devient l’élément principal. L’espace dans lequel vous vous trouvez fait partie de cette expérience. Je veux dire, pensez aux samples dans les chansons et au fait qu’ils vous transportent dans un endroit. C’est une signature sonore. C’est comme si vous sentiez l’odeur de la salle de bain de votre grand-mère ou quelque chose du genre, et que vous y retourniez à coup sûr. Je pense que ce genre de choses doit se produire dans ces espaces. Un espace particulier va même créer une certaine magie. C’est ce qui fait l’intérêt de la musique : l’erreur humaine, le type d’espace, la bizarrerie et ces petites subtilités.

PAN M 360 : Que pensez-vous de l’IA dans la musique ? Nous sommes dans une période étrange où des groupes utilisant l’IA composent des chansons complètes.

Oliver Ackermann : Oui, je veux dire que la musique peut être aussi parfaite que l’IA le souhaite ou imparfaite. Je pense que je préfère faire le choix conscient de voir ou d’entendre de vraies personnes faire de la musique. J’ai toujours dit en plaisantant que nous (APTBS) n’avions pas à nous soucier de l’IA parce que notre musique est si terrible. C’est tout simplement ce que nous faisons.

PAN M 360 : Voir l’IA essayer de faire la musique de A Place To Bury Strangers serait assez hilarant.

Oliver Ackermann : Oui, j’ai l’impression qu’elle s’effondrerait et dirait : « Je ne sais pas pourquoi on fait ça maintenant ».

PAN M 360 : Est-ce que tu as toujours une guitare Frankenstein où il y a différentes pièces que tu as recollées après l’avoir cassée en concert ?

Oliver Ackermann : Toutes mes guitares sont comme ça (rires). J’en ai plusieurs, et en tournée, je voyage généralement avec cinq guitares et peut-être trois manches de guitare supplémentaires, et une boîte contenant toutes sortes de pièces détachées. Toutes ces choses sont lentement assemblées et tournent les unes autour des autres. Parfois, c’est un morceau de l’un à l’autre. En gros, il faut fabriquer autant de guitares fonctionnelles que possible chaque soir. Donc, vous savez, ces choses sont recollées.

Et avant que je ne commence à apporter toutes ces choses, je me souviens avoir cassé certaines de mes premières guitares lors de ces tournées. Alors on se démène. Comment puis-je réparer ça ? Certaines de ces guitares ont des morceaux de bois provenant de la forêt près de la salle de concert. Des choses comme ça, collées dedans et d’autres choses. Je pense que le fait de savoir que quand on casse quelque chose, on peut toujours le réparer est une sorte de sentiment cool et libérateur. Parce que je connais la peur d’avoir une guitare et de casser la tête et d’être totalement dévasté et écrasé. Alors ne pas avoir à s’inquiéter de ça, c’est un bon sentiment.

PAN M 360 : Vos concerts sont légendaires pour leur intensité et leurs moments de destruction. La dernière fois que vous êtes venus à Montréal, vous avez en quelque sorte poussé l’ampli dans la foule, et Sandra et John ont pris la batterie au milieu du plancher, et les gens ont jeté des morceaux de batterie… Êtes-vous toujours prêts à affronter ce chaos insensé et incontrôlé ?

Oliver Ackermann : Je veux dire que c’est le but pour moi, si possible. C’est dans ces moments-là que l’on s’amuse le plus en tant qu’interprète, quand les choses dérapent et deviennent un peu incontrôlables. Et c’est vraiment amusant. Je ressens exactement la même chose en tant que spectateur. Ce sont ces spectacles-là. C’est comme voir Monotonics en concert, où le batteur essaie de jouer de la batterie alors que des gens le soutiennent en l’air, etc. Dans tous ces cas, on se dit : « Wow, c’est un moment de folie ».

La musique ne me fait pas seulement sortir de ma zone de confort et tout ça, mais tu te fais aussi bousculer, tu cries et personne ne t’entend ou ils t’entendent, peu importe. Pour moi, ça me sort de la tête et c’est un peu comme si ce que tu voulais vraiment d’une expérience live, c’était de ne pas penser à tes pensées quotidiennes normales, tu sais ; les choses que tu as prévues, si tes vêtements sont propres ou quoi que ce soit qui te passe par la tête. Je suis sûr que c’est la même raison pour laquelle les gens aiment les sports extrêmes et toutes ces choses. C’est comme si, vous savez, vous êtes à ce genre de moment où ça passe ou ça casse.

PAN M 360 : Mais vous devez aussi être conscient, au milieu du chaos et parfois de la destruction, que vous, en tant qu’artiste, êtes en sécurité et qu’il en va de même pour le public ?

Oliver Ackermann: Nous ne cassons que les objets que nous apportons. Nous en sommes au moins conscients. Tu sais, j’ai vu d’autres personnes jeter des guitares dans la foule avec une sorte de colère bizarre et vicieuse ou quelque chose comme ça. Et je ne veux pas que quelqu’un soit blessé. Pour moi, l’un des concerts les plus géniaux auquel j’ai assisté était celui des Ramones. C’était une foule de tous âges. Tout le monde dansait le slam avec un grand sourire. Il y avait aussi des enfants et des gens qui se faisaient jeter en l’air partout. Et tu sais, c’est peut-être un souvenir gris dans ma tête, mais pour moi, c’était un moment de joie et d’excitation.

Avec nos spectacles, je n’essaie pas de blesser qui que ce soit ou de créer quelque chose comme ça, mais je pense qu’il y a des moments magnifiques qui peuvent être créés avec des lumières qui changent, qui se déplacent et qui font ces choses, et qui changent les perspectives sur la scène. Je pense que si vous pouvez attraper la guitare de la personne qui joue de la guitare, c’est comme briser la barrière de cet espace sacré de la musique et des choses, ou vous avez la chance de jouer de la batterie avec Sandra ou quelque chose comme ça. Ce genre de moments ou, tu sais, sortir un ampli et tu peux entendre cet ampli au-dessus de ta tête et il bouge et tu le passes à ton pote derrière toi ou quelque chose comme ça, c’est un genre de moment fou qui pourrait se produire.

Cela ne veut pas dire que nous ne nous jetons pas dans ce genre de situations potentiellement foireuses. Je saute tout le temps dans des mosh pits, je me fais pousser, je me fais taper sur la tête, etc. Et d’autres personnes ont une idée différente de ce qu’est le plaisir… ou quelqu’un me saute sur le dos ou, tu sais, essaie de t’arracher quelque chose des mains ou autre. Il faut juste, vous savez, suivre le courant dans ces situations. C’est pour cela que je le fais.

Réplique russe de l’avion supersonique français Concorde, le Tupolev Tu 144 fut surnommé Concordski à l’époque. Une artiste de France en a repris le sobriquet qui donne tout de suite le ton d’une atmosphère rétro-futuriste et légèrement décalée. 

Un premier EP homonyme parut en 2023, Concordski revient cette année avec un deuxième EP électro-inquiétant, intitulé Salon des arts ménagers, qui traduit bien son amour des synthés analogiques et des séquences rythmiques. Six chansons  où la voix de la chanteuse, rappelant parfois Catherine Ringer, se mêle à l’orgue, aux trompettes spatiales et à des synthés un peu glauques sur des trames légèrement dissonantes et toujours bien rythmées.

Avec sa poésie tissant des récits qu’elle veut plausibles, récits au cœur desquels les conflits sont souvent hors de portée, son univers a des relents d’une tragédie grecque modernisée, avec des personnages enchaînés à leurs destins. 

Un tout bien atmosphérique, une plume parfois ironique qui nous emmène dans un hangar où on danse au rythme d’une fin du monde vintage, où l’angoisse chauffe comme les turbines. On a eu la chance de s’entretenir avec l’artiste et de lui poser quelques questions. Plongeon dans son univers bien à elle.

PAN M 360 : Tout d’abord je dois te demander d’où vient le titre Salon des arts ménagers? Est-ce une ironie de l’événement ayant existé?

Concordski:  Franchement oui : il y a de l’ironie là-dedans c’est clair! C’est hyper désuet…et ce qui est désuet est charmant je trouve. Oui c’est en lien avec une espèce de foire de Paris du début du siècle qui présentait des tas d’améliorations pour le quotidien des ménages, pour lesquelles la cible était surtout les femmes. Le derrière de la pochette du disque est une photo que mon père a trouvé de son père à lui à ce salon…et je trouvais la photo trop belle, en plus de correspondre à mon univers un peu vieillot!

PAN M 360 : On entend parfois, notamment dans Azimuth, la pièce instrumentale qui ouvre le EP, des moments de dissonance. Avais-tu le souci d’une recherche atonale?

Concordski:  Ah oui complètement! Alors j’adore ça quand c’est dissonant et ça me fait plaisir quand les gens le remarquent. En plus, il y a aussi des petits glitchs ici et là qui, je trouve, ajoutent à l’aspect inquiétant.

PAN M 360 : Quelles étaient tes inspirations au moment de la création de l’album?

Concordski:  L’influence principale ça a été vraiment les sons de l’instrument que j’ai utilisé, le synthétiseur Prophet 5, à partir duquel tous les sons de l’album sont faits. Après, pour les paroles, c’est souvent inspiré de films que j’ai vus ou de personnes qui ont vraiment existées à qui j’ai voulu rendre hommage, souvent des êtres humains dépassés par leurs destins. 

PAN M 360 : Tu abordes les thèmes de l’omniscience désabusée, d’un personnage masculin stylisé et accidenté, du sourire forcé de Nadia, du rêve américain effiloché : on ressent une certaine désillusion en parcourant l’œuvre. Dirais-tu que celle-ci a été un moteur de création?

Concordski:  Ce sont des thèmes qui m’intéressent beaucoup. Le fait que les êtres humains sont tellement imparfaits et remplis de paradoxe…je trouve que les destins intéressants des gens qui ont eu un impact sur les autres par leurs choix…leur histoire…ont souvent fait face à de grandes désillusions et ça m’intéresse beaucoup. Ça m’attire beaucoup dans le cinéma aussi. Comme je suis une personne assez joyeuse dans la vie, c’est mon côté plus dark hihi!

PAN M 360 : Ton écriture a des teintes un peu morbides, notamment dans la description enfumée de L’incendie et dans le scénario mortel de Crime parfait; aimes-tu créer des ambiances un peu effrayantes?

Concordski: J’en crée..involontairement.  J’en reviens à ce qui moi me fait vibrer : j’adore les films d’horreur. Je pense que c’est vraiment lié au paradoxe qu’on porte tous en nous…le fait d’être une personne plutôt joyeuse mais d’avoir quand même envie de mettre le feu parfois – ça ne veut pas dire qu’on le fait haha! Je n’ai pas envie de raconter des trucs fantastiques. Les films que j’aime c’est des trucs angoissants, qui font bouger des trucs en-dedans. C’est vraiment un intérêt pour le réel.
PAN M 360 : Est-ce que toute la production synth est faite à partir de ton synthétiseur ou bien vous en avez rajouté en studio?

Concordski:  J’ai tout enregistré chez moi avec le Prophet 5 et une boîte à rythmes qui s’appelle la TR707, notamment utilisée beaucoup par Madonna. On a ensuite fait un mix assez ciselé, surtout en appliquant un effet sur les sons pour les refroidir, mais les sons des synthés sont restés très proches de leurs sons originaux.
PAN M 360 : Tu as travaillé avec Cyril Maudelonde à la production et au mix, était-ce quelqu’un avec qui tu étais déjà familière?

Concordski: On avait déjà passé un après-midi ensemble dans le cadre d’une résidence de co-création à Caen dans un studio qui s’appelle Télémac. Et à cette occasion, on s‘était trouvés ensemble pendant 1h à jammer dans le studio et je m’étais rendue compte que c’était quelqu’un de très compétent, premièrement, mais aussi un excellent musicien. J’ai vachement aimé notre contact et, comme je savais qu’il avait déjà fait de l’excellent travail avec d’autres artistes, je lui ai proposé spontanément de collaborer sur mon premier album. Ça me rassurait de pouvoir me reposer sur quelqu’un de connaissant pour pouvoir notamment faire l’enregistrement des voix. Je suis hyper contente du résultat.

PAN M 360 : Tu as une voix qui rappelle un peu, par moments, Catherine Ringer. Les Rita Mitsoukos t’ont-ils influencée musicalement?

Concordski:  Alors forcément oui parce que je les ai écoutés beaucoup! Je les passe souvent quand j’ai le droit de mettre des vinyles dans les soirées hihi! J’ai une de mes amies également qui était très très fan d’eux et qui m’a emmenée plusieurs fois les voir en concert. J’adore la manière de Catherine de ne pas se prendre trop au sérieux quand elle chante…Elle est presque clownesque parfois sur scène… Elle s’amuse beaucoup avec sa voix et je trouve que c’est une excellente technicienne vocale. Pour autant, c’est très flatteur d’y être rapprochée, c’est forcément quelqu’un qui a participé à m’influencer.

PAN M 360 : Des spectacles prévus avec le projet? La suite des choses en 2025?

Concordski: Je vais me promener dans l’Ouest de la France, notamment au Beach Festival le 14 juin! Sinon je m’intéresse de plus en plus à la production pour mon prochain album alors je prépare de nouvelles folies !

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