Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !
Tank & The Bangas, La Nouvelle-Orleans de 2023 et sa jambalaya musicale
crédit photo: Benoît Rousseau
On associe La Nouvelle-Orléans à Louis Armstrong, Wynton Marsalis et sa famille, Terence Blanchard et les nombreux brass bands. Bref, le jazz sous de multiples formes.
Mais La Nouvelle-Orléans est aussi funk, R&B et bounce, comme on nomme la variété régionale du hip-hop. S’il y a un groupe qui incarne la fusion musicale de la métropole louisianaise en 2023, c’est bien Tank and the Bangas.
Cette formation malaxe tous les styles de La Nouvelle-Orléans et fabrique son propre son, comme la cuisine créole de la ville mélange la cuisine française, antillaise, espagnole et américaine.
Hier soir sur la Place des Festivals, Tarriona « Tank » Bell et ses amis en ont fait la flamboyante démonstration. Tout le groupe est vêtu de rouge, à l’image de l’album Red Balloon, sorti en 2022. Pas de doute: nous allions danser, lever les bras, taper des mains, mais devant une toile musicale savante et étoffée .
Le saxophoniste et flûtiste Etienne Stoufflet insuffle l’âme jazz au groupe. La basse de Jonathan Johnson en assure la base funk. Et le reste du groupe entre dans la danse. Mais il n’y a pas de Tank and the Bangas sans Tank Bell, qui est l’épicentre du groupe. Tank peut chanter soul, rapper, faire de la poésie, crier, chuchoter. La foule suit. La rondelette chanteuse est une femme à la fois forte et vulnérable, c’est ce qui touche les spectateurs.
Tout au long de la soirée, le groupe alternera entre rythmes furieux et ballades introspectives. Belle soirée, chaude soirée ! Il suffisait de voir les nombreux sourires au sein de la foule très diversifiée pour s’en convaincre.
Michel Labreque
L’immense legs de Chucho
crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin
Le pianiste Jesus « Chucho » Valdes est un monument du latin jazz, autant pour son physique colossal que pour son immense contribution au jazz moderne d’inspiration latino-américaine et d’ascendance africaine. Autrefois leader et principal compositeur de la mythique formation cubaine Irakere, Chucho fut longtemps Ze référence du piano latin jazz, et ce malgré les tensions toujours présentes (et toujours ridicules) avec Los Estados Unidos.
En 2023? On pardonnera à l’octogénaire de strictement gérer son patrimoine, au plus grand plaisir de ses fans venus remplir le Théâtre Maisonneuve à pleine capacité, jeudi soir.
Octogénaire en pleine possession de ses moyens, le pianiste et ses brillants acolytes ont parfaitement résumé ce legs en une chaleureuse représentation.
La technique de Chucho a longtemps jugée exemplaire : solide formation classique à la soviétique (dans ses impros, on l’a entendu encore citer Mozart, Chopin, Debussy, Rachmaninov), culture complète du piano jazz moderne ou contemporain (sa reprise de Armando’s Rhumba de Chick Corea était exemplaire) et sa propre contribution consiste à adapter ces connaissances au sillon pianistique de la musique cubaine moderne- Rubén Gonzales, Frank Emilio, Emiliano Salvador, etc.
On lui doit bien sûr des innovations singulières au clavier, notamment ces motifs ultra-rapides exécutés en ostinato par la main droite, en parfait synchronisme avec des mélodies ou autres motifs harmoniques articulés par la main gauche. Évidemment, les tumbaos et autres procédés typiques du piano latin sont au menu de Chico. Peut-on lui reprocher de piocher ? Parfois, son exubérance percussive sur les ivoires est un peu too much en ce qui me concerne mais….ses fans, majoritairement latins en cette soirée montréalaise, adorent ce genre de débordement. Que dire de plus?
On devinera que le pianiste légendaire ne s’entoure pas de pieds de céleri : Horacio Hernandez, batterie, José A. Gola, basse, Roberto Jr. Vizcaino, percussion. Ce dernier fut particulièrement impressionnant, sa maîtrise hallucinante des percussions afro-latines n’était pas sans rappeler celle des plus grands maîtres tel Giovanni Hidalgo.
Autour de Chucho Valdés, aujourd’hui âgé de 81 ans, ce quartette aura présenté le nec plus ultra du latin jazz, bien sûr lié à une autre époque, celui de sa génération. Immense respect.
Alain Brunet
Kassa Overall: chaos organisé
crédit photo: Marie-Emmanuelle Laurin
Touffu, chargé, un tantinet bordélique, groovy, toujours sympathique. Diplômé du fameux conservatoire d’Oberlin (Ohio), ce batteur originaire de Seattle est aussi rappeur et chanteur. Ses qualités vocales sont cependant moindres que ses remarquables habiletés aux percussions. Son flow n’est pas celui de ses invités (Danny Brown, Lil B, Shabazz Palaces, etc.) sur son album Animals, sorti cette année chez Warp, un label enclin normalement aux musiques électroniques cette fois ouvert au jazz assorti de beatmaking.
Son chant est ténu, pas toujours juste devant public, mais Kazza Overall s’en sort bien malgré ses carences. Car il est un showman parmi les plus allumés du jazz actuel.
À ses côtés se trouvent l’excellent percussionniste Bendji Allonce (natif de Montréal) exprime sa culture haïtienne en incluant des rythmes vaudous et afro-antillais son approche; fluide à souhait, le pianiste Ian Fink possède les atouts nécessaires à une carrière internationale; au sax soprano et aux percussions incluant la batterie, le multi-instrumentiste Tomoki Sandera apporte de belles couleurs à l’ensemble et le soutien du bassiste Giulio Xavier Cetto s’avère impeccable.
Kazza Overall, 40 ans, a grandi avec le hip-hop et a parfait son éducation en jazz et en percussion classique, il fut sideman pour nombre de pointures dont feue la pianiste Geri Allen. Son projet fusionne à l’évidence tous les éléments constitutifs de sa culture personnelle et cette culture se déballe dans un joyeux bordel sur scène, chaos néanmoins organisé malgré quelques moments d’errance. Cool.
Alain Brunet
Colin Stetson en direct de son univers: respiration circulaire, micro-contacts…
Dans un Gèsu sombre, meublé de projections abstraites et d’effets stroboscopiques, on se serait davantage cru au Suoni Per Il Popolo qu’au FIJM C’est sans doute ce qui explique le départ précipité d’une poignée de spectateurs dès les premières plaintes multiphoniques de Colin Stetson. Par contre, les initiés auront été bien servis.
Le musicien était seul sur scène, mais les sources sonores étaient multiples. Stetson a effectivement développé son style iconoclaste en agrafant des microphones un peu partout sur ses colonnes d’air. Cette captation complexe permet entre autres de faire ressortir un jeu percussif sur les clés de l’instrument, mais également les dynamiques les plus subtiles du souffle au contact de l’embouchure. Un capteur piezo placé sur la gorge permet également d’amplifier les effets de voix, qui sont par la suite modulés via leur passage à travers l’instrument. Même sachant cela, la performance n’en était pas moins mystifiante, alors qu’on peinait parfois à identifier quelle combinaison de technique pouvait produire des textures complexes. Pourtant, aucune pédale à effet ni boucle n’y était pour quelque chose.
Lorsqu’on écoute ses albums, il est facile d’oublier les prouesses nécessaires à une telle exécution, alors qu’il est toujours théoriquement possible de se rabattre sur des enregistrements superposés ou du travail de postproduction. Voir Colin Stetson en spectacle confronte immédiatement l’auditeur au fait de sa respiration circulaire, qui semble pouvoir s’éterniser à volonté. En pleine maîtrise de son univers sonore, le saxophoniste a livré une exécution hypnotique de son répertoire, lequel était centré sur des morceaux relativement drone et à longs développements. À la sélection de pièces du dernier album When We Were That What Wept for the Sea, quelques morceaux aux fondements plus rythmiques de All of this I do for Glory auraient bien complété le programme.
Laurent Bellemare