Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y avait de l’excitation dans l’air. Cela faisait plus de six ans que Meshuggah ne s’était pas arrêté au Québec – huit pour la région de Montréal ! Le temps a joué en faveur du groupe, qui est sans équivoque au sommet de sa popularité. On est loin de l’époque où le quintette devait se contenter d’un Club Soda bien rempli. Samedi dernier, c’est un stade plein à craquer qui attendait les maîtres du déphasage rythmique. Il faut dire qu’une belle brochette de grands noms de la scène metal était également au programme pour susciter l’intérêt de l’événement. Quoi qu’il en soit, cette soirée ne fut rien de moins qu’un rassemblement réussi, un méga événement de musique heavy qui marquera les esprits pour les années à venir.
Whitechapel
Whitechapel… voilà un groupe qui a bien changé depuis ses débuts à la tête du très brutal mouvement deathcore des années 2010. Par le passé, les influences death metal étaient toujours clairement audibles sous un enrobage hardcore parsemé de breakdowns exubérants. Dans l’immensité de la Place Bell, on avait l’impression d’assister à la prestation d’un tout autre groupe. Whitechapel n’a eu que 25 minutes pour laisser sa marque, et force est de constater que le groupe n’a pas fait grand-chose pour mettre en valeur son évolution musicale. Aucun des six morceaux joués ne fait appel à la voix chantée de Phil Bozeman, grande nouveauté des deux derniers disques. À l’inverse, très peu de moments rapides nous ramènent à l’époque des trois premiers albums.
Restent donc des grooves sur des grooves, qui donnent une bonne moyenne du son actuel du groupe sans en révéler les couleurs plus dynamiques. On peut aussi contester la présence de trois guitaristes, dont au moins deux jouent toujours la même chose. Est-ce uniquement par souci de puissance sonore brute ? La basse était, à l’exception d’un tremblement en arrière-plan, pratiquement inaudible. Tout cela n’a finalement pas gêné le public, très enthousiaste face à la prestation musclée du groupe américain.
Voïvod
Fidèle à quatre décennies d’excentricités novatrices, Voïvod était à bien des égards l’anomalie du lieu. Le groupe culte de Jonquière n’était programmé que pour cette seule et dernière date de la tournée, manifestement une invitation privilégiée de la tête d’affiche. Le quatuor nous a immédiatement ramené en arrière, avec une énergie plus thrash metal old school, voire punk. Après avoir sorti une compilation de reprises au cours de l’été, Voïvod nous a offert une succession de classiques, passant en revue les points forts de sa discographie. Nous avons même eu droit à la fameuse version métallique de « Astronomy Domine » de Pink Floyd. Deux morceaux issus d’albums récents ont encore témoigné de la vitalité créative du groupe, qui ne semble pas s’éteindre. Il faut saluer la résilience du groupe. Non seulement il a su se réinventer au fil des pertes tragiques et des changements de personnel, mais il est resté au sommet de l’expérimentation dans son genre respectif. Le batteur Michel Langevin et le chanteur Denis Bélanger, tous deux dans la soixantaine, se comportent encore comme d’infatigables artistes de scène. L’ancienneté mise à part, c’est sans compromis et avec une vitalité impressionnante que Voïvod a offert à la foule un spectacle à la hauteur de son héritage. On regrettera seulement une sonorisation médiocre pour le bassiste, pratiquement inaudible.
In Flames
Ayant pratiquement inventé le pendant mélodique du metal suédois, In Flames est un autre groupe à avoir connu son lot de changements stylistiques. Depuis les années 2000, le groupe a évolué vers un son plus accessible, multipliant les refrains exprimant la vulnérabilité et les albums controversés. Foregone, nouvellement sorti cette année, témoigne cependant d’une volonté de synthétiser cette évolution par un certain retour aux sources. À l’image de ce nouvel album, In Flames a offert une performance puissante et sans faille, comme un groupe en pleine possession de ses moyens.
À travers ses nouvelles pièces, In Flames a ponctué la soirée de pièces tirées d’albums de premier plan. Le groupe est même remonté jusqu’en 1994 pour jouer une rareté du premier album Lunar Strain ! Il y a aussi eu des succès de l’ère Reroute to Remain (2002) et Come Clarity (2006), dont les refrains ont été chantés avec enthousiasme par la foule. En somme, la sélection était judicieuse et évoquait autant la nostalgie que la fraîcheur d’une nouvelle direction musicale.
Il faut saluer le charisme du chanteur Anders Fridén, dont la technique particulière semblait en grande forme, tout comme son sens de l’humour. Le jeu des instrumentistes était au rendez-vous et le son était là, ce qui n’aura pas déplu aux fans venus spécialement pour In Flames.
Meshuggah
Les premières notes de « Broken Cog » donnent immédiatement le ton pour l’heure et demie à venir : des guitares à neuf cordes grondantes et oppressantes et une batterie puissante et énigmatique. Le tout accompagné de spectaculaires lumières stroboscopiques préprogrammées avec précision. L’aspect visuel est donc d’une importance capitale pour le spectacle, car les musiciens n’ont guère besoin de bouger sur scène pour dégager une aura captivante.
Avec une sonorisation impeccable et très peu d’interaction avec le public, Meshuggah a joué des classiques et des morceaux du nouvel album Immutable. Certains moments forts du concert se sont démarqués, sortant le public d’une certaine torpeur psychédélique. C’est ce qui s’est passé lorsque toutes les lumières se sont éteintes et que le morceau « Mind’s Mirrors » de Catch 33 (2005) a été joué. Les ronflements de guitare atonale et la narration au vocodeur créent une apesanteur terrifiante. Vient ensuite l’interprétation des pièces complémentaires In Death – Is Life et In Death – Is Death, suivant la logique chronologique du même album. Ce segment de vingt minutes, tout comme le rare « Humiliative » de l’EP None (1994), est un véritable cadeau pour les fans du groupe. À noter que pour chaque titre, voire chaque section musicale, un éclairage spécifique dynamise l’expérience sensorielle.
Au terme de cette prestation magistrale, Meshuggah a choisi de terminer la soirée en beauté en jouant « Bleed », un classique instantané, et « Demiurge », dont l’énergie du breakdown final est aussi contagieuse que dévastatrice. On ne pouvait rêver meilleur rappel. Une fois de plus, le groupe suédois s’est distingué par l’originalité de son art et sa force d’exécution. Il est maintenant temps d’attendre le prochain cycle d’albums et de tournées, où Meshuggah sortira de la longue dormance créative à laquelle l’entité nous a habitués.