Après un concert de 90 minutes, programme de sélections sentimentales ayant enthousiasmé son public, l’artiste islando-chinoise Laufey peut désormais ajouter le Prix Ella-Fitzgerald à son bosquet de trophées. Avant d’interpréter son dernier morceau à la salle Wilfrid-Pelletier, le 29 juin au soir, les organisateurs du Festival de jazz de Montréal ont surpris la chanteuse mononyme en lui offrant des fleurs et un trophée. Ce prix est décerné à une chanteuse de jazz de grand talent qui a eu un impact majeur sur la scène internationale. Compte tenu de l’esprit du prix, je n’ai franchement aucune réserve à ce qu’elle le reçoive. À en juger par l’ovation, je dirais que le public n’en a pas eu non plus.
Il s’agit d’une reconnaissance majeure pour cette jeune femme de 25 ans, notamment parce que la question de savoir si sa musique est ou non du jazz « authentique » a été débattue depuis qu’elle a commencé à bénéficier de la viralité en ligne. Qu’ils l’admettent ou non, je pense que ses détracteurs les plus cyniques s’insurgent contre le fait que la génération Z utilise sa musique comme référence en matière de jazz sans nécessairement chercher plus loin dans le canon.
Laufey elle-même admet qu’elle considère sa musique comme une fusion de jazz, de pop et d’éléments classiques. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce débat soit vraiment important. Personnellement, il y a longtemps que je n’ai plus envie de me prononcer sur ce qu’est ou n’est pas le jazz. Au lieu de cela, je suis beaucoup plus intéressé à relayer l’expérience d’écoute de la musique qui conduit à un tel débat en premier lieu.
Il est donc évident que Laufey soit capable d’atteindre des notes soyeuses dans la tessiture de contralto. En outre, elle est une multi-instrumentiste très compétente, capable de jouer des mélodies déchirantes au piano, à la guitare et au violoncelle. Le quatuor à cordes qui l’accompagnait lors de ce concert a ajouté beaucoup de sentimentalité et les musiciens de la section rythmique ont équilibré le tout en apportant de beaux moments de groove et de dynamique.
En outre, elle a la capacité d’écrire des bossa novas que Jobim lui-même aurait approuvées, ainsi que la capacité de jouer en solo avec compétence sur des progressions d’accords – même si j’aurais aimé qu’elle nous offre plus de ces moments. Ce qui m’a vraiment surpris, cependant, ce sont les lumières, le glamour, ses mouvements, la bête de scène qu’elle est.
En effet, l’usage par Laufey de mouvements et d’interactions avec le public m’a donné l’impression de voir une actrice de comédie musicale ou une chanteuse de cabaret. Le public, composé en grande partie de jeunes filles, était rieur, enjoué, d’autant plus admiratif. Ça criait des messages d’amour et d’encouragement auxquels Laufey répondait docilement. Tout cela était très sain, mais cela a fini par devenir redondant et ennuyeux…
Je suppose que c’est le prix à payer pour être une artiste aussi glamour.
Bien que je ne revienne pas sur les éloges que j’ai faits précédemment (car chaque sélection était magnifiquement interprétée et exceptionnellement chantée), je pense que 90 minutes de chansons très majoritairement inspirées par la rupture amoureuse, c’est un peu trop. Laufey semble au moins en être consciente puisqu’elle a plaisanté à ce sujet à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, ses fidèles fans ne semblaient pas s’en soucier puisqu’ils chantaient bruyamment ses succès, dont From the Start et Falling Behind.
Tout compte fait, indépendamment de ses prix, Laufey est une interprète et une parolière impressionnante, qui est sans doute devenue une pop star. Avec un talent musical considérable associé à une volonté d’être vulnérable avec ses fans, je prévois que Laufey sera bien en vue tant et aussi longtemps qu’elle sera intéressée par la création.
Reste à savoir si les sujets de sa musique changent de manière significative avec le temps mais pour l’instant, ils constituent un ajout à toute liste de lecture encline à la sentimentalité.
crédit photo : @frederiquema pour le FIJM