Guhn Twei, Lockeur, Fumigènes – Traxide (Montréal) – 6 juin 2023

par Patrice Caron

Motivé par un bouche à oreille élogieux envers la tête d’affiche, j’ai ignoré le doux chant du « Netflix & Chill » du mardi soir pour enfin mettre les pieds dans cette légendaire salle « alternative » qui multiplie les bons coups ces derniers temps. Ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler l’adresse ou même le quartier où elle se trouve, ask a punk comme le Traxide aime le répéter.

C’est presque à l’heure annoncée que Fumigènes s’amène sur scène et le quatuor de nu-métalcore (avec une bonne dose d’emo) originaire de Québec présente un court et intense set qui met de l’ambiance pour la soirée qui s’amorce. Visiblement encore à apprivoiser le fait de jouer devant un public, la camaraderie entre les membres du groupe et la proximité avec les gens présents nous font vite oublier certaines maladresses et la musique finit par primer sur le reste. Sans trop être des habitudes alimentaires de l’auteur de ces lignes, on peut quand même constater la compétence des musiciens et par la réaction des danseurs, de la justesse de la proposition. La suite s’annonce intéressante pour Fumigènes.

Formé pour l’occasion, Lockeur amorce son premier concert à vie sans s’annoncer et la décharge n’en est que plus surprenante. Avec un tas de machines comme section rythmique, le trio offre un doom/sludge/noise/death qui me met un sourire qui s’étire tout au long de la courte prestation qui ne provoque aucune ruée de danseurs au devant de la scène mais qui laissera un souvenir indélébile aux oreilles présentes. Espérons que la formation persiste et qu’on puisse les réentendre.

Pour la première date de sa tournée, et malgré sa journée à se déplacer pour y être, le groupe originaire de Rouyn-Noranda, mené par le déterminé Simon Turcotte, prend d’assaut la scène du Traxide avec une intensité à son maximum. Balançant sans pitié son hardcore-métal extrêmement en « criss », c’est complètement sonnés qu’on en arrive déjà à la dernière chanson de cette trop courte performance. Le propos est porté par la même rage, avec la Fonderie Horne comme principale cible et métaphore quant à sa vision de l’avenir. Il faut dire que Turcotte est malheureusement bien placé pour critiquer la présence néfaste de l’entreprise pour y avoir travaillé et habité dans l’ombre des tristement célèbres cheminées de la Fonderie, un cancer a failli lui couter la vie et il a dû se faire amputer d’une jambe pour y survivre. Terminant la soirée avec l’évocation du cas d’un enfant de 7 ans de son quartier également victime d’un cancer, la dernière salve de rage met un dernier poing sur la tempe du Traxide, et le silence qui s’ensuit n’est troublé que par le chant lancinant de l’acouphène que partage le public à la sortie de ce triplé de décibels modulés.

Caprice et ArtChoral au service de la Messe en si mineur de JS Bach

par Alain Brunet

Vendredi soir à la Maison symphonique, Matthias Maute dirigeait une œuvre phare de JS Bach, l’éternelle  Messe en si mineur. Synthèse de sa contribution colossale à la musique occidentale, cette Messe en si mineur nous fait entrer dans un autre espace temps, particulièrement lorsque s’expriment les instruments d’époque sous la direction d’un maître.

Fondé par le flûtiste à bec et chevronné maestro, l’Ensemble Caprice atteint un sommet de respectabilité depuis sa fondation, trois décennies plus tôt. S’inscrivant dans le grand renouveau baroque à l’époque de sa fondation, Caprice est toujours mené par Matthias Maute, très grand spécialiste des périodes baroque et ancienne, doublé d’un communicateur drôle et subtil. C’est aussi le cas de son complément naturel, l’Ensemble ArtChoral dont Matthias Maute assure la direction artistique et confère à la Messe en si mineur un rôle plus que central, atteignant ainsi un équilibre remarquable entre les forces réunies.

Une cinquantaine d’artistes étaient rassemblés sur la scène de la Maison symphonique (comme ils le seront ce dimanche au Palais Montcalm à Québec), choristes et instrumentistes constituant des entités de taille égale ou presque, sans compter les quatre solistes requis pour l’exécution. Tous établis au Canada, les solistes n’ont pas failli à la tâche, on retiendra le talent du haute-contre William Duffy, Californien transplanté  à Montréal, et on dira grand bien de la soprano Janelle Lucyk, du ténor Benjamin Butterfield et du baryton Dion Mazerolle, sans compter la part réservée au cor baroque joué par  Louis-Philippe Marsolais (Pentaèdre, OM), accueilli en « roi », non sans humour par le maestro. 

La Messe en si mineur se veut une œuvre synthèse, suprême assemblage de JSB à la fin de sa vie, dont la dernière version fut complétée en 1749. Pas plus du tiers de cet assemblage était constitué de pièces spécialement conçues pour la fameuse Messe en si mineur. Bach n’en était pas à ses premiers « mashups », procédé courant de l’époque baroque dont il fut le plus grand génie.

Crédit photo : Tam Tam Lan Truong

POUR INFOS ET BILLETS DU CONCERT PRÉSENTÉ CE DIMANCHE, 19H, AU PALAIS MONTCALM, C’EST ICI

Bartok, Stravinski et Prokofiev selon Hannu Lintu et l’OSM

par Alain Brunet

Fin 2019, le maestro finlandais Hannu Lintu s’était démarqué en tant que chef invité, la direction artistique de l’OSM le ramenait cette semaine (mardi et mercredi)  à la Maison symphonique pour un programme aucunement scandinave  mais plutôt  hongrois et russe: Stravinski, Bartók et Prokofiev.

La première œuvre au programme, la Symphonie d’instruments à vent, se veut un hommage de Stavinski à Debussy, superbement exécutée avec les couleurs orchestrales circonscrites par Hannu Hintu. Après quoi deux maîtres pianistes issus de deux générations, mais dont l’un a déjà prodigué de précieux enseignements à l’autre, se sont donné la répartie dans le Concerto pour deux pianos, percussions  et orchestre de Bartok. Les solistes invités n’étaient pas piqués des vers:  de retour à Montréal après y avoir épaté la galerie à quelques reprises depuis 2019, le brillantissime Russe Daniil Trifonov, ainsi que l’Arménien Sergei Babayan, sans conteste l’un des grands maîtres du piano classique que l’on a eu maintes fois l’occasion d’admirer à Montréal. 

Une autre paire de solistes, cette fois issus de l’OSM, a  participé à ce dialogue complexe et anguleux signé Bartok: le timbalier solo Andrei Malashenko et le percussionniste Serge Desgagnés. On a beau être fan fini du compositeur hongrois, on n’est pas certain d’apprécier cette œuvre au plus haut point, Car une ambiguïté demeure : son exécution n’est-elle pas tributaire des consignes définies par la partition? Pour maestro Hintu et l’OSM, en tout cas, l’équilibre entre les forces y est extrêmement difficile à atteindre, ce qui donne l’impression parfois que l’orchestre et les percussions amoindrissent le jeu de ces pianistes pourtant géniaux, assurément issus de l’élite mondiale. 

Ce problème d’intelligibilité sonore ne serait-il donc pas lié à la direction d’orchestre et l’exécution de ses interprètes mais bien d’un problème conceptuel ? Poser la question… On aura presque préféré le rappel étonnamment long des solistes invités, soit la Barcarolle de la Suite pour deux pianos no 1, opus 5, de Rachmaninov – que Babayan et  Trifonov ont joué récemment ensemble dans d’autres programmes dirigés par  Hannu Lintu.Le plat de résistance n’aura donc pas été celui prévu d’entrée de jeu mais bien les extraits de Roméo et Juliette de Prokofiev, joués après l’entracte. Sauf quelques rares extraits un peu  moins inspirés, cet assemblage réduit du fameux ballet aura été magnifiquement dirigé et exécuté.  Celles et ceux qui n’y étaient pas présents pourront en apprécier le travail sur mezzo.tv à compter du 3 juin prochain.

Glass sans Glass

par Alain Brunet

Trop âgé et physiquement diminué, le célébrissime compositeur new-yorkais Philip Glass ne reviendra probablement plus jamais jouer à Montréal. Ces dernières années, on  a pu le voir sur scène une dernière fois à l’OSM sous la direction de Kent Nagano et à l’automne 2019 avec son fameux Ensemble lors de la projection simultanée du film Koyaanisquatsi.  

Sa présence sur scène fait désormais partie du passé, il faudra s’y faire.

Michael Riesman, directeur musical de son fameux ensemble depuis des temps immémoriaux, a repris le flambeau. L’orchestre de Philip Glass survit à son initiateur, et c’est ce qu’on a pu observer mercredi à la Salle Bourgie. 

Le programme était intéressant, surtout pour l’exécution d’une œuvre de jeunesse dont la partition disparue a été redécouverte en 2017 : Music in Eight Parts (1970) donne un aperçu de son travail avant que ses œuvres emblématiques ne s’imposent internationalement. Cette œuvre fait état d’un travail encore plus minimaliste, plus dénudé, moins axé sur ses fameuses circonvolutions d’arpèges et autres constructions harmoniques livrées en vrilles, un procédé de Glass ayant marqué les musiciens des générations subséquentes à la sienne, bien au-delà des cercles mélomanes.

Les autres œuvres au programme ont été choisies avec circonspection. Les fans ont eu droit à Rubric et Façades de l’album Glassworks, un de ses plus connus, et aussi un extrait probant de Koyaanisqatsi.  Hormis cette curiosité sortie des boules à mites (Music in Eight Parts), les œuvres les plus intéressantes de ce concert ont été exécutées en seconde partie de programme, tirées de ses opéras, Rescue de Satyagraha, Funeral of Amenhotep III d’Akhnaten et l’Act III de The Photographer, sans compter un extrait pour le moins éloquent d’Einstein on the Beach, joué en rappel.

Les opéras et performances multimédias de Glass, il faut encore le rappeler, sont au centre de son œuvre,  sinon en constituent la partie congrue mais…. puisque ces travaux n’ont été présentés que par des compagnies d’opéra, un public relativement restreint y a eu accès. 

Servie en formule sextuor (claviers électroniques, saxophones, flûtes, voix) , cette musique de chambre est huilée au quart de tour vu le long historique de ses exécutions. Seule la sonorisation, parfois laborieuse à la Salle Bourgie pour des musiques amplifiées, fut un tantinet critiquable mais pas assez irritante pour s’en formaliser.

CRÉDIT PHOTO: PIERRE LANGLOIS

Bonne fête Piknic Electronik Montréal

par Elsa Fortant

Lorsque je me suis installée à Montréal il y a 9 ans ou presque, le Piknic est l’un des premiers événements culturels auxquels j’ai participé.

Déjà, sans jamais avoir mis les pieds au Québec, depuis le vieux continent, j’avais entendu parlé de l’Igloofest et du Piknic. Habituée des festivals de musique à l’européenne comme Dour (Belgique) et qui accueillent plus de 25 000 festivaliers par jour (sur 4 jours, avec camping); j’étais curieuse de découvrir de nouvelles façons d’apprécier la musique et de faire la fête. Un festival de musiques électroniques urbain, accessible en métro, le dimanche soir dans un cadre idyllique ? Oui.

Autant dire qu’il y a 9 ans, lors de mon premier Piknic, je n’ai pas été déçue. Le soleil radieux sur le Calder (pour les intimes, alias la sculpture des Trois disques de l’Artise Alexander Calder) l’imprenable vue sur le fleuve et la « skyline », l’ambiance festive avec les « buckets » d’alcool (on n’a pas ça en France)… le Piknic est un de mes meilleurs souvenirs de nouvelle arrivante.

Puis, les années ont passé, l’institution a du déménager quelques mètres plus loin et le public a grossi, grossi. C’est devenu une grosse machine, la qualité sonore et événementielle n’était selon moi plus au rendez-vous. J’ai fini par ne plus m’y rendre.

Pourtant, après plusieurs années d’absence, ce 21 mai dernier, je savais qu’il fallait que j’y sois. Pourquoi ? Pour deux raisons : premièrement, l’événement avait lieu sur le site historique du Piknic, celui que j’ai découvert il y a 9 ans, sous le Calder. Deuxièmement, la programmation était bien trop incroyable pour la manquer puisque DVS1 est un de mes DJ préférés et Isabel Soto, qui a ouvert pour lui, est une des DJ locales les plus en vue du moment. Tous les deux ont joué d’excellents sets et se sont adaptés au contexte diurne, moins évident pour la techno sombre et hypnotique qu’ils ont l’habitude de jouer. La progression offerte par le DJ Minnesotain était parfaitement maîtrisée et ajustée au glissement du jour vers la nuit, et je peux vous dire qu’à 21h, ça groovait sévère. Bien joué au Piknic d’avoir laissé DVS1 jouer un set de plus de 3h, une temporalité qui lui a permis de montrer l’étendue de son talent, autant dans la sélection des morceaux que dans ses transitions – sa technique est extrêmement fluide (il joue sur vinyle, chapeau) et c’est particulièrement appréciable pour les danseurs et danseuses qui peuvent se lâcher sans devoir s’arrêter toutes les 30 secondes comme avec les structures plus classiques montée/drop.

La scénographie était simple mais très efficace. Il faut dire que le cadre du Parc Jean-Drapeau fait son effet et la météo était parfaite. Une fois le soleil couché, les stroboscopes ont pris le relai, éclairant l’impressionnante statue, trônant au milieu de la piste de danse, tantôt de rouge, tantôt de bleu.

Si la scène principale était placée sous le signe de la techno, celle du boisé proposait une ambiance house/tech-house avec Louie Vega, The Neighbors et Andrea de Tour. L’aménagement du site est bien pensé, avec un espace food trucks (bien garni) et plusieurs espaces « chill » avec des hamacs ou de quoi s’assoir. Le seul petit hic ? Au pic de la soirée, vers 20h, les files d’attente étaient encore bien longues, malgré les trèèès nombreuses toilettes et bars disponibles. Je ne sais pas combien de milliers de festivaliers Piknic a accueilli, mais il y a là encore plusieurs ajustements à faire.

On est (presque) tristes que le retour sous le Calder ne soit pas pour la saison complète !

Ceci dit, 9 ans plus tard, le retour exceptionnel du Piknic au site originel pour souligner les 20 ans du festival m’a permis de renouer avec celui-ci.

Image: DVS1 par Piknic Electronik Montréal

Laura Krieg et Renonce prouvent que la Darkwave francophone est bien vivante

par Max Seaton

Jeudi soir dernier, un événement plutôt rare a eu lieu au Bar Le Ritz : Un concert darkwave presque 100 % francophone. Les deux têtes d’affiche, la reine locale du genre, Laura Krieg, et le nouveau groupe post-punk/industriel Renonce, qui lançait son premier album, Ombre, étant deux projets qui privilégient le langage surréaliste et sombre de Rimbaud et Baudelaire dans leur musique. J’étais donc très heureux de me rendre au Ritz (une salle que je n’aime pas particulièrement d’habitude) après un délicieux dîner avec de bons amis dans un excellent petit restaurant indien près de la salle à Parc-Extension. Je suis arrivé vers 20h30, heureux de me réchauffer les fesses après avoir marché un moment dans le vent froid de cette soirée de printemps encore froide, juste à temps pour saluer quelques uns de mes amis dans la foule grandissante, se déplaçant vers l’avant, quelques instants avant que le spectacle ne commence.

Visages maquillés, cheveux exagérément laqués, vêtements new-wave/glam androgynes rappelant le style de la marque emblématique du début des années 80 Parachute, Laura Krieg et son acolyte musical habituel, le vétéran de la scène post-punk Johny Couteau, sont arrivés sur scène sous une vague d’applaudissements enthousiastes de la part des spectateurs curieux qui se sont rapidement rassemblés devant le duo. La performance commence fort avec une boîte à rythmes et des synthés extrêmement accrocheurs sur lesquels Johny joue des lignes de basse minimales, mécaniques et très efficaces, ainsi que des percussions épiques sur un drum pad, tandis que Laura chante de manière décontractée, mais toujours enivrante, et joue de temps en temps de la guitare. Les fans du groupe, comme moi, auront reconnu plusieurs morceaux de leur répertoire tels que « Tout s’effondre, tout va bien », « Angst », et « Fin du travail, vie magique ».

Laura Krieg Shredding / Stephan Boissonneault, PAN M 360

« Fin du travail, vie magique » / Laura Krieg

Pendant près d’une demi-heure, le duo de Laura Krieg a réussi à faire bouger un public qui semblait un peu figé au début, grâce à de nouveaux morceaux que je n’avais jamais entendus auparavant et qui avaient une influence plus italo-disco, voire presque euro-pop, que j’espère entendre sur un nouvel album très prochainement.

Après un petit entracte d’une vingtaine de minutes, c’est au tour de Renonce de prendre d’assaut les oreilles du public avec ses sonorités darkwave à saveur industrielle. Fondé en 2021, le projet solo de Frédéric Nogarede, qui a notamment joué avec le groupe Adam Strangler il y a quelques années, célébrait la sortie de son premier album, Ombre. Comme c’était la première fois que je voyais Renonce en concert, je ne savais pas à quoi m’attendre. A ma grande surprise, le musicien est monté sur scène accompagné de deux autres musiciens, un guitariste et un batteur, ce qui m’a énormément plu car on voit de plus en plus de musiciens solos qui se contentent de chanter sur des backing tracks joués sur un laptop.

Renonce @ Bar Le Ritz

Le groupe a pu livrer une prestation très énergique, enchaînant des chansons industrielles lourdes de manière quasi-continue, entrecoupées d’impressionnants paysages sonores instrumentaux construits sur un ensemble de synthétiseurs analogiques étalés sur une table devant le chanteur. La batterie, très puissante et serrée, sonnait presque comme une machine et la guitare utilisait, entre autres, le feedback de manière très habile. Le chant, quant à lui, passait parfois de la douceur et de l’introspection à un cri aigu rappelant Nivek Ogre du groupe industriel classique Skinny Puppy. Un autre aspect sympathique était l’utilisation de projections sur le mur derrière le trio, ce qui a grandement contribué à l’ambiance de la performance.

Une belle soirée qui m’a conforté dans l’idée que la scène alternative francophone montréalaise est en plein essor et qu’elle s’est très bien remise de ses malheurs pandémiques des dernières années.

Photos by Stephan Boissonneault

Les gecs dans nos étoiles, une critique

par Stephan Boissonneault

Si vous faites ce métier depuis assez longtemps, il y a des moments dans la carrière de tout écrivain musical où vous vous sentez à la traîne des tendances, où la vocation musicale d’un artiste va au-delà de ce que vous êtes formé à comprendre ou même à appréhender. Comme l’a probablement dit un jour le grand poète de caniveau et dernier journaliste gonzo du rock n’ roll, Lester Bangs, « On s’adapte ou on meurt, je choisis de mourir ». Mais il parlait probablement des Beatles plongeant dans le psychédélisme de Vishnu sur Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, et non de la surcharge multisensorielle qu’est un spectacle à 100 gecs. Il n’aurait pas été préparé à ce monstre hyperpop viral qui a été catégorisé comme un groupe mème par les fans et les critiques musicaux.

Je trouve amusant que le terme hyperpop soit aujourd’hui si intrinsèquement lié à 100 gecs, principalement un groupe Internet, alors que je crois qu’il a été utilisé pour la première fois dans les années 80 pour classer la musique de Cocteau Twins, avant l’arrivée d’Internet. Je pense que c’est l’exemple parfait de la façon dont le genre n’est qu’un simple espace de rangement qui peut changer en un clin d’œil.

J’ai tout de même eu l’occasion de voir 100 gecs en direct à Osheaga, après deux sets de hip-hop du britannique slowthai et du maître du emcee, Freddie Gibbs. D’après mes souvenirs, ce set de 100 gecs n’était pas à mon goût. Je me souviens très bien de la chanteuse Laura Les grognant dans son micro auto-tuné tandis que son partenaire musical, Dylan Brady, dansait dans un costume de sorcier portant un chapeau à étoile jaune vif, tandis qu’un rythme de basse changeant sautillait dans tous les sens. À l’époque, j’ai brièvement fait rôtir 100 gecs dans ma critique d’Osheaga, que vous pouvez lire ici si vous le souhaitez.

« Je ne comprends pas, nous sommes peut-être trop vieux », a déclaré mon compagnon de festival. À l’époque, j’étais d’accord pour dire qu’il s’agissait simplement d’un bruit déplacé et sursaturé pour une génération plus jeune (j’approche de la trentaine pour la petite histoire), et nous sommes passés à autre chose. Mais malgré cela, les 100 gecs semblaient apparaître de plus en plus dans mon lexique musical. Dans les sphères d’écriture musicale, des groupes ont été comparés à eux, comme le duo art-pop glitchy, Jockstrap, dont le premier album, I Love You Jennifer B, est un de ceux que je joue encore souvent. Le tube viral de 100 gecs, « money machine », m’a suivi comme une maladie pendant le week-end.

Je sais qu’une grande partie du journalisme musical, en particulier le monde de la critique – et je ne parle pas des petites publications DIY comme celle sur laquelle vous lisez ces lignes – peut être pleine de conneries vernaculaires de la part d’écrivains qui trouvent constamment le pire dans un album pour être avant-gardiste. Il est dommage qu’une note de Pitchfork ou une mauvaise note d’Anthony Fantano puisse complètement influencer l’opinion de quelqu’un sur un album ou un artiste, mais bon, c’est le monde des critiques de streaming dans lequel nous nous trouvons.

Cela dit, ce sont les pensées qui m’ont envahi lorsque j’ai franchi les portes de MTelus pour me rendre à la plus récente exposition montréalaise de 100 gecs, que j’appellerai dorénavant  » Gecigeddon « .

En tournant le coin, vers l’arrière de la salle, mes oreilles ont été agressées par un groupe appelé Machine Girl, qui sonnait brièvement comme le pire grindcore des années 2000. Je m’attendais à une vague de synthés plus industrielle d’après le nom et je n’étais pas préparée à un canal radiculaire cochléaire. C’est quelque chose que ni moi, ni les 10 personnes avec qui j’étais, n’avions prévu. Même si un projecteur était littéralement braqué sur la foule, suivant le chanteur, Matt Stephenson, qui se faufilait entre les gens, criait et se tenait en équilibre sur l’auvent de la mezzanine et le bar de la salle, habillé comme un bouffon maniaque, je n’arrivais pas à m’imprégner de l’ambiance hardcore numérique que Machine Girl créait.

Ma première expérience de l’ambiance du Gecigeddon a été très négative, amplifiée après avoir vu une fille aux cheveux bleus vêtue d’un pantalon zébré s’évanouir (probablement à cause de l’épuisement dû à la chaleur et à la drogue qui circulait dans son corps) derrière notre groupe, quelques instants après le set de Machine Girl. Est-ce que c’est un public qui n’a pas tenu le coup pendant la première partie ? Un public qui n’a pas appris les bases d’une fête respectueuse avec des drogues et qui ne prend pas soin de lui ? Buvez de l’eau, s’il vous plaît !

J’ai essayé d’éteindre mon esprit critique et d’apprécier la scène dans son ensemble : des sorciers multicolores, un homme avec des cornes de diable et un T-shirt blanc portant l’inscription  » I GOT MY TOOTH REMOED « , des pantalons de parachute, pas mal de peinture de cadavre, des jeunes emo et scènes qui ont l’air de sortir du bus du Gathering of the Juggalos, la foule plus gothique et plus perverse (latex, porte-jarretelles, colliers, etc.) qui était surtout là pour se détendre au deuxième étage. Il y avait aussi une foule plus âgée, accompagnée de leurs enfants ou de véritables fans de cette musique pop ridicule. J’ai repéré la scène et l’installation informatique du DJ à 100 gecs, qui était logée dans ce qui ressemblait à une caisse de bombe nucléaire, en équilibre sur une poubelle en acier.

Les lumières se sont éteintes et le son profond des productions THX a rapidement envahi la salle tandis que l’écran de fond diffusait sporadiquement toutes sortes de lumières blanches. Il ne s’agissait pas de l’ouverture d’un film à gros budget, mais de « Dumbest Girl Alive » de 100 Gecs, extrait du nouvel album 10 000 Gecs. Le riff de guitare butt-rock à la Limp Bizkit a démarré et Laura et Dylan sont montés sur scène, vêtus des tenues jaunes et violettes emblématiques des sorciers.

Si 100 gecs est doué pour une chose, c’est pour créer des vers d’oreille qui s’enfoncent profondément dans votre psyché, même quand vous ne le voulez pas. La production visuelle était également démente : les écrans Windows 98 vibrants se transformaient rapidement en un brouillard vert et rose tandis que des lumières stroboscopiques nous manipulaient l’esprit. C’était comme regarder directement le soleil en boucle.

Je n’ai jamais été un fan de l’auto-tune, mais je dois admettre qu’elle fonctionne et qu’elle est nécessaire à la musique de 100 gecs. Sans cela, on obtient une chanson comme « Frog On The Floor », une chanson amusante, mais volontairement décalée, qui prend les pires morceaux de ska-pop enfantine et en fait une chanson. On peut dire que les gecs eux-mêmes riaient avant de la jouer en concert. Il n’y a pas eu beaucoup d’échanges sur scène de la part de 100 gecs, si ce n’est qu’ils ont présenté la chanson suivante et que Laura a dit « cool », avant de se lancer dans le morceau suivant. C’est Dylan qui s’est le plus illustré, faisant tenir sa guitare acoustique en équilibre sur son menton et mordant dans un oignon comme un fou après qu’un fan en ait jeté un sur scène.

« Personne ne lance plus d’oignons, ou je pourrais chier », a déclaré Laura en riant.

Même quelques jours après le concert, j’ai encore « Hollywood Baby » qui se fraye un chemin dans mon amygdale. Je ne peux pas non plus nier l’énergie pure qui régnait au Geccicon. Le public connaissait toutes les paroles, ne manquait pas une occasion de sauter et de se déhancher sur le répertoire des 100 gecs, qu’il soit nouveau ou plus ancien. À ce moment-là, j’aurais pu décider d’être comme Lester Bangs et de ne pas m’ouvrir à cette débauche de l’ère Myspace, ou j’aurais pu essayer de m’amuser. J’ai choisi cette dernière option. Sinon, à quoi bon ? J’ai couru dans la foule, le sac de l’appareil photo attaché à l’épaule, et j’ai fait du moshing à fond. Pendant « Billy Knows Jamie », je me tenais sur la pointe des pieds, haletant comme un guppy dans un aquarium surpeuplé. J’ai scandé le refrain de « Doritos & Fritos » et j’ai aidé un homme torse nu à pousser une fille pour surfer sur la foule pendant « Money Machine ». En fait, j’ai plongé dans mon gec intérieur comme un adolescent découvrant Nirvana pour la première fois, à la recherche d’un chaos angoissant et amusant.

En repensant à ma décision de rejoindre la folie avec des milliers de fans de gec, la motivation est venue du fait que j’ai vu le duo, oui, recréer en direct cette folie risible de l’ère des mèmes, mais aussi de l’aspect communautaire ressenti dans la foule. Tout le monde perdait la tête, transpirant ensemble comme des cochons à l’abattoir. La joie pure de certains de ces citoyens était palpable, et peu importe à quel point je méprisais le son de ce groupe, pendant ces quelque 20 chansons, j’ai eu l’impression d’en faire partie. J’ai été gecced.

100 gecs n’est pas une musique que je jouerai à mes heures perdues, mais encore une fois, je ne peux pas nier l’expérience live et j’ai passé un moment bizarre, mais agréable. Leur base de fans est plus dispersée que je ne l’imaginais et bien qu’ils soient connus comme un groupe de mèmes, sur scène, tout ce qu’ils font semble 100 % authentique – même une phrase vocale absurde comme « Queen of California / Hot like the heat is / Got Anthony Kiedis suckin’ on my penis ». J’ai même apprécié les grognements gutturaux de Laura cette fois-ci, parce qu’ils ont été construits et mérités.

Qui sait si je serai au prochain Gecigeddon/Geccicon/Gecivent, mais c’est un souvenir que je garderai en mémoire pour les années à venir.

Un même soir à la Place des Arts, les pianistes Bruce Liu et Nils Frahm triomphent devant deux auditoires distincts… opposés ?

par Alain Brunet

Jeudi soir à Montréal, deux salles de la Place des Arts étaient pleines : à la Maison symphonique, le pianiste montréalais Bruce (Xiaoyu) Liu, grand vainqueur du Concours international de piano Frédéric-Chopin à Varsovie  en 2021, selon plusieurs la plus prestigieuse des compétitions pianistiques sur la planète classique, exécutait le Concerto no 2 de Chopin pour piano et orchestre, avec en rappel une petite incursion baroque côté Jean-Philippe Rameau (Les Sauvages). 

Depuis cette victoire historique, le jeune prodige formé au Québec se produisait pour une deuxième fois avec l’Orchestre symphonique de Montréal depuis l’été dernier, cette fois sous la direction de la maestra finlandaise (aux origines aussi ukrainiennes) Dalia Stasevska, qui a aussi dirigé l’OSM dans une exécution plus qu’acceptable de la Symphonie no 6 en ré mineur op.104 du compositeur scandinave (finlandais itou) Jean Sibelius, le tout précédé par une œuvre contemporaine de la compositrice russe Sofia Goubaïdoulina, exigeante et chargée de substance.

Le concerto no 2 de Chopin était le plat de résistance, vu les attentes du public pour le jeune virtuose bardé de cet immense prix international qui a propulsé sa carrière sur les scènes du monde entier. De retour à la maison, Bruce Liu n’a déçu personne dans son exécution.  

Déjà à 25 ans, on le sent libre d’exprimer sa personnalité déjà singulière, imposer sa patte. On a senti non seulement une fluidité exceptionnelle dans l’exécution mais aussi une capacité d’atteindre la grâce sans jamais trop appuyer ses effets. On ne parle pas ici de désinvolture, mais bien de grâce, d’agilité et de souplesse au service d’une œuvre qui peut prêter aux excès de l’affect même si la grande virtuosité est au rendez-vous.

Et n’allons surtout pas comparer Bruce Liu à Charles Richard Hamelin, autre récipiendaire du concours Chopin (2e place en 2015) et dont la qualité du jeu souscrit aux mêmes standards d’excellence. Deux personnalités distinctes du piano d’ici se démarquent, applaudissons  ici la diversité des expressions pianistiques à ce niveau d’exécution, même dans ce monde de la musique écrite où les paramètres suggérés par la partition laissent tout de même un espace de liberté à ses praticiens les plus éminents.

Et revenons à la soirée de jeudi: juste à côté de la Maison symphonique, soit à la  salle Wilfrid-Pelletier, le pianiste et producteur électronique allemand Nils Frahm offrait une nouvelle performance impliquant musique classique, romantique ou impressionniste, assortie d’improvisations et ajouts de synthétiseurs. Je n’y étais pas personnellement mais j’ai déjà assisté à deux concerts de Nils Frahm devant des auditoires ébahis, transportés, conquis,  qui semblaient vivre une première expérience marquante en musique pianistique.

Y a-t-il un lien entre ces deux mondes ? S’il y en a un, il est encore  très mince. 

On constate aujourd’hui que les musiques symphoniques composées pour le cinéma et le jeu vidéo attirent des publics de plus en plus considérables. On constate aussi que les compositeurs néoclassiques s’abreuvant de musiques européennes tonales et consonantes, romantiques et post-romantiques, ont d’ores et déjà conquis des publics importants. Le nouvel album de Thomas Bangalter, illustre moitié de Daft Punk, en est un nouvel exemple parmi tant d’autres. On observe également que  les pianistes néoclassiques offrant des « compositions » très clairement inspirées de Chopin, Liszt, Brahms, Rachmaninov, Satie, Ravel ou Debussy, remplissent leurs salles et jouissent d’une immense cote d’amour, on pense évidemment au nouvel album et au nouveau récital de la pianiste montréalaise Alexandra Stréliski.

Inutile de souligner que ces deux mondes semblent rester relativement étanches. 

D’une part, le public néoclassique ne se pose pas de question sur les origines stylistiques des œuvres récentes qui le transportent. Qui plus est, ce public réprouve le décorum crispé du monde classique, son silence absolu, les vêtements de gala de ses interprètes, la rigidité des exécutions, la quasi absence de liberté dans l’interprétation.

De l’autre côté de la médaille, le public du monde classique déplore l’édulcoration néoclassique du « vrai » répertoire romantique, post-romantique ou prémoderne, aussi l’infériorité technique de ses interprètes dont on soupçonne l’incapacité à faire carrière dans la « grande musique ».

Les mélomanes de la musique classique méprisent-ils ceux du néoclassicisme? Dans certains cas, absolument.

À leur tour, les fans néoclassiques exècrent-ils les snobs de la musique classique ? Dans certains cas, absolument. 

La vérité se trouve-t-elle ailleurs ? Dans tous les cas,  absolument.

Chose certaine, le différend est loin d’être résolu et nous aurons plusieurs autres occasions pour en discuter.

P’tit Belliveau annonce son indépendance

par Stephan Boissonneault

Lors de son spectacle d’avril au Club Soda de Montréal, P’tit Belliveau, le nom d’artiste professionnel du troubadour indie folk/ pop rock acadien Jonah Guimond, a laissé entendre qu’il devenait indépendant à 100 % et qu’il serait de retour au Club Soda dans exactement un mois. Il est actuellement signé sur le géant de la musique francophone, Bonsound, mais il y avait aussi des spéculations parmi la foule sur le fait qu’il sortirait un nouvel album après le spectacle. Ce n’est toujours pas le cas.

Quoi qu’il en soit, le spectacle de P’tit Belliveau était une combinaison loufoque de banjo folk rock acadien, d’hyper pop synthétisée, de hip hop et même de nu metal après qu’il ait repris l’hymne de 2000 de Papa Roach, « Last Resort » – qu’il a tué, soit dit en passant.

Avant qu’il ne monte sur scène vers 21h30, nous avons pu voir blesse, une autre bizarrerie indie rock française, puis Peanut Butter Sunday, qui est arrivé vêtu de chemises à flammes Guy Fieri. La musique de chaque premier groupe donnait l’impression d’être dans les années fastes du rock alternatif de 2008 et la foule l’a dévorée.

Lorsque P’tit Belliveau s’est approché de la scène, il portait une cagoule noire, comme un bourreau gobelin satirique. Il affiche un grand sourire et se lance dans l’ouverture bluegrass trippante et vibrante « L’eau entre mes doigts ».

L’énergie de P’tit Belliveau est celle d’un homme ridiculement heureux de jouer sa musique en direct. Son humour, que l’on pourrait qualifier d’insolence de col bleu, a été mis à profit lorsqu’il s’est déchaîné sur le banjo avec son groupe : synthétiseurs, guitare, mandoline, basse funky et batteur à toute épreuve.

Les visuels semblaient avoir été réalisés sur MS Paint, en particulier lors de son tube « J’ai fait de la musique ».
J’aimerais d’avoir un John Deere », qui met en scène des tracteurs pixélisés circulant dans le champ vert classique de Windows. Autre moment fort : les caricatures grossières de P’tit Belliveau dansant autour de lui alors qu’il faisait chanter à la foule les paroles de « Demain ». En fait, ces caricatures ont fait plusieurs apparitions, parfois de manière plus psychédélique, un peu comme les bizarreries du film Being John Malkovich.

P’tit Belliveau connaît sa marque – une combinaison de mèmes Internet, la nostalgie d’une époque plus simple où des sites Web comme Newgrounds, Nexopia et même Neopets régnaient sur le Web à grande vitesse, le tout dirigé par un gars avec qui vous pourriez partager un pack de six tout en parlant de sport ou de la WWE. Combinez cela avec un penchant pour les accroches musicales contagieuses, et un tas de franglais acadien, et vous obtenez un morceau de P’tit Belliveau. Et en concert, c’est tout simplement trop amusant.

La foule s’est également mise en branle et a poussé des cris pendant l’hilarante  » Income Tax « , suivant P’tit alors qu’il chantait qu’il dépensait tout son argent en Taco Bell, WALMART, alcool et cartes d’essence. C’est tellement canadien, drôle et racontable pour tous ceux qui ont vécu de chèque en chèque.

Quelle que soit la raison pour laquelle P’tit Belliveau devient indépendant, il est facile de comprendre pourquoi il a connu un tel succès au cours des cinq dernières années, depuis ses débuts. Il est 100 % authentique et a une base de fans qui le suivra où qu’il aille. Qu’il soit indépendant ou soutenu par une grande maison de disques comme Bonsound.

Молчат Дома – Buck wild coldwave, post-punk & désespoir

par Lyle Hendriks

Vers le milieu du chef-d’œuvre de Michael Mann, Heat (1995), le personnage de Robert DeNiro se retrouve seul dans son superbe appartement-terrasse. Il est vêtu d’un costume noir, boit un verre, entouré d’opulence et de richesse par une sombre nuit d’été. Le verre marbré et les fenêtres du sol au plafond diffusent une lumière bleue éblouissante dans l’espace. C’est beau, serein, et pourtant si clair que le personnage ne pourrait pas être plus éloigné de tout ce qui ressemble au bonheur.

Cette ambiance très particulière est la meilleure façon de décrire l’atmosphère de la performance de Molchat Doma le 2 avril à MTELUS. Beauté, sérénité, tristesse. Enveloppés ensemble, entrelacés, créant quelque chose d’aussi imparfait qu’impératif.

La soirée a commencé par un solide set de Nuovo Testamento, un duo synthétisé, inspiré de la pop des années 80, qui évoquait la glace italienne sur la jetée, alors que le soleil plongeait sous l’horizon. Le ton était donné, avec les percussions serrées et tonitruantes de Giacamo Zatti et les voix puissantes et dignes d’un hymne de Chelsey Crowley.

Les trois membres de Molchat Doma sont arrivés sur scène habillés pour un braquage semi-officiel, ce qui est approprié, car ils ont volé le spectacle. Il y a quelque chose de très spécial à voir plus de 2 000 jeunes crier désespérément pour un homme comme le chanteur Egor Shkutko, habillé comme un homme de main de la mafia biélorusse.

Qualifier le travail de Molchat Doma de « lunatique » serait un euphémisme. Les synthés rétro, les riffs de guitare dérivés de l’emo et les lignes de basse typiques de la coldwave sont réunis pour former des morceaux mélancoliques qui sont à la fois drone et inspirants. Et malgré les voix graves d’Egor, ses intonations dramatiques et le fait qu’il ne chante qu’en russe, il y a quelque chose dans ces chansons qui a l’étrange capacité de nous atteindre et de nous toucher.

Comme beaucoup, j’ai découvert Molchat Doma aux premiers jours de la pandémie avec leur plus grand succès, « Судно ». Amusante mais sérieuse, énergique mais morose, cette chanson m’a toujours donné un sentiment unique d’urgence nihiliste – ce serait mon premier choix si je mettais la main sur les aux dans le véhicule de fuite. Et comme je ne parle pas russe, je l’ai toujours appelée « The Crime-Doing Song ». Cela me semblait être une bonne description jusqu’à ce que je cherche une traduction des paroles. Voici un extrait du refrain, qui a agrémenté d’innombrables TikToks et soirées plus cool que la moyenne au cours des deux dernières années :

Enameled bedpan
Window, bedside table and the bed —
Not cozy at all — hard to live
But it’s cozy to die
And the drops fall from the tap quietly
And life is just a fucking mess
It’s (life) getting outside like from the fog
And sees it — bedside table and the bed

Est-ce que cela ressemble à de la musique qui fait enrager ? Vous ne le pensez peut-être pas, mais les 2 300 jeunes qui se sont déchaînés lors du spectacle de dimanche ne sont pas de cet avis.

L’énergie dans la salle ce soir-là était palpable, comme si chaque personne présente laissait quelque chose de brut et de primitif s’échapper de sa cage en elle, qu’elle ouvre la fosse pendant l’un des breakdowns caractéristiques de Molchat Doma ou qu’elle contribue à l’effet domino en cascade des ados qui surfent sur la foule. Lors d’un moment particulièrement incroyable, une jeune fille a réussi à faire le grand écart au-dessus de la foule de spectateurs, montrant ainsi ce que cette musique peut faire pour ceux qui en ont besoin.

Tout au long de la soirée, je n’ai pas pu m’ôter de la tête l’idée de Heat. L’idée de la tristesse et de la culpabilité polies jusqu’à l’éclat d’un miroir dans un superbe appartement correspond à la production glamour et aux arrangements nostalgiques de Molchat Doma, tous conçus pour véhiculer des messages centraux de désespoir, de nostalgie et de regret. Tout comme le personnage de Robert DeNiro dans Heat, Molchat Doma dégage une intensité tranquille qui donne l’impression de pouvoir passer de la tristesse à la rage à tout moment.

Molchat Doma est une musique pour ceux qui traversent des moments difficiles. Mais contrairement au morceau triste que l’on met après une rupture, c’est une musique triste avec de l’énergie et de l’urgence. Et il n’y a pas de meilleure façon de comprendre la vitalité de cette race spécifique de post-punk coldwave d’Europe de l’Est. La musique de Molchat Doma nous pousse. Elle nous voit. Elle reconnaît une partie de nous qui souhaite désespérément un changement soudain, radical et violent dans nos vies et dans le monde en général.

Texte: Lyle Hendriks
Photos: Stephan Boissonneault

Disco punk italien, shoegaze supersonique et télévangéliste coké

par Max Seaton

Je n’avais pas de grandes attentes pour le concert de Warmduscher au Bar Le Ritz la semaine dernière, parce que c’était un mercredi soir et que la température n’était pas au beau fixe ce jour-là. Une pluie froide a commencé à tomber alors que je me dépêchais de retourner à la salle au crépuscule, me gelant jusqu’aux os et me faisant presque regretter de ne pas avoir quitté la chaleur confortable de mon appartement. Heureusement, je suis arrivé au Ritz, jusqu’ici à moitié plein, quelques instants avant le début de la musique, juste à temps pour m’acheter une bière hors de prix et me trouver une place à l’avant.

Groupe B, le projet solo de Stephen Baird, ex-membre de plusieurs groupes montréalais, dont Double Date With Death et Bland, a commencé la soirée de façon assez explosive, encadré par deux colonnes de lumières violettes qui clignotaient au rythme des chansons, tenant une guitare rose bonbon et portant de grosses lunettes de soleil Pit Viper. La musique se résume à des pistes préenregistrées de synthétiseurs et de boîtes à rythmes qui rappellent immédiatement les bandes originales des films d’horreur italiens Giallo, qui combinent souvent des rythmes disco funky avec des mélodies de synthétiseurs plus sinistres, ainsi que des riffs de guitare plus punk ou même heavy metal. L’éventail des chansons va de ballades épiques et romantiques à des morceaux plus hard rock, style « guitar hero », en passant par des morceaux plus électro-punk. Une chose est sûre, Groupe B a su nous tenir en haleine et j’ai hâte de les revoir en concert.

Après un court entracte durant lequel la salle s’est rapidement remplie, c’était au tour de Boar God de prendre d’assaut les tympans des auditeurs. Actif depuis 2017, ce groupe vétéran de la scène underground montréalaise, qui a toujours su plaire aux amateurs de shoegaze supersonique, n’a une fois de plus pas déçu la foule. Des lignes de guitares complexes, bourrées d’effets et extrêmement bruyantes (c’est probablement pour cette raison que le chanteur et guitariste du groupe, Eric Bent, porte toujours un casque anti-bruit lorsqu’il joue) sont soutenues par des lignes de basse très solides qui se démarquent et percutent l’immense mur de son. La batterie fait un excellent travail en étant tenace et persistante, ce qui permet de se laisser envoûter par les chansons. Le tout est couronné par une magnifique harmonie des voix d’Eric et de la bassiste Sabrina qui rappelle la formation My Bloody Valentine à son apogée. Si vous êtes un fan de Boar God, nouveau ou ancien, je vous recommande vivement le label néo-zélandais Flying Nun, qui, dans les années 1980 et 1990, a conquis le cœur des fans de post-punk avec des groupes comme The Clean, Tall Dwarfs et Bailter Space.

Un Ritz plein à craquer a accueilli avec enthousiasme la tête d’affiche, le groupe londonien Warmduscher, qui était en ville pour sa première tournée nord-américaine. Les membres du groupe sont arrivés sur scène sous une pluie d’applaudissements, tous vêtus de combinaisons bleu foncé arborant le logo « WD » au niveau du cœur. Après seulement quelques secondes de musique, la piste de danse s’enflamme et le reste jusqu’à la dernière note de la soirée. La section rythmique joue un mélange de disco et de funk complètement déjanté tandis que la guitare ajoute une touche énergique de sonorités plus garage. Le synthé, quant à lui, donne une ambiance de film porno des années 70 à petit budget sur lequel le chanteur, Clams Baker Jr, raconte des histoires souvent folles et sordides avec le débit et l’ardeur d’un télévangéliste cokéfié.

Pour le plus grand plaisir des spectateurs excités, le groupe a pu offrir une excellente sélection de son catalogue, dont plusieurs de ses singles, tels que  » Midnight Dipper « ,  » Disco Peanuts « ,  » Fatso « ,  » 1000 Whispers  » et  » Burner  » (qu’ils ont dédié au rappeur Kool Keith qui apparaît sur la version studio de cette chanson).

En somme, une très belle soirée qui m’a surpris et m’a rappelé pourquoi il vaut parfois la peine de sortir et de s’offrir une gueule de bois en plein milieu de la semaine pour prendre un bon bain chaud de culture.

Texte de : Max Seaton
Photos : Stephan Boissonneault

Le monde étrange et magique de King Tuff

par Lyle Hendriks

Au moment où il est monté sur la scène du Bar Le Ritz PDB, il était évident que Kyle Thomas, mieux connu sous le nom de King Tuff, est un mec bizarre.

Le 28 mars, King Tuff était accompagné de Tchotchke, un excellent groupe de rock indépendant originaire de Brooklyn, à New York. Le trio exclusivement féminin a joué avec une énergie fantastique, dont une performance particulièrement forte de la batteuse/chanteuse Anastasia Sanchez qui a porté l’élan de chaque morceau jusqu’à la fin.

Après une courte pause, le King lui-même (accompagné de sa joyeuse troupe) est arrivé sur scène, lançant rapidement le bal avec l’ouverture fantaisiste de son dernier album, « Love Letters to Plants ». Avec ses touches sobres, sa batterie discrète mais compliquée et ses voix imparfaites et percutantes, ce morceau bizarre a donné le ton au reste du set.

Après une petite discussion sur Montréal et ses bagels (y compris le geste controversé de prêter allégeance à Fairmount Bagel), Thomas a poursuivi son programme, jouant principalement des morceaux de son dernier album, Smalltown Stardust. Tout comme l’album lui-même, la prestation montréalaise de King Tuff se résume en un seul mot : confiance.

Il y avait un sentiment d’aisance dans tout ce que jouaient Thomas et son groupe, un sentiment distinct d’humilité soutenu par des décennies de pratique et d’expérience. Alors que Thomas a sans aucun doute les capacités de faire fondre nos visages en un instant, il ne ressent clairement pas le besoin de le prouver avec ces nouvelles chansons, choisissant plutôt d’inclure le strict nécessaire de ce que chaque chanson requiert. Ces titres semblent avoir été conçus pour Kyle Thomas avant tout, et le fait que quelqu’un d’autre veuille les écouter n’est qu’un bonus.

Malgré la maturité et la croissance apparentes de Thomas, il a tout de même eu ses moments, notamment en maudissant un pied de micro branlant et en posant des questions irrévérencieuses au public sur nos options en matière de piscines locales. Pour notre plus grand plaisir, nous en sommes arrivés à un point où même le guitariste de Thomas lui a dit qu’il était un monstre – une déclaration qui n’a été démentie ni par le King ni par ses coéquipiers.

À ce stade, nous pensions tous avoir une idée de l’ambiance étrange de King Tuff. C’est un homme mûr, avec des années d’expérience et les compétences qui vont avec, mais qui conserve une touche de jeunesse dans sa façon de parler et de jouer. Je pensais qu’il allait bientôt terminer, mais il s’est soudain arrêté et a dit qu’il avait oublié quelque chose en coulisses, disparaissant dans la salle arrière.

Après une pause gênante, le batteur de Thomas a haussé les épaules, a rempli le silence et a dirigé le groupe pendant quelques minutes de musique d’ascenseur jazzy. Peu après, King Tuff réapparaît, revêtu d’une robe de sorcier rose et irisée, accompagnée d’un chapeau et de lunettes. Le ton ayant changé brusquement, le groupe s’est lancé dans des chansons plus anciennes et plus lourdes, dont l’impressionnante « Black Moon Spell » et l’emblématique « I Love You Ugly ». Thomas a déchiré, crié et hurlé sur ces derniers morceaux, délivrant l’énergie et l’intensité qu’il avait si gracieusement retenues jusqu’alors.

King Tuff est une vision psychédélique dans une barbe hirsute. Une fourchette de foudre qui frappe où bon lui semble. Un magicien fantasque armé d’une Telecaster et d’un piano Rhodes. King Tuff est un mec bizarre, et on ne peut s’empêcher de l’aimer pour ça.

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