Le sirocco est un courant d’air chaud et vaste que s’échangent l’Afrique du nord et l’Europe du sud. C’est également le symbole dont se sert le violoncelliste sud-africain Abel Selaocoe pour inspirer un esprit d’échanges musicaux entre l’Afrique et l’Europe dans un programme de concert que lui et ses amis du Manchester Collective promènent dans une importante tournée nord-américaine dont Montréal était une étape jeudi dernier. 

L’artiste est aussi solide dans Beethoven et Debussy que dans des arrangements de pièces traditionnelles pan-africaines ou même ses propres compositions. Le concert Sirocco, donné devant une salle Bourgie électrifiée par sa présence scénique très charismatique, laissait un peu de place aux classiques européens (très brefs Haydn, Berio et Hans Abrahamsen, folklores scandinaves), mais en donnait surtout aux sonorités et particularités techniques issues de l’Afrique (Mali, Afrique du Sud). Plus que du crossover, bien que parfois ça y ressemblait un peu, Selaocoe a surtout offert une vision interculturelle de la musique de chambre, où un quatuor de Haydn avait la résonance d’un chant spirituel anti-Apartheid d’Afrique du Sud, et des techniques percussives lancées sur les cordes ou la caisse du violoncelle s’accordaient avec des inflexions vocales surprenantes, même impressionnantes. Le musicien versatile naviguait habilement autant dans des aigus délicats que dans des graves grondants qui faisaient penser à des chants de gorge tibétains. Il faut croire qu’entre l’Afrique et l’Asie de l’est, des traditions millénaires ont réussi à se frayer un chemin culturel permanent. 

Selaocoe et les musiciens du Manchester Collective (deux violons, un alto, un percussionniste et une basse électrique) ont insufflé une énergie contagieuse qui leur a valu une longue et chaleureuse ovation. Les puristes d’un autre temps auraient détesté ce genre de programme, et pourtant, Selaocoe est porteur d’un nouvel avenir pour la musique classique et son message de renouveau interculturel rejoint manifestement un public nombreux et surtout pas mal jeune. 

Photos : Abel Selaocoe et le Manchester Collective crédit Anna Kaiava

alt-rock / indie / indie folk / jazz

Anti Jazz Police Festival – Jour 4

par Frédéric Cardin

Puisque toute chose, même la meilleure, doit avoir une fin, la quatrième et dernière soirée de l’Anti Jazz Police Festival chez Ursa, avait lieu hier dans une atmosphère de satisfaction complète. La petite salle de l’Avenue du Parc était bondée d’un public bigarré, heureux, attentif, multilingue et chaleureux. Totalement Mile-End-ien quoi.

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

Cette ultime séance de bonheur musical a débuté avec les rêves martiens de la harpiste Sarah Pagé, qui nous présentait du matériel qui se retrouvera sur son prochain album intitulé Utopia Planitia. La grande plaine visitée récemment par un rover de la NASA a donc servi d’inspiration lévitante pour l’évocation de paysages étranges, sur lesquels des nappes d’arpèges et d’échos éthérés venaient apporter une touche de couleur plus terrestre. La saxophoniste Charlotte Greve suivait et nous a elle aussi grandement séduit avec son minimalisme symbolique, tendance spirituelle, sur lequel elle déploie de fort belles lignes vocales flottantes et inspirantes. Le ténor de Greve s’exprime avec une très belle rondeur qui nous fait penser à Garbarek chez ECM. Quelque part au ⅔ de la perfo, le rythme s’est activé pour donner une finition plus pop à l’ensemble, auquel l’excellente Sarah Rossy est venue apporter sa propre touche. Progression dynamique et stylistique impeccable qui dressait la table pour le deuxième acte de la soirée. 

Celui-ci s’est présenté sous le nom d’Oren Bloedown, chanteur, guitariste et bassiste new yorkais, qu’on a connu pour Elysian Fields, mais aussi avec les Lounge Lizards, Bruce Springsteen, Meshell Ndegeocello… Le type connaît bien le genre Ursa : il possède et gère habilement The Owl Music Parlor, petite place hyper chouette pour soutenir la bonne musique locale à Brooklyn. Bloedown fait dans le jazz côté rock, pop, blues, un peu R’n’B. Des riffs efficaces et une musique pleine et entière maîtrisée par ses amis du moment, Rémi-Jean Leblanc à la basse et Samuel Joly à la batterie, superbes. Martha, toujours là, est venue nous donner son habituelle chanson… Attendez, non : deux! Quel honneur, mais c’était la finale, alors, un petit cadeau boni de finition est bien compréhensible. Joel Zifkin au violon puis Charlotte Greve sont venus en ajouter une couche non négligeable de couleurs complémentaires. Le feeling était super bon, et la soirée n’en était qu’à la moitié.

L’avant-dernier set de cette conclusion événementielle était tenu par Unessential Oils, toute nouvelle incarnation de Warren Spicer (Plants and Animal). À ses côtés, Tommy Crane, Sergio D’Isanto et Claire Devlin entre autres. Unessential Oils, c’est rien que du bon groove feel good, dynamique mais pas précipité, de caractère solaire et qui verse dans une très belle plénitude sonore, enveloppante d’émotions. Les lignes lyriques, presque chorales, de Devlin au saxo sont comme des envolées qui nous entraînent avec elles. Ce qu’on a entendu sera dispo sur le premier album du band, éponyme, en vente le 24 mai prochain. Réservez votre copie tout de suite!

La grande finale du Montreal Anti-Jazz Police Festival semble avoir été pensée pour les ‘’Polices du Jazz’’, les snobs et puristes, à qui peu de fleurs ont été lancées dans ces quatre jours de musique très très élargie, de cœur et de style. En effet, le duo Concurrence, de Nashville, formé de Paul Horton au piano (Alabama Shakes) et Greg Bryant à la basse (additionné de Tommy Crane à la batterie) nous a offert le set le plus ‘’authentiquement’’ jazz de tout le festival. Et quelle belle heure et quelque ce fut! Du très très haut niveau d’impro, d’écoute mutuelle, de versatilité rythmique et de qualité technique. Des compos originales fortement teintées de commentaire social et quelques standards/hommages bien lancés comme ce Now’s the Time de Bird, complètement et brillamment réinventé. 

Une finition parfaite qui va pérenniser dans les esprits des mélomanes l’image d’un événement d’une très grande qualité, malgré son côté bon enfant et un peu spontané, ce qui, en vérité, est exactement la raison de son succès (car j’affirme que c’est un succès). Le DIY montréalais dans toute sa splendeur et son honnêteté, même parfois ses erreurs. Toutes les personnes présentes, un panorama de ce qu’il y a de beau et de diversifié dans cette métropole, ont ressenti viscéralement l’atmosphère amicale, voire familiale, de ce festival. Bravo. 

Aucune promesse n’a été faite sur une potentielle deuxième édition. On l’espère fort, fort, fort bien sûr. Mais, au cas, on va s’accrocher à ces superbes souvenirs.

Merci Martha, merci Tommy Crane, merci l’équipe du Ursa et merci au public, nombreux et enthousiaste. Mission accomplie.

jazz / jazz contemporain / jazz de chambre / jazz moderne

Les Supersaxes de l’ONJM

par Varun Swarup

Je trouve qu’une des caractéristiques d’une performance de jazz exceptionnelle se manifeste souvent lorsque le public peine à contenir son applaudissement, et de tels moments étaient nombreux lors de l’événement d’hier soir. L’Orchestre national de jazz de Montréal (ONJM) a présenté un spectacle mémorable et intimiste, exploitant leur redoutable section de saxophones pour livrer un répertoire captivant comprenant à la fois des classiques bien-aimés tels que « Stolen Moments », « Night in Tunisia » et « Infant Eyes », ainsi que des originaux évocateurs, comme le poignant hommage de Jean-Pierre Zanella à son regretté technicien de saxophone.

Les saxophonistes de l’ensemble, Jean-Pierre Zanella, André Leroux, Samuel Blais, Frank Lozano et Alexandre Côté, ont fait preuve d’une précision remarquable dans leurs lignes unisson, devenant efficacement une seule voix, et lors de leurs solos, permettant à leurs styles de jeu uniques de briller. Inutile de dire que la section rythmique, avec Marianne Trudel au piano, Rémi-Jean LeBlanc à la contrebasse et Kevin Warren à la batterie, a fait preuve d’une cohésion exemplaire. L’interaction nuancée et la chimie musicale entre ces musiciens étaient particulièrement évidentes dans cette configuration plus épurée de l’orchestre, permettant une meilleure appréciation de leur art collectif.

Le jeu dynamique et passionné du batteur Kevin Warren était une caractéristique marquante, entraînant constamment le groupe avec précision et élan. Sa maîtrise à créer le cadre du succès de l’ensemble était indéniable, contribuant de manière significative à l’énergie globale et à l’impact de la performance. De plus, l’inclusion de musiciens invités, le tromboniste David Grott et Lex French, a ajouté une profondeur et une diversité supplémentaires aux offrandes musicales de la soirée, ce dernier offrant notamment une interprétation particulièrement émouvante de Lover Man en duo avec Marianne Trudel.

La performance exceptionnelle de l’ONJM a suscité deux ovations debout bien méritées, servant de rappel poignant de l’héritage durable de l’ensemble en tant qu’institution chère à Montréal. Avec plus d’une décennie d’excellence inébranlable, l’orchestre continue de captiver les auditoires avec leur art exceptionnel et leur dévouement à la tradition du jazz, laissant une impression durable à tous ceux qui ont le privilège de vivre leur musique.

avant-garde / avant-rock / expérimental / improvisation libre / indie rock / jazz / jazz contemporain / post-rock

Anti-Jazz Police Festival – Jour 3

par Frédéric Cardin

Troisième journée de l’Anti-Jazz Police Festival chez Ursa, hier. On en ressort moins satisfait que les soirées précédentes, pas tant pour des raisons de qualité musicale, mais plutôt de cohérence d’ensemble et de préparation dues à des absences de dernière minute. J’y reviendrai. Cela dit, ce ne fut pas dépourvu de moments assez extatiques merci.

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

C’est l’excellence artistique du bassiste Rémi-Jean Leblanc qui a lancé ce troisième opus du nouveau festival. Ce dernier, en grande forme et soutenu par Jonathan Cayer aux claviers, Nicolas Perron à la guitare, Kevin Warren à la batterie, nous a entraîné dans des aventures sonores tendance rock, tant prog que post dans certains détails rythmico-harmoniques, ou encore fusion genre McLaughlin ailleurs. Aussi, invités à la fête stylistique, quelques déhanchements funk et même une courte extravagance que j’ai ressentie comme un clin d’œil punk. Par-dessus tout cela, Erika Angell, magistrale, s’est permise une série d’élans vocaux comme elle sait les propulser, à la fois modernes, étonnants et lyriques. Ça commençait bien, devant une salle plus clairsemée que les soirs d’avant. Dommage, car RJ Leblanc est l’un des grands musiciens de sa génération.

Bellbird au Ursa – crédit photo : Pierre Langlois

Le deuxième acte de ce Jour 3 nous a montré les surprenantes velléités expérimentales de Liam O’Neil (de Suuns) à la batterie (et autres percus). Liam a manifestement été appelé à la dernière seconde pour couvrir celui qui devait être là, Parker Shper (malade?). Voilà qui explique probablement le set très court, et peut-être aussi (mais comment?) le fait qu’il a débuté quelque part en même temps que le soundcheck se terminait. La frontière entre les deux s’étant révélée inexistante, et surtout très imprécise, la performance était déjà peut-être à moitié terminée quand nous avons réalisé qu’il jouait pour vrai! On s’est senti un peu largués. On se souviendra tout de même que O’Neil crée des coloris inédits en tapochant de toutes les manières ses outils, et qu’il ose même le faire avec un micro, grâce auquel il recueille les résonances créées pour créer des feedback qu’il transforme live en autant de nouvelles couleurs et atmosphères. De l’avant-garde de haut niveau.

Suivait, lors de ce même deuxième acte, le quartette montréalais de jazz moderne/free jazz/musique contemporaine savante/minimalisme étatsunien, Bellbird. J’avais hâte de les entendre live. Ce fut malheureusement un trio qui se présenta, la saxophoniste (spectaculaire) Allison Burik étant restée cloîtrée à la maison pour maladie. Una utre absence. Ça arrive, bien sûr, et on ne leur en voudra pas (ni au festival bien entendu), mais le résultat, bien qu’excellent, n’atteignait pas les hauts niveaux polyphoniques constatés ailleurs, et aussi dans leur album Root in Tandem, sorti en 2023 (lisez ma critique ICI). Chapeau quand même à Claire (Devlin) au saxo ténor, Eli (Davidovici) à la contrebasse et Mili (Hong) à la batterie, pour avoir assuré autant que possible, et pour nous avoir donné un set de qualité qui ferait l’envie, même diminué, de n’importe quel autre band. 

Simon Angell au Ursa – crédit photo : Pierre Langlois

Le troisième acte était réservé à un duo qu’on espérait depuis longtemps, celui de Simon Angell à la guitare (et multiples tripatouillages) et de Tommy Crane à la batterie. On nous avait promis des invités et, après une belle lancée en duo, faites d’espiègleries atonales, d’abstractions contemplatives et de poussées d’énergie rythmiques réjouissantes, Greg Bryant de Concurrence (en spectacle ce soir pour le Jour 4) est arrivé sur scène avec sa basse ronronnante. Soudainement, tout le set a été comme pimpé. Puis, l’autre mec de Concurence, le pianiste Paul Horton, vient en rajouter un couche. Le type pianote bien, oui, mais il joue aussi du mélodica en même temps! Ayoye. Là, ça décoche solide et la salle est soulevée par une énergie foudroyante et dopée par une adrénaline explosive. Mais attendez, ce n’était pas fini : comme sur un coups de tête, le saxophoniste David Binney et la chanteuse Sarah Rossy viennent transformer ce trip à quatre en orgie extatique à six. Ça ne dure pas assez longtemps, mais on est tout de même bien repus. 

Une soirée inégale, certes, mais qui se termine dans une très grande satisfaction. Si l’important est de bien commencer et de bien finir, ce Jour 3 a prouvé que l’Anti Jazz Police festival sait très bien enligner les vraies priorités. 

À ce soir pour la finale.

DÉTAILS, PROGRAMMATION ET BILLETS DISPONIBLES SUR LE SITE DU FESTIVAL

alt-folk / alt-pop / dream-pop / indie folk / jazz / post-rock

Anti-Jazz Police Festival – Jour 2

par Frédéric Cardin

Deuxième jour (plutôt soir) du plus récent festival musical montréalais, même résultat, ou presque. Encore une fois, trois actes bien campés et complémentaires s’enchaînent agréablement au Ursa, sur l’Avenue du Parc. 

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

Martha Wainwright, en guise d’intro, chante une chanson avant de laisser la place au folk-pop apaisant, doux et mélodique de la harpiste/chanteuse Émilie Kahn (ex Emilie & Ogden), en duo avec Thanya Iyer sur son synthé ouaté (Reface CS de Yamaha pour les techno-curieux). On s’installe calmement afin de tenir jusqu’à dépassé minuit. Si on le souhaite bien sûr! Car on arrive et on part quand on veut dans ce festival. Puis, vient le quintette de Ivy Boxall (Christopher Edmonson de son vrai nom), qui joue du clavier et du sax. Piano, basse/guitare, trompette et batterie y sont associés dans un panorama sonore expansif, tendance épique entrecoupée de pauses atmosphériques plus calmes. En termes de technique musicale, c’est très bon. L’ensemble a de toute évidence un excellent potentiel, et il peut bâtir quelque chose de solide. Cela dit, je doit donner une mauvaise note pour l’attitude scénique du leader, qui semblait rarement satisfait de ce qu’il faisait et coupait court à des idées en annonçant que le produit ‘’n’est pas encore prêt’’, et qu’il s’agit d’un ‘’work in progress’’. Malaise. Si tu n’es pas prêt mon pit, faut revoir ta méthode de travail. Les mélomanes n’ont pas acheté des billets pour venir voir une répète (à moins que ce ne soit annoncé comme tel!). Ou bien tu fais avec, tu improvises une finition correcte et tu ne passes pas ton set à bouder et à nous le faire sentir. On appelle ça du professionnalisme. Mais, je le redis, le potentiel est grand et ne reste qu’à être mieux présenté.

Le deuxième acte présente d’abord la Brooklynoise Claire Dickson, qui dévoile une dream-pop trempée dans l’étrangeté et assaisonnée d’alt-folk expérimental. Claire chante avec un belle voix dont on devine à peine l’étendue des possibilités car elle l’utilise généralement dans des lignes soupirées, sussurées et chuchotées qu’elle s’empresse de triturer, d’étirer et de charcuter de toutes les manières grâce à sa lutherie numérique. Quelques petits problèmes avec la logistique de son appareillage ont fait grincer des dents mon amie Monique Savoie (de la SAT), qui était présente et qui en sait quelque chose sur ce domaine. Pour ma part, j’ai assez aimé. L’autre artiste au programme de ce set de 20h30 était Sarah Rossy. Sarah a chanté la veille, en duo avec Eugénie Jobin, et c’était superbe. Cette fois, toute l’attention était sur elle (et ses musiciens, tous excellents), et on comprend très bien pourquoi elle est considérée comme un des étoiles montantes de la scène alt/indie. La jeune montréalaise décoche tout un punch émotionnel grâce à une voix versatile et malléable, en plus d’être belle et tonalement assurée. Mais c’est surtout comment elle l’utilise et la musique qui la soutient, qui épatent. Ses compositions nous ramènent à des esthétiques-sources aussi riches que Zappa, Radiohead, Björk et peut-être même (ai-je rêvé?) Prince, occasionnellement. Je garroche des noms, pour vous donner une idée, mais le produit Sarah Rossy est bien plus que ça. Elle a une forte personnalité musicale, et une belle transparence psychologique qui lui donne un charme irrésistible sur scène. Son ascension ne fait que commencer, croyez-moi.

Ce deuxième jour de festivités se conclut avec le 3e acte, celui de 23h – ish assuré par le quartette Little Animal (pedal steel, basse, batterie, trompette). Puissance sensorielle, constructions musicales lentes mais irrémédiables et sommets cathartiques bibliques nous font hésiter pour les décrire : Post-Rock aux couleurs Jazz ou Jazz aux accents Post-Rock? Peu importe, c’est assez tripant et c’est très contemporain, façon Bad Plus, mais viscéralement montréalais. J’ai dis quartette, mais hier, il y avait quintette, car aux côtés de Tommy (Crane), Joe (Grass), Morgan (Moore) et Lex (French), nous avons eu le bonheur de retrouver David (Binney) au sax, qui a ajouté sa touche de flamboyance tourbillonnante à cet ensemble déjà assez relevé. Binney passe la semaine à Montréal, pour le festival mais aussi en raison du lancement de son album In The Arms Of Light (lisez ma critique ICI), qui aura lieu au bar O Patro Vys le samedi 30 mars. 

Rendez-vous pour le Jour 3, jeudi (quoi? C’est déjà aujourd’hui!). Au programme : Rémi-Jean Leblanc à 17h30, Bellbird et Parker Shper à 20h30, puis Tommy Crane et Simon Angell avec invités (surprises). Et comme toujours, l’ambiance incomparable du Ursa, une toune de Martha, et sa cuisine maison faite avec amour. 

À tantôt.

DÉTAILS, PROGRAMMATION ET BILLETS DISPONIBLES SUR LE SITE DU FESTIVAL

indie / indie pop / nusoul

La mélancolie contagieuse et festive d’Arlo Parks au Beanfield.

par Luc Tremblay

La Britannique Arlo Parks s’est retrouvée devant un Théâtre Beanfield (autrefois Corona) plein à craquer.

Montréal découvre Arlo Parks sur scène, 23 ans, fragile, mélancolique parfois, touchante toujours, festive et rockeuse quand, en fin de show, elle s’accroche la guitare au cou et jamme avec un plaisir contagieux avec l’excellent trio qui l’accompagne, portée par le groove précis, irrésistible, de sa section rythmique.

Quand elle interprète Cola, la chanson qui l’a révélée en 2018, le Beanfield devient chorale et entonne I loved you to death and now I don’t really care.

Parks a grandi à Londres, mais ses racines nigérianes, tchadiennes, creusent aussi un sillon côté français, sa mère étant parisienne. La richesse de ses origines et de ses influences, expliquent la profondeur de sa création. On cherchera à la catégoriser indie-pop, néo-soul, sa palette est plus large; elle découvre King Krule à 13 ans, s’inspire de Hendrix, Bowie et Sufjan Stevens. En cours de show, elle salue au passage Radiohead, la filiation s’entend. 

La poétesse explore les blessures de l’enfance, celles de l’amour brisé. Et les dangers de la vulnérabilité; dans Devotion, on tremble quand elle chante sur fond de guitare acérée: “Your eyes destroying me, I’m wide open, all yours baby, flood me with your nervous love”. Les méprises sentimentales y passent aussi, vous connaissez peut-être Eugene. Non? Remédiez-y rapidement.

Parks s’émeut de ce premier concert à guichets fermés en Amérique, on ne se surprendra pas que cet arrêt du Soft Machine American Tour soit le début d’une histoire d’amour entre elle et MTL. Ce ne serait pas la première fois que les mélomanes d’ici auraient créé une relation profonde et durable avec des artistes britanniques novateurs. 

Précédée en première partie par une Chloé George à fleur de peau, craquante et inspirée, Arlo Parks offre en 75 minutes une prestation dont on sort ému. Sa poésie nous éloigne-t-elle de la lourdeur de l’époque? Elle en est tout près, plutôt, de cette lourdeur, si près qu’elle ne nous laisse plus à voir et sentir qu’une profonde humanité. On sort du Beanfiled l’esprit léger. 

alt-folk / ambient / americana / avant-folk / free jazz / indie / indie folk / jazz / musique contemporaine

Anti-Jazz Police Festival chez URSA – Jour 1

par Frédéric Cardin

On nous a promis un festival sans oeillères et réfractaire au purisme coincé de la ‘’Police du jazz’’ (les snobs du genre). Chose promise, chose due. Le premier soir de la première édition du nouveau festival de jazz  »élargi » fondé par Martha Wainwright, avec l’aide inestimable du batteur Tommy Crane et de toute l’équipe du Ursa, est assurément un succès qui rendra les mélomanes heureux et confiants. 

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

La soirée, comme toutes les autres à venir, se déroule en trois actes. Un premier concert vers 17h30 (approx, car on est dans la fluidité du ressenti ici. Pas de chronomètre…), un deuxième vers 20h30, et un troisième à 23h. Trois actes, donc, et trois univers dissemblables dont le deuxième seulement peut être relié assez directement au monde du jazz.

Ça commence avec Edwin de Goeij, qui lance les festivités en grande douceur, avec une musique instru planante et soutenue par un assemblage à la fois lo-fi (fond sonore généré par cassette 4 pistes, comme on disait ‘’dans le temps’’) et hi-fi avec un appareillage synthétique moderne. Au-dessus de tout cela, flotte un clavier aux accents cosmiques. Ambiance néo-kitsch sans grande surprise, mais très agréable. Après cette intro chill, Erika Angell se présente et reprend une partie de ce qu’elle nous avait offert lors du lancement de son album The Obsession with Her Voice au Ausgang Plaza il y deux semaines. Face au nuage interstellaire sommes toutes assez placide de de Goeij, la musique d’Erika est une nébuleuse sonore extra dimensionnelle fascinante. L’originalité perçue à l’écoute de l’album et du spectacle de lancement se confirme sans aucun doute possible. Voici une proposition d’une unicité et d’une audace artistique férocement nouvelles et impressionnantes qui mérite de faire le tour du monde de la musique indie la plus avancée de notre époque.

La pause arrive, ce qui nous permet de commander des tacos faits et servis par Martha Wainwright elle-même! Si vous avez envie de vivre cette expérience, il vous reste trois soirs! Le deuxième concert sera celui du saxophoniste californien David Binney, un ovni musical qui peut allier fulgurances avant-gardistes avec lévitations musakiennes ou post-bop bien cadré. Après une intro avec Martha à la guitare (elle a promis de chanter l’une de ses chansons chaque soir, fa que, soyez là pour les prochains), Binney se met en marche dans un quartette musclé : l’accompagnent une contrebasse (Morgan Moore, épatant de virtuosité) et deux… drumsets! Oui, DEUX batteries, l’une tenue par Tommy Crane et l’autre par Andrew Barr. Le groove, totalement acoustique mais qui garroche de la puissance au décibel carré comme ça ne se peut pas, est tout simplement emballant. On est subjugué et emporté par cette force sonore sur laquelle Biney s’échappe à qui mieux mieux dans des envolées stratosphériques ‘’free’’ et excitantes. Quelques pauses plus calmes équilibrent un show (séparé en deux ‘’sets’’) mémorable qui restera gravé. OMG, that was some seriously good shit!

23h arrive et nous sommes prêts à poursuivre l’aventure, bien que le popotin ronchonne un peu (les bancs et les chaises sont un peu ‘’hard’’ pour des séances aussi prolongées, seul bémol à relever dans cette première impression, autrement excellente). Cette fois, on revient à des sentiments moins exaltés, avec un trio étonnant : deux très belles voix (Sarah Rossy et Eugénie Jobin) avec batterie/percussions (Aaron Dolman). On se retrouve plongé dans un post/avant-folk aux douceurs fantomatiques et aux lignes mélodiques inattendues, parfois presque atonales. On pourrait imaginer les Soeurs Boulay chantant du Schoenberg! Le choix était bien pensé car cette première soirée se termine dans un calme, une sérénité et une nourriture intellectuelle/émotionnelle qui nous rassasient, juste ce qu’il faut pour attendre la deuxième soirée. 

Exception faite de David Binney, tout le monde présent hier est Montréalais. C’est fou non, la qualité disponible dans cette ville?

Je parle ici d’un succès qualitatif, mais il faut noter également le succès quantitatif de cette première soirée. La salle était pleine, de remplie à bondée serrée, pour chaque concert! Voilà qui est très encourageant. 

DÉTAILS, PROGRAMMATION ET BILLETS DISPONIBLES SUR LE SITE DU FESTIVAL

baroque

Opéra McGill interprète Semele : Une soirée ambitieuse chez les dieux

par Elena Mandolini

Opéra McGill, après avoir présenté Cendrillon plus tôt cette année, s’attaque cette fin de semaine à une grand œuvre du répertoire baroque : Semele de Georg Frederic Handel. L’orchestre baroque de McGill ainsi que Cappella Antica se sont joints à la distribution pour offrir une belle soirée sous le signe du mystère de la mythologie.

L’ouverture instrumentale de l’opéra est assez longue, ce qui laisse amplement le temps à l’orchestre de briller. Sous la direction de Dorian Bandy, l’orchestre semble solide et puissant. Les nuances sont judicieusement exécutées et on sent le mouvement dans la musique. Le public est d’emblée transporté dans un monde peuplé par les dieux de la mythologie romaine. En effet, l’opéra raconte l’histoire de Sémélé, qui éprouve des doutes quant à son union future avec Athamas. Avant que la cérémonie nuptiale ne puisse être complétée, Sémélé se fait enlever et emmener au palais de Jupiter, le roi des dieux. Là, son seul regret est de ne pas être immortelle.

La mise en scène est simple, presque minimaliste, mais tout de même efficace. Des changements de couleur d’éclairage signalent les changements de lieux. Cela dit, les décors (des colonnes triangulaires rotatives) ne permettent pas beaucoup d’interaction des interprètes avec les décors. Les mouvements sont donc limités et semblent parfois répétitifs. On comprend que la Salle Pollack, dans laquelle est présenté l’opéra, est relativement petite et impose des limites quant à l’espace disponible pour imaginer des décors. Les costumes, en particulier ceux des dieux, sont magnifiques. On voit qu’il y a eu un souci d’évoquer à la fois la forme mortelle et immortelle de ces personnages.

Les qualités vocales des chanteuses et chanteurs sont remarquables. On assiste à des airs touchants et émouvants, en particulier ceux de Sémélé et Jupiter (interprétés samedi soir par Marissa Lake et Pétur Úlfarsson, respectivement). Tous les interprètes livrent une performance convaincante et solide. Le chœur également est remarquable, avec leur performance d’une grande unité. La balance des voix est excellente et on apprécie beaucoup. Quelques chorégraphies sont intégrées aux numéros de chœurs, celles-ci étant discrètes, mais ajoutant un dynamisme bienvenu à l’œuvre. La diction est impeccable et on discerne très bien les paroles, qui sont également projetées en anglais et en français au-dessus de la scène, comme en veut l’usage.

Règle générale, l’équilibre entre les interprètes sur scène et l’orchestre est adéquat, mais n’est pas sans failles. On remarque quelques problèmes de justesse du côté de l’orchestre, ainsi que des moments où chanteurs et instrumentistes semblent s’égarer et ne sont plus ensemble, en particulier dans des passages plus touffus. Monter Semele était un choix ambitieux, puisqu’il s’agit d’une œuvre complexe, autant instrumentalement que vocalement. On admire la capacité de ces étudiant.e.s à relever, généralement très bien, le défi, mais cela n’est pas sans certains bémols.

Les réussites de cette interprétation de Semele ne sont pas pour autant éclipsées par certains petits éléments négatifs. On salue encore une fois le grand talent des étudiant.e.s de l’Université McGill et leur capacité à relever d’ambitieux défis encore et encore.

Pour connaître toute la programmation de l’École de musique Schulich, c’est ICI!

Crédit photo : Stephanie Sedlbauer

musique contemporaine

Semaine du Neuf | La puissance de l’orgue et du vent

par Elena Mandolini

Pour cette avant-dernière journée de la deuxième édition de la Semaine du Neuf présentée par Le Vivier, le public était invité à l’église Ascension of Our Lord pour un concert hors du commun : une improvisation composée pour orgue contrôlé par ordinateur. L’œuvre présentée, L’être contre le vent du compositeur allemand Matthias Krüger était présentée dans le cadre de sa sortie de résidence. Bien que principalement une improvisation, cette pièce se construit à partir du désir d’explorer les potentiels sonores de l’orgue. Sachant qu’il n’y a presque rien qu’un orgue seul ne peut pas faire, imaginez ce qui en est lorsque l’on y ajoute un ordinateur! Les possibilités sont maintenant réellement infinies.

La pièce s’ouvre sur un grondement des notes graves de l’orgue, dans lesquelles on entend, justement, le vent. Cette introduction va jusqu’à faire trembler le sol de l’église. C’est une excellente entrée en matière. Dès le départ, on sent à quel point l’orgue est puissant, imposant, monumental. On entend l’architecture de la musique dans cette œuvre : l’organiste, Adrian Foster, joue et répète des accords, alors que Matthias Krüger, à l’aide de son dispositif électronique, modifie les sons. En plus des sons acoustiques de l’orgue sont ajoutés des bruits purement électroniques, qui rappellent des grincements de métal, des cloches et des sirènes.

Le lieu apporte beaucoup à l’appréciation de l’œuvre. Chose certaine, les conditions d’écoute dans lesquelles était plongé le public sont rares. Comme c’est la coutume dans les concerts d’orgue, le public ne voit pas les instrumentistes. On pouvait donc admirer l’architecture de l’église, qui était plongée dans la pénombre. Par la réverbération du son sur la pierre, on venait à avoir l’impression que le son de l’orgue venait de partout et nous entourait. L’effet est saisissant, un peu inquiétant même, mais on se laisse très volontiers transporter et émouvoir.

Les différentes sections de l’œuvre, d’intensité variable, s’enchaînent presque imperceptiblement pour peindre autant d’images. La musique créée est très évocatrice. Par moments, on se croirait sous l’eau, et tantôt on a l’impression de se trouver dans une forêt scintillante. Et bien sûr, le vent n’est jamais bien loin.

L’être contre le vent est une œuvre touchante, troublante même, qui nous transporte et nous englobe. Malgré quelques longueurs dans les accords répétés, le public est en constant mouvement à travers l’œuvre et les sonorités changeantes. Une belle réussite!

Pour connaître les prochains événements présentés par Le Vivier, c’est ICI!

classique moderne / expérimental / contemporain

Semaine du Neuf | Sturm und Klang

par Varun Swarup

La Semaine du Neuf, une initiative par Le Vivier qui est de retour pour sa deuxième édition, a continué ce soir avec une autre performance par l’ensemble Between Feathers, composé de Laure-Catherine Beyers à la voix, Audrey G. Perreault aux flûtes, Hannes Schöggl à la percussion, et Maria Mogas Gensana à l’accordéon. 

C’était au cœur du bâtiment Elizabeth Wirth de l’École Schulich de Musique de l’Université McGill, dans sa grande salle multimédia souterraine, que l’ensemble a interprété une sélection de musique par divers compositeurs.rices en provenance de plusieurs pays à travers le monde pour un concert intitulé Sturm und Klang, ou “tempête et son” en allemand.

Le concert a ouvert avec un seul coup brusque des brosses d’une caisse claire. La composition, “(des)en)canto” de Pedro Berardinelli, procède en devenant une espèce de trame sonore d’une soirée dans un restaurant d’un autre monde; les notes basses de l’accordéon jouaient comme des chaises raclant au plancher, deux bols percussifs frappaient et frottaient ensemble, et par-dessus, de la technique étendue des autres musiciennes comme le “slap tongue” — un effet percussif — de la flûte basse, et la voix qui chante à travers la caisse claire, parmi d’autres effets intéressants.

Pour continuer avec “La Somme des Chiffres 1+2” de Tanja Brueggemann, l’ensemble équipé des lampes frontales clignotantes a été plongé dans le sombre et aux ténèbres de la composition. Il y avait des sons presque comme de la pluie qui jouaient en 3D par les soixante-dix enceintes autour de la salle, lorsque les musicien.ne.s jouaient une ambiance qui évoquait des vagues de la mer sous un bateau dans la nuit, avec des notes de voix qui perçaient l’air comme des chants de sirène à travers la brume. L’énorme écran du projecteur qui pendait dessus comme une grosse voile renforçait  l’image, et même quand ils se sont assis à une table autour d’un seul verre illuminé, on aurait pu dire un souper tendu dans la cabine du bateau. 

Les autres compositions ont profité des techniques similaires, avec l’addition des projections pour les compositions “Mâ‘lesh I – leurs étreintes bouleverseraient la mer” de Nour Symon qui suivait deux coups de pinceau d’encre noir et multicolore sur une toile défilante qui correspondaient à la flûte et à l’accordéon, respectivement; et “Essay I: Mater” de Lisa R. Coons, où une voix parlait au-dessus d’une photo de plusieurs morceaux de papier avec des réflexions personnelles, des instructions musicales, et des dessins, sur une table décorée des os et des fleurs. Ce deuxième a réussi en capturant l’effort pour définir son métier en tant qu’artist.e et les pensées incessantes de doute qui l’accompagne, mais les projections, surtout la deuxième avec son montage qui zoomait et qui changeait de couleurs pêle-mêle, restaient dynamiques mais ont perdu leur nouveauté avant la fin. 

Les pièces “La forma delle conchiglie” de Lorenzo Troiani et “about, away – Création” de James O’Callaghan, avaient aussi des points forts avec l’ajout des moments presque opératiques, rendu encore plus captivant par la grandeur de la salle. Ces deux, avec l’emploi d’effets de lumière et techniques alternatives, étaient aussi dramatiques et cinématographiques que les compositions de Bernardinelli et Brueggemann.  
En tout, les musicien.ne.s ont démontré un contrôle supérieur de ces matériaux difficiles et un niveau de performance de haute gamme. Leur synchronicité et dévouement à la musique a bien rendu justice à ces compositions et au nom de cette soirée de nouvelle musique diversifiée et dynamique, Sturm und Klang.

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Collectif9 : héro musical pour tous

par Frédéric Cardin

L’ensemble collectif9 appuyé de deux compositeurs/vidéastes (Myriam Boucher et Pierre-Luc Lecours) donnaient, vendredi soir 15 mars, la première nord-américaine de Héros, œuvre créée en 2020 en France, mais qui n’a jamais pu voyager depuis en raison de la crise pandémique. Il s’agissait en quelque sorte d’une deuxième Première pour cette pièce en cinq mouvements, écrite pour les neuf instrumentistes de l’ensemble (4 violons, 2 altos, 2 violoncelles et 1 contrebasse) et deux vidéastes live

Le processus de création musicale est bien expliqué par Thibault Bertin-Maghit, fondateur et directeur général/artistique de collectif9, dans l’entrevue qu’il m’a accordée et que je vous encourage écouter ici : 

Je ferai tout de même un court résumé : à partir de la musique de Beethoven (2020 constituait le 250e anniversaire de sa naissance), Boucher et Lecours, habitués à travailler dans l’électronique, ont tissé une trame musicale numérique ou Beethoven devient difficilement reconnaissable, trame qu’ils ont par la suite retranscrite pour l’ensemble acoustique montréalais!

De l’acoustique au numérique puis à l’acoustique de nouveau, la démarche plutôt originale promettait quelque moments étonnants. En vérité ce ne fut pas le cas, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas bon. C’est seulement que je m’attendais à des passages instrumentaux techniquement très virtuoses et spectaculairement dessinés avec un pointillisme millimétrique. J’imaginais quelque chose de peut-être expérimental.

Héros se drape plutôt d’habits hyper séduisants de l’ordre du minimalisme répétitif étatsunien. Les cinq mouvements se développent dans une alternance lent-rapide-lent-rapide avec un finale mixte. L’effet d’ensemble est bien plus ‘’agréable’’ que la prémisse d’origine le laisse entendre, et aboutit à un produit dont le potentiel ‘’exportable’’ de tournée hors des cercles habituels de la musique de création est très intéressant.

Les projections vidéo animées en direct par Boucher et Lecours vont et viennent entre l’abstraction et les scènes naturelles (beaucoup d’oiseaux) filtrées par des effets de transparence et de changements chromatiques. Le rapport de Beethoven à la nature est probablement ce qui nous rappelle le plus à sa présence en filigrane car on cherche en vain quelque référence mélodique au compositeur (sinon quelques accords ici et là). De toute façon, l’intérêt ne se situe pas dans le fait de retrouver des citations connues, mais plutôt dans le voyage sensoriel, audio-visuel, qui est proposé. 

Le quatrième mouvement m’est apparu le plus excitant et absorbant. Sur fond de bandes verticales faites de traits plus ou moins larges et déroulant à diverses vitesses, la musique très rythmique, voire nerveuse, crée un effet de transe hypnotique. Certaines bandes géométriques apparaissent en parfaite synchronicité avec les attaques des instrumentistes. Un bel exemple de création vidéo live réellement intégrée à une partition musicale. 

Le mouvement final offre une synthèse presque lyrique dans son amplitude élégiaque, touchante et fortement appréciée du public.

L’Espace Orange du Wilder était rempli, confirmant un autre succès de fréquentation pour la Semaine du Neuf. 

Comme mentionné, le potentiel exportable de Héros est certain. Je vois très bien ce spectacle de création contemporaine, sommes toutes assez user-friendly, être fort bien reçu partout au Québec, dans des lieux de diffusion peu habitués au répertoire proposé normalement par Le Vivier. Là où Andréa Streliski et Jean-Michel Blais attirent les foules, l’ensemble montréalais devrait pouvoir tirer habilement son épingle du jeu avec Héros

Un autre bon coup de collectif9.

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Se regarder dans le miroir afghan

par Frédéric Cardin

L’un des moments attendus du festival La Semaine du Neuf, organisé par le Vivier en collaboration avec Innovations en concert, était cette aventure musico-vidéo-cinématico-théâtrale concoctée par le compositeur et instrumentiste montréalais Sam Shalabi et l’autrice-comédienne ontarienne Shaista Latif. Pour plus de détails sur cette œuvre dont le point de départ est un vieux film afghan en partie projeté sur écran lors de la soirée, écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec les principaux protagonistes de la création (c’est ici!!).

Cette proposition intrigante s’est concrétisée mercredi soir, le 13 mars, à La chapelle scènes contemporaines devant une salle bien remplie. Sur scène, un quatuor à cordes en plus de Shalabi lui-même au oud et à la guitare électrique, ainsi que Shaista Latif debout, à la narration de son propre texte, se superposant aux images du films et à la musique. 

La musique de Shalabi est de belle facture classique modale avec des teintes orientales adéquates, mais pas surfaites. On y rencontre de rares moments d’exploration plus chromatique, et des frôlements atonaux parcimonieux, comme dans la portion où le texte de Latif fait référence aux attentats du 11 septembre 2001. Ici, pour la seule fois du spectacle, la guitare crie et décharge une énergie stridente qui est pleinement raccord avec la reprise du discours d’un certain président étasunien par une Latif suintant le sarcasme. Sur l’écran, une jeune fille qui rêve de modernité voit des avions passer dans le ciel. Elle est remplie de fierté, mais le contraste est déchirant avec le discours revanchard et gonflé de nationalisme agressif récité par Latif. D’autres avions survoleront le ciel de l’Afghanistan, avec des résultats autrement moins nobles pour le pays. Un patriotisme suit un autre, mais au final, les Afghans eux-mêmes ne sont que des spectateurs. Beau rapport de sens inversé, et probablement le moment le plus fort du spectacle.

À travers le personnage de la jeune fille du film qui rêve de la ville et de sa modernité, Latif raconte ses propres questionnements identitaires. Les images sont autant décor pictural que projections symbolistes et psychologiques d’une intimité révélée. Et puis, au-delà de tout, elle questionne aussi notre rapport au patriotisme et au nationalisme. L’Afghanistan (à travers les yeux de la jeune fille) et ses rêves brisés de modernité font office de miroir devant nos propres rêves brisés. Par rapport à ce pays, nous avons ‘’réussi’’, mais pour faire quoi exactement? Il ne s’agit pas de rabaisser notre mode de vie, mais bien de le questionner pour mieux le recadrer dans un contexte où nous devons absolument nous questionner sur les valeurs qui vont animer ce 21e siècle encore jeune, afin de passer à travers et d’en sortir meilleurs que quand on l’a commencé.

Je noterai un détail de mise en scène (pour les futures représentations) : deux bandes verticales de teinte argentée bordaient l’écran. Or, là où j’étais assis, l’une des ces bandes camouflait une partie de ma vision du film en raison des reflets d’éclairage qui s’y accumulaient. Il faudra penser à autre chose…

Cela dit, en faisant à peine une quarantaine de minutes, le spectacle n’a pas le temps d’ennuyer et on en ressort satisfait d’une découverte (je n’avais jamais au grand jamais entendu parler de ce film) en plus d’avoir été porté à réfléchir sobrement à certaines questions brûlantes. 

Le film Like Eagles (‘’Mānand-e ‘Oqāb’’ en langue originale) est disponible gratuitement en ligne : 

Inscrivez-vous à l'infolettre