pop

PAN M 360 au FIJM 2024 | Norah Jones, femme de rêves

par Claude André

Déjà auréolée d’une certaine légende, la star internationale aux 20 millions d’albums vendus est venue déployer les multiples facettes de son univers « adulte contemporain » dans une salle Wilfrid-Pelletier remplie à craquer. Envoutement.

Dès l’entrée de la salle, le journaliste peu perméable jusque-là au phénomène Norah Jones remarque le kiosque à « merch » : 45 $ le gaminet (t-shirt)! Dans l’assistance, des têtes grises qui arborent ici une effigie de Bob Dylan, là un vieux t-shirt souvenir de Pat Metheny, tandis que plus loin, une dame portant des talons aiguilles, une jupe de cuir et des tatouages tribaux se prend en photo devant une affiche de l’artiste.

Au final, tout le monde y aura trouvé son compte. La progéniture de Ravi Shankar – oui, celui qui a appris le sitar à George Harrison –, et de Sue Jones – une fana de jazz, country et de soul –, se meut d’un style à l’autre dans une fluide cohérence.

Accompagnée de la guitariste Sasha Dobson et de la claviériste Sami Stevens, la star installée devant un piano blanc entame en ouverture « What Am I to You? », un classique tiré de l’album Feels Like Home (2004).

Ce qui frappe d’emblée, c’est bien sûr sa voix ronde et feutrée, mais aussi la richesse de ses harmonies vocales qui flirteront, à l’occasion, avec une spiritualité atmosphérique transcendante.

Les grands titres de la chanteuse défileront comme autant de perles dans un écrin : « This Life », « Sunrise » ou « Come Away With Me », dont la beauté de l’éclairage violet nous transportera hors du temps dans une boite de jazz crépusculaire.

Entourée également de l’excellent Brian Blade à la batterie (nomination au Grammy Award du meilleur album de jazz instrumental de 2021) et de l’inspiré Josh Lattanzi à la basse, Norah Jones, qui s’accompagne aussi au piano électrique, laisse la part belle à ses complices musicaux. Et, il faut le dire, bien qu’on puisse parfois avoir l’impression d’une certaine mièvrerie, notamment du point de vue textuel, et qu’elle demeure avare d’interventions, quelques mots en français ici et là, Norah Jones, cette première de classe, nous aura fait vivre des moments de grâce musicale et elle aura aussi prouvé qu’elle demeure une pianiste accomplie. Et une guitariste inspirée, notamment en interprétant « Say Goodbye ». Tout cela en dépit de la froideur légendaire de cette salle. D’ailleurs, la vitalité des applaudissements à la fin du spectacle tranchait littéralement avec la trop tiède discipline de l’ensemble.

Martha brise la glace

C’est une Martha Wainwright heureuse de terminer dans sa ville la tournée inhérente à son dernier album Love Will Be Reborn (2021), en compagnie de son amie Norah Jones, qu’elle connait depuis 25 ans, qui s’est présentée en première partie. « Nous habitions dans la même maison quand elle a fait son premier disque », souffla-t-elle au début de sa prestation qui dura 45 minutes. Bon choix que d’inviter en ouverture la gypsie chic au folk mâtiné de whisky.

Parmi les moments forts de cette participation brute et énergique, notons une reprise brelienne de « L’accordéoniste » de Piaf. Acclamation nourrie. Une reprise au piano de « Dinner at Eight », d’une chanson de son frère, qu’elle n’a plus besoin de nommer, « qu’elle aurait aimé avoir écrite » (signalons qu’elle sait utiliser le participe passé, contrairement à pléthore de ses collègues francophones…). Sans oublier « Falaise de Malaise », sa « seule chanson qu’elle a composée au piano et la seule écrite en français ».

Tour de chant nickel pour celle qui lève souvent la jambe gauche comme pour provoquer les mauvais esprits pendant sa prestation qui aurait pu plaire à une certaine Janis, dont on pouvait parfois percevoir l’influence.

Hélas, pas de rappel comme c’est souvent le cas en première partie.

En quittant les lieux, on se dit que si les Beatles étaient les bons garçons et les Stones les mauvais garnements, nous pouvons dire qu’à Wilfrid-Pelletier hier, c’est Martha qui était dans l’équipe des seconds et Norah dans celle des premiers.

crédit photo: Pierre Montminy

Électro / Hip Hop / hip-hop / latino

PAN M 360 au FIJM 2024 | Baby Volcano en pleine éruption

par Michel Labrecque



Le Guatemala est une terre volcanique. C’est peut-être pour cela que Lorena Stadelmann, une
Suissesse née d’une mère guatémaltèque et d’un père jurassien, a choisi ce nom d’artiste. Chose certaine, il y a quelque chose de brûlant, d’explosif, dans la performance de Baby Volcano, sur la scène Rio Tinto du FIJM, mardi soir le 2 juillet.

Nous ne sommes pas ici dans le jazz. Lorena Stadelmann est entourée de deux beatmakers et fait du hip-hop. Mais on entend aussi des influences latines, électro et, parfois, de la chanson ou des mélodies douces. C’est ce qui fait sa particularité. Baby Volcano a choisi aussi de chanter majoritairement en espagnol, en insérant parfois du français. Elle emprunte parfois l’accent argentin-prononçant les double l comme des j. C’est qu’elle a vécu trois ans à Buenos-Aires, de 2015 à 2018. Une ville oèu la culture occupe une place très importante. 

Baby Volcano est plus qu’une chanteuse ou autrice : c’est une performeuse, danseuse, qui se donne à fond sur scène. Elle est venue chanter au milieu de la foule, lors d’une chanson. Tempérament de feu, de lave ! 

Son premier EP s’intitule Sindrome Premenstrual, (2021). Chaque pièce est dédiée à un organe du corps. 

Le parcours de cette jeune femme s’inscrit dans une mouvance : la Chica, franco-vénézuélienne, Ëda Diaz, franco-colombienne, cette artiste suisso-guathémaltèque décide de privilégier l’espagnol. Comme Noé Lira, Maritza et Boogat chez nous.

Porque no? Pourquoi pas? Baby Volcano sera aussi au Festival d’été de Québec et au Festivoix de Trois-Rivières.

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électronique / hip-hop / jazz / R&B

PAN M 360 au FIJM 2024 | Theo Croker nourrit le corps et l’esprit

par Michel Labrecque

Le trompettiste Theo Croker fait partie de la nouvelle génération du jazz américain qui s’inspire à la fois des traditions et des plus récents codes musicaux comme le hip-hop, l’électro et le R&B.

Il est devenu rapidement évident que nous allions bouger : la batterie, mariée à des beats électro, ne nous laissait aucun choix. La trompette, assortie de multiples gadgets de réverbération et d’effets spéciaux nous donnait l’envie de « flyer », si vous me pardonnez l’anglicisme. 

Mais attention : cette musique groovée demeure du jazz. Le pianiste et claviériste improvise de façon déchaînée, le contrebassiste y va de rythmes savants, et le batteur, malgré la puissance de son son, est capable de versatilité. Pour sa part, Theo Croker, après un premier trente minutes surtout composé de motifs et de thèmes musicaux, s’est mis plus sérieusement au solo dans la seconde partie. Le jeune homme de 38 ans n’est pas dénué de talent, à l’instar de son grand-père, le légendaire Doc Cheatham. 

On entendait aussi beaucoup d’échantillonnages vocaux, puisque sur ses albums, on retrouve de multiples collaborations avec des chanteuses et chanteurs et des rappeuses et rappeurs, qui n’étaient pas présents sur scène. 

Bref, Theo Croker a nourri nos esprits et a stimulé notre corps. Un public de tous âges semblait content, mais il était particulièrement intéressant de voir de nombreux jeunes danser sur du jazz.

Pour ma part, j’ai découvert un musicien que je ne connaissais pas accompagné d’un trio de musiciens formidables, dont, malheureusement, je ne peux pas vous donner les noms. Plus intéressant que Robert Glasper, à mon humble avis. 

C’était un autre concert gratuit passionnant. Par contre, on touche ici à une limite : devoir arrêter la performance après soixante minutes alors que le party est levé, c’est frustrant.

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jazz moderne

PAN M 360 au FIJM 2024 | Où sommes-nous ? Joshua et Gabrielle nous l’indiquent

par Alain Brunet

Émis au saxophone ténor par Joshua Redman, le thème d’une chanson phare de Sufjan Stevens, tirée de son album Come On Feel the Illinoise, est reconnue. Gabrielle Cavassa, collègue et compagne de Joshua Redman, prononce les mots de Chicago et en trace la mélodie. Le saxophone revient à la charge et les accords de la chanson deviennent jazz et blues, Goin’ To Chicago de Count Basie est enchaînée en surimpression par la chanteuse avant que celle de Sufjan ne soit ramenée en conclusion. Ingénieux mashup.

Consacré à des villes et lieux du territoire états-unien et aux chansons qui y sont associées, ce programme pour quartette de jazz et chanteuses consiste à jazzifier des chansons populaires archi-connues. By The Time I Get To Phoenix (Jimmy Webb), Hotel California (Eagles) , Streets of Philadelphia (Bruce Springsteen), Stars Fell On Alabama (John Coltrane) et ainsi de suite.

Sous étiquette Blue Note, ce corpus a été enregistré en 2023, Where Are We, et c’est ce dont il était question en ce mardi soir au Théâtre Maisonneuve.

Ces adaptations témoignent du goût, du raffinement et de la circonspection du leader saxophoniste. Belles sont les modifications harmoniques des chansons dans les ponts sur lesquels s’expriment les solistes et accompagnateurs– Paul Cornish, piano, Philip Norris, contrebasse, Nazir Ebo, batterie.

C’est du jazz moderne dans l’approche, c’est du jazz contemporain dans les improvisations. La voix de Gabrielle est douce et feutrée d’apparence et sied bien à l’élégance et la sensualité de son être, mais peut aussi déclencher des thèmes supplémentaires à ceux des chansons, exécutés à l’unisson avec un saxo complice. Toujours en évolution, le jeu de Joshua Redman dévoile de nouvelles caractéristique dans ses techniques étendues, particulièrement dans les jeux d’air que produisent les touches de l’instrument ou encore dans l’exploration des suraiguës et autres recherches texturales.

Après avoir cessé d’être une forme de musique populaire, soit depuis environ 7 ou 8 décennies, le jazz moderne a longtemps consisté à reprendre des chansons populaires et en transformer les rythmes et les harmonies tout en en conservant les fondements mélodiques.

Inutile d’ajouter que cette approche est désormais classique et c’est exactement ce que Joshua Redman et Gabrielle Cavassa ont voulu faire de nouveau, au grand plaisir des mélomanes présents dans la salle.

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PAN M 360 au FIJM 2024 | Jason Moran, pianiste historien

par Alain Brunet

On apprécie Jason Moran depuis les années 90. Ce n’est pas fini ! Il était une recrue du mythique label Blue Note, alors devenu une des marques d’un puissant consortium multinational. Jason Moran, lui, n’est pas devenu la vedette d’une major de la musique. Il demeure aujourd’hui un musicien respecté, voire admiré des connaisseurs de la chose jazz, il fait son chemin sans compromis et gagne sa vie honorablement.

Depuis qu’on le connaît, il se produit principalement au Gesù lorsqu’il fait escale à Montréal… et le revoilà dans la même salle à guichets fermés, en ce lundi 1er juillet.

Jason Moran n’est peut-être pas le plus fluide des pianistes, son style rocailleuxet très ouvert s’inscrit néanmoins dans une longue lignée de pianistes afro américains, sa technique est même alimentée car elle évoque les générations antérieures de pianistes rocailleux en tout respect.

Les pianistes de jazz affichant une certaine rugosité étaient autrefois monnaie courante. On pense à James P Johnson, Fats Wallor ou Willy The Lion Smith dans les années 10-20, Duke Ellington, Billy Strayhorn ou Count Basie dans les années 20-30-40, Art Tatum, Teddy Wilson, Mary-Lou Willams dans les années 30-40-50 Thelonious Monk, Jaki Byard, Barry Harris, Andrew Hill, Mal Waldron ou Cedar Walton dans les années 50-60 et ainsi de suite. Le jeu pianistique du jazz moderne est devenu progressivement fluide et virtuose mais plusieurs pianistes en on conservé des éléments plus plus rudes, et c’est le cas de Jason Moran.

Toujours est-il qu’il a choisi de construire ce programme autour de Duke Ellington, pianiste visionnaire et compositeur immense. À l’époque où le jazz était une forme populaire, première sophistication d’une tradition orale, Ellington fut le premier très grand architecte de cette sophistication. C’était l’objet de ce programme suave et superbement construit.

Malgré certaines limites techniques qui sont peu apparentes vu son approche très contemporaine (et donc dissonante ou atonale à certains moments), notre hôte demeure un interprète et improvisateur des plus personnels; au fil du temps, il a su imaginer un style unqiue en fonction de sa connaissance profonde de l’histoire du piano jazz, des techniques étendues du vocabulaire contemporain, et de son propre talent de pianiste. Il sait exploiter le registre grave du clavier et produire de puissants effets de réverbération. Il sait être véloce de la main droite et ne s’en tient pas à un jeu parfaitement consonant. Néanmoins, il ramène invariablement les séquences plus expérimentales de son jeu dans les harmonies consonantes et les notes bleues que nous avons tous et toutes intégrées, consciemment ou non.

En somme, une leçon d’histoire et un moment de grande suavité.

néoclassique

PAN M 360 au FIJM 2024 Joep Beving remplit ses salles et voici pourquoi

par Alain Brunet

Pendant que les meilleurs musiciens de jazz au monde se produisent gratuitement à l’extérieur au FIJM, le pianiste hollandais Joep Beving remplit deux Gesù dans une même soirée dominicale. Il se produit dos au public et s’exprime sur un piano droit. Il utilise toujours les mêmes procédés : mêmes motifs de la main gauche, mêmes progressions mélodico-harmoniques de la main droite, peu de vélocité.

On reconnaît des éléments de Satie, Chopin, Rachmaninov, Liszt, Ravel, Debussy, musique comme c’est le cas de l’immense majorité des pianistes néo-classiques dont le succès dépasse largement celui des des jazzmen et jazzwomen de tr;s haut niveau qui peinent à reconquérir un public ayant déserté les salles au cours des deux dernières décennies.

Alors on remplit certaines salles du FIJM avec les artistes du néoclassique, nettement plus fédérateurs et forcément plus rentables. Pour tant de consommateurs de musique, l’expérience classique ne passe pas par l’écoute des grandes oeuvres exécutées sur scène, on préfère des instrumentistes de seconde ou troisième division qui se produisent dans un contexte plus cool, plus relaxe et où l’on risque moins d’être jugé par l’élite mélomane dans des salles plus guindées, plus élitistes – le vilain mot!

Ainsi, Joep Beving compose de jolies musiques sur son piano droit pour se guérir des maux de l’humanité comme il nous le confie sur place. On peut comprendre que l’art est effectivement un refuge en cette époque de plus en plus trouble.Cela dit, convenons que son jeu est très limité, ce jeu compare à celui d’un bon pianiste adolescent qui s’apprête à étudier au niveau collégial. Pour ajouter à son charme, il a le look et la dégaine d’un hippie reclus dans une chaumière perdue en forêt.

Et ses fans l’écoutent religieusement. Et ils boivent chacune de ses notes. Et ils obéissent à ses consignes de ne pas applaudir entre les changements de compositions – ce qui est une bonne chose à mon sens. Et Jeop Beving, inutile de le prédire, continuera à faire ses choux gras de cette tapisserie pianistique qui enjolive néanmoins les existences de centaines de milliers de personnes.

Alors restons polis et respectueux, n’allons pas plus loin avant de se faire taxer de snob et de méprisant, de faire face à un feu nourri d’insultes.

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jazz groove

PAN M 360 au FIJM 2024 | Robert Glasper et Black Radio ? Concert acceptable, spectacle mal ficelé

par Alain Brunet

Le prodigieux Robert Glasper occupait lundi la plus grosse scène extérieure du festival avec des musiciens top niveau, Burniss Travis à la basse, Justin Tyson à a batterie, Derrick Hodge à la guitare, Jahisundance aux DJisme et beatmaking. Le guitariste est un pur killer, capable de dégainer les phrases les plus complexes et les plus rapides. Le bassiste est un parfait accompagnateur pour le jazz groove et capable d’harmonies puisque sa basse compte 6 cordes. Le batteur est dans la lignée des meilleurs, ayant intégré les rythmes hip-hop et drum’n’bass conçus initialement par des beatmakers et leurs machines. Le DJ dispose des références essentielles à la bonne marche du programme.

Jusque là, on est en voiture mais…

Lundi soir, le musicien originaire de Houston défendait sa formule Black Radio, connue des fans de jazz depuis 2012 et déclinée sur 3 albums studios depuis lors, le groove depuis de nombreuses, sorte de prolongement actuel des Headhunters de Herbie Hancock. L’idée est de mêler le jazz aux formes récentes de la pop culture afro-américaine et ainsi insuffler du groove, des mélodies consonantes et du plaisir.

Le virtuose claviériste a présenté le concept à quelques reprises, le voilà maintenant devant son plus grand public. Mais… pas de dispositions particulières à son approche, pas de « friends » supplémentaires comme le titre l’indiquait. Même approche qu’il y a deux ans mais un peu moins brouillonne, un peu plus ramassée, et aucune idée supplémentaire au programme et des prouesses technique dans le dernier droit. Un peu de chant de sa part, des reprises de Nirvana, Radiohead ou même Burt Bacharach, rien de neuf sous le soleil couchant ou sous les étoiles montantes.

Des voix féminines nous donnent l’impression qu’elles sont sur scène en tant que choristes et on se rend compte qu’elle proviennent des sons pré-enregistrés du DJ/beatmaker. Avec le cachet qu’il encaisse pour une telle soirée, il aurait pu penser à quelque chose de plus spécial mais non. Pas de mise en scène, pas d’invités spéciaux, pas de projections spéciales, seul ce ghetto blaster en toile de fond. Robert Glasper aurait donné le même concert dans une salle à 1000 places mais il se trouve à donner un des plus gros shows de sa carrière, sans préparation supplémentaire. Un peu moins poche qu’en 2022 au Théâtre Maisonneuve mais bon… rien de mémorable pour qui connaît bien la bête.

Si prometteur il y a deux décennies, Robert Glasper a pris goût au cash et à la belle vie, tous les promoteurs lui donnent ce qu’il veut et le public est au rendez-vous. Pourquoi changer au juste? Les mélomanes plus exigeants repasseront… ou quitteront un jour définitivement cette zone de facilité.

crédit photo :@frederiquema

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jazz / jazz contemporain / soul-jazz

PAN M 360 au FIJM 2024 | Keyon Harrold, artiste prioritaire à MTL

par Alain Brunet

Keyon Harrold occupe beaucoup de place à ce festival, on l’aura vu à l’oeuvre trois fois, c ‘est dire l’importance qu’il occupe selon la direction artistique du FIJM. D’entrée de jeu au Gesù, il se produisait avec son noyau : Harrold (trompette et chant), Shedrick Mitchell (piano), Randy Runyon (guitare) Burniss Travis (basse électrique), sans compter Charles Haynes (batterie). 

Sauf quelques rares moments plus conceptuels, la musique de Keyon Harold est aussi proche de la soul et du R&B que du jazz, bien que les harmonies jazz soient perceptibles davantage dans les transitions (ponts) entre intro, chorus et conclusion. Et aussi dans les solos : Charles Haynes est dans la lignée des Gene Lake, Chris Dave, Justin Brown et autres Kendrick Scott, bref un virtuose du jazz contemporain et du jazz groove ayant intégré plusieurs patterns rythmiques du hip-hop dont certains mis au point par le génial (et regretté) beatmaker J-Dilla.

La basse est droite, la guitare circonspecte et les claviers sont axés surtout sur l’harmonie et le soutien rythmique. Côté show, Keyon Harold est un fort sympathique communicateur, son physique en impose et, comme tant de gros bonhommes, le le ton de sa voix est doux et placide, qu’il soit chanté ou parlé. Sa résidence de trois jours à Montréal lui a permis aisni d’inviter sa propre « sister », une authentique chanteuse de puissance, mais aussi Laya, une recrue parfaitement inconnue dont il ne tarit pas d’éloges, et pour cause : phrasés lascifs et sensuels, montées circonspectes en puissance, vocalises de très bon goût, magnifique expressivité.

Entre soul/R&B et jazz groove, Keyon Harrold a accompagné plusieurs pointures de ces catégories stylistiques aux USA. Il est sans conteste parmi les nouvelles vedettes de cette zone tant prisée par le FIJM en 2024. Il est clair qu’on y cherche à remettre le plaisir brut , sans prise de tête, aux goûts des nouvelles générations jazzophiles. Keyon Harrold en est l’illustration parfaite.

jazz

PAN M 360 au FIJM 2024 | Profondeur et émotions avec Melissa Aldana

par Varun Swarup

Hier soir, sur la scène du Pub Molson, la saxophoniste Melissa Aldana a livré une performance qui l’a solidement établie comme l’une des principales saxophonistes de sa génération. En diffusant des sélections de son dernier album, Echoes Of The Inner Prophet (2024), la soirée a mis en valeur le talent artistique évolutif d’Aldana et sa remarquable capacité à canaliser de profondes émotions à travers sa musique, quelle que soit la complexité de la forme sous-jacente.

Dès l’instant où elle est montée sur scène, il était clair que le public allait vivre quelque chose de spécial. Son jeu de saxophone ténor était à la fois assuré et immensément expressif, affichant une maturité et une profondeur qui démentaient son âge. Le concert s’est ouvert avec le numéro ésotérique « The Solitary Seeker », mais le groupe a parcouru ses harmonies énigmatiques avec grâce, invitant le public dans le monde musical introspectif et richement texturé d’Aldana. Il y avait une certaine spiritualité dans le jeu de la saxophoniste chilienne, et il n’était pas nécessaire d’être musicien pour l’apprécier. La foule a répondu avec enthousiasme à la musique d’Aldana, ajoutant à l’énergie du groupe, qui comprenait le pianiste Glenn Zaleski, le batteur Kush Abadey et le bassiste Pablo Menares.

Leur interaction était au rendez-vous, chaque musicien contribuant à un son collectif cohérent et dynamique. Zaleski était en pleine forme, élevant les compositions avec ses solos. Melissa Aldana est plus qu’un simple saxophoniste ; elle est aussi cheffe d’orchestre et compositrice. Son talent pour créer des airs favorisant une conversation à quatre, où chaque voix est entendue et valorisée, était louable et était un plaisir à voir.

photo: page YouTube de Serendignity

jazz / salsa

PAN M 360 au FIJM 2024 | Audrey Ochoa Quartet, du groove convaincant

par Vitta Morales

Le quartette d’Audrey Ochoa a donné une prestation très convaincante hier soir sur la scène du Pub Molson. Parmi les points forts du spectacle, on retrouve plusieurs extraits de son dernier album The Head of a Mouse qui a fort bien reçu ici à PAN M 360. La formation en quartette a notamment permis d’obtenir des versions plus épurées, mais tout de même efficaces, de ces chansons. De plus, Ochoa a montré son talent de chanteuse en interprétant « I want you back » des Jackson 5. Cependant, quelques éléments ont empêché à ce bon spectacle d’être un excellent spectacle. 

Lorsqu’elle plaisante avec la foule, Ochoa semble plutôt maladroite. Sa voix trahit également une certaine nervosité qui affecte l’ambiance de son spectacle. (A-t-on oublié de lui dire que le Festival international de Jazz de Montréal était l’un des endroits les plus joyeux au monde ?)

Cette nervosité, heureusement, semble complètement oubliée dès qu’Ochoa commence à parler à travers son instrument. Lorsqu’elle joue en solo, on voit qu’elle a une confiance en elle qui est viscérale ; il serait bon qu’elle maintienne cette confiance.

Un autre point faible à mes yeux était l’utilisation de partitions sur scène par certains musiciens. Je n’ai pas eu l’impression qu’ils étaient absolument dépendants de leurs partitions, mais le fait qu’elles soient visibles, tout comme les lutrins, a créé une barrière entre le public et l’interprète. J’ai eu l’impression d’assister à une répétition de haut niveau de compositions intéressantes et qu’il manquait une touche finale de showmanship.

Enfin, à mes oreilles, le bassiste et le pianiste n’ont pas réussi à interpréter les moments les plus influencés par la salsa de la musique d’Ochoa. Il faut un certain temps pour apprendre les grooves de salsa avec les bonnes inflexions, et leurs interprétations se sont transformées en approximations au pire des moments. Seul le batteur, en plus d’Ochoa elle-même, semblait avoir une maîtrise décente des rythmes latins, les approximations au niveau de la percussion étant tout à fait convenables et groovy.

Quoi qu’il en soit, je crois qu’Ochoa a beaucoup de talent et qu’il ne lui faudrait pas grand-chose pour transformer ses concerts en véritables événements. Je suis heureux que la prolifique tromboniste d’Edmonton ait pu se rendre au festival de cette année, car ce fut un plaisir de découvrir sa musique éclectique et de voir ses capacités sur scène. Espérons qu’elle trouvera un peu plus d’arrogance à la hauteur de ses prouesses musicales.

photo: page Instagram de l’artiste @audreyochotron

PAN M 360 au FIJM 2024 I Kurt Vile se mettrait au post hardcore ?

par Stephan Boissonneault

La notoriété de Kurt Viles n’est plus tout à fait ce qu’elle était il y a 10 ans lorsqu’il a sorti Wakin On A Pretty Daze, presque le summum du rock psychédélique slacker des années 2010. Depuis, il a sorti plusieurs projets, dont un album en duo avec Courtney Barnett, Lotta Sea Lice, qui est un bon album mais qui ne tient pas la route.

En fait, plusieurs de ses albums depuis 2015, b’lieve I’m going down…, n’ont pas une grande capacité de rétention. Les riffs sont très KV et bien qu’accrocheurs, l’homme ne sait pas comment terminer une chanson après 5 minutes. Ses paroles ne sont pas non plus à la hauteur, toujours en train de riffer sur les mots classiques « man, down and tiiiimme », comme un Tom Petty défoncé.

Je ne m’attendais donc pas à être époustouflé par Kurt lors de son concert au FIJM, joué dans une salle remplie à 75 %. Et… bien que ce ne soit pas le cas, il m’a surpris.

Il y a eu des moments dans le set où il a carrément crié les paroles, apportant une vibe plus punk rock/post-hardcore à des chansons comme « Pretty Pimpin », et quelques unes des plus récentes de l’album Back To Moon Beach et (watch my moves).

J’ai été complètement pris au dépourvu, mais j’en voulais davantage. Kurt est un magicien de la guitare, c’est indéniable (c’est pourquoi certaines de ses chansons atteignent les 9 minutes et qu’il a 12 guitares), mais sa voix a toujours été un peu en retrait, trop pour moi. Mais quand il criait, j’écoutais !

Aujourd’hui, en tout cas, je pense que je suis plus fan de Kurt Vile en concert que de ses récents albums.

Mais je me demande si Kurt Vile sait exactement ce qu’il fait. Se lasse-t-il d’utiliser le même style d’écriture depuis presque 20 ans avec les mêmes vieux « riffs recyclés » qui « ne n’iront nulle part de sitôt » ? Ce sont ses mots, pas les miens. A-t-il besoin d’évoluer ou peut-il continuer à le faire pendant encore 20 ans ?

Tant qu’il a un groupe qui accepte qu’il joue en solo pendant six minutes, rien ne peut l’arrêter.

PAN M 360 au FIJM 2024 I Freddie Gibbs déteste la police

par Stephan Boissonneault

Si ce titre vous a incité à cliquer sur cette petite critique du spectacle de Freddie Gibbs x El Michels Affair Jazz Fest, alors mon travail est fait. Freddie Gibbs déteste effectivement la police, comme beaucoup de rappeurs qui ont eu des démêlés avec la justice (de la vie de rue dont il est si éloigné aujourd’hui), mais il devait le faire savoir après chaque chanson, alors qu’il était de plus en plus défoncé tout au long de son set par les blunts qu’il fumait en permanence. « Lemme hear you say Fuck Poliiicee », a-t-il scandé à la foule de 30 000 personnes.

Cette performance était une réimagination en direct de son travail avec The El Michels Affair, un groupe d’instruments néo-soul qui a travaillé avec le Wu-Tang Clan et, plus récemment, Black Thought. Mais Freddie a ressorti des morceaux plus anciens de son Pinata jours avec Madlib et quelques morceaux de choix de Alfredo, son album phare avec The Alchemist.

En fait, il a arrêté le morceau « 1985 » à plusieurs reprises ainsi que « Thuggin' » pour obtenir les bonnes mesures. À quelques reprises, on avait l’impression qu’il ne faisait que grogner et qu’il oubliait les paroles, mais cela faisait partie du charme de Freddie – un rappeur monumental qui devenait un peu trop cuit sur scène et qui oubliait les paroles de ses chansons. Quoi qu’il en soit, c’était un spectacle agréable à regarder et un spectacle d’enfer.

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