Le 20 août 2024, lors du Forum MUTEK, un panel intitulé « Au-delà des Buzzwords : que fait l’IA générative aux pratiques créatives ? » s’est tenu au Monument-National, réunissant des expert.es de divers horizons pour explorer l’impact de l’IA générative sur les pratiques artistiques. Modéré par Rose Landry du Mila, le panel comprenait Sofian Andry (Hexagram), Pía Balthazar (SAT), Yves Jacquier (Ubisoft), et Éric Desmarais (Sporobole).
Yves Jacquier a ouvert la discussion en abordant l’intégration de l’IA dans le domaine du jeu vidéo, soulignant que l’IA – un terme vieux de 70 ans – s’est progressivement imposée dans la fabrication des jeux vidéo. Il a mis en lumière l’importance d’une approche interdisciplinaire impliquant designers, programmeurs et artistes pour exploiter ces technologies de manière éthique et efficace.
Pía Balthazar a partagé son expérience à la SAT, où le développement des arts et des sciences se fait en partenariat avec des milieux artistiques et académiques. La SAT et Sporobole travaillent sur un projet qui vise à comprendre comment les outils d’apprentissage automatique peuvent servir les artistes plutôt que les contraindre. En mobilisant la notion d’imaginaire et en prenant comme point de départ les pratiques des artistes, il y aussi la volonté de déconstruire le discours techno déterministe empreint de peur qui entoure ces technologies.
Sofian Andry a apporté une perspective historique issue de son ouvrage Art in the Age of Machine Learning, publié par MIT Press. Il y retrace les origines de l’art et des sciences à l’ère du machine learning, en se concentrant sur une analyse matérielle des modèles d’apprentissage automatique. Il explore ce qui constitue un modèle de machine learning et examine comment certains artistes se sont approprié ces mécanismes, en les rapprochant de pratiques comme les algorithmes génétiques et les approches basées sur les données, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans la création artistique.
Éric Desmarais a discuté de l’évolution des pratiques artistiques au sein de Sporobole, notamment à travers des cycles de création et de recherche appliquée, lors desquels les artistes expérimentent avec différentes technologies. Pré-pandémie, le cycle portait sur les univers virtuels. En 2021, alors que le cycle touche à sa fin, la vague ChatGPT déferle et met en lumière tout un tas d’outil d’IA générative. Le cycle IA permet aux artistes d’expérimenter, de créer des œuvres et à travers ce processus de recherche, de faire émerger une voix artistique forte du côté des artistes indépendant.es.
On entre alors au cœur de ce qui nous intéresse lorsqu’on parle d’IA génératives et de buzzword : ces technologies sont-elles vraiment disruptives ? S’agit-il d’un changement de paradigme ou plutôt de l’arrivée d’un nouvel outil ? Pía Balthazar a noté que ce changement « violent » aux allures de tsunami était en préparation depuis un moment, tandis qu’Yves Jacquier confirme qu’il y a une véritable disruption en cours, avec l’arrivée de nouveaux acteurs, la transformation des structures et l’évolution des modes de travail.
Le panel a également soulevé la question – qui doit être centrale – de la valeur des œuvres créées par IA génératives. Sofian Andry a rappelé que si l’IA peut produire de la nouveauté, la valeur de cette nouveauté reste une question complexe. La culture est humaine et un système déconnecté du monde, désincarné, ne peut comprendre ou « être » dans la culture. Éric Desmarais, rejoint par les autres membres du panel, a souligné que, avec l’IA, la valeur de l’œuvre / la production se déplace du résultat vers le concept, contrairement au travail d’un.e illustrateur.ice où c’est le résultat qui prime.
Néanmoins, l’optimisme est de mise : il faut profiter d’un momentum pour rééquilibrer le pouvoir et la valeur dans l’ensemble de l’écosystème artistique. Les meilleurs approches pour y arriver : favoriser l’interdisciplinarité comme le font Ubisoft et la SAT, ne pas sous-estimer le pouvoir et l’agentivité des entreprises locales, car non, toutes les décisions importantes se prennent pas à la Silicon Valley.
Crédit photo: Maryse Boyce