Amateurs de synth-punk et autres curieux étaient rassemblés, la veille de l’Halloween, pour accueillir le trio islandais Kælan Mikla au Ritz PDB. Montréal étant le vingt-troisième arrêt d’une tournée nord-américaine d’un mois, durant laquelle Kælan Mikla promeut Undir Köldum Norðurljósum (Under The Cold Northern Lights), son quatrième album. C’est un spectacle bien rodé que Laufey Soffía Þórsdóttir (voix), Margrét Rósa Dóru-Harrýsdóttir (basse) et Sólveig Matthildur Kristjánsdóttir (clavier) nous ont offert.
Quoiqu’il soit intéressant de découvrir l’évolution musicale des trois musiciennes par leur discographie, c’est sur scène que le projet de Kaelan Mikla prend tout son sens. Les musiciennes apparaissent soudées comme si un rite païen avait fait d’elles un seul et même organisme musical.
Compte tenu de l’éventail de titres au menu, on a pu goûter autant aux pièces post-punk des débuts – comme Kalt (« froid »), où le texte est surtout rendu par des cris tourmentés – qu’au raffinement du plus récent album. Celui-ci réside dans les arrangements musicaux et dans le chant plus mélodieux de Laufey Soffía, notamment dans la chanson Sólstöđum (« solstice »). Sur scène comme sur disque, l’ambiance musicale sombre et les lignes de basses hypnotiques agissent tel un fil d’Ariane, à travers une décennie qui a vu Kaelan Mikla explorer différents courants musicaux tels que le post-punk, le gothique et la darkwave. D’ailleurs, même si elle se tenait discrètement en arrière-plan, la bassiste Margrét Rósa assurait une présence forte et bienveillante, nous incitant à rejoindre la messe de magie blanche à laquelle nous conviait, par sa gestuelle envoûtante, sa collègue Laufey Soffía.
L’identité visuelle de Kaelan Mikla est aussi soignée que son identité musicale : les costumes, le maquillage, les projections visuelles et l’éclairage renforcent l’impression d’assister à une expérience spirituelle unique. Expérience qui serait complète si on comprenait les paroles chantées en islandais, évoquant (merci aux outils de traduction en ligne) la sorcellerie, la nature qui nous entoure et les forces divines. Mais ce qu’on a perdu en incompréhension de la langue, on l’a gagné en expérience psychique. L’ambiance sonore particulière de Kaelan Mikla, doublée de mots aux sonorités résolument étrangères, a facilité l’atteinte d’un état mental nous propulsant dans un univers mystique qui nous sort de notre quotidien. C’était leur première prestation à Montréal et, aux dires de Laufey Soffía avec qui j’ai eu l’occasion de jaser en fin de soirée, le public montréalais a été leur public canadien préféré de la tournée. Que ce soit sincère ou non, il est vrai que l’auditoire semblait enchanté de l’intensité de la prestation. Et il est fort à parier que Kaelan Mikla a fidélisé un contingent de fans, ici, grâce à ce passage.
LAURA KRIEG
C’est avec une attitude apathique de circonstance que Laura Krieg, artiste montréalaise autodéclarée de « pop-synth-punk-brutaliste », s’est présentée sur scène pour nous proposer des arrangements efficaces et dénués d’artifices : percussions électroniques, synthétiseur, guitare et basse (rarement en même temps!). Le chant robotique et dépourvu d’émotions de Laura Krieg s’avère particulièrement efficace pour livrer les paroles coup-de-poing de Fin du travail, vie magique et Tout s’effondre tout va bien. C’est d’ailleurs les titres chantés en français qui se sont avérés les plus percutants.
Réel coup de cœur de la soirée, le post-punk de Laura Krieg est fortement inspiré de la vague cold-wave européenne des années 80, mais agrémenté d’une saveur moderne qui justifie à elle seule ce projet à contre-courant de ce que nous proposent les artistes locaux. D’ailleurs, elle nous confiait en fin de spectacle qu’une tournée européenne l’attend au printemps. On ne doute pas un instant que la réception sera excellente, en ces terres peut-être plus hospitalières pour ce genre de proposition musicale. Laura Krieg aura prouvé, hier soir au Ritz PDB, qu’elle a tout ce qu’il faut pour occuper plus de place dans le paysage musical contemporain.
KANGA
Tout juste avant le trio islandais, c’est la musicienne et productrice de musique électronique californienne Kanga qui était chargée de préparer l’atmosphère. Kanga a été de tous les spectacles de la tournée nord-américaine de Kaelan Mikla. On la considère comme l’une des figures dominantes de la darkwave actuelle. Pour la bande de Kaelan Mikla, Kanga est une sœur. Les pistes produites par Kanga étaient puissantes et tout indiquées pour un lendemain d’apocalypse, vous savez, lorsque l’envie de danser nous prend tout juste après avoir constaté qu’on y a survécu. Kanga avait une très belle présence scénique, son chant était juste; tous les ingrédients d’une prestation exceptionnelle y étaient, sauf un je-ne-sais-quoi vocal, qui a nous empêchés d’assister à une performance à la hauteur de la réputation de cette artiste. Était-ce la calibration du son, qui ne mettait pas assez en avant-plan la voix, ou alors le manque d’aisance de Kanga au chant? Ou peut-être que sa proposition musicale convient mieux aux très grandes salles, où l’on se laisse davantage porter par les rythmes et l’ambiance sonore, en étant moins attentifs au rendu vocal? Difficile à dire mais, au final Kanga mérite certainement une deuxième chance : on ne ratera pas sa prochaine escale montréalaise.
Photo de Kælan Mikla : Antoinette Pinet.