Dans le cadre de sa programmation 2024, le Festival Classica présentait dimanche dernier Les lettres de Chopin de Denis Plante. Ce récit théâtral et musical imaginé, écrit et mis en scène par celui à qui l’on doit entre autres La Bibliothèque interdite, avait comme trame de fond le séjour que le couple formé de la femme de lettres Georges Sand et du compositeur Frédéric Chopin a effectué sur l’île de Majorque en 1838-1839 pour fuir les racontars de la Ville Lumière. Ce qui devait être une idylle romantique à la plage pour le couple, elle avec ses livres, lui avec ses partitions, se transformera en séjour gris alors que la météo, d’ordinaire rayonnante, demeure pluvieuse et morne et que le piano, commandé pour remplacer celui « pourri » qui leur avait été laissé à leur logement, tarde à arriver et que le compositeur tombe malade. C’est cette situation de huis clos dans leur lieu de résidence à Majorque, racontée du point de vue de Sand que Denis Plante a voulu exprimer.
Cette portion n’a cependant pas occupé l’entièreté du récit, comme nous nous y attendions. Monologuant avec le public, la comédienne Gabrielle Maria Gourd, sous les traits de son personnage de Georges Sand, a exposé pendant la première demi-heure du conte une présentation du caractère de cette dernière et de sa rencontre avec Chopin et de la naissance de leurs sentiments, question de bien camper le contexte. La deuxième portion qui a occupé la demi-restante traitait spécifiquement le séjour à Majorque. Juste assez désinvolte, Gabrielle Maria Gourd revêt parfaitement les traits de Georges Sand avec son caractère espiègle, garçonne et passionnée. Au niveau de l’écriture des textes, la plume de Denis Plante est saluée. Ayant pris comme source les écrits de Sand, notamment sa correspondance et son récit de voyage Un hiver à Majorque, le ton qui est donné au texte ne sonnait pas « kitsch » ou en décalage stylistiquement. Quels étaient les mots de Sand ou de Plante? Impossible de le dire tant le texte coulait naturellement, avec une verve précise et un juste niveau d’humour. Ce côté naturel du texte captivait l’attention envers l’action de la pièce.
Le rôle de la musique et de l’excellent ensemble à corde composé de Marie Bégin, Elvira Mishbakova, Dominique Bégin, Antoine Plante et Stéphane Tétreault, était principalement extradiégétique dans l’univers de la pièce. Elle vient surtout commenter les situations qui se déroulaient sur scène et accompagner les transitions de scènes. Alors qu’il aurait pu décider de reléguer les musiciens à un rôle de soutien musical en retrait sur le plateau, Denis Plante a eu la bonne idée de les inclure au premier plan de la pièce. Ils font partie du décor et l’investissement à divers moments pour participer à l’action de manière active ou symbolique. Il y avait quelque chose de particulièrement cocasse à voir Stéphane Tétreault endosser le rôle d’un habilleur pour présenter dans le numéro d’ouverture des tenues féminines à Georges Sand – qu’elle refuse toutes d’ailleurs –, pendant que ses collègues jouent la Grande valse brillante. Parmi les autres moments musicalement touchants de la pièce, nous pouvons citer le magnifique solo de Marie Bégin du Nocturne no20 qui a offert une page sensible et planante. Scénographiquement, le décor était minimal : des malles, une lampe et une projection vidéo d’un tourbillon d’écume sur un cyclo en fond de scène pour évoquer le lieu de Majorque. Bien qu’absent musicalement, le piano qui ornait la scène a servi a entre autres servi à évoquer celui qui n’est jamais arrivé jusqu’au compositeur et, ultimement, le cercueil dans lequel reposera Chopin, décédé de la tuberculose quelques années plus tard.
Lorsque le rideau est tombé à la fin de cette représentation d’un peu moins d’une heure, nous en aurions pris plus de cette musique, de cette histoire et de ce personnage. Ludique, accessible, bien documenté, ce conte musical est un excellent divertissement tant pour les mélomanes que pour le public qui veulent découvrir la musique de Chopin en passant par l’exposition d’un récit de sa vie personnelle que l’on aborde peu. Si une nouvelle itération ou une évolution du conte était à imaginer, nous serions curieux et vivement intéressés à voir ce qu’un vrai dialogue à huis clos entre Sand et un Frédéric Chopin pourrait donner.
L’esprit de la pièce nous aura suivis jusqu’à la sortie où tout avait l’apparence d’une mise en abîme, alors que le soleil a fait place à des épisodes de pluies soutenues, comme sur l’île espagnole. Mais, à la différence de l’état d’esprit dans lequel Georges Sand a quitté Majorque, nous avons quitté le théâtre avec du soleil dans notre cœur et dans nos oreilles.