La seconde soirée d’Akousma, soit jeudi soir à l’Usine C n’a peut-être pas présenté un programme d’anthologie mais la diversité et le relief des propositions au programme valait le déplacement à l’Usine C.
Diego Bermudez Chamberland
Destin//Trouble, du Québécois Diego Bermudez Chamberland, est sa deuxième composition d’une œuvre acousmatique répartie en trois mouvements (Cartografía interior). Les forces naturelles, les territoires infinis et le dynamisme de la vie seraient les vecteurs de la mythologie scandinave selon L’Edda, un recueil de l’auteur Snorri Sturluson. Voilà selon le programme officiel la source d’inspiration du compositeur dans le cas qui nous occupe. Ainsi, ces thèmes sont librement adaptés à une morphologie des sons résultant de différentes sources : sons de synthèse, prises de sons « naturels », traitements audionumériques, instruments acoustiques. Cette diversité de sources n’est certes pas une garantie de succès mais on a ici affaire à une œuvre tout à fait concluante, dont on observe la théâtralité et la cohérence narrative. Ce n’est donc pas une suite d’effets savants au service de la recherche fondamentale, on suit sans problème le parcours de ce Destin/ Trouble fertile en rebondissements et en contrastes parfois violents, et en apprécie la tension dramatique.
Nicolas Ratti
L’Italien Nicolas Ratti, musicien et designer de renommée internationale, présentait ensuite une version live de l’œuvre K1/K2 pour support, synthétiseur modulaire et boucles de piano. On n’a pas assisté à la réinvention du minimalisme électroacoustique, mais cette œuvre s’est avérée facile d’absorption. Les matériaux sont clairement identifiables : enregistrés au piano et traités numériquement, des accords et clapotis mélodiques sont exposés en boucle par le clavier avec de minuscules variations. Les harmonies et fragments mélodiques sont assortis de percussions et sifflet jouées très simplement, d’abord déclenchés en temps réel et jouées carrément par le compositeur à la conclusion de l’œuvre, le tout enveloppé de bourdons émis par le synthétiseur modulaire. Sympathique, reposant, agréable… et c’est tout.
Tomoko Sauvage
Japonaise installée en France, la compositrice Tomoko Sauvage surfe depuis un bon moment sur l’eau de ses bols qu’elle a convertis en instruments de musique, soit en y installant des micros-contacts permettant d’en capter les sons. L’eau, la céramique, l’amplification subaquatique et le traitement électronique sont les outils d’expression dont l’objet est de s’adapter à la dynamique imprévisible des matériaux mis à contribution. Ainsi, l’œuvre au programme résulte de manipulations aquatiques et prises de sons transformées en temps réel. Le processus créatif est fort intéressant d’entrée de jeu, il faut dire : traitements divers résultant d’ondes générées dans les bols, immersion d’objets dans l’eau, harmoniques générées par le frottement, etc. Or, l’étendue des découvertes au programme s’avère plutôt limitée, du moins ce qu’on en a entendu jeudi soir. Au bout d’une quinzaine de minutes, une impression de redondance s’installe et il faut multiplier les efforts pour que l’attention soit maintenue.
Pierre-Luc Senécal
Artiste prolifique, à qui l’on doit entre autres le très métal Growlers Choir, Pierre-Luc Senécal s’en est mis beaucoup sur les épaules avec la création de l’œuvre Broken Voices, inspirée par le thème de la guerre. Son profil biographique indique qu’il est inspiré par le rock, la pop et le métal, on était donc en droit de s’attendre à une prestation musclée, qui fit somme toute plus cérébrale, à la limite du documentaire sonore. Avec cette rhétorique parlée sur les impacts tragiques et quantitatifs de la guerre, on perd un peu l’émotion que suscite la violence armée. Il est bien sûr complexe d’éviter le piège du bruit d’artillerie, Sénécal nous épargne ainsi les bruits de chars, mitrailleuses et autres munitions et préfère se concentrer sur l’illustration sonore de l’état psychologique engendré par la guerre. Au lieu des pétarades, on a plutôt droit à des fragments de dialogues et rires sont mis en scène, entrelardés de courtes séquences de chaos synthétique. Intéressant. Bien construit. Marquant? C’est selon.
Marja Ahti
Marja Ahti est une artiste sonore et compositrice suédo-finlandaise qui « crée des récits musicaux précis avec des textures acoustiques détaillées en mutation lente auxquelles s’ajoutent des formes et des tons calibrés intuitivement ». Entre les sons familiers du quotidiens et ceux de l’abstraction résultant d’une vue de l’esprit, Marja Ahti déploie une œuvre raffinée et sensible. Une écoute peu attentive de Still Lives, réparties en 4 mouvements, peut certes laisser une impression de redondance ou encore mener à conclura à une approche générique dans un contexte électroacoustique, mais le jeu de textures brillamment construites et la progression dramatique de ces fluides sonores infirment une telle impression. Rien de spectaculaire mais beaucoup plus riche qu’il n’y paraît.
Devon Hansen
Authentique nerd de la musique électro, Devon Hansen puise dans différents bassins de sons
hip-hop, techno, glitch minimal, ambient, électroacoustique “classique”. Ce qu’il en fait, on le présume, peut laisser plusieurs impressions puisqu’il travaille en direct avec une grande latitude. Jeudi soir, le chemin était subtil, ludique par moments, sans éclat de manière générale. On pouvait néanmoins apprécier ces variations de bourdons et de criquets synthétiques, grognements dans les graves, percussions de table, le tout nappé d’harmonies consonantes. Les découvertes et ressentis ont été un peu minces d’entrée de jeu mais cette musique de Devon Hanson s’avère un authentique grower.
crédit photo: Caroline Campeau