Ombres coloniales, lumière ancestrale : La politique de « Wayqeycuna »

par Stephan Boissonneault

Alors que le public entre dans le théâtre, une cloche aiguë et persistante traverse la salle. Sur le côté de la scène, Tiziano Cruz attend, accroupi dans un poncho coloré. Pas d’entrée fracassante, juste une présence. Un calme s’installe. Il commence à sonner la cloche, lentement, délibérément, appelant un troupeau de moutons à travers les montagnes andines de sa jeunesse. Avec Wayqeycuna, Cruz ne cherche pas les applaudissements – il exige le témoignage. Cette œuvre solo, qui fait partie de sa trilogie autobiographique, marque un retour dans sa communauté indigène du nord de l’Argentine, où la mémoire personnelle devient un rituel collectif.

« Vous êtes probablement venus pour voir le gars aux vêtements colorés. Consumez-moi », déclare-t-il, confrontant le public au regard qu’il a porté sur lui. Il parle ensuite de son village, qui vit à côté d’une mine de lithium, entre beauté et exploitation. « Je vis dans un monde de pouvoir blanc », dit-il en enfilant délibérément une combinaison blanche. Les mélodies traditionnelles se mêlent aux synthés lancinants et à un tendre duo a cappella avec un enfant du village, façonnant un univers sonore à la fois triste et fantaisiste.

La scène, divisée par des rideaux diaphanes et baignée de projections changeantes de montagnes et de mer, se transforme à la fois en sanctuaire et en confessionnal. Cruz ne se déplace pas comme un acteur – il habite l’espace comme un témoin, canalisant les traumatismes générationnels, la force ancestrale et les taches persistantes de la violence coloniale. « Le douanier me considère toujours comme un danger, et je porte du linge coloré », dit-il d’une voix ferme. Grâce à un langage poétique et à des repères visuels frappants, Cruz construit un voyage déchirant et férocement symbolique, où rien n’est ornemental et où tout a une signification. Chaque image de Wayqeycuna a un poids : les loups récurrents comme métaphore du capitalisme, le pain et le poncho comme symboles chargés à la fois de fierté culturelle et de douleur.

Wayqeycuna / Akseli Muraja

Cruz évite complètement le spectacle. Il convoque les Andes avec un langage vivant, fait revivre les jeux de l’enfance par des gestes précis et met à nu l’oppression systémique avec une immobilité tendue et délibérée. Un instant, il apaise le public avec des souvenirs de fêtes villageoises ; l’instant d’après, il le précipite dans des scènes dures de pauvreté, d’exclusion, de dents manquantes et de village en flammes – qu’il s’agisse d’une métaphore ou d’un souvenir, la blessure est réelle.

Wayqeycun – « mes frères » en quechua – n’est pas seulement un titre, c’est un appel. Une invocation silencieuse mais urgente à la mémoire collective et à la solidarité. À mi-parcours, Cruz soulève son téléphone et prend une photo de la foule. C’est une petite entorse à l’étiquette théâtrale, mais elle frappe fort, inversant le regard, brisant l’illusion de la passivité du spectateur et nous impliquant dans le cadre de l’oppression. Par sa simple existence, Wayqeycuna devient de l’art politique – moins quelque chose à regarder que quelque chose à endurer.

Centroamérica – un docu-fiction puissant sur la vérité et les liens à l’ère de la distance et du déni

par Stephan Boissonneault

Nous sommes dans un paradis tropical, alors qu’un homme assis sur une chaise chantonne bruyamment une chanson folklorique espagnole (que tous les Espagnols du public semblent connaître mot pour mot), tandis qu’une femme continue de glisser et de tomber sur des tapis multicolores posés sur le sol. Deux écrans sont suspendus au-dessus de la scène, l’un pour la vidéo documentaire, l’autre pour la traduction. Il s’agit de Centroamérica de Lagartijas Tiradas al Sol, une performance qui s’inscrit dans le cadre du Festival TransAmériques.

Dans l’histoire, les personnages deviennent Luisa Pardo et Lázaro G. Rodríguez, un couple mexicain (qui joue son propre rôle) déterminé à enquêter et à documenter les régions d’Amérique centrale – des endroits qu’ils connaissent peu ou pas du tout. Ils finissent par rencontrer une Nicaraguayenne exilée qui les supplie de prendre son identité et d’accomplir une quête familiale au cœur de la nouvelle dictature du Nicaragua, sous la direction des coprésidents Daniel Ortega et Rosario Murillo.

En mêlant des images d’archives et des séquences documentaires à un jeu d’acteurs en direct de grande qualité, Centroamérica offre un portrait captivant et complexe de la migration, de la violence et de la résilience dans la région d’Amérique centrale. Dès le début, le public est immergé dans un collage multimédia : des témoignages vidéo vacillants, des bribes d’émissions d’information réelles, des intermèdes de musique cumbia, bachata et bossa nova d’Amérique centrale, ainsi que des images granuleuses de téléphones portables remplissent l’espace d’une authenticité troublante. Ces éléments ne sont pas qu’un simple arrière-plan : ils constituent la base du récit, ancrant les personnages fictifs dans un monde qui semble bien trop réel, même lorsqu’ils « jouent » les parties manquantes de la séquence vidéo.

Luisa et Lázaro parlent parfois en monologues ou en abstractions poétiques, mais l’essentiel de l’histoire est tiré en partie d’interviews et de rapports réels, avec l’urgence non polie de la vérité. À certains moments, la densité même des informations menace de submerger, et certains fils narratifs pourraient bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre. Mais même dans ses passages les plus désordonnés et chaotiques, Centroamérica reste captivant, précisément parce qu’il reflète la nature chaotique et irrésolue de la crise qu’il dépeint.

Stéréo Africa Festival – Des concerts à n’en plus finir

par Sandra Gasana

L’une des soirées tant attendues du festival était bel et bien celle du vendredi soir, à la Maison de la Culture Douta Seck. La programmation annonçait plusieurs têtes d’affiche, notamment Ali Beta mais la légende vivante Cheikh Lô était également présente.

C’est d’abord Nelida Karr qui inaugure la scène principale, avec sa guitare mais cette fois-ci, elle était accompagnée d’un pianiste, qui n’était pas présent lors de sa petite performance au cocktail d’ouverture (lien). Son jeu de guitare est tout simplement époustouflant, alors qu’elle mélange sa langue natale de Guinée Equatoriale, l’anglais et l’espagnol dans sa musique. Vêtue d’une tunique verte et d’un foulard assorti, c’est encore une fois son sourire qui contamine les festivaliers. D’ailleurs, elle interagissait beaucoup avec eux, en leur faisant chanter des passages ou des mélodies. “Dans la prochaine chanson, ce que vous ressentez en ce moment, c’est le thème de la chanson”, annonce-t-elle avant d’entonner les premières notes.

Après une courte pause du côté de la section gastronomique, quel ne fut pas mon plaisir lorsque je découvre un kiosque de cuisine éthiopienne. Et le plus drôle c’est qu’il était tenu par une femme qui allait dans la même (seule) école française d’Addis-Abeba. Il n’y avait donc pas de doute, il fallait que je goûte à la cuisine de Geeza et que je me replonge dans l’enfance immédiatement. Elle servait notamment du café éthiopien et du thé aux épices, que j’ai eu le plaisir de goûter.

Est venu le temps d’aller découvrir le spectacle qu’Ali Beta avait prévu pour nous. Accompagné de plusieurs musiciens, dont certains étaient familiers puisque je les avais vus sur scène durant le Jazz Up. D’emblée, il commence avec un morceau énergisant, sans détours. Afro-Jazz oui, avec des touches d’Afrobeat, mais surtout une présence scénique remarquable. Il interagit par moments en s’adressant au public, en les invitant dans son univers avec ses mots, avant de reprendre en musique. Un conteur, ça il l’est, en plus de ses nombreux chapeaux. 

Petit détour vers la deuxième scène pour découvrir une artiste que je ne connaissais pas : Samira Fall. Slameuse, elle maîtrise l’art de la mise en scène dès son entrée sur scène. Elle joue avec les mots et nous a émus même si je ne comprenais pas. C’est le pouvoir de l’art. Elle prenait le temps de traduire certains passages, nous faisait chanter en wolof par moments, notamment en nous faisant répéter lan mo dess, qui signifie « Que restera-t-il ?» en wolof. Elle était accompagnée de son guitariste et de son claviériste et était vêtue aussi d’une tunique noire et qui allaient avec ses tresses. Elle dédie une de ses chansons aux non-conformistes, qui étaient sûrement nombreux ce soir-là.

La première des deux soirées de concerts s’est clôturée avec le monument Cheikh Lô et son groupe formé de dix musiciens. Malgré son âge avancé, il est toujours là sur scène, parfois debout parfois assis, mais avec la même énergie. Il prend même la place de son batteur, nous partageant sa maîtrise de cet instrument, avant de revenir sur la scène. Certains de ces rythmes sont teintés de sonorités latines, mais on retrouve le mbalax entre autres styles, surtout dans le dernier morceau joué. Vêtu d’une veste militaire avec de la fourrure, et d’une ceinture autour de la taille, l’artiste au chapeau a toujours la touche et passe du chant à un tambour installé devant la scène sur laquelle il tapait par moments. Du haut de ses 70 ans, cet artiste a encore beaucoup de choses à partager et chaque concert devrait être à guichets fermés puisque nous sommes chanceux d’avoir des légendes vivantes sur les scènes nationales et internationales. En effet, Cheikh Lô était à Montréal il y a quelques mois, accompagnés de plusieurs autres artistes sénégalais.

Crédit photo: Cheikh Oumar Diallo

Stéréo Africa Festival – Entre Masterclass et sessions Unplugged

par Sandra Gasana

Le temps d’une journée, j’ai mis ma casquette de journaliste de côté pour porter celle d’artiste. En effet, je me suis inscrite à la Masterclass sur l’édition musicale animée par Sheer Publishing, une compagnie d’édition basée en Afrique du Sud.

Cette activité était facilitée par un artiste qu’on ne présente plus au Sénégal ni à l’international, Nix, qui était à la fois traducteur de l’anglais vers le français et vice-versa mais agissant également à titre d’intervenant vue son expertise dans le domaine.

Après une introduction sur les fondamentaux de l’édition, Sheer Publishing a abordé les thèmes entourant les droits d’auteurs, les moyens de générer des revenus avec notre musique mais aussi comment la protéger. J’ai appris énormément de cette masterclass mais je me suis surtout rendue compte que je n’y connaissais pas grand-chose au monde de l’édition. Je n’ai malheureusement pas pu assister à la deuxième journée de la masterclass qui s’étalait sur deux jours, mais je compte bien faire mes devoirs suite à cet apprentissage riche.

En soirée, c’était le temps de se rendre au Centre culturel Blaise Senghor pour la finale des sessions Unplugged, qui font également partie du festival.

Plusieurs groupes ont performé devant un jury composé de 5 personnes, incluant le fondateur du festival Sahad Sarr, Saphia Arhzaf mais également Elkin Robinson, l’artiste colombien dont je vous ai parlé ici.

Mon coup de cœur parmi les finalistes était sans aucun doute l’artiste dont je n’ai pas retenu le nom mais qui jouait avec son père à la guitare. Elle mêlait à la fois le chant et le rap et le tout de manière fluide.

Les trois gagnants de cette compétition étaient  dévoilés à la suite d’une délibération des membres du jury et seront accompagnés pendant un an par le label de musique indépendant de Sahad Sarr, Stéréo Africa 432, qui déniche des talents locaux et les accompagne dans le développement de leur carrière.

Crédit photo: Cheikh Oumar Diallo

Stéréo Africa Festival – Un voyage entre Afrique et Amérique latine

par Sandra Gasana

Toutes les Guinées étaient représentées lors du Stéréo Africa Festival cette année. Après un petit avant-goût avec Nelida Karr, de Guinée Équatoriale lors de l’ouverture le 6 mai, David Pereira et son groupe ont fièrement représenté la Guinée Bissau alors que le groupe Lumière d’Afrique honorait la Guinée Conakry.

David Pereira et son groupe, formé d’un bassiste, guitariste et d’un musicien jouant le cajón, ont ouvert le bal à l’Institut français de Dakar. Avec un projet d’album prévu pour 2026, ce quartet est basé au Sénégal, comme beaucoup d’artistes rencontrés lors de ce festival. Dakar est vraisemblablement un carrefour attirant les artistes africains de tout le continent, venus poursuivre leur rêve d’artistes dans ce cadre propice.

A suivi le groupe Lumière d’Afrique, avec le chanteur principal muni de son kamele ngoni, d’un joueur de bolon, un autre avec des maracas, et finalement un bongo. Malheureusement, cela coïncidait avec un match de foot, le public étant donc partagé entre de la bonne musique live et des moments forts de football. Cela fait partie des aléas de l’organisation d’événements où l’on ne maitrise pas toujours tous les paramètres.

Puis, le temps était venu de se diriger vers la grande scène de l’Institut pour la deuxième partie de la soirée avec trois autres groupes prévus au menu.

Tout d’abord, nous avons eu droit à un voyage en Amérique latine avec un duo / couple argentin qui chante en plusieurs langues : l’espagnol bien entendu, mais également le portugais et la langue des Philippines. Beto Caletti à la guitare et à la voix, accompagné de son épouse Mishka Adams à la voix et aux multiples instruments percussifs. Nous avons découvert des rythmes d’Uruguay, du Venezuela, mais c’est surtout la bossa nova et le baiao qui m’ont particulièrement plu, étant donné mon penchant pour la musique brésilienne.

Après l’Amérique latine, nous sommes revenus sur le continent africain avec le grand koriste Lamine Cissokho, qui vit en Suède. Issu d’une famille de griots, les gardiens de la tradition orale mandingue, il était accompagné par Ibou à la calebasse, d’un bassiste centrafricain. « Mon père m’a toujours dit de rester modeste même s’il m’apprenait la kora », nous raconte-t-il avant le morceau Modestie.

La tête d’affiche de cette soirée et mon coup de cœur était l’artiste Tafa Diarabi du Sénégal qui a enflammé l’Institut français avec son full band. Après 8 ans sans avoir sorti d’album, ce chanteur de reggae, mais pas que, a chanté ses plus grands succès que la foule connaissait par cœur, mais également d’autres morceaux de son nouvel album. Il chante en anglais, en français, en wolof, mais toujours avec cette belle présence scénique qui a plu au public de plus en plus nombreux. Il a même fait une reprise de Bob Marley mais qu’il a mis à sa sauce. Il est talentueux mais également généreux puisqu’il a fait monté une femme et un homme sur la scène pour leur donner la chance de briller le temps de quelques minutes. C’est ainsi que s’est achevée la soirée, alors que plusieurs festivaliers se ruaient en arrière de la scène pour partager quelques mots avec l’artiste.

Nous avons terminé la soirée de nouveau au Bazoff pour un deuxième Jazz Up et cette fois-ci, j’ai pris mon courage à deux mains pour faire une petite impro avec les musiciens talentueux qui étaient dans la place. Et je ne le regrette pas du tout.

Crédit photo: Bertin Leader

Stéréo Africa Festival – Cocktail privé d’ouverture

par Sandra Gasana

D’habitude, les cérémonies d’ouverture sont protocolaires, avec de longs discours qui plombent l’ambiance. Mais ce n’était pas le cas pour celle de la 4ème édition du Stéréo Africa Festival qui se tenait à l’Institut Cervantes en ce 6 mai 2025, juste avant le début de ce rendez-vous musical devenu incontournable dans le paysage artistique de Dakar, au Sénégal.

Et pour l’occasion, plusieurs performances acoustiques au menu qui ont su nous mettre dans les meilleures conditions pour accueillir cette rencontre de mélomanes.

Pour ouvrir le bal, nul autre que Moussa Traoré, lauréat de la 3ème édition Unplugged du festival en 2024, accompagné de sa guitare. Il a partagé un morceau rendant hommage à sa Casamance natale, mais aussi aux grands noms de la kora, instrument qu’il semble affectionner. 

Dans l’audience, des acteurs culturels, des représentants de ministères et d’institutions culturelles et bien entendu de nombreux mélomanes. Les ambassades de la Colombie et du Burkina Faso étaient également représentées, la première ayant contribué à la venue de l’artiste Elkin Robinson. Ce dernier vient d’une région méconnue de la Colombie, Providence, où l’on parle principalement un patois anglais, proche de celui de la Jamaïque. Il faisait partie des artistes prévus lors de cette ouverture et nous a partagé sa musique qui est un mélange de calypso et de country, avec une touche de soca parfois. Parmi les thèmes abordés dans ses chansons figurent les changements climatiques, la gastronomie de sa région natale qui tire ses origines de l’Afrique. Même si c’était sa première fois au Sénégal, il s’y sent déjà chez lui, puisque ses ancêtres viennent de ce continent. Il était également accompagné de sa guitare, à laquelle il ajoutait un genre de maracas attaché à ses doigts.

Je terminerai avec la performance qui m’a le plus touchée. Un nom à retenir : Nelida Karr de Guinée Équatoriale. Ce pays souvent méconnu au niveau artistique est désormais sur ma ligne de mire. Cette femme à la voix puissante nous en a mis plein la vue avec sa performance époustouflante. Accompagnée par sa guitare toute blanche et transformant les rythmes d’un instrument traditionnel de son pays natal en guitare, elle nous a ému avec son sourire contagieux et la portée de sa voix. Elle me faisait parfois penser à Buika mais avec une voix moins rauque. Elle s’adressait à l’audience en espagnol, langue parlée dans son pays, même si elle semble bien se débrouiller en anglais et en français. Après sa performance, elle était sollicitée de tous les côtés par les mélomanes conquis mais également par la presse qui voulait en savoir plus sur elle.

La soirée a terminé au Bazoff, avec un Jazz Up spécialement concocté pour l’occasion. Un quartet composé d’artistes exceptionnels nous a livré une soirée d’improvisations jazz comme on les aime. Guitare, basse, batterie et claviers, tels sont les ingrédients nécessaires pour un jam de lancement de festival. À ce quartet, s’est joint un trompettiste exceptionnel originaire du Congo qui a su compléter le groupe. Ensemble, ils nous ont fait passer une soirée mémorable, avec le fondateur du festival Sahad Sarr qui est monté sur scène le temps d’un morceau, ainsi que d’autres musiciens présents dans la salle qui ont alterné à tour de rôle.

Si cette entrée en matière était de ce calibre, je me demande ce que ce sera lorsque le festival aura bel et bien commencé. Pour le savoir, on se retrouve à l’Institut français ce soir pour le début officiel du SAF édition 2025.

Crédit photo: Cheikh Oumar Diallo

FAI 2025 | Une nuit blanche de musique folk

par Sandra Gasana

Les choses n’arrivent pas par hasard. Qui aurait cru qu’un samedi après-midi, alors que je travaillais sur la mise en page de l’article d’un collègue, je réalise que l’événement qu’il décrit dans son texte est toujours en cours et que je pourrais y participer avant la clôture prévue le jour d’après.

Après quelques échanges de courriels, me voici en route vers le Folk Alliance International qui se déroulait au Centre Sheraton de Montréal, du 19 au 23 février 2025. J’y étais la soirée du 22.

Je débarque donc vers 19h, je croise quelques amis artistes montréalais dans les couloirs de ce grand hôtel du centre-ville. J’essaye de comprendre comment l’application fonctionne et comment trouver les spectacles auxquels je souhaite assister.

1er arrêt : Mimi O’Bonsawin. Elle est accompagnée de son batteur, en plus des sons pré-enregistrés qu’elle faisait jouer sur certains morceaux. Elle dansait, jouait de la guitare, avec un habillement aux allures de déguisement, sur lequel étaient collées des ailes. J’ai même aperçu Ahmed Moneka dans la salle, cet artiste originaire d’Irak, qui semblait apprécier le spectacle, vus les hochements de tête que je pouvais voir de loin. Mon coup de cœur était son morceau I am Alive.

2ème arrêt : L’artiste australienne Nat Vazer, récemment installée à Montréal et son bassiste Benny, également aux chœurs nous en transmis plein de frissons. J’ai beaucoup aimé Strange Adrenaline sur laquelle on peut entendre la voix soyeuse de Nat, surtout lorsqu’elle va dans les aigus. Avec un petit air à la Gwen Stefani dans le timbre de sa voix, elle a su hypnotiser son audience puisque personne ne semblait vouloir quitter la salle après son set. Elle nous a parlé de son pays natal entre deux morceaux et de ses plages, nous invitant par la même occasion au voyage. On a eu droit à cinq minutes de plus, au grand plaisir du public, et on a savouré chaque seconde.

3ème arrêt : Kelly Bado qui, pour l’occasion, était accompagnée par un batteur et un bassiste. Cette artiste originaire de Côte d’Ivoire et basée à Winnipeg nous a livré un excellent show dans l’une des plus grandes salles de l’hôtel. Elle chante en anglais, en français et maitrise l’art de la mise en scène. « Nous avons tous des rêves et si je suis ici, ça veut dire que les rêves se réalisent », nous confie-t-elle, avec quelques instruments percussifs qu’elle jouait. Elle termine son set avec Fire Fly, en hommage à toutes les personnes qui nous ont quittés, mais qui vivent encore à travers nous.

4ème arrêt : Angelique Francis et son groupe, comprenant ses deux sœurs au trombone et au saxophone et son père à la batterie. Multi-instrumentiste, Angelique joue de la guitare, de la contrebasse et de l’harmonica, parfois deux instruments en simultanée. Une boule d’énergie qui a enflammé le FAI samedi soir, avec des chorégraphies subtiles mais puissantes et une présence scénique remarquable. Et ils n’ont pas joué qu’une fois, on a eu l’occasion de les revoir jouer dans une chambre d’hôtel bondée plus tard dans la soirée. Je vous en parle plus loin.

C’est ainsi que les performances officielles ont pris fin mais … attendez, le meilleur était à venir puisque les performances privées allaient débuter quelques minutes plus-tard.

Je vois une file d’attente qui se crée devant les ascenseurs : on m’explique que les concerts dans les chambres d’hôtel allaient débuter et c’est pourquoi il y avait la file pour monter sur l’un des 5 étages prévus à cet effet. Je commence par le 7ème et j’y trouve des groupes de tous genres, de tous styles, avec pour seul point commun : le folk. Les chambres étaient plus ou moins petites, les lits et les bureaux avaient été retirés, ne laissant qu’un espace pour installer le groupe, des chaises pour les 15, 20, ou plus de spectateurs, qui circulaient d’une chambre à l’autre.

1er arrêt privé : Je sais qu’ils sont de ma ville et j’aurais pu aller voir d’autres artistes que je ne connaissais pas, mais je me suis tout de même arrêtée pour écouter Sophie Luckas et sa kora, accompagnée par Elli Miller Maboungou à la calebasse et aux chœurs, ainsi que László Koós à la basse. Cette artiste montréalaise d’origine hongroise a chanté en bambara, l’une des langues parlées au Mali, en anglais et en hongrois. Ça ne m’étonnerait pas qu’elle chante aussi en français. Malgré le court laps de temps accordé à chaque artiste, (30 minutes), elle a pris le temps d’expliquer son instrument, ses origines, et son rapport avec le Mali. Elle a terminé avec un hommage à sa grand-mère, qui dansait encore à l’âge de 97 ans.


2ème arrêt privé : On m’avait parlé de la chambre d’hôtel dédiée au Black American Music Summit (BAMS), et je voulais découvrir les artistes qui y joueraient. C’est comme cela que j’ai découvert Rachel Maxann, une artiste originaire de Tennessee. Cette globe-trotteuse qui a vécu dans plusieurs coins des États-Unis mais également en Australie, a su nous charmer avec sa voix soul mais aussi son jeu de guitare berçant.

3ème arrêt privé : Lady Nade, artiste de Bristol, en Angleterre, était accompagnée d’un guitariste et bassiste, qui faisaient tous les deux les chœurs, mais également par trois choristes aux harmonies délicieuses, qu’elle a surnommé les « Nadettes ». Alors qu’elle célébrait ses 5 années de sobriété, elle s’est donnée pour mission de briser le tabou autour de la santé mentale. Tout comme Kelly Bado, elle a terminé par un morceau sur le deuil intitulé Complicated, qui a donné la chair de poule à toute la salle. Une voix qu’on devrait revoir à Montréal cet été.

4ème arrêt privé : Lancelot Knight, cet auteur-compositeur-interprète cri des plaines originaire de Saskatoon, en Saskatchewan est guitariste et a partagé certains morceaux de son répertoire. Il faisait tellement chaud dans sa chambre d’hôtel qu’il a dû enlever tous ses accessoires, lui qui est souvent vêtu d’une belle veste colorée et de lunettes de soleil. Avec sa voix de rocker, il faisait contraste avec son jeu de guitare qui fluctuait entre rythmes rapides et intenses avec des sons calmes et doux.

5ème arrêt privé et fin : Tel que mentionné plus haut, Angelique Francis and family ont également joué dans la salle BAMS pour une deuxième fois, en format intime cette fois-ci. La salle était bondée, l’énergie était électrisante et j’ai l’impression qu’ils n’ont pas rejoué les mêmes chansons que plus tôt dans la soirée. Quelle belle façon de terminer cette nuit de musique et de rencontres. Je suis arrivée chez moi à 3h du matin, le coeur rempli de joie et les oreilles remplies de sons. L’année prochaine, je tâcherai d’être en Nouvelle-Orléans, lieu de la prochaine édition du FAI mais cette fois-ci, pas comme journaliste mais comme artiste. Je lance ça dans l’univers.

FAI 2025 | Un week-end à l’hôtel… du plus grand rassemblement folk de la planète 

par Michel Labrecque

La 37e édition de l’évènement Folk Alliance International s’est déroulée dans un grand hôtel de Montréal du 19 au 23 février. 2,500 participants parmi lesquels plusieurs centaines d’artistes. Elles et ils ont discuté, assisté à des conférences, négocié des spectacles et ont surtout fait et écouté de la musique. Michel Labrecque a pu assister à cet événement privé à titre de journaliste. Il en est ressorti les oreilles pleines. 

Partout, on voit des étuis de guitares, de violon, de contrebasse, dans une sorte de désordre organisé. On pressent que, bientôt, tous ces instruments vont se mettre à jouer. 

Comme tous les participants, je dois faire la queue pour obtenir les documents qui me permettront de circuler librement sur les huit étages que le Folk Alliance occupera dans l’hôtel pour les cinq prochains jours. 

Devant moi, un groupe de jeunes femmes allumées discutent avec passion. Je découvre qu’elles travaillent pour l’étiquette québécoise de disques Bonsound. Elles me remettent immédiatement un bout de carton, qui m’invite à assister le lendemain à des mini-concerts de Shaina Hayes, Lisa Leblanc et Matt Holubowski, entre autres, à partir de 22 h 30, dans une chambre d’hôtel du neuvième étage. 

C’est une des particularités de ce rassemblement. En plus de concerts boutiques (showcases) dans des grandes salles, il y a des centaines de mini concerts privés dans des petites chambres, dont on a enlevé le lit et le bureau. Écouter Matt Holubowski à tout au plus six mètres de distance. J’hallucine! 

Une fois mon laissez-passer obtenu, j’aborde un type jovial, qui se moque dans un français teinté d’accent anglais, de la prétention de Donald Trump de faire du Canada le 51e État américain. Il s’appelle Ciarán Mac Cowan, il vient de Belfast en Irlande du Nord et parle un français plutôt riche. Nous sympathisons et il me promet qu’il me racontera des tas d’histoires sur la période de la guerre civile dans son coin de pays. 

L’évènement n’est pas encore commencé que déjà, les rencontres s’annoncent fertiles.

La raison d’être de cet événement consiste à mettre en réseau des artistes folk et des organisateurs de concerts et de festivals et aussi de permettre aux musiciens de mieux se fédérer et se démerder dans la jungle du showbizz, dominée par les grandes compagnies qui ont peu à cirer du folk. 

Le 20 février, à midi, la plus grande salle est pleine à craquer pour assister à la grande entrevue que « notre » Allison Russell va donner à Ann Powers, autrice et critique de musique pour National Public Radio, la chaîne publique américaine. 

Sous les applaudissements nourris de la foule, majoritairement anglophone et américaine, Allison s’exclame en français: bienvenue dans la ville ou j’ai grandi, cette ville formidable », avant de retourner à l’anglais pour raconter que, tout près d’où nous sommes, se trouve la grande Cathédrale Marie-Reine-du-monde, où elle allait se réfugier souvent pendant la journée alors qu’elle était sans abri. 

Nous le savons: l’immense chanteuse et musicienne folk americana a eu une enfance très difficile, dont ses deux disques parlent abondamment. « Les quinze premières années de ma vie constituaient une zone de guerre ». Elle est venue à Folk Alliance pour parler de résilience, pour partager son expérience à ses collègues. comme en témoigne son dernier album, The Returner

Cette gagnante d’un Grammy (en plus de sept  nominations) est devenue une célébrité dans cet univers folk créatif. Mais Allison reste très humble et raconte que, pendant la pandémie, elle s’est retrouvée sans le sou et sa survie a dépendu de la solidarité d’autres artistes. 

Depuis onze ans, cette Montréalaise habite Nashville aux États-Unis. Allison Russell ne mâche pas ses mots devant ce qui se passe politiquement dans son pays d’adoption. 

« Ça sent le fascisme à plein nez! Trump et ses alliés veulent nous diviser, mais ça ne fonctionnera pas », dit la chanteuse en générant des applaudissements nourris. « Un rassemblement comme celui-ci nous inocule contre la haine », ajoute-t-elle. 

Le Folk Alliance International est basé à Kansas City aux États-Unis. De toute évidence, c’est un organisme plutôt progressiste, qui compte des sous-groupes pour les communautés noires et autochtones. Le folk est connu pour son parti-pris souvent progressiste, mais il y a aussi des musiciens americana de toutes tendances et parfois apolitiques. 

« La musique folk est celle du peuple », nous dit Alex Mallett, le directeur-adjoint de l’organisation. « L’inclusivité et la diversité font partie de notre ADN et nous allons continuer dans ce sens, quelque soit le climat politique », ajoute-t-il. Il ajoute que ça ne fait qu’un mois que Donald Trump est élu et qu’il est encore tôt pour évaluer l’impact. 

Quelques ateliers et discussions ont évoqué cette nouvelle ambiance politique, mais au Folk Alliance, tout le monde est là avant tout pour la musique. Et il y en avait pour tous les goûts dans ces multiples prestations, destinées aux promoteurs et aux organisateurs de festivals.

Le pays en vedette cette année est le Portugal. Vous pouvez lire mon compte rendu sur l’alt-folk de ce pays dans un autre article. 

On pouvait entendre un fort contingent québécois de toutes origines: du trad punk de La Patente au violoncelle de Jorane, en passant par le mélange tropical de Wesli et la fusion brésilienne de la batteuse Lara Klaus. 

Du côté canadien, j’ai découvert avec plaisir Alysha Brilla, Torontoise d’origine indo-tanzanienne, qui fait un fantastique mélange de genres et The Pairs, un trio de femmes qui se distinguent par des harmonies très agréables. 

Il y a aussi d’importantes délégations d’Australie, de Catalogne, des pays scandinaves. Et une salle réservée à une multitude d’artistes autochtones internationaux. Parmi ceux-ci, j’ai été subjugué par Sara Curruchich, une guathémaltèque d’origine Maya, que j’avais eu le plaisir d’interviewer pour PAN M 360 il y a un an et demi. Avec un groupe entièrement féminin, dont une virtuose de la marimba, Sara a littéralement cassé la baraque et fait danser tout le monde tout en livrant des messages très engagés. On peut être engagé tout en souriant. Espérons qu’on la reverra bientôt dans des festivals ou concerts chez nous.

Une autre surprise a été la taïwanaise indigène Sauljaljui, que j’ai pris au départ pour une africaine. On ne cesse jamais d’apprendre. Cette jeune femme nous ensorcelle avec un cocktail de tradition et de folk-rock.

 

Du côté américain, mon coup de cœur a été Gina Chavez. Cette Texane d’Austin, que j’ai eu la chance d’interviewer en 2018 pour Radio-Canada, est une autrice-compositrice LGBTQ qui assume son identité et qui chante autant en espagnol qu’en anglais. Elle a monté un groupe innovateur pour sa prestation: trombone, violon, percussions, guitare électrique. Tout cela sonnait éminemment bien. 

Tout au long de ces trois jours, il y a des jams spontanés. J’aperçois tout à coup quinze violons qui se mettent à improviser ensemble. Nous, journalistes, nous faisons sans cesse solliciter par des artistes qui veulent attirer notre attention. Deux jeunes femmes m’abordent dans la langue de Sheakspeare, avant de comprendre que c’est un imbroglio. Nous sommes tous Québécois francophones. 

Blanche Moisan-Méthé et Gabrielle Cloutier sont deux complices musicales dans l’excellent groupe world Méduse. Elles ont chacun leurs projets solo BLAMM pour l’une et , pour Gabrielle, sous son propre nom. Elles m’expliquent la difficulté et la complexité d’obtenir des « gigs » (des concerts)  dans cet immense marché aux puces musical. Quand je les rencontre, Méduse a en vue un concert en Alberta. Pour le reste, rien. 

Blanche Moisan-Méthé a fait l’objet d’une entrevue de Varun Swarup sur notre site, en 2023 pour son premier – et très original- album, qui fait une grande place aux cuivres, que Blanche joue en plus du banjo et de la guitare. Elle travaille avec une multitude de groupes, dont Gypsy Kumbia Orchestra. C’est ça la vie d’artiste en 2025. Elle a donné plusieurs mini-concerts- c’est en général quinze à vingt minutes-dans ces chambres d’hôtel, entre 22h30 et 2 heures du matin. J’espère que ça a donné des résultats. Les artistes doivent payer plusieurs centaines de dollars pour se retrouver ici. 

Le vendredi soir, dans un escalier, je retrouve mon Irlandais du Nord, Ciarán Mac Gowan, qui me convie en français à un de ses sept mini-concerts donnés dans une chambre d’hôtel. Je découvre que son apprentissage du français est dû à son exil en France, durant la guerre civile en Irlande du Nord. Il a aussi vécu en Californie.

Pour ce mini-concert, il est accompagné par un harmoniciste et un guitariste solo. Tous entassés dans la petite chambre, nous nous laissons bercer par leur musique, ainsi que par le folksinger chilien Nicolas Embar et par l’américaine du Nebraska Hope Dunbar. Ce groupe hétéroclite alterne dans les chansons. Les spectateurs embarquent. Les artistes se congratulent. Au même moment, environ 120 mini-concerts se déroulent sur quatre étages du Centre Sheraton. 

Nous sommes tous et toutes saoulés de musique. Ça va nous prendre quelques jours pour nous en remettre. 

FAI 2025 | Le Portugal comme vous ne l’avez jamais entendu

par Michel Labrecque

Pour la 37ème édition du Folk Alliance International, une grand-messe du folk international tenue à Montréal cette année, une nouvelle vague de alt folk portugais a déferlé. En attendant de les accueillir sur les scènes d’ici, Michel Labrecque est allé à leur rencontre.

Quand on associe musique et Portugal, on pense immédiatement au fado, ces complaintes qui déchirent les âmes et les cœurs. Le genre a ses adeptes et il existe du très bon fado. Mais j’ai découvert cette semaine que la musique folk portugaise était beaucoup plus riche et qu’un groupe de musiciens portugais actualise, voire réinvente ce genre.

Je ne m’attendais pas à parler aussi rapidement de politique dans mes rencontres avec ces artistes, qui sont mis en vedette dans le cadre du Folk Alliance International de cette année.

« Tu dois comprendre que, pendant les années de dictature, les dirigeants n’aimaient pas le folklore, souvent très percussif, qui galvanisait les citoyens », me raconte l’autrice-compositrice Joana Alegre.

« Ils préféraient le fado, qui était plus individualiste que collectif et je pense qu’encore aujourd’hui le Portugal en porte la trace. 

Le Portugal a été une dictature de 1926 à 1974. Il a commémoré l’an dernier le cinquantenaire de son retour à la démocratie.

Joana Alegre a fait paraître en 2024 Luas, un album de folk-pop lumineux qui incarne tout-à-fait cette nouvelle vague. On y entend des effets électro mais aussi des instruments traditionnels portugais qui fusionnent avec de très riches harmonies vocales. « Je suis entre différents genres et ça me plait », dit la jeune femme qui a une formation en classique et en jazz. 

Le petit Portugal compte une somme faramineuse d’instruments traditionnels. À commencer par ces guitares très particulières, appelées « violas ». Elles ont entre quatre et dix-huit cordes, ont des tailles différentes, elles ont une sonorité très particulière. Il y a la viola braguesa, la campanica, la de arame, et plusieurs autres, sans compter le cavaquinho, qui existe aussi au Brésil et qui, en Hawaï est devenu le ukulele.

« Je ne connaissais absolument rien de toutes ces guitares, me dit O Gajo, de son vrai nom João Morais. « Puis un jour, j’ai découvert ce son et j’en suis tombé amoureux ». O Gajo est une sorte de Bob Dylan à l’envers : ancien rocker et punk dans de nombreux groupes, il a délaissé et vendu ses guitares électriques au profit des violas de son pays. Ai-je besoin de vous rappeler l’histoire de Bob Dylan, qui s’est fait huer en 1965 au festival folk de Newport pour avoir adopté la guitare électrique. Très bien racontée dans le récent film  A Complete Unknown .

Depuis sa conversion acoustique, O Gajo s’est lancé dans une odyssée qui vise à pousser sa viola vers des zones inédites. Dans certaines pièces, on se croirait presque dans un raga indien. Dans d’autres, on sent encore le souffle du rock, incarné sur un mode acoustique. Dans son dernier opus, Terra Livre (2024), O Gajo dialogue avec Ricardo Vignini, un Brésilien qui joue de la viola caipirinha, la cousine brésilienne de la viola portugaise. Cela donne une longue introspection passionnante entre deux lusophones de chaque côté de l’Atlantique, qui fusionnent musicalement.

« Il faut savoir que ces instruments ont failli disparaître », lance Antonio Bexiga, alias Tó-Zé (à droite sur la photo), du groupe RAIA, lors d’un atelier-conférence sur ces « cordophones », le nom générique qu’on donne à ces violas traditionnelles. « Plus personne ne s’intéressait à ces instruments ». Seule la viola braguesa était encore jouée sous les années de la dictature.

RAIA, tout comme Bicho Carpintero, sont d’autres groupes qui amènent les traditions dans de nouveaux territoires, mélangeant les genres et les influences. Le Portugal est le pays invité cette année par l’organisation Folk Alliance international. Ce qui nous permet de découvrir ses musiques d’une qualité impressionnante. 


« C’est véritablement une nouvelle scène portugaise et ces artistes ont tendance à collaborer entre eux ce qui enrichit le tout »,me raconte Nuno Saraiva, (voir photo ci-dessus) un Canadien-Portugais qui a travaillé pour monter cette mission musicale à l’étranger. Lui-même est un musicien et joue dans le groupe Lusitanian Ghosts, un OVNI musical folk-rock, qui chante en anglais tout en utilisant des guitares traditionnelles portugaises.

Il faut également parler de Retimbrar, un groupe percussif et ludique de Porto (voir photo ci-dessous). Ils sont huit, deux femmes et six hommes, dont six chantent parfois de façon polyphonique. Avec une ribambelle d’instruments de percussions, des petites castagnettes à l’énorme tambour. Et ça déménage furieusement, comme ils l’ont démontré sur une scène privée de Folk Alliance. S’ajoutent aux instruments traditionnels des claviers et des guitares électriques.

Je vous dis: on trouve beaucoup d’innovation dans cette mouvance alt folk portugais.

Je termine avec trois autres innovateurs dans les extrêmes du genre. 
João Diogo Leitao est un guitariste classique qui s’est réinventé en écrivant des compositions pour viola portugaise. Son album Por Onde Fica a Primavera (2020) est un bijoux de folk méditatif et complexe, avec des compositions raffinées, qui montrent la formation classique du guitariste. Souvent la guitare est réverbérée, ce qui nous amène directement dans la stratosphère…

Marta Pereira Da Costa est la Pat Metheny du fado. La première femme du Portugal à devenir une guitariste d’accompagnement pour les chanteurs de Fado, elle a choisi d’élargir son répertoire instrumental en s’inspirant du jazz, des musiques brésiliennes et latines. Sa dernière offrande, Sem Palavras (2024) constitue un dialogue très riche avec le pianiste d’origine cubaine Ivan Melon Lewis. Marta Pereira Costa joue de la guitare portugaise, un instrument différent des violas dont nous avons parlé plus haut.


Finalement, un autre OVNI: Omiri (voir photo ci-dessus). De son vrai nom Vasco Ribeiro Casais, est à la fois un DJ et un ethnologue. Il se déplace dans les campagnes pour recueillir des chants et des instruments traditionnels et filmer les gens.  Puis, il échantillonne tout ce matériel et compose des rythmiques et mélodies. Par la suite, il joue des instruments en direct, alors qu’on voit derrière des vidéos qui correspondent aux échantillonnages effectués. Souvent, ses instruments traditionnels sont électrifiés. Vachement ludique !

J’ai découvert ces artistes avec un grand bonheur. J’espère qu’on pourra les revoir bientôt en concert sur nos terres. Obrigado por ler. Merci de me lire. 


Affinités méconnues entre métal et classique, Ze dossier

par Rédaction PAN M 360

Les 29 et 30 janvier se tiennent les premières mondiales du programme Voïvod symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande  culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare, vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers. À ce dossier, nous greffons les trois interviews réalisées dans le contexte de Voivod symphonique, réalisées par Alain Brunet: Michel Away Langevin de Voïvod, la maestra Dina Gilbert qui dirige le programme, et l’arrangeur des pièces de Voïvod, Hugo Bégin, avec la participation de Laurent Bellemare.

crédit photo: Alain Brunet

 » Pour l’occasion, David Therrien Brongo et moi avons été interviewés par Laurent Kolam Indah (Bellemare) de PAN M 360 pour préparer un immense dossier en 4 parties pour discuter de la question. Il y a beaucoup à dire. Plusieurs voient les affinités entre Vivaldi/Bach/Beethoven et Rhapsody Of Fire, Nightwish, Sonata Arctica, mais peu encore réalisent les affinités entre Stravinsky/Ligeti/Ferneyhough et Martyr, Meshuggah et Necrophagist » , souligne Pascal Germain-Berardi, un de nous principaux interviewés.

« Quand on pense, poursuit-il, que la musique pop est née en réaction aux musiques complexes classiques et jazz du début du 20e siècle, et que quelques décennies plus tard, de cette musique pop est né la musique métal en réaction à la simplicité du pop et investie d’une mission de transgresser toutes les frontières, on découvre conséquemment, à la source de l’impulsion créatrice, des volontés artistiques très similaires entre classique et métal. Vive le classique, vive le métal, et vivement la progression d’une compréhension mutuelle de ces deux univers où les créateurs sont souvent habités des mêmes idéaux mais qui ont simplement des outils et bagages culturels différents pour l’exprimer. »

Affinités méconnues entre métal et classique / Revendication d’un héritage, cousins dans l’épique (1)

par Laurent Bellemare

Les 29 et 30 janvier se tiennent les premières mondiales du programme Voïvod Symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande  culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers.

Revendication d’un héritage

Avec à peine 60 ans d’existence, le métal a fait des bonds de géants dans son évolution stylistique et technique, une tendance exacerbée par la société technologique du XXIe. Répudiée par les institutions officielles et marginalisée dans la culture de masse, cette musique brute et inaccessible s’était  abreuvée aux références classiques européennes dès le début, références tant compositionnelles qu’extra-musicales.

Si les premiers groupes de hard rock/métal avaient plutôt des racines blues-rock (Cream, Black Sabbath, Deep Purple, Led Zeppelin), un virage technique très net fut observé chez des Judas Priest et autres Iron Maiden. Cette rigueur d’exécution et un travail compositionnel de plus en plus détaillé des morceaux s’accompagnaient d’un usage moins systématique du pentatonisme blues – gammes à 5 notes, typiques du blues.

On observait en outre un lyrisme accru et un travail d’harmonisation dans les arrangements des guitares, le tout enrichi d’un jeu de batterie de plus en plus complexe, de plus en plus rapide. 

Sous l’influence du rock progressif sur le métal, des vagues de groupes tels Queensrÿche et Dream Theater ont catalysé ce nouvel intérêt pour les formes complexes et longitudinales. Plutôt que de répéter des motifs simples, le métal a développé le matériau. 

Cousins dans l’épique

Au-delà de la musique, identifions maintenant les similitudes thématiques entre les mondes métal et classique. Depuis la naissance du sous-genre rock, les groupes de métal s’inspirent librement de la mythologie judéo-chrétienne, que ce soit par blasphème avoué ou détournement subversif de ses symboles, comme l’on fait Black Sabbath, Venom, Slayer. 

Également,  les mondes fantastiques de J.R.R. Tolkien et d’H.P. Lovecraft ont pris une place importante dans les textes du métal.

La métaphore symphonique est très présente, du classique thrash metal Symphony of Destruction, de Megadeth, jusqu’aux Symphonies of Sickness de l’icône goregrind Carcass. 

L’association avec l’orchestre symphonique, un autre symbole de puissance sonique, mais aussi de grandeur triomphale, est également corroborée dans le documentaire culte Metal : A Headbanger’s Journey (2008), où on voit dans le romantisme orchestral de Richard Wagner, ancêtre spirituel du métal.

À suivre:  Retour vers la complexité, métal symphonique et amplification (2)

Affinités méconnues entre métal et classique / Retour vers la complexité, métal symphonique et amplification (2)

par Laurent Bellemare

Les 29 et 30 janvier prochains se tiennent les premières mondiales du programme Voïvod Symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande  culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers. Voici la deuxième partie de son excellent dossier.

Retour vers la complexité

Pour le compositeur et chef d’orchestre Pascal Germain-Berardi, également fondateur du groupe métal Archetype, cette appartenance au monde classique s’explique par une contre-attaque culturelle :

 «[La pop] était en réaction pour essayer de faire une musique simple, que tout le monde pouvait écouter. Quelques années plus tard, des descendants de la musique pop, le métal est apparu comme un courant ‘anti-pop’. » 

 Dans un environnement où la musique commerciale cherchait à se détacher de la culture élitiste du classique et de ses formes contemporaines, il y avait donc un attrait naturel à puiser dans une musique complexe et hermétique afin de transgresser les nouveaux genres populaires. 

Par ailleurs, Germain-Berardi souligne l’impact du contexte socio-économique dans l’équation: « La musique métal est surtout apparue dans les quartiers pauvres et prolétaires des sociétés riches, où il y avait une énorme effervescence économique. On était en plein dans les trente glorieuses aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon. Au milieu, on avait des quartiers pauvres où les gens ne touchaient aucunement à ça. » 

L’aura de révolte qui traverse toute la culture du métal trouverait son origine notamment dans ce sentiment de précarité économique. 

Métal symphonique ou orchestre amplifié

Depuis les années 1990, certains sous-genres  du métal usant de séquences orchestrales, exécutées au synthétiseur, se sont cantonnés dans le « métal symphonique ». À ce titre, Rhapsody of Fire, Nightwish et Dimmu Borgir sont les exemples les mieux connus, ces groupes constituent la pointe de l’iceberg. 

En contraste, de nombreux groupes plus obscurs y voient un cliché de mauvais goût et adoptent une esthétique qui, consciemment ou non, les rapproche davantage du classique moderne/contemporain du dernier siècle, de par leurs techniques étendues et leur propension à l’expérimentation.

Le percussionniste David Therrien Brongo confirme qu’il n’y a pas de consensus sur les bonnes façons de s’abreuver à l’univers classique occidental : 

« Dans Rhapsody of Fire, ce sont souvent des références à Vivaldi, Bach,  à des cycles de quintes. Un classique simple dans sa forme et son harmonisation. Alors que, du côté des bands de death metal, il y a aussi des références au classique- dans Fleshgod Apocalypse, par exemple, il y a un orchestre mais on est loin de Vivaldi. Harmoniquement, c’est autre chose. Structurellement, c’est autre chose. » 

Effectivement, on entend de plus en plus d’Igor Stravinski ou de Gyorgy Ligeti dans le métal extrême d’aujourd’hui, ce qui n’étonne pas étant donné les effets dramatiques que cette musique cherche à stimuler. On comprendra que l’avant-gardisme des compositeurs modernes et contemporains est tout à fait compatible avec l’esthétique lugubre et l’aura d’inaccessibilité du métal. 

Germain-Berardi nous explique en outre que la principale différence réside dans l’emploi des techniques du classique contemporain à des fins purement expressives dans le métal, alors qu’en musique classique on a tendance à voir des œuvres « études » qui n’existent que pour explorer des techniques de jeu ou de composition :

 « Dans le métal, on veut toujours justifier le son, la sonorité, le frottement par un affect ».

À suivre: Musique savante souterraine ?

Inscrivez-vous à l'infolettre