RIP l’ami JP

par Alain Brunet

La mort de Jean-Pierre Ferland (1934-2024), nous ramène inévitablement à son legs, réparti en trois cycles importants.

Notre ami JP nous laisse d’abord une discographie chansonnière considérable dans les années 60, soit l’époque des Bozos (Léveillée, Lévesque, Desrochers, Brousseau) à l’apogée des boîtes à chansons et aussi de son exil parisien où il avait réussi pendant un moment à surfer sur la vague keb déclenchée précédemment par Félix Leclerc, Pauline Julien, Gilles Vigneault, Raymond Lévesque.

Comme ce dernier, JP n,a pas connu le grand succès en Europe et décida de rentrer au bercail pour y mener une carrière locale, fort enviable au demeurant. Certains le placent au même rang que les Brel, Brassens et Ferré, mais cette évaluation demeure nord-américaine. Car peu de Français lui reconnaissent aujourd’hui la paternité de Je reviens chez nous, popularisée jadis par Nana Mouskouri. La contribution québécoise à la rive gauche est loin derrière nous et se termine avec Charlebois au tournant des années 70, tant et si bien qu’il se trouve peu de non Québécois qui associent JP Ferland aux grands classiques de la chanson d’expression française. Évidemment il y a eu Céline mais ce succès est d’une tout autre mouture, cela n’a rien à voir avec les vagues précédentes et le plus ou moins néant d’aujourd’hui.

Au QC, c’est évidemment différent. Depuis sont retour au pays après un séjour de quelques années en France, Jean-Pierre Ferland a marqué presque exclusivement les francophones d’Amérique, d’abord pour ses albums créés de 1959 à 1969, mais surtout à cause de Jaune, 33 tours lancé en 1970 et qui demeure un des grands classiques de la pop de création made in Québec.

Je me souviens encore de la commotion à la sortie de cet album! Ma cousine adolescente avait fait jouer ça aux plus jeunes, on croyait alors que Ferland essayait de rattraper Charlebois qui avait déjà fait la révolution avec l’Osstidcho et l’album Lindbergh, de concert avec Louise Forestier. C’était une erreur d’évaluation car Jaune partage aujourd’hui les premières places de la discographie québécoise, toutes époques confondues. Plus précisément, Jaune (1970), Soleil (1971) et Les vierges du Québec (1974) constituent un second chapitre important dans les années 70.

Après quoi JP s’était recyclé dans la variété télé et avait mis à profit ses talents de séducteur pour ne revenir à la chanson top niveau qu’avec la sortie de Écoute pas ça, superbe opus créé de concert avec Alain Leblanc en 1995. Authentique survivant de la création, Jean-Pierre Ferland avait réussi le grand exploit d’un troisième cycle de chansons avec Écoute pas ça (1995) et L’amour c’est d’l’ouvrage (1999).

J’ai eu la chance d’être aux premières loges de ce cycle. Alors chroniqueur à La Presse, je m’étais déplacé plusieurs fois au domaine de JP à Saint-Norbert. Excellent souvenirs de l’accueil chaleureux de mon hôte. Les interviews duraient des heures, nous avions beaucoup de plaisir à échanger et je repartais à MTL rassasié avant d’écrire le texte de l’interview. Je garde un excellent souvenir de ces entretiens.

Une décennie plus tard, virent les fameux adieux de Jean-Pierre au Centre Bell, soit en 2007. Puis ce fut son retour scène et le projet relativement avorté d’une comédie musicale de son cru, conçu autour de la femme du roi Édouard VIII. Pour JP, le sujet était formidable : un roi qui renonce au trône par amour pour sa compagne (préalablement divorcée et non éligible de facto)…. Or on sut par la suite que l’ex-roi avait aussi traficoté avec l’Allemagne nazie et même envisagé un retour à la royauté. Heureusement, les recherches insuffisantes voire erronées de JP sur cette trame dramatique ne l’ont pas trop esquinté, personne ne s’en formalise aujourd’hui, pas plus que l’échec relatif de Gala, une autre comédie musicale de son cru inspiré de la femme du flamboyant Salvator Dali.

Je l’ai rarement croisé par la suite, la dernière rencontre eut lieu en 2020 lors d’un récital plutôt à la PdA, destiné à un public vieillissant. JP commençait alors à décliner sur scène mais il avait encore l’esprit alerte et l’humour acéré. Je me souviendrai de cette vivacité, d’un auteur-compositeur-interprète nettement au-dessus de la moyenne, inspiré, très intelligent, un brin opportuniste, très attachant. Merci pour tout l’ami JP!

crédit photo: Melany Bernier dans la page FB de JPF.

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