L’empreinte de Serge Fiori (1952-2025)

par Alain Brunet

La discographie de Serge Fiori, disparu dans le cosmos en ce jour de Fête Nationale du Québec, n’est pas volumineuse. Or, l’empreinte qualitative du leader d’Harmonium dans notre imaginaire collectif est sans conteste inversement proportionnelle à sa minceur quantitative.

Même sous le choc, on l’observe.

Harmonium compte 3 albums studio sortis en 1974 (homonyme), 1975 (Si on avait besoin d’une cinquième saison) et 1976  (L’Heptade). Il y eut le tandem de rêve Fiori-Séguin  en 1978 (200 Nuits à l’heure) et…il y eut ce retrait de la vie publique pendant la majeure partie de son existence sauf quelques soubresauts comme cet album homonyme, Steely Danesque, sorti en 1986.

Tôt dans sa vie, Fiori fut aux prises avec une santé mentale fragile, submergé par les marées anxiogènes. Il fut miné par le doute, incapable d’affronter cette pression qu’exerce une gloire trop rapidement acquise, ‘le coeur pas assez grand pour tout l’amour » qu’on lui donnait. Longtemps terré dans sa maison du Vieux Longueuil, qu’il avait quittée depuis pour s’établir à Saint-Henri-de-Taillon au Lac Saint-Jean, Serge Fiori avait joint la transhumance de « tout ce monde qui avait quelque chose à raconter »…

Mais bon, il a fait du studio, des bandes originales, de la réalisation, de la méditation… Rien d’exceptionnel, jusqu’à sa résurgence inattendue en 2014, un album solo confectionné avec la même patte d’antan, avec peu d’altérations esthétiques. Ce fut un succès de masse keb, une réhabilitation de masse, éclaircie de l’existence.

Vinrent les compléments symphoniques, classiques d’Harmonium et inspirations du peintre Jean-Paul Riopelle, arrangés respectivement par Simon Leclerc et Blair Thomson.

Peu d’enregistrements créés au cours d’une vie entière, et … pourtant, Serge Fiori fait toujours l’objet d’un culte aujourd’hui magnifié par sa propre mort. 

Pourquoi donc? 

Parce que Fiori fut le plus doué compositeur de sa génération, côté chanson keb. Pas le meilleur parolier mais le compositeur le plus talentueux, mélodiste d’exception et harmoniquement supérieur. Ses collègues venaient du folk, du trad, du folk rock, de la pop. Lui, venait du jazz et de la musique classique moderne, aussi du psychédélisme et du rock progressif. Rappelons que son père Georges fut un très bon musicien dans les années 50 et 60, chef d’un big band jazz-variétés rompu aux mariages italiens, salles de danse et autres festivités corporatives. Serge était tombé dans la marmite, aurez-vous compris…

Je me souviens d’un après-midi passé avec père et fils Fiori à la maison de Serge, on avait discuté musique, amour filial et paternel. Très touchant! Je me souviens d’autres entretiens passionnants chez lui, nous échangions nos coups de cœur côté jazz et autres musiques modernes, nous adorions identifier nos musiciens préférés du moment. Serge Fiori était un authentique connaisseur de musique doublé d’un interlocuteur délicieux… en plus de demeurer le  musicien au-dessus de la mêlée qu’il était encore malgré tout.

Avant même d’atteindre la vingtaine, il était une grosse coche au-dessus des autres compositeurs de chansons en Amérique francophone. J’étais en fin de secondaire lorsque l’homonyme  fut lancé. Gros choc au café étudiant! Trio d’apparence folk, mais on avait tôt constaté que les accords de guitare, les harmonies vocales et les référents stylistiques étaient plus riches, nettement au-dessus de la moyenne. Harmonium devint progressivement orchestral et… sans conteste le groupe plus évolué musicalement de la chanson keb des années 70.

Fiori et Harmonium avaient mis au point un mélange inédit, mondialement reconnu : la symbiose entre le folk, le folk-rock, le rock progressif, le jazz fusion, la pop de chambre d’inspiration classique – avec le soutien de l’arrangeur Neil Chotem, rappelez-vous! Ces chansons portaient parfois des thèmes ésotériques, un tantinet pompeux, gourouesques, mystico-pétés, on en convient… La musique compensait largement.

Je me suis longtemps désolé de la santé mentale de Serge Fiori, de son mal de vivre, sa fragilité, son incapacité de produire à la hauteur de son talent. Son manque de courage ? Lorsque, plus tard dans ma vie, je fus plus apte à l’empathie, ma perception a changé. Chacun d’entre nous a ses capacités propres, chacun vit différemment ses accidents de l’intérieur, chacun a une trajectoire singulière. Il ne faut en conserver que le beau. De Serge Fiori, il en reste à profusion.

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