Warm Chris s’apprivoise lentement, comme les trois albums précédents d’Aldous Harding. Cela tient à divers facteurs, cette fois-ci. D’abord la voix d’Aldous, dont elle use comme d’un jouet protéiforme, passant d’un ton grave à la Lou Reed à un timbre enfantin comme celui de la chanteuse de Deerhoof. Dans la ritournelle Passion Babe, par exemple, elle se met à chanter d’une voix pâteuse et traînante à la Lucinda Williams. Dans She’ll Be Coming Round the Mountain, Aldous adopte une voix chevrotante et nasillarde, comme si elle nous arrivait du Kentucky. Puis, l’ambiguïté du ton des propos : sont-ils ironiques, désabusés, dépités, désespérés? Qu’entend Aldous quand elle nous chante « Tout ce que je veux, c’est un bureau à la campagne », dans Tick Tock? Ensuite, les agencements parfois insolites d’arrangements et de styles : cabaret kurt-weillien infusé de ballade gothique, folk forestier marbré de riffs à la New York Dolls, air à la guitare acoustique qui se métamorphose en Heart of Glass ou encore rengaine qui commence comme Twisting by the Pool et dont l’orgue Hammond nous amène totalement ailleurs. Ajoutons à ce qui précède la délicatesse et le minimalisme de l’ensemble. Les chansons s’appuient souvent sur un simple motif de piano, auquel se greffent des bribes de bugle, de tambourin, d’orgue ou de saxo. En résumé, Warm Chris est une œuvre qui ressemble drôlement à sa créatrice : discrète – pour ne pas dire secrète –, introspective, intelligente et étonnante. Le musicophile qui se donnera la peine de respecter le mode opératoire et la personnalité d’Aldous Harding aura droit à une incursion dans son monde. Le meilleur des mondes, évidemment.
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