Nourrie par la riche mosaïque culturelle montréalaise, l’auteure-compositrice-interprète Gabrielle Cloutier a toujours su intégrer divers styles musicaux et tisser des liens étroits avec de nombreux musiciens. Aujourd’hui, à l’aube de son premier album, Chamade, son groupe rassemble sept musiciens talentueux. Ensemble, ils ont créé un son unique mêlant chant, violon, alto, violoncelle, contrebasse, santuri et accordéon. Les mélodies douces, envoutantes et mélancoliques sont au cœur de cette invitation à se laisser emporter par les mots et les mélodies.

Gabrielle Cloutier se produira à La Sala Rossa le 5 décembre à 18h30.

PAN M 360 : Merci d’être là Gabrielle. Et félicitations pour la sortie prochaine de Chamade ! L’album sort-il immédiatement après votre concert ?

Gabrielle Cloutier : Oui, le spectacle, c’est le lancement de l’album et c’est aussi la première prestation de ce groupe. Nous avons formé ce groupe pour enregistrer l’album et nous n’avons donc jamais vraiment joué ensemble en concert auparavant. Les gens ne nous ont pas encore entendus, c’est une surprise! J’ai seulement mis un petit clip sur Facebook. Donc ça va être génial de pouvoir enfin jouer cette musique pour tout le monde.

PAN M 360 : Eh bien, je vous ai déjà vu jouer, donc je connais l’ambiance et je sais un peu à quoi m’attendre. Votre musicalité est très intéressante. Il y a ces belles qualités folk, chanson et baroque. Pouvez-vous peut-être nous parler un peu de votre parcours ?

Gabrielle Cloutier : En fait, j’ai commencé avec une formation classique. J’ai étudié la musique au cégep. J’ai fait un baccalauréat en chant classique et par la suite, j’ai fait ma maîtrise à McGill en chant baroque,  chant classique & contemporain. J’aime donc toucher un peu à tous les styles. À Montréal, c’est comme ça, vous savez. On rencontre toujours beaucoup de musiciens de styles très différents. Vers la fin de mes études, certains de mes amis, provenant de divers milieux musicaux, voulaient monter un groupe et ils ont pensé à moi. Ils avaient écrit la musique mais pas vraiment les paroles et les mélodies. Alors on a commencé à jammer et, venant d’un milieu classique, je n’étais pas très habituée à improviser et composer. Les chansons se sont rassemblées et nous avons commencé à faire quelques concerts et résidences et finalement j’ai commencé à vraiment prendre plaisir à composer. Mon parcours a donc un peu changé, mais je peux utiliser ce que j’ai reçu du monde classique et le transposer dans ma propre musique.

PAN M 360 : Ça, je l’entends. Et quand je t’ai vu jouer, tu jouais de l’accordéon et tu chantais aussi !

Gabrielle Cloutier : Oui, donc ce projet a commencé car je voulais être capable de m’accompagner, j’ai donc monté un petit trio. Avec le temps, j’ai réalisé que jouer et chanter me limitait dans ce que je voulais faire musicalement. L’’accordéon est un instrument très exigeant, si j’étais d’abord accordéoniste puis chanteuse, ce ne serait pas si mal. Mais commencer comme chanteuse et ensuite apprendre l’accordéon, ce n’est pas la même chose. Je veux être libre quand je chante, et c’est un instrument difficile si l’on veut vraiment être dans l’instant présent et pleinement en connexion. J’ai donc décidé de demander à un de mes amis accordéoniste de jouer et finalement le band a pris beaucoup plus d’ampleur nous sommes désormais sept musiciens. 

PAN M 360 : Et bien, tu avais l’air plutôt à l’aise quand je t’ai entendu la dernière fois !

Gabrielle Cloutier : Oh merci! 

PAN M 360 : Je pense que vous pouvez vous accorder un peu plus de crédit, mais je peux comprendre ça ! Et alors, jouez-vous aussi d’autres instruments ?

Gabrielle Cloutier :  Je joue effectivement de certains instruments médiévaux comme la chifonie et la citole. La chifonie est une boîte rectangulaire avec seulement trois cordes et quelques notes, mais c’est fondamentalement l’ancêtre de la vielle à roue. Je joue aussi de la guitare et divers petits instruments à corde. 

PAN M 360 : L’aspect lyrique de l’écriture de chansons est-il un grand attrait pour vous dans ce projet ?

Gabrielle Cloutier : Oui le lyrisme sera toujours intégré dans mon style, ça fait partie de ma musicalité. Je vois vraiment ce projet comme… une certaine période de ma vie où ces chansons sont sorties très naturellement, très facilement. Je pense qu’en tant qu’artistes, nous vivons certaines choses et les paroles reflètent la façon dont nous nous trouvons dans notre âme et ce que nous ressentons à ce moment-là. C’est ce qui est intéressant chez les artistes, car ils évoluent et nous pouvons assister à leur différents états d’être à travers leur musique. 

PAN M 360 : Cela transparaît dans le titre de votre album, Chamade.

Gabrielle Cloutier : C’est le battement de cœur. Il y a une expression en français, « mon cœur bat à la chamade ». C’est comme si ton cœur était vraiment plein de passion, tu sais. Cela dépend du tempo de votre cœur, c’est peut-être un peu kitsch. Mais c’est ce que je ressentais et ce qui me vient à l’esprit. C’est non seulement pour parler d’amour, mais ça reflète la passion et l’implication qu’on a à travers les expériences de vie. 

PAN M 360 : Alors, est-ce que vous avez l’impression que cette sortie a mis du temps à arriver, ou est-ce que tout cela vous semble nouveau ?

Gabrielle Cloutier : C’est comme du neuf et de l’ancien à la fois. Je suis ravi de lancer cet album! Nous avons de nouvelles chansons, et je suis impatiente de les développer et de voir comment nous pouvons aller plus loin avec ce projet. Certains peuvent peut-être attendre deux ans avant de sortir un album, je suis plutôt assez pressée, j’ai hâte, un an c’était bien assez pour moi! 

PAN M 360 : Et bien sûr, pensez-vous que 2023 est une période incroyablement étrange pour diffuser de la musique dans le monde ?

Gabrielle Cloutier : Bien sûr, et j’ai fait beaucoup de copies de cet album, donc je ne sais pas si les gens vont l’acheter, maintenant c’est rare que les gens aient des lecteurs CD, mais cet album est tout fait à la main, avec du beau papier fait à Montréal, la pochette a aussi été fait en sérigraphie. Le pamphlet intérieur se développe en affiche avec des dessins faits par Cathy Beauvallet..En fin de compte, je l’ai fait pour moi-même et je pense que chacun doit le faire pour lui-même. C’était un défi pour moi en tant qu’artiste de voir si je pouvais faire ce disque, même s’il était reçu ou non. Et ça aide d’avoir un disque, c’est bien d’avoir quelque chose à montrer et à donner aux gens.

PAN M 360 : Alors, comment s’est passée la gestion de la logistique réelle de la sortie et de la distribution d’un album ?

Gabrielle Cloutier : J’ai vraiment beaucoup appris à ce sujet, en autre sur les droits d’auteur, la distribution, l’impression, l’enregistrement, le mastering, la presse, etc. Finalement, tout s’est bien passé, mais la partie la plus difficile à gérer et à comprendre c’était par rapport à  la presse, des labels, des magazines. Je suis comme un petit poisson dans cette mer immense, tu sais. Et notre musique est très acoustique, vous savez, c’est assez niché.. Mais qui sait? 

PAN M 360 : Alors que pouvez-vous nous dire sur le show de lancement ?

Gabrielle Cloutier : Ce sera une soirée veloutée et enivrante, assez douce. Les deux autres groupes sont également très acoustiques et s’inscrivent dans le même univers avec la musique que nous jouerons. Pour commencer la soirée, il y aura un quatuor à cordes, le Quatuor Bazar, et ils joueront en fait une composition d’un de mes amis, Nominoë, qui a arrangé trois chansons de l’album. Il joue aussi dans le deuxième acte, qui est un duo interprétant des chansons traditionnelles de Grèce et de Turquie.

PAN M 360 : Donc beaucoup de trucs différents mais tous dans le même univers de chambre. Et vous jouerez Chamade front-to-back ?

Gabrielle Cloutier : Ce ne sera pas dans le même ordre que l’album, car nous avons des nouvelles pièces, des solos et des interludes qui se sont ajoutés. Tous les musiciens sont géniaux, je suis vraiment reconnaissante qu’ils participent à ce projet avec moi.

PAN M 360 : Vous devez être vraiment excité pour cette performance. Êtes-vous toujours nerveux ?

Gabrielle Cloutier : Je me sens vraiment bien. J’étais plus nerveuse quand il fallait faire tout le travail logistique que je ne comprenais pas vraiment,  mais maintenant, depuis hier quand je suis allé chez l’imprimeur pour imprimer les dernières affiches, je me détends. Nous avons une dernière répétition, tout va bien, je suis contente et je pense que ça va être une belle soirée! 

PAN M 360 : Nous le pensons aussi. Merci encore Gabrielle, bon spectacle !

Ce dimanche après-midi à la Salle Wilfrid-Pelletier, AWR Music Productions et GFN Productions présentent Distant Worlds : music from FINAL FANTASY, la tournée officielle de l’Orchestre symphonique FINAL FANTASY, amené à Montréal par le désormais respecté Orchestre FilmHarmonique.

Lancé en 2007 pour commémorer le 20e anniversaire de FINAL FANTASY, Distant Worlds propose des musiques tirées de la célèbre série de jeux vidéo FINAL FANTASY du compositeur japonais Nobuo Uematsu, y compris des musiques du dernier cycle, FINAL FANTASY VII REMAKE. Au fil des décennies, d’autres compositeurs ont également apporté leur contribution, notamment Masayoshi Soken.

Ces œuvres sont interprétées par un orchestre symphonique, un chœur, des solistes et extraits du fameux jeu vidéo. Dans ce cas, le chef d’orchestre est Arnie Roth, lauréat d’un GRAMMY. Il va sans dire que des images HD des développeurs SQUARE ENIX sont projetées sur des écrans géants, en phase avec les interprétations.

PAN M 360 : Quelles sont les qualités des œuvres au programme, tirées de Final Fantasy, jeu vidéo mythique qui existe depuis plus de 35 ans ?

Arnie Roth : Je peux répondre à cette question en précisant que dans les productions de concerts Distant Worlds, toutes les partitions que nous interprétons visent à être aussi proches que possible de la manière dont elles sont apparues dans les jeux. Nous représenterons la musique de l’ensemble des 35 années de la série FINAL FANTASY lors de ce concert, et nous inclurons des partitions de FINAL FANTASY VII REBIRTH, ainsi que la première représentation de FINAL FANTASY XIV : The Final Day, lors de ce concert.

PAN M 360 : Qui a écrit les arrangements et les orchestrations du programme ? Comment ont-ils été élaborés ? Comment transforme-t-on la musique des jeux vidéo en œuvres orchestrales ?

Arnie Roth : Les réponses nécessiteraient trois différentes discussions approfondies. Les arrangements de Distant Worlds ont été réalisés par des équipes au Japon, ainsi que par Eric et Arnie Roth. Beaucoup d’entre eux sont en fait des versions originales des jeux, et à ce titre, ils ont été supervisés par les compositeurs impliqués : Nobuo Uematsu, Masashi Hamauzu, Masayoshi Soken, et bien d’autres encore.

PAN M 360 : Travaillez-vous toujours avec les mêmes partitions ? Les partitions peuvent-elles évoluer avec le temps ?

Arnie Roth : Oui, en fait nous avons plus de 160 partitions de FINAL FANTASY dans notre bibliothèque Distant Worlds. C’est un processus constant d’ajout de nouvelles partitions. Il n’y a pas deux concerts qui aient exactement le même répertoire.

PAN M 360 : Selon vous, quelle est la valeur ajoutée des arrangements symphoniques de musique pour les jeux vidéo ?

Arnie Roth : Il y en a tellement. Tout d’abord, il faut comprendre que l’une des qualités uniques de tous les jeux vidéo FF est l’extrême variété des genres et des ensembles utilisés dans l’OST de chaque jeu – rock, jazz, symphonique, ensembles de musique de chambre, ensembles choraux, voix solistes, et bien plus encore. L’utilisation de la symphonie dans ces concerts provient du modèle créé par Nobuo Uematsu lors des premiers concerts de FF au Japon.

PAN M 360 : Vous travaillez avec un certain nombre d’orchestres différents sur le même répertoire. Existe-t-il donc des différences d’interprétation entre les orchestres avec lesquels vous travaillez ?Si oui, quelles sont ces spécificités ?

Arnie Roth : Bien sûr, chaque orchestre avec lequel nous travaillons dans le monde entier possède des atouts différents. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte, notamment le temps de répétition dont nous disposons, la salle dans laquelle nous nous produisons, etc. Cependant, je peux affirmer en toute confiance qu’il n’y a pas de différences perceptibles dans l’interprétation, puisque c’est moi qui la guide dans chaque cas.

PAN M 360 : Avez-vous déjà travaillé avec l’Orchestre FilmHarmonique ? Que savez-vous de cet orchestre ?

Arnie Roth : Oui, et ces musiciens ont toujours fait un excellent travail. C’est un grand plaisir de travailler avec eux.

PAN M 360 : Votre public est-il principalement composé de gamers qui sont fiers d’entendre la musique de leurs jeux préférés acquérir un lustre symphonique ?

Arnie Roth : Oui, c’est en grande partie exact, même si je ne manquerais pas de souligner le fort sentiment d’appartenance à la communauté FF qui se dégage de chaque concert.

PAN M 360 : Quels sont vos prochains projets en tant que maestro et musicien ?

Arnie Roth : Nous avons de nombreux concerts Distant Worlds et A New World tout au long de 2024, certains avec de nouveaux thèmes. Il y a aussi beaucoup de nouveaux projets pour 2024, et je ne peux malheureusement rien divulguer pour l’instant.

PAN M 360 : Pensez-vous que cette musique symphonique peut intéresser le public au répertoire classique, moderne et contemporain pour orchestres symphoniques ?

Arnie Roth : Oui, sans aucun doute. Et je dois dire que nous jouons Distant Worlds dans les salles de concert les plus importantes depuis 16 ans.

PAN M 360 : En tout cas, votre public s’amuse beaucoup avec cette nouvelle musique orchestrale. Est-ce plus qu’assez pour vous d’apporter du bonheur à ce public amateur de jeux vidéo ?


Arnie Roth : OUI ! Mais ne sous-estimez pas ma propre joie d’interpréter ces partitions fantastiques avec des musiciens du monde entier !

PAN M 360 : Grand merci pour votre collaboration !

Partenaire de la famille PAN M 360, le Quatuor Molinari peut compter sur la plateforme web durant toute sa saison 2023-2024 afin de fournir un maximum d’éléments de compréhension pour ses activités artistiques . À l’approche du solstice d’hiver, bouclons la boucle des activités publiques du Molinari : un second album consacré à Philip Glass, un concert sous thème de la danse transposée en musique, et un autre programme qui reprend des œuvres intégrées au répertoire du quatuor montréalais.

Fondatrice, directrice artistique et premier violon du quatuor,  Olga Ranzenhofer répond aux questions de PAN M 360 avant le dernier droit de 2023.

 2e ALBUM CONSACRÉ À PHILIP GLASS

PAN M 360: Sous étiquette Atma Classique,  le Quatuor  Molinari lance un second album consacré aux quatuors à cordes # 5 -6-7 de Philip Glass. Puisque l’opus est titré Intégrale des quatuors à cordes Vol 2, comptez-vous enregistrer les autres, soit le #8, le # 9 et les autres qui ne sont pas numérotés?

Olga : Oui nous nous sommes embarqués dans l’enregistrement de l’intégrale des quatuors à cordes de Philip Glass. Pour le moment, il en existe 9 qui sont numérotés. Le dernier quatuor a été composé en 2022, alors qui sait s’il n’y en aura pas un autre l’année prochaine! Nous prévoyons enregistrer aussi la Suite Bent. Il y a aussi Dracula for string quartet, mais on n’a pas le droit de le jouer sans la projection du film.

PAN M 360 : Rappelez-nous votre intérêt pour le compositeur et votre motivation à jouer ses quatuors à cordes. 

Olga : Dès la première saison du Quatuor Molinari en 1997-98, nous avions déjà joué du Glass, c’était le Quatuor no.5. Par la suite, nous avons travaillé le 3e, Mishima,  qui est très célèbre. Au cours des dernières années, nous avons commencé à réfléchir à présenter l’intégrale de ses quatuors à cordes. Vous savez combien nous aimons les intégrales! C’est toujours fascinant de suivre le parcours d’un compositeur à travers ses quatuors à cordes. Prenez par exemple son premier quatuor, qui  était vraiment une œuvre exploratoire; suite à un voyage en Inde il a écrit ce quatuor qui est inspiré des ragas indiens. C’était un jeune Glass qui cherchait sa voix, et cette œuvre pose les bases de son écriture minimaliste. C’est seulement 20 ans plus tard, avec l’avènement de son second quatuor, que le premier a été créé. Dès le second, Company, une courte œuvre de 8 minutes qui accompagne la pièce éponyme de Beckett,  on reconnaît le Glass qui deviendra une icône de la musique minimaliste.

PAN M 360 : Philip Glass est possiblement le compositeur américain le plus joué des depuis les années 80. Qui plus est, son influence dépasse largement le public de la musique contemporaine ou classique, plusieurs artistes pop le citent parmi leurs influences Pourquoi d’après vous ?

Olga : La musique de Philip Glass rejoint en effet un très large public. Les progressions harmoniques, les rythmes motoriques, les répétitions font de cette musique une musique très attrayante. Elle peut être tantôt dépouillée ou touchante, ou bien entraînante et ensorcelante.

PAN M 360 : Très brièvement, quelles sont les qualités des quatuors 5, 6 et 7 et quels sont les défis de l’interprétation pour chaque œuvre ?

Olga : Le 5e quatuor est un probablement son plus accompli, c’est une œuvre de maturité. Dans les cinq mouvements, on y retrouve toutes les qualités que je viens de mentionner. Il y a comme un réconfort à la toute fin lorsqu’on reprend le thème rêveur du 1er mouvement. Écrit plus de 20 ans plus tard, le 6e est très complexe et les événements musicaux se superposent et se succèdent très rapidement. On n’est plus dans la musique hypnotique mais plutôt dans une musique plus théâtrale et plus tendue. Il semble que Glass ait retrouvé le goût d’écrire des quatuors car le 7e a été créé à peine 9 mois après le  6e. Contrairement à tous ces autres quatuors, celui-ci est conçu en un seul mouvement. De plus, son caractère est plus intime que les précédents, l’écriture est moins jubilatoire et plus en demi-teintes.

PROGRAMME  DANSES, 1ER DÉCEMBRE, 19H30, CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE MONTRÉAL

« Le concert du 1er décembre, intitulé Danses, présente des oeuvres pleines de vitalité et de mouvements. La compositrice Franghiz Ali-Zadeh nous dit que la danse est très présente en Azerbaïdjan, son pays natal, dans tous les événements importants de la vie, heureux comme tristes. Reqs, qui signifie danse, évoque les rythmes et inflexions des danses azéries. La musique de Béla Bartók regorge de motifs dansants et de rythmes envoûtants; son 4e quatuor en est un exemple éloquent. Enfin, l’unique Quatuor en sol de Claude Debussy, avec ses inspirations et origines multiples ne le rattache à aucun lieu ni temps. Ce qui fait de ce quatuor une œuvre unique, sans frontière. »

PAN M 360 : Quel fut le point de départ pour le thème de ce programme? 

Olga : La danse est présente dans toutes les cultures et dans toutes les musiques. Même dans des musiques aux sources très différentes, on retrouve la danse. Debussy a été influencé par la musique et la danse balinaises lors de l’Exposition universelle de Paris de 1889 et son Quatuor à cordes nous fait entendre de nouvelles couleurs harmoniques issues des musiques orientales. Le folklore est très présent dans la musique de Bartók et les quatuors ne font pas exception. Le 4e a une vigueur rythmique impressionnante qui nous donne le goût de nous lever et de sauter. Et bien sûr Reqs, qui signifie Danses, de la compositrice azérie Franghiz Ali-Zadeh, est un feu roulant de différentes danses inspirées du mugham.

PAN M 360 : Vous avez déjà joué la musique de  la compositrice azérie Franghiz Ali-Zadeh. L’an passé?  Pourquoi avez-vous choisi d’y revenir cette année avec l’œuvre  Reqs ?

Olga : Nous avons été impressionnés par les sonorités et la beauté de la musique d’Ali-Zadeh lorsque nous avons joué Oasis l’année dernière. Nous avons donc décidé de continuer à explorer son œuvre. Il faut rappeler que  Reqs a été écrit pour le Quatuor Kronos dans le cadre du projet Fifty for the Future.

J’ai été en contact avec Mme Ali-Zadeh et, grâce à un généreux mécène, nous lui avons commandé son 7e quatuor. Nous ferons venir Mme Ali-Zadeh à Montréal la saison prochaine pour un grand événement «Le Quatuor selon Ali-Zadeh» au cours duquel nous jouerons l’intégrale de ses 7 quatuors.

PAN M 360 : Comment cette œuvre est-elle construite?

Olga : La danse est très présente dans la vie des azerbaidjanais ; elle souligne tous les grands moments de la vie. Cette œuvre fait entendre les rythmes et inflexions des danses azéries mais dans un langage occidental.

PAN M 360 :  Quel est le lien avec ce Quatuor en sol de Claude Debussy? Quelles sont les caractéristiques sommaires de cette œuvre et les défis que posent son exécution?

Olga : Le Quatuor en sol de Debussy est un des plus grands chefs-d’œuvre du répertoire pour quatuor à cordes, donc il y a beaucoup de modèles! Nous avons forgé notre propre interprétation en utilisant la nouvelle édition Bärenreiter. C’est un privilège de jouer cette œuvre empreinte de couleurs, de rythmes et d’harmonies si uniques. Le second mouvement est en effet une danse inspirée de la musique espagnole et rejoint donc notre thématique.

PAN M 360 : On enchaîne avec le Quatuor no 4 de Béla Bartók. Pourquoi le 4? Quel est le lien avec les autres quatuors au programme?  Quels sont les défis de son interprétation?

Olga : La musique de Bartók est remplie de folklore et de danses. Son 4e quatuor ne fait pas exception. C’est une œuvre très forte, avec une écriture dense; les canons se succèdent de façon très serrée, l’énergie est à son comble avec des nuances extrêmes, des dissonances dramatiques. On adore ce quatuor!

PROGRAMME L’OEIL ATTENTIF, 16 DÉCEMBRE, 15H, FONDATION GUIDO MOLINARI

« Le premier concert de la saison 2023-24 de la série «Musique à voir» qui se tient à la Fondation Molinari, coïncide avec la dernière fin de semaine de la magnifique exposition « L’oeil attentif ».Notre concert « L’oreille attentive »  fera vivre au public un parcours musical tout en finesse avec trois oeuvres canadiennes et une œuvre  envoûtante d’Ali-Zadeh. »

PAN M 360 : Encore une fois, Ali-Zadeh est au centre de l’affaire. Comment avez-vous sélectionné son œuvre pour ce programme?  Quelles en sont les caractéristiques?

Olga : Les concerts Musique à voir sont une occasion pour le Quatuor et le public de réentendre des œuvres qui sont au répertoire du Molinari. Reqs est une pièce envoûtante et pleine d’entrain et nous terminerons le concert de façon festive avec cette œuvre.

PAN M 360 : Pour la suite, vous plongez dans le répertoire local ou canadien. D’abord, présentez-nous brièvement le Quatuor d’Otto Joachim (1997). 

Olga:  Originellement conçue comme un trio à cordes, cette œuvre fut transformée par Joachim en un quatuor dont nous avons fait la création en 2000 pour souligner les 90 ans du compositeur. Otto Joachim a trouvé la source d’inspiration  de cette œuvre à la suite d’une visite à Séoul en Corée du Sud. Ayant vécu pendant 16 ans en Malaisie et en Chine, ce retour en Asie en 1977 lui a permis  de renouveler son intérêt pour la musique asiatique. Ce quatuor intègre des traces de musique coréenne avec des structures dodécaphoniques et aléatoires. 

PAN M 360 :  Puis le Quatuor no 7 de Brian Cherney.  Mêmes questions : Pourquoi? Comment?

Olga:  Nous avons commandé à Brian Cherney son 7e quatuor à l’occasion de son 80e anniversaire et l’avons créé au printemps dernier. C’est une oeuvre tout en finesse et délicatesse  Nous allons faire une vidéo de ce quatuor en décembre et il sera accessible en ligne sur notre site Vidéothèque québécoise Quatuor Molinari (vqqm.ca), un site qui se veut un lieu de découvertes et de sources d’informations sur les œuvres pour quatuors à cordes de compositeurs québécois. Les œuvres nouvelles, les créations, sont rarement jouées plusieurs fois et le Molinari se fait un devoir de les rejouer et de les inscrire dans son répertoire pour qu’elles trouvent une place dans l’Histoire. 

PAN M 360 : Vous concluez  avec Quatuor no 2, Waves, de R. Murray Schafer, un de vos compositeurs de prédilection. Comment votre connaissance de cette œuvre a-t-elle évolué?

Olga: Plus on joue une œuvre, plus elle fait partie de soi. La principale difficulté de ce quatuor réside dans le fait que les mesures sont remplacées par des séquences de 6 à 11 secondes, dont les motifs sont joués en accélérant et/ou en ralentissant. Il faut donc avoir en nous cette notion de temps qui s’écoule. et cela s’acquiert avec le travail et la répétition. C’est une œuvre toute délicate, qui fait rêver d’être au bord de la mer en cette fin de novembre froide et grise!

Les interprétations de Philip Glass sont parmi les plus belles réussites de l’ensemble à cordes La Pietà que dirige la violoniste Angèle Dubeau. En 2008, l’album Portrait avait donné beaucoup de crédibilité à la musicienne auprès de Philip Glass et son équipe, il est aisé d’affirmer que cet album fut l’un des plus déterminants de sa discographie en ce sens. 

Suite logique? Absolument.

Quinze ans plus tard, Signature Philip Glass est un nouvel effort de l’ensemble et sa directrice artistique, qui a obtenu carte blanche pour ce second chapitre consacré au compositeur, une des figures marquantes du minimalisme américain. Pas moins de 16 pièces ou extraits d’œuvres figurent au programme, étoffant ainsi l’expertise de La Pietà  dans le répertoire glassien. Ce lundi, un concert donné à la Maison symphonique de Montréal en témoigne, Angèle Dubeau nous en explique généreusement les tenants et aboutissants. 

PAN M 360 : Après Portrait, voici donc Signature et le concert qui s’ensuit. 

Angèle Dubeau : J’étais dans ma série de portraits, alors là, je me suis dit « Comment j’appelle cet album? » Je ne peux quand même pas l’appeler Portrait bis. » Je me suis dit « Tiens, il y a tellement une signature unique, on va l’appeler Signature. » 

PAN M 360 : Alors 15 ans plus tard, vient Signature.

Angèle Dubeau :  Oui, 15 ans. D’ailleurs, ce portrait de Philippe Glass a été le premier de ma série de portraits ensuite qui est venue avec Arvo Pärt, John Adams, Ludovico Enaudi, Max Richter, enfin tous ces minimalistes, post- minimalistes, appelons-les comme on veut. Philippe Glass a été le premier de cette série. Et 15 ans plus tard, on le sait, Philippe est encore prolifique.

C’était la première de sa 13ᵉ symphonie, il y a deux ans, au Carnegie Hall. Il continue malgré l’âge (86 ans) et ce qui vient avec. Il a réalisé certaines œuvres. 

PAN M 360 : La dernière fois qu’on l’a vu sur scène avec son ensemble, c’était pour la projection de Koyaanisqatsi à la Maison symphonique en septembre 2019, après quoi il n’était pas de l’ensemble qui porte son nom sous la direction de Michael Reisman à la Salle Bourgie, au printemps dernier.

Angèle Dubeau : Je pense qu’il  a des hauts et des bas, il ne sort plus beaucoup et continue de travailler en solitaire – comme il a toujours fait, d’ailleurs.   

PAN M 360 : Quelles œuvres ont été choisies pour le deuxième tome?

Angèle Dubeau : À l’époque, j’étais plus frileuse de revisiter. J’avais choisi des œuvres qui étaient déjà écrites pour cordes, des quatuors à cordes que je doublais ou triplais. J’avais fait certaines œuvres que Michael Reisman  avait revisitées, par exemple la suite de The Hours.
Je m’étais collée sur ce qui existait et que j’avais rehaussé pour La Piétà – 12 cordes. 

Là, dans ce cas- ci, la grosse différence, c’est que quand j’ai rejoint Richard Guérin, son bras droit depuis toujours, pour lui dire que je voulais revenir à Philip pour lui un autre portrait, il m’a dit « Tu as carte blanche. On te fait tellement confiance »… et ce « on » venait aussi de Philip. Ce dernier lui a dit « elle peut même jouer mes œuvres au gazou et ça me dérange pas, je sais que ça va être beau ». J’ai eu carte blanche.


PAN M 360 : Quelles fut l’étape préliminaire ?

Angèle Dubeau : Je suis allée butiner, réécouter le répertoire, tout ce que je pouvais retrouver de Philip Glass. À partir de là, j’ appelais Richard régulièrement pour lui demander telle ou telle partition, j’ai pu voir  celle de Koyaanisqatsi écrite à la main, des choses complètement incroyables. Ils connaissent le respect que j’apporte à l’œuvre de Glass, ils m’ont appuyée dans mon intention de revisiter certaines œuvres dans une couleur différente.  Ils connaissent mon bon goût, il faut croire, et ils l’approuvent. J’ai eu ce cadeau très rare et très apprécié. Je suis donc partie dans cette quête, sans limite de choix. 

PAN M 360 : Quelle serait alors l’approche ?

Angèle Dubeau : Je n’avais pas osé à l’époque aller vers la série des quatsi Je me disais « Non, c’est trop lié aux instruments à vent ou au chant choral, alors que cette fois j’ai fait un clin d’oeil, je me suis permise d’explorer sans limite de choix et amener ça dans une formation violon solo, corde et piano. Bien sûr,ce n’est pas juste une revisite pour en être une. Il faut que ça ait sa raison d’être, puis il faut que ça soit amené avec une autre écoute, une autre façon valable de l’exprimer. C’était vraiment avec ces antennes que je suis partie à la redécouverte de l’œuvre de Glass.


Angèle Dubeau : Que justifient les choix de ce 2e album consacré à Philip Glass ? 

Angèle Dubeau :  D’abord, j’ai décidé de commencer avec un beau clin d’œil: l’album de 2008 se termine avec Closing, un extrait de Glassworks. Celui-ci, je l’ai commencé avec Opening du même album, la boucle était bouclée, c’est la continuité.Opening nous met dans l’ambiance, dans l’univers de Philip Glass. J’avoue que je suis bien contente d’Opening, de ce qu’on a fait avec ça. Je suis une trippeuse de son, l’intention était d’aller chercher justement ces couleurs qu’on est capable d’exploiter avec nos instruments à cordes.  

PAN M 360 : Prenons le 4e mouvement de sa 3e symphonie.

Angèle Dubeau : On sait que l’œuvre  Philip Glass est très variée, soit pour le théâtre, le cinéma, de toutes les configurations classiques possibles, de la symphonie à l’orchestre de chambre, au duo, etc.. J’ai voulu aussi exploiter cette diversité de propositions, Et donc cette symphonie avait  été écrite au départ pour pour un orchestre à cordes, je crois que c’était  l’Orchestre de chambre de Stuttgart qui l’avait commandée. J’avais  lu que le compositeur voulait donner un rôle important à chaque musicien, comme s’ils étaient tous solistes. Tant qu’à moi qui dirige un ensemble de 12 cordes, ça vient renforcer justement cette approche où on veut vraiment donner à chaque section un rôle de soliste. Il y a vraiment beaucoup de matière, puis on l’entend très bien dans cette formation réduite. On s’entend que c’est aussi une œuvre, quand on parle quand même d’une diversité d’écritures, ça, c’est une écriture beaucoup plus classique, je dirais, beaucoup plus traditionnelle dans l’écriture. 

PAN M 360 : Prenons aussi pour exemple les duos # 1 et # 4 pour violoncelle et violon.

Angèle Dubeau : J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer avec Julie Trudeau, une merveilleuse violoncelliste. On se connaît depuis longtemps, c’était du bonbon! Julie était ravie, je l’étais aussi. On s’est vues, on a travaillé aussi chacun de notre côté. J’avais choisi les deux duos, mais en lui faisant entendre tous les duos, son choix s’arrêtait sur les deux mêmes. C’était facile : tu t’écoutes, tu joues, tu trippes ensemble. C’était vraiment ça. 

PAN M 360 : Le 3e mouvement de la sonate pour violon et piano est aussi remarquable.

Angèle Dubeau : Une idée complètement folle car c’est une sonate qui a été très rarement enregistrée. C’est très virtuose, ça donne des notes plein les oreilles et plein les mains aux musiciennes de La Pietà. J’ai pris ce dernier mouvement parce que je voulais faire aussi un survol, j’ai hésité un moment à faire s’enchaîner les 2e et 3e, et j’ai arrêté mon choix sur le seul 3e mouvement.  

PAN M 360 : Il se trouve des œuvres récentes sur cet album Signature, autre signe de sa spécificité.

Angèle Dubeau :  La plus récente est son Piano Quintet Annunciation, une œuvre  composée en 2018. C’est une œuvre composée en deux sections, j’ai choisi la première. J’ai gardé dans cette œuvre l’intimité du quintette à certains moments, mais à d’autres moments, j’ai décidé de bonifier le matériel en le distribuant à des sections. Je suis contente aussi de ce résultat, c’est une écriture qui ressemble beaucoup à Philip Glass où tu as des moments sombres, et aussi  des moments plus lumineux. La première fois que je l’ai entendue, je trouvais quand même spécial ce quintette, relativement traditionnel de prime abord. Mais très vite, on tombe dans l’écriture si familière du compositeur.

PAN M 360 : Dans le cas de cet album, on ne sent pas le souci d’être pop comme on peut le sentir sur d’autres albums. Tu pouvais choisir quoi que ce soit de Glass selon tes goûts personnels.

Angèle Dubeau : Je n’ai aucun problème à être pop mais pour ce projet, j’avais surtout en tête cette carte blanche du compositeur. Un cadeau du ciel !  La première fois, tu dis « Il me connaît pas trop. Tu veux être respectueuse de l’œuvre. » J’avais aussi 15 ans de moins. Aujourd’hui, j’ai l’âge que j’ai et  le bagage que j’ai, je n’ai pas cette crainte ou quoi. Je suis allée sans limite aucune. Ça, c’est la grande différence.

PAN M 360 : Et ta connaissance de l’œuvre de Glass te permet bien des choses! 

Angèle Dubeau : Je l’ai réécoutée entièrement en me questionnant : ai-je quelque chose à dire de plus ? Puis-je y apporter un autre regard ? » Ça partait comme ça et je tentais ensuite de mener l’affaire ailleurs. Oui, il y a toujours cette recherche, quels que soient mes projets, je suis quelqu’un qui va au fond des choses et c’est ce qui s’est passé également avec cet album. Bien que je connaissais très bien l’œuvre, je lai réécoutée des heures et des heures et  plus encore. Pour Candyman Suite, par exemple,  je suis tombée sur un arrangement de Michael Reisman pour violon et piano. On a bonifié, on a coloré avec les cordes, mais en ajoutant des petites touches. Des pizzicati ont remplacé des notes de piano, par exemple. 

PAN M 360 : On imagine que l’altiste et arrangeur François Vallières t’a prêté main forte, une fois de plus.

Angèle Dubeau : Absolument. Pour cet album, cependant, je me suis permise plus que jamais de lui donner des directives. Je veux ça comme ça, on coupe ça là, on fait ça ici, etc. François, on travaille depuis longtemps ensemble, alors il me connaît. Quand je lui dis « Écoute, ça, ça semble vraiment plus grave, je veux que ça gronde dans l’orchestration », je n’ai pas besoin de donner de détails. Je sais que ça va gronder, que ça va aller comme je le veux. Il connaît tellement la dynamique de l’ensemble! 

PAN M 360 : Un autre exemple?
 

Angèle Dubeau :  Une autre pièce dont j’aime beaucoup le résultat, c’est Metamorphosis. C’était à l’origine pour piano solo. J’ai entendu tellement de versions de cette œuvre, toutefois  je n’avais rien entendu avec cordes et piano. Je me disais que toutes ces montées rythmiques très rapides  me donneraient la liberté d’un contre-chant au violon. Alors, voilà, j’ai rajouté mon violon dans ces passages très rythmiques de triolets rapides, arpégés, si tu veux. C’est beaucoup plus pianistique que violonistique, mais je double le piano partout. Je suis très contente du résultat ! 

PAN M 360 : Pour la facture générale, qu’est- ce qui est, au-delà du choix du répertoire, ce qui diffère dans le son d’ensemble par rapport à l’enregistrement de 2008?

Angèle Dubeau : Une des choses pour moi qui me rend si fière, c’est que La Pietà se reconnaît désormais par sa sonorité unique. Les gens me le disent: « J’écoutais la radio, puis ça ne faisait pas 30 secondes que ça jouait, ça ne pouvait être un autre orchestre que La Pietà. Je le répète, je suis vraiment une trippeuse de son. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu mon interprétation comme un peintre avec sa palette de couleurs. Je peux, avec mon violon, colorer la musique.

PAN M 360 : Cette valeur est évidemment partagée avec les membres de La Pietà.


Angèle Dubeau : Tout à fait. Les musiciennes me connaissent (certaines depuis les études!), me devinent, me font confiance et savent où je m’en vais avec ça. On arrive à cette osmose avec le temps et les tournées. Et à un moment donné, ça devient cette sonorité que je veux atteindre et qui devient la leur. Et quand on se retrouve dans des moments comme ça, sans avertir, je vais changer la couleur, la texture. J’ouvre grand les yeux et je communique cette idée : « Attention, quelque chose s’en vient. » Et les musiciennes sont aux aguets ! J’arrive ainsi à modeler mes intentions pour la couleur et la texture. Ça, je pense que c’est devenu aussi une signature de la Pietà.

ANGÈLE DUBEAU ET LA PIETÀ SE PRODUISENT CE LUNDI 27 NOVEMBRE, 19H30 À LA MAISON SYMPHONIQUE. AU PROGRAMME: PHILIP GLASS ET LUDOVICIO EINAUDI

« Berlin a son Ensemble Les 12, Amsterdam Les 8, deux formations de violoncellistes concertistes qui font le tour du monde. C’est maintenant à Montréal d’avoir SON Ensemble. »  Le samedi 25 octobre, la Maison symphonique sera pleine pour accueillir Les 9, soit 8 violoncelles et une contrebasse sous la gouverne de Vincent Bélanger. Le lendemain à Québec, il en sera de même au Palais Montcalm. 

Le projet du violoncelliste québécois a germé il y a 5 ans au Festival de Lanaudière, l’ensemble dont il est ici question fut fondé l’année suivante, l’impact n’a cessé de croître depuis lors. Trois albums en témoignent dont le tout frais Nocturne, sorti sous étiquette GFN Productions et dont la matière sera la part congrue du programme ce week-end.

En toute courtoisie, Vincent Bélanger a répondu aux questions de PAN M 360 à la veille des concerts donnés à Montréal et Québec. On connaît peu d’ensembles nationaux ou internationaux fondés quasi exclusivement sur le violoncelle, bien que ceux mentionnés dans le préambule du texte officiel aient à l’évidence un impact important chez les mélomanes. Notre interviewé nous éclaire d’abord à ce titre.

Vincent Bélanger: L’ensemble de violoncelles est souvent utilisé dans un cadre académique. Il est coutume que tous les élèves d’un même professeur se réunissent pour jouer des œuvres de compositeur-violoncelliste du 19e siècle (comme David Popper, Julius Klengel) et des arrangements des grands classiques.

Les 12 de Berlin est, si on peut dire, l’un des premiers ensembles professionnels. Dans le cadre de mes études à Montpellier, avec mes collègues de l’époque, nous avions formé un ensemble de violoncelles. Cette idée m’est toujours restée. 

Gregory Charles, alors directeur du festival de Lanaudière, a eu vent de cette expérience et lorsqu’il à travaillé sur le programme Dode Cello, ensemble de douze violoncellistes qui fut présenté à l’été 2018 à L’Amphithéâtre Fernand-Lindsay, il m’a contacté et nous avons bâti le programme ensemble. En 2019, j’ai décidé de créer une formation réduite avec 8 violoncelles et l’addition d’une contrebasse. Traditionnellement,  le nom d’un orchestre de violoncelle contient un chiffre, ce fut donc Les 9 de Montréal.

PAN M 360 : « La formation réunit 8 violoncellistes et un contrebassiste, une union de jeunes virtuoses canadiens. »  Comment-avez vous sélectionné vos collègues? 

Vincent Bélanger: La plupart d’entre nous avons travaillé ensemble sur Dode Cello en 2018. Mon premier critère repose sur les qualités humaines. Dans la situation actuelle, les conditions ne sont pas toujours maximales et il arrive quelquefois des imprévus. Nous devons donc être en mesure de nous entraider rapidement malgré les difficultés. L’écoute aussi , en musique de chambre, c’est primordial. 

Mon objectif à moyen et long terme est de réaliser de grandes tournées au Canada et à l’étranger. Il est très important que le lien de confiance soit solide entre tous les membres. On ne veut pas de chicane en plein milieu d’une tournée!

PAN M 360 : Vos collègues ont-ils/elles des fonctions spécifiques dans l’orchestre ou encore les œuvres dictent-elles les choses à faire pour chacun.e?

Vincent Bélanger: En fait, les deux.

Certaines œuvres que nous avons à notre répertoire, comme le Concerto pour deux violoncelles de Vivaldi ,  Chant d’espoirs de Christian Thomas et nouvellement Nocturne  de Chopin, exigent un ou plusieurs violoncellistes concertants. 

Dans les œuvres d’ensemble, non concertantes donc, on peut diviser en deux quatuors : le premier étant plus mélodique et le deuxième plus plus rythmique et harmonique.

J’aime aussi explorer la spécialisation de chaque musicien: certains sont des références en musique ancienne, contemporaine, et d’autres sont aussi compositeurs et improvisateurs. D’ailleurs, à tous les concerts, il y a un moment d’improvisation, ce qui confère un moment unique à l’audience. 

PAN M 360 : Quel est la fonction de la contrebasse dans votre ensemble? On a vu une telle configuration avec Forestare, ensemble de guitares classiques avec contrebasse. Y a-t-il un lien à faire dans ce choix similaire?

Vincent Bélanger : La contrebasse donne de la stabilité et ajoute à la force de l’ensemble. C’est l’instrument qui passe partout. Et notre contrebassiste, Étienne Lafrance, est un véritable virtuose! Dans tous les styles en plus. Et il improvise comme un dieu! Au-delà du musicien, la personnalité d’Étienne nous inspire beaucoup. Musicalement, la contrebasse ajoute aussi une dimension orchestrale. C’est-à-dire qu’ à certains passages, on peut avoir l’impression d’être beaucoup plus que 9! 

PAN M 360 : Comment le son d’ensemble, soit la cohésion et le travail collectif, ont-ils progressé depuis les débuts des 9?

Vincent Bélanger : Depuis 2019, la cohésion et le son sont de plus en plus forts. Les membres sont stables, l’esprit de famille est plus fort. Et le public le ressent. Comme je l’ai souligné précédemment, c’est important pour moi. Si  nous n’avons aucuns plaisir sur scène, comment pouvons-nous espérer, avec un ensemble comme Les 9, en susciter chez  l’audience?

Demain, 25 novembre à La Maison symphonique de Montréal, nous serons à guichets fermés. En 3 ans, l’audience a doublé année après année. Nicholas Choinière de GFN Productions nous a bien compris et a grandement contribué à ce succès. En tant que fondateur et directeur musical, je suis très fier de ce grand travail d’équipe.

PAN M 360 : « La création des 9  pour but d’explorer l’univers musical original, unique et universel que le violoncelle embrasse. Les découvertes sont très présentes : grands classiques revisités et ou adaptés, musique ludique musique latine, compositions originales, parmi lesquelles  Adaptation, ou « le mouvement perpétuel de l’être en devenir » de Christian Thomas, bien connu du milieu théâtral montréalais pour ses nombreuses musiques de scène. »

Les compositeurs québécois Christian Thomas et Brigitte Bard se trouvent au même programme que Rameau, Saint-Saëns, Rachmaninov, Ravel, Chopin, Debussy, Fauré sont au programme de votre album Nocturne et, il va sans dire, de votre concert ce week-end. 

PAN M 360: Quel est le fil conducteur de votre éclectisme?

Vincent Bélanger: Le violoncelle. Et le goût de surprendre l’audience par ses capacités techniques et expressives!

PAN M 360: Présentez-vous exclusivement les pièces de votre album?

Non. Le programme contient 8 œuvres canadiennes sur un total de 14. 

Participer à l’ajout d’œuvres originales au répertoire d’ensemble de violoncelle fait partie de ma mission comme directeur musical. Christian Thomas est notre compositeur en résidence depuis 2019, nous créons 6 de ses œuvres. Brigitte Bard, compositrice du Kamouraska, nous a dédié Les Vagues. J’ai arrangé Exil de François Dompierre – cette œuvre fut créée par Angèle Dubeau et La Pietà, un ensemble qui m’a beaucoup inspiré.

PAN M 360: Pouvez-vous nous résumer l’aventure de l’enregistrement? Les séances? Le mix? 

Vincent Bélanger: C’était la 2e fois que Les 9 enregistrait à Mirabelle. Nous étions en terrain connu. Afin de solidifier l’esprit d’équipe, c’est devenu pour moi une tradition de cuisiner pour la gang. Je trouve que c’est plus intéressant  la nourriture maison que la restauration rapide. Ça donne toujours lieu à des moments de détente et de rire. L’enregistrement s’est très bien déroulé. Francis Choinière, qui a signé les somptueux arrangements, a aussi fait la réalisation. Son sens musical est très impressionnant. 

Philippe Bouvrette,  le preneur de son, avait une attitude très positive. Nous avons eu des moments magiques tout au long des sessions d’enregistrement. L’un des moments est lors de l’enregistrement de  Pavane pour une infante défunte  de Maurice Ravel. Il y avait beaucoup d’émotion. Dominique Beauséjour-Ostiguy et moi nous sommes regardés et il m’a lancé : « il me semble que je la jouerais encore et encore … »  

Je crois que ces moments s’entendent sur l’enregistrement.

Les 9 à la Maison symphonique, samedi, 19h30;

Les 9 au Palais Montcalm, dimanche, 19h30

« Bigflo & Oli, tu connais non? » — Les frangins toulousains s’amusent à poser cette question sur plusieurs de leurs morceaux. Nul doute, le Québec les connaît et les apprécie énormément. À chacune de leurs visites depuis leur première en 2015, les Québécois et Québécoises ont répondu présent, leur réservant à tout coup un accueil chaleureux. Au cours des dernières années, le duo français a conquis son public grâce à ses habiletés techniques impeccables, des textes soignés et un immense charisme.

En marge de leurs concerts à Montréal au Centre Bell ce vendredi 24 novembre puis au Centre Vidéotron à Québec samedi pour présenter leur quatrième album Les autres c’est nous, Pan M 360 a rencontré les rappeurs afin de discuter de leur relation avec le public d’ici avec qui ils renouent sans faire d’argent avec cette tournée nord-américaine, leur quotidien sur la route au cours des derniers mois, leur marque de vêtement Visionnaire et bien plus!

PAN M 360 : Bonjour à vous deux, re-bienvenue à Montréal. Votre première visite ici remonte à 2015 dans le cadre des Francos, et il y en a eu plusieurs autres depuis. Lors de vos premières fois, vous étiez au début de votre carrière et aviez assurément quelque chose à prouver ainsi qu’un public à conquérir, ce qui n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui. Comment approchez-vous cette venue au Québec?

BIGFLO : On arrive ici avec un seul but en tête, soit de célébrer au maximum. Lors de nos premières visites, nous étions un peu les outsiders du rap, nous amenions un rap différent et étions même parfois incompris, donc on voulait prouver, prouver, prouver. Aujourd’hui, nous ne sommes plus vraiment dans ça, nous aimons toujours nous prouver en rappant et en démontrant que nous sommes de bons musiciens, mais nous prenons la tournée d’une manière beaucoup plus apaisante. On voit ça davantage comme une fête avec les gens qui nous écoutent. Comme on dit sur le premier titre de notre dernier album, ceux qui n’aiment pas et qui n’écoutent pas, et bien tant pis, on ne peut pas plaire à tous. On se concentre sur les gens qui nous aiment vraiment.

PAN M 360 : Au fil des années, vous n’avez jamais oublié les Québécois et Québécoises. Pourquoi c’est important pour vous de nourrir cette relation avec le Québec?

OLI : Dès le début, les gens nous ont réservé des accueils chaleureux à nos spectacles. Si nous n’avions pas eu ça, peut-être que nous ne serions pas venus aussi souvent au Québec. Nous avons tout simplement rendu l’énergie que les gens d’ici nous ont donnée. Je me souviens de nos deux dates d’affilée au Club Soda, nos moments au MTELUS et la tournée à travers le Québec avec des dates à Sherbrooke, Laval, Québec et Montréal. Nous avons vécu des super moments dans la province, et nous revenons tout simplement pour en vivre d’autres. C’est aussi bête que ça.

BIGFLO : Sur nos deux concerts à Montréal et Québec ce soir et samedi, nous ne gagnons pas d’argent, en raison des coûts de déplacements et tout. Nous sommes vraiment là pour le plaisir et parce beaucoup de personnes nous soutiennent ici. Nous recevions déjà en 2015 des messages de la part de gens du Québec qui disaient nous écouter, et nous nous disions que c’était trop bien d’avoir des personnes qui nous écoutent d’aussi loin.

PAN M 360 : Vous êtes en tournée et avez enchaîné les concerts depuis déjà plusieurs mois, ça ne semble jamais s’arrêter pour vous! Dans quel état d’esprit vous amenez-vous à Montréal? 

BIGFLO : Franchement, cette venue au Québec est une véritable bulle d’air frais pour nous. Nous terminons présentement notre grosse tournée, et nous aimons mettre les dates à l’international vers la fin pour changer un peu d’air avant notre important concert à Paris. C’est très ressourçant de venir ici, surtout que l’on sait que les concerts au Québec se déroulent toujours très bien. Nous avons des souvenirs fous de nos visites à Montréal. 

OLI : D’ailleurs, un de nos meilleurs souvenirs sur scène est lors d’une de nos présences au Club Soda quand notre mère était assise au balcon, c’était dingue. 

BIGFLO : Nous connaissons très bien l’endroit, et nous ne sommes vraiment pas stressés à savoir si ce sera bien ou pas. 

OLI : C’est vrai que nous avons enchaîné beaucoup de concerts ces derniers temps, mais avec l’expérience, nous savons mieux nous reposer et gérons mieux tout ça. Certes, c’est une longue tournée intense, mais ce n’est pas usant de manière négative. 

PAN M 360 : Vous mentionnez mieux gérer cette tournée. Avez-vous des passe-temps ou occupations qui vous permettent de vous détendre et de mieux vous en sortir?

OLI : Nous sommes avec beaucoup d’amis en tournée. Sur scène, il y a des personnes avec qui nous sommes allés à la garderie, au primaire et même au lycée. 

BIGFLO : C’est une grande colonie de vacances. En tournée, nous jouons au foot, faisons des tournois de ping-pong et des matchs de padel, un sport qui est un mélange de tennis et… de tennis quoi! Bref, nous faisons beaucoup d’activités comme ça et cela nous aide beaucoup. Comme nous sommes souvent fatigués, nous ne faisons pas grand-chose en après-midi, nous nous concentrons sur le concert du soir. 

PAN M 360 : Ça fait déjà plus d’un an que vous avez dévoilé votre dernier album Les autres c’est nous. Avec un peu de recul, comment voyez-vous ce projet? 

BIGFLO : Pour moi, c’est du soulagement. C’était un vrai défi pour nous, à ce niveau-là de carrière, d’arriver avec un quatrième album solide. À notre âge, c’était ça passe ou ça casse. C’était l’album le plus important à faire pour nous. 

OLI : C’est aussi notre projet le plus abouti au sens du fond, dans ce que nous avons raconté. J’ai l’impression que nous avons vraiment vidé une partie de ce que nous avions à dire sur notre identité, sur nos questionnements de jeunes adultes, sur notre rapport aux autres, notre lien avec l’amour, nos ancêtres et notre pays. Nous avons réussi à aborder plein de sujets forts qui nous tiennent vraiment à cœur. C’est ce qui nous permet aussi d’offrir notre meilleur concert à ce jour, avec davantage de musicalités, de vrais moments pour les textes avec des histoires racontées sur scène ainsi que des instants de fêtes avec notamment des morceaux comme Dernière et Coup de vieux

PAN M 360 : L’éventail des sujets que vous avez abordés au cours de votre carrière est extrêmement large. Cependant, y a-t-il quelque chose de nouveau que vous aimeriez aborder dans vos chansons?

OLI : Par exemple, j’y pensais ce matin, j’aimerais faire quelque chose sur le divorce et pousser plus loin sur l’impact de ça. On en a d’ailleurs déjà parlé sur Tant pis ou tant mieux sur notre dernier album.

BIGFLO : Nous n’avons pas vraiment de sujets en stock. L’inspiration vient plutôt sur le moment lorsqu’on entend les instrumentales. En tout cas, j’espère que nous avons encore plein de sujets à aborder, et on peut même reparler de certaines choses. Avec le temps, les choses changent et notre angle d’approche aussi, nous avons encore beaucoup de choses à dire. 

OLI : Avec notre succès et la maturité gagnée, on va moins parler de ce que pensent ou vont penser les gens. Donc, ça nous ouvre la porte à donner davantage notre avis, le vrai, sur certains sujets. Tout ce qu’on a raconté au fil des années a toujours été vrai, mais on risque d’être davantage engagé et assumé. 

PAN M 360 : Votre marque de vêtements Visionnaire s’est installée au NINETY sur la rue Saint-Denis pour quelques jours. Parlez-moi de votre passion pour la mode et ce que vous apporte un tel projet. 

OLI : Notre marque vient du fait qu’on s’est dit qu’on pourrait porter des chandails que l’on crée nous-mêmes à la place d’enfiler ceux inventés par les autres. Ça vient aussi du hip-hop, nous avons grandi avec des Jay-Z et P.Diddy qui avaient leur marque de vêtement. 

BIGFLO : Dans le rap français, c’est plutôt l’inverse. C’est quasi étonnant si tu n’as pas une ligne de vêtement, c’est très propre à la culture entrepreneuriale du hip-hop. La majorité des rappeurs en a une. Forcément, nous voulions être des rappeurs et ça allait de soi de créer la nôtre. Visionnaire existe depuis déjà 2017, ça fait quand même un bon moment. Nous sommes très contents de voir le tout évoluer.

OLI : Récemment, nous avons collaboré avec le Toulouse FC pour créer le troisième maillot de l’équipe, avec différentes marques et récemment avec un artiste de New York. Ça bosse bien!

PAN M 360 : Il y a trois ans, vous avez mis sur pied votre label Bonne étoile. Il est clair que vous avez un intérêt et un engagement envers les jeunes talents. Auriez-vous des suggestions d’artistes de chez vous à faire découvrir au Québec?

BIGFLO : Justement, il y a LauCarré qui sera en première partie des concerts au Québec. On se disait que les gens ici pourraient bien aimer son style de rap. Il a d’ailleurs une collaboration avec un gars de chez vous en pleine ascension, Fredz, qui assurera lui aussi la première partie. 

Bonne étoile, c’est vraiment une autre corde à notre arc. Quand on voit nos jeunes talents réussir à remplir des salles de 400-500 personnes et que nous sommes dans la salle, nous ressentons une fierté différente de quand nous sommes sur scène. 

OLI : Après dix ans de carrière et de succès, on sentait que c’était le moment de transmettre ce que nous avons appris et de les accompagner, sans totalement leur paver la voie, car ce sont à eux de choisir leur route. On s’était promis de partager et d’aider les autres le jour où nous allions avoir réussi, et c’est ce que nous sommes en train de faire.

PAN M 360 : Récemment, vous avez tous les deux créé des titres ou effectué des collaborations en solo, notamment sous le nom de Bunshiin pour vous Bigflo. Que pensez-vous que cette liberté créative en solo vous apportera lors de vos moments en duo?

BIGFLO : C’est vraiment le début, et on essaye de ne pas trop y penser. Parfois, on fait des collaborations en solo, car c’est avec un artiste qu’un de nous affectionne particulièrement, où il n’y a tout simplement pas la place pour être deux. Oli n’en a fait qu’une, et un peu plus pour moi. Au départ, on trouvait que c’était un blasphème et que c’était de trahir Bigflo & Oli de faire ça, ça nous préoccupait beaucoup. Nos amis et nos entourages nous disaient que nous avions le droit de faire des morceaux l’un sans l’autre et que ce n’était pas la fin du monde, mais nous trouvions ça grave. Aujourd’hui, on se dit que c’est cool et que ça nous fait respirer. Effectivement, quand on revient en studio ensemble, on apporte de nouvelles inspirations et ça fait évoluer notre projet commun.

PAN M 360 : Parlons maintenant de votre spectacle à venir ce vendredi  24 novembre au Centre Bell et le lendemain au Centre Vidéotron. À quoi doit-on s’attendre, vous qui nous avez toujours habitués à une excellente mise en scène. 

BIGFLO : Écoute, ce qui est dommage c’est que nous n’avons pu apporter tous nos équipements au Québec. Nous apportons beaucoup de surprises, mais c’est assez compliqué pour nous de vous présenter le vrai « Bigshow ».

OLI : Les gens peuvent s’attendre à la synthèse de plusieurs années de scène avec tous les éléments qui fonctionnent bien de nos concerts précédents. C’est bien ficelé et l’esthétique est travaillée. Nous venons avec une dizaine de musiciens, un ensemble de cuivres, de trompettes et de trombones. 

BIGFLO : Je vais jouer du piano et de la batterie, Oli jouera de la trompette. On a un bon mix d’anciens et nouveaux sons. On est très fier du spectacle, encore plus que de notre dernier album.

PAN M 360 : Est-ce qu’il y a un morceau en particulier qui a su traverser vos spectacles et qui ne quittera jamais vos concerts?

BIGFLO : C’est certainement le morceau Demain avec Petit Biscuit. C’est un titre d’été qui nous fait du bien en live. Il y a certains morceaux qui ne sont pas mes préférés à l’écoute, mais qui sont incroyables en concert. Pendant Demain, il y a des confettis, des flammes et les pétards qui explosent, c’est vraiment le bordel! En termes de vieux morceaux, nous faisons encore Aujourd’hui et Début d’empire. Nous aimons toujours faire un ou deux sons pour ceux qui nous suivent depuis nos tout débuts.

Avec raison, on dit souvent qu’il y a eu un avant et un après Dubmatique sur la scène hip-hop québécoise. En 1997, le groupe montréalais composé de Disoul, OTMC et DJ Choice a dévoilé son premier projet, La force de comprendre, frayant ainsi son propre chemin vers le succès, celui que de nombreux artistes ont emprunté à leur tour. Difficile de se dire amateurs de rap keb sans connaître les couplets engagés des deux MCs sur un titre comme Soul pleureur.

Puis le temps passe et Dubmatique fêtait (déjà) il y quelques temps les 25 ans de son album culte. Pour l’occasion, les membres du groupe dévoilent ce vendredi une réédition en vinyle et en format numérique. PAN M 360 a discuté avec les deux voix de la formation, OTMC et Disoul, de cette sortie surprise, de leur vie après Dubmatique et bien évidemment de l’immense succès de leur premier opus.

PAN M 360 : Même après toutes ces années, La force de comprendre est encore écoutée et certains des titres du projet tournent encore. Comment votre album a-t-il réussi à traverser les époques et les générations?

OTMC : C’est grâce au public et nos fans qui ont réussi à faire traverser nos morceaux à travers le temps. Cela étant, je dirais que c’est peut-être grâce aux messages véhiculés dans cet album qu’on en entend encore parler à ce jour. Que le hip-hop au Québec soit solidement ancré depuis quelques années aide aussi, si des gens cherchent à en savoir plus sur les racines de ce mouvement, notre groupe y figure. Les personnes ont envie d’en savoir plus sur l’histoire du rap d’ici. Il y a aussi les radios qui aident beaucoup. Ce sont toutes ces petites choses qui rendent cela possible. Il y a plusieurs années, on pensait que le rap et le hip-hop étaient des modes, et finalement ce ne l’était pas. Il y a aussi les célébrations des 50 ans du rap hip-hop cette année qui permettent de nous garder dans la tête des gens. 

PAN M 360 : Qu’est-ce que vos fans pourront obtenir avec la réédition de ce projet?

DISOUL : Ils pourront obtenir l’album tel qu’il était en 1997. La pochette a été retravaillée et le son a été amélioré. Nous n’avions jamais vraiment eu la chance d’offrir La force de comprendre en vinyle. À l’époque, notre compagnie en avait imprimé quelques exemplaires, mais c’était seulement pour remettre aux DJs, environ une centaine de copies. C’est pour permettre à ceux qui nous suivent depuis nos tout débuts de mettre la main sur cette pièce de collection.

OTMC : Il y eut certains anciens exemplaires qui ont été vendus à plus de 1000$ par le passé, alors c’est vraiment cool de pouvoir enfin le sortir.

PAN M 360 : Votre dernier album en tant que Dubmatique remonte à 2009 lors de la réunion de votre groupe le temps d’un projet. Que faites-vous depuis? Quelles ont été vos occupations?

DISOUL : Depuis maintenant un peu plus de 12 ans, je travaille dans un autre domaine, je travaille pour FedEx. Ça a été un changement de cap qui s’est fait naturellement, près de la naissance de ma fille qui a maintenant 11 ans. J’avais besoin de me ressourcer. Je demeure maintenant à Valleyfield depuis plusieurs années, moi qui suis un Montréalais de cœur. La musique est toujours présente dans ma vie, mais plutôt par passion aujourd’hui. Lorsqu’il y a des événements ou des concerts reliés à Dubmatique, c’est toujours un plaisir « de remettre les gants ». 

OTMC : Pour ma part, j’ai toujours regardé le mouvement hip-hop grandir. À un certain moment, j’ai voulu mettre la main à la pâte. J’ai voulu tenter de produire des plus jeunes et j’aimais beaucoup le côté visuel aussi, alors j’ai appris à faire des vidéos. Puis le temps passe, on fonde une famille et on réalise qu’on ne peut pas donner tout son temps à la musique. Quand nous étions jeunes, nous avons donné tout notre temps, comme dit notre chanson Jamais cesser d’y croire, « nos cœurs, nos âmes ». Ce n’était pas un sacrifice, mais nous avons donné ce que nous devions donner au rap. Je suis content d’avoir eu le privilège de pouvoir vivre de ça en étant très jeune, puis après les priorités changent et aujourd’hui on voit le hip-hop grandir au Québec. Dans nos vies personnelles, nous essayons de trouver une autre vie après Dubmatique. 

PAN M 360 : Quand vous repensez à La force de comprendre, quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit?

DISOUL : Je dirais la volonté, parce que ça a été un chemin parsemé d’embûches, d’une part parce qu’il y avait très peu de précédents et d’autre part parce que c’était un pari un peu fou de se dire de se lancer là-dedans. L’insouciance de la jeunesse a fait que nous nous sommes lancé la tête baissée dans cette direction-là, mais on se rend compte en échangeant avec les gens que le jeu en a valu la chandelle. En toute humilité, je crois que le succès du projet est à la hauteur des sacrifices qu’on a faits. Ça n’a vraiment pas toujours été facile. OTMC, DJ Choice et moi-même avions un but commun, soit de prouver qu’on était capable de le faire, et dieu merci le temps nous a donné raison. 

OTMC : On pourrait aussi parler de découverte. Pour nous, c’était une découverte de rentrer dans l’industrie du disque, c’était vraiment ça. Nous faisions de la musique sans vraiment comprendre l’industrie, et quand l’album est sorti, c’est là qu’on y est vraiment entré. Nous avons dû en apprendre rapidement les rouages. Nous connaissions les succès de certains groupes francophones comme Alliance Ethnik, MC Solaar & IAM et nous voulions atteindre ce niveau-là, mais ça nous a frappé au début quand nous avons commencé à voir des gens se déplacer pour venir nous voir. C’est fou de voir que ce qu’on écrivait et chantait rejoignait des gens. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de réseaux sociaux et tout, les gens venaient à nos concerts pour vivre le moment présent et c’était fou. Les artistes aujourd’hui le vivent autrement, mais c’est quelque chose qu’on ne retrouvera plus. Nous sommes chanceux d’avoir pu vivre les années 90 du rap où c’était l’âge d’or de cette musique. Je dirais que découverte et âge d’or du rap me viennent à l’esprit. 

PAN M 360 : Est-ce qu’une anecdote vous a particulièrement marqué de l’époque de La force de comprendre?

DISOUL : Il y en a plusieurs, c’est certain. Ce qui me vient en tête, c’est qu’on ne se rendait pas compte de notre popularité et on était encore dans notre bulle de « débutants ». Un jour, on se rendait à la salle de spectacle Le Spectrum pour un test de son, en billet avec l’édifice de MusiquePlus. On se tourne la tête et on voit une centaine de fans qui étaient venus pour assister à un spectacle des 98 Degrees. On se demandait qui les gens étaient venus voir, et le temps qu’on tourne la tête, une centaine de personnes a traversé la rue pour venir nous voir et nous a encerclés pour avoir des autographes. On s’est dit « Voyons, ils préfèrent venir nous voir que d’aller à MusiquePlus. Ayoye! » C’est à ce moment qu’on a compris que notre album faisait une percée.

OTMC : Ce sont toujours les premières fois dont on se rappelle le plus, comme notre première apparition à la télévision à l’émission Bouge de Là. Dans le temps, il y avait toujours des gens avec nous. Nous sommes arrivés à plusieurs pour notre prestation à l’émission. Ce n’était pas incroyable, mais pour nous c’était déjà super de pouvoir se retrouver à la télévision. Sinon, il y a aussi la première fois que nous avons fait salle comble au Spectrum, c’était la salle mythique pour démontrer que tu avances dans ta carrière. C’est des bons petits souvenirs. 

PAN M 360 : Vous avez vu la scène hip-hop et rap naître et évoluer au Québec au cours des dernières années. Selon vous, comment se porte-t-elle en ce moment? 

OTMC : Elle se porte très bien. Comme vous savez, il y a des artistes qui ont réussi à remplir le Centre Bell et d’autres qui affichent complet dans des salles sans même jouer à la radio. Le rap a réussi à rejoindre son public cible, et même plus loin avec des artistes comme FouKi qui élargissent le panel. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est difficile de détrôner le rap et de ne pas retrouver un artiste hip-hop dans une programmation d’un festival. De nos jours, il n’y a plus de filtre, les maisons de disque ont moins à jouer et ça se rend directement au public. C’est certain que les gens de notre génération sont toujours attachés à un certain style de rap. À notre époque, cette musique avait et a toujours une mission, et nous tenions à accomplir cette mission. Maintenant, tu peux voir tout les style de rappeurs. 

PAN M 360 : Dès le départ, vos textes étaient très engagés et l’ont toujours été. Estimez-vous que les rappeurs de la génération actuelle devraient l’être davantage? 

OTMC : Je crois que les artistes d’aujourd’hui sont engagés à leur manière. Cela étant, le rap a passé à un autre niveau, c’est beaucoup du divertissement. Le rap a pris plusieurs formes, ce qui est bien. Au niveau de l’engagement, nous suivions un fil conducteur parce que même avant le rap, nous écoutions beaucoup de reggae et étions influencés par l’aspect dénonciateur de ce genre musical. Alors étions-nous réellement des artistes engagées? Je dirais plutôt que nous étions inspirés et observions beaucoup la période dans laquelle nous vivions. Nous essayions de relater le tout dans notre musique. Aujourd’hui, il y a des artistes qui le font, chacun tente de le faire à sa manière, mais on dirait que leur ambition principale est la réussite, et par n’importe quels moyens. Nous, ce n’était pas notre objectif de vouloir vendre des millions de disques et tout. De nos jours et c’est malheureux, le message est un peu dilué parce que les artistes doivent vendre et faire le buzz.

PAN M 360 : 25 ans plus tard, quel est le titre le plus important pour vous sur ce projet?

DISOUL : Le morceau qui nous colle sur cet album-là, c’est La force de comprendre qui est justement le titre de notre album. Au départ, l’album s’appelait Montréal / Paris / Dakar, mais nos producteurs ont dit que La force de comprendre nous représentait très bien. 

OTMC : La force de comprendre, c’est un peu la chanson qui résume l’esprit de l’album. Sans cette chanson et son succès, peut-être que nous ne serions pas en train de nous parler de ce projet en ce moment, que le rappeur serait minoritaire au Québec et qu’il n’y aurait toujours pas de catégorie pour notre genre musical à l’ADISQ. Cela étant, Soul pleureur est naturellement importante, car c’est celle qui nous a fait connaître au grand public. Il y a aussi Un été à Montréal qui est l’hymne pour la ville. Certains morceaux comme Jamais cesser d’y croire prennent tout leur sens quand on les interprète aujourd’hui.

Air Conditionné est le premier album de ROM1, pseudonyme de de l’artiste prometteur Romain Peynichou qui a quitté sa France natale pour s’immerger dans le tissu urbain unique de Montréal. Caractérisé par une vulnérabilité brute et une exploration sonore aventureuse, son album ressemble à une histoire de passage à l’âge adulte. Nous nous sommes entretenus avec Romain pour savoir comment il en est arrivé là.

PAN M 360 : Hey ROM1, merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Vous venez de sortir votre premier album et il est clair pour quiconque écoute votre disque qu’il s’agit d’une entreprise très personnelle. Il y a beaucoup de choses qui se passent ici et nous pourrions peut-être commencer par le début de ce projet ?

ROM1 : Mon but était vraiment de trouver ma propre voix. Après avoir joué dans des groupes pendant longtemps en tant que batteur, en faisant la musique des autres, c’était le moment de me retrouver seul dans le studio et de faire ma musique sans aucun compromis. 

PAN M 360 : Aviez-vous une idée de ce qu’était cette voix au départ ou s’agissait-il vraiment d’un processus de découverte ?

ROM1 : Eh bien, il y a eu beaucoup d’exploration, c’est sûr. Je savais en quelque sorte où j’allais en ayant mes références et un son particulier en tête, mais il y a eu beaucoup d’exploration pour y arriver. Et beaucoup d’apprentissage, c’est certain. 

PAN M 360 : Pouvez-vous nous parler de votre parcours de musicien ?

ROM1 : Oui, j’ai commencé à jouer de la batterie très tôt parce que mon frère jouait de la guitare. Je me suis mis à la musique rock classique, à la musique soul, toujours du point de vue de la batterie, mais très tôt, j’ai été attiré par de très belles chansons. Des morceaux de Bill Withers, des riffs de Zeppelin, beaucoup de Chili Peppers quand j’étais adolescent. Puis, au fur et à mesure que j’écoutais de la musique, j’ai découvert des productions plus denses et plus complexes, et je pense que c’est là que j’ai vraiment eu le déclic.

PAN M 360 : Dans quels types de groupes étiez-vous ?

ROM1 : Beaucoup de groupes de funk, de rock et de jazz. J’ai fréquenté l’école de jazz pendant un certain temps.

PAN M 360 : C’est intéressant de t’entendre dire ça parce que j’ai l’impression que même si ton album ne touche pas nécessairement à ces influences, il a été fait par quelqu’un qui a de l’expérience dans beaucoup de styles différents. Mais en fin de compte, c’est un album de producteur et d’auteur-compositeur.

ROM1 : Oui, c’est la musique que j’aime. J’aime la musique funk, j’aime le rock, j’aime le jazz, mais la seule musique qui a vraiment résonné en moi a toujours été plus produite, personnelle, vulnérable, intime, plus proche de la musique pour casque d’écoute que de la musique live.

PAN M 360 : Y avait-il une sorte de son à Montréal que vous essayiez de trouver ?

ROM1 : Oui, absolument. L’une des raisons pour lesquelles j’ai déménagé à Montréal était pour Half Moon Run. À l’école secondaire, c’était l’un de mes groupes préférés et ils représentait cette ville pour moi. L’album Dark Eyes a eu un impact considérable en termes de chansons et d’ambiance, et je me suis attaché à ce disque pendant un certain temps. En arrivant ici, j’ai écouté beaucoup de musique faite à Montréal, beaucoup de producteurs montréalais, et le sentiment de les connaître de loin, parfois de les connaître personnellement, de les voir autour de moi est quelque chose que j’apprécie vraiment. Cela me donne l’impression de faire partie de la ville et je pense que c’est vraiment beau d’avoir l’art que j’aime autour de moi.

PAN M 360 : Et comment l’esthétique d’Air Conditionné s’est-elle manifestée ?

ROM1 : J’ai fait cette promenade très particulière lorsque je travaillais profondément sur la musique, de mon ancien appartement au studio dans lequel je travaillais. Et oui, c’est lors de cette promenade que je faisais tous les jours que j’ai remarqué différentes choses et que j’ai commencé à voir beaucoup de climatiseurs. Et cette image m’est restée en tête. Puis, lorsque j’ai réfléchi aux paroles et que les thèmes ont commencé à se dévoiler, j’ai compris qu’il s’agissait de grandir et de ce qu’entraîne le fait d’être conditionné pour être d’une certaine façon. J’ai commencé à suivre une thérapie lorsque j’étais en pleine écriture des paroles, donc c’est ce qui est ressorti, et j’ai aimé que le titre Air Conditionné ait plusieurs niveaux de signification.

PAN M 360 : Pour moi, le titre de l’album évoque le travail, le travail qui doit toujours être fait sur nous-mêmes d’une certaine manière. Et que nous nous construisons, nous nous réparons et nous nous installons en quelque sorte tout le temps.

ROM1 : Oui, j’aime beaucoup ça aussi. Ce n’était pas mon idée originale, mais ça marche. Pour moi, il s’agissait de la façon dont un climatiseur régule la température d’une pièce et régule l’atmosphère. Et pour moi, c’est en grande partie ce que fait la musique, vous savez, comme écouter beaucoup de musique dans les espaces publics, les restaurants et les bars et voir comment différentes musiques peuvent influencer une pièce de différentes manières.

Le pouvoir de la musique que vous choisissez. Pour moi, c’est très intéressant. Air Conditionné peut être interprété de différentes manières. Il peut être léger, mais il a aussi un sens profond et j’ai aussi aimé l’idée d’une époque. En français, on dit aussi « l’air du temps », ce qui signifie juste une période de temps, ce que j’ai trouvé très cool.

PAN M 360 : Y a-t-il une raison particulière pour laquelle tout le disque est en français, pour quelqu’un qui est parfaitement bilingue et à l’aise avec les deux cultures ?

ROM1 : J’ai commencé à écrire en anglais. Les toutes premières démos étaient en anglais et je n’y trouvais pas autant d’écho. Et puis, alors que je travaillais sur la musique, le disque d’Hubert Lenoir est sorti, PICTURA DE IPSE : Musique directe, qui est le disque qui a tout changé pour moi en termes de ce que je voulais faire.

J’écrivais déjà un peu en français, mais c’est là que tout s’est joué. Il y a encore des parties de l’album, en particulier des mémos vocaux et tout ce qui est en anglais, parce que l’anglais est une grande partie de ma vie, c’est à peu près 50-50. Mais parce qu’une grande partie de l’album parle de mon enfance et de ce que c’était, tout était en français, donc c’était logique pour moi de le faire.

PAN M 360 : Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de composition ? Vos chansons ont beaucoup de détails complexes et de parties mobiles, et je me demande comment vous avez fait pour tout mettre au point.

ROM1 : Beaucoup de chansons commencent par un patch de synthétiseur que j’aime beaucoup, une ligne de basse, parfois même juste une batterie. Je ne suis pas du tout un pianiste ou un guitariste. Je ne compose pas vraiment de musique. Il s’agissait de créer des textures, des grooves et des paysages, puis de créer une chanson à la fin, avec les parties, la dynamique et les paroles. Ce n’était pas vraiment comme s’asseoir au piano, trouver une progression d’accords, une mélodie, puis l’enregistrer et ajouter des choses. J’étais vraiment intéressé par la partie production du processus et c’est ce qui m’a le plus amusé. Les paroles et les mélodies ne sont venues qu’à la fin.

PAN M 360 : J’imagine que tout ce processus a dû être très cathartique, mais du début à la fin, avez-vous eu l’impression d’avoir subi une sorte de transformation pour donner vie à votre vision ? Vous avez dit que vous vouliez trouver votre voix et avez-vous l’impression d’y être parvenu ?

ROM1 : Oui, absolument. Je veux dire que maintenant la musique que je veux faire est un peu différente de ce que j’ai fait dans le sens où j’ai beaucoup appris et je pense que je voudrais faire les choses différemment en allant de l’avant. Mais c’est très libérateur pour moi d’avoir terminé ce projet, parce que j’ai toujours voulu faire de la musique pour moi, de manière très personnelle, aussi longtemps que je me souvienne, mais je ne l’ai jamais vraiment fait. Je n’ai jamais eu suffisamment confiance en moi pour y arriver et maintenant que je me suis prouvé que je pouvais faire quelque chose de cette envergure, je suis beaucoup plus confiant dans ma capacité à recommencer et à m’améliorer, et à continuer à le faire.

PAN M 360 : Y a-t-il quelque chose qui vous a surpris dans le processus de création d’un album, du début à la fin ?

ROM1 : Oui, le processus de partage n’a pas été ce à quoi je m’attendais. Je veux dire que j’y pense juste maintenant parce que c’est ce que j’ai fait récemment, l’album est sorti il y a un mois. Pendant que je faisais l’album, j’avais hâte de le partager et d’en faire la promotion, et il s’avère que je n’aime vraiment pas cette partie.

Je pense que c’était probablement la partie la plus difficile pour moi. Je pensais que la partie la plus difficile serait l’isolement et le fait d’être très strict, d’avoir une discipline très stricte pour faire cet album, surtout quand on est un musicien indépendant, mais il s’est avéré que c’était la promotion et le fait de mettre mon visage en avant et de me montrer d’une manière très vulnérable. Il était important pour moi de me montrer authentiquement et d’exprimer clairement ce que cet album représentait pour moi, ce qui a été extrêmement difficile.

PAN M 360 : Je pense que ça en valait la peine ! Alors, quelle est la prochaine étape pour ROM1 ?

ROM1 : Un peu… peut-être un peu de disparition au début. Je suis très excitée à l’idée d’amorcer un nouveau chapitre de ma vie, je viens d’emménager dans un nouvel appartement. Je disais à mon ami hier soir au dîner que pendant trois ans, j’ai eu l’impression d’avoir deux emplois, mon emploi régulier et mon emploi dans la musique qui ne payait pas et que je devais financer mon deuxième emploi avec mon premier emploi.

Et maintenant, je suis heureux de n’avoir qu’un seul travail et il y a déjà de la nouvelle musique sur laquelle je suis excité de travailler, mais je pense que je vais faire les choses différemment et j’espère sortir un autre album dans quelques années et, je l’espère, quelques chansons avant cela.

PAN M 360 : Et pour finir, pouvez-vous nous dire quelle est votre chanson préférée sur l’album ? Ou la chanson qui a le plus d’importance pour vous ?

ROM1 : Je pense que la chanson dont je suis le plus fier est J’ai rien d’autre à vivre, qui est la dernière chanson de l’album. C’est la chanson avec laquelle j’ai eu le moment le plus significatif. C’est la chanson qui ressemble le plus à une chanson sur l’album et c’est peut-être la seule chanson qui a vraiment été écrite comme une chanson, comme si j’avais toutes les parties avant de la produire.

Je suis très attaché aux paroles parce que c’est quelque chose que je ressentais très fortement lorsque je travaillais sur l’album. Je pense que c’est probablement celle qui a le plus de sens pour moi.

PAN M 360 : Pour moi aussi. Merci encore à ROM1.

Alors que l’énergie du festival M pour Montréal atteint son crescendo lors de la soirée de clôture, nous avons eu le privilège de nous asseoir avec la formation psych-rock Hippie Hourrah ! Composé de Cédric Marinelli au chant, Gabriel Lambert à la guitare et Miles Dupire-Gagnon à la batterie, le groupe partage un aperçu de leur parcours sonore juste avant de monter sur scène pour une nuit d’exploration musicale transcendantale.

PAN M 360 : Allo Hippie Hourrah ! Merci d’avoir pris le temps avant votre spectacle. Vous serez sur scène dans quelques heures, le groupe fait-il quelque chose de particulier avant un concert ? Une sorte de rituel avant le spectacle ou quelque chose comme ça ?

Gabriel : Eh bien, je ne sais pas. On fait juste des gaffes.

Miles : Ouais, mais là encore, un rituel signifie que cela se produit à chaque fois, et parfois ce n’est pas le cas.

PAN M 360 : Vous n’êtes pas particulièrement nerveux ou quoi ?

Cédric : On est trop vieux pour ça. Nous savons dans quoi nous nous engageons, nous sommes déçus si c’est de la merde mais nous essayons juste de nous amuser là-bas.

PAN M 360 : En tant que groupe de rock « psychédélique », faites-vous de la place à beaucoup de spontanéité dans le live ?

Gabriel : Bien sûr, il y en a pas mal. Nous organisons en quelque sorte des jams organisés, et parfois nous nous surprenons en allant complètement ailleurs, en sortant simplement du scénario.

PAN M 360 : Le scénario était-il principalement basé sur Exposition Individuelle ? Avez-vous peut-être essayé du matériel plus récent ?

Miles : Avez-vous vu notre set plus tôt ? Nous jouons la plupart des chansons de notre dernier album, puis certaines du disque précédent.

Gabriel : Je veux dire, l’album est sorti en avril donc pas encore beaucoup de nouveautés.

PAN M 360 : Comment s’est passé votre précédent set ?

Miles : Eh bien, nous n’avons joué qu’un set de 30 minutes.

Cédric : Ouais pour le business de la musique. Vous connaissez des gens du business de la musique.

Gabriel : Ouais, c’était un show industriel ouais mais je préférerais jouer un show industriel

PAN M 360 : Et qu’est-ce que l’industrie exactement aujourd’hui ? Trouvez-vous que c’est toujours d’actualité ou que ça devient de moins en moins pertinent ?

Cédric : C’est la grande question

Gabriel : Ouais, grande question. J’en parlais justement avec certaines personnes la semaine dernière. C’est comme s’il existait actuellement une industrie à deux vitesses. La vieille industrie qui continue et qui essaie d’entretenir le feu, et puis il y a tout le reste et donc ça ne semble plus aussi cohérent.

MIles : Je dirais que tout le monde a de bonnes intentions mais je ne trouve pas que les priorités soient d’apporter l’argent aux bonnes personnes. Je veux dire que les musiciens sont toujours les derniers à obtenir quelque chose, ce qui est logique d’un point de vue bureaucratique, mais ce sont les musiciens qui ont besoin d’argent.

Cédric : En même temps, quand nous avons commencé, nous n’avions rien pour partir. Nous avons commencé pendant la pandémie. Miles s’était cassé le bras. Il m’a dit que j’avais du temps et ensemble nous avons commencé à essayer des trucs et maintenant nous sommes un groupe. C’est cool, dans le sens où nous avons une bonne équipe avec nous, nous travaillons très dur, nous faisons beaucoup de tournées. Bien sûr, nous sommes nouveaux, donc personne ne nous connaît, mais nous allons continuer à faire de la musique et quand ça marche, ça marche, et quand ça ne marche pas, eh bien, nous buvons.

PAN M 360 : J’aimerais connaître l’histoire derrière le nom du groupe. Était-ce facile ? Parce que c’est généralement la partie la plus difficile.

Cédric : Eh bien, nous n’étions pas encore un groupe sérieux et je viens de le dire et nous avons pensé que c’était un peu stupide, mais ça a quand même pris du sens.

Miles :  J‘ai rencontré beaucoup de gens qui n’aiment pas vraiment ce nom en fait.

Cédric : Mais ce qui est drôle c’est que sur Instagram, il y a comme une bande de hippies qui nous suivent à cause de notre prénom. C’est trop drôle.

PAN M 360 : En parlant d’Instagram, trouvez-vous que c’est un outil nécessaire pour le groupe ?
Miles : Eh bien, il semble que ce soit la seule chose… Il y a seulement trois ans, avec Facebook, c’était comme si vous étiez en tournée et qu’il y avait un événement pour votre spectacle. D’accord, il y a 250 personnes intéressées. Mais maintenant, il n’y a plus personne.

Cédric : J’essaie de faire du bricolage. J’aime promouvoir le côté arty du groupe. Comme les couvertures, des trucs comme ça, tous les visuels, c’est ce que je fais. Pour conserver notre identité.

PAN M 360 : Votre musique est le plus souvent décrite comme du « rock psychédélique », enfin du « rock psychédélique nonchalant » pour ce programme, mais je veux dire, pensez-vous que c’est un descripteur ou est-ce que cela vous dérange un peu ?

Miles : Je ne pense pas. C’est juste du rock.

Gabriel : Le danger est que si vous appelez cela du rock psychédélique, alors les gens ont une idée très claire en tête de ce à quoi s’attendre. Et même si nous abordons ces influences, nous ne sommes pas exactement des rockers Paisley des années 60.

PAN M 360 : Eh bien, il suffit à tout le monde d’écouter « Pur sang rouge ». Superbe chanson.

Cédric : Merci. Personnellement, je ne veux pas faire une seule chose. Quand j’ai commencé à faire la démo avec Gab, il m’a donné un petit clavier et je voulais faire une sorte de morceau de rap, et les gars se sont moqués de moi, vous savez, peu importe. Au final même si ce n’est pas du rap, on fait des compromis, et on trouve quelque chose qui sonne cool.

PAN M 360 : Et c’est comme ça que les chansons naissent, un peu avec un jam ou quelque chose du genre ?

Miles : Non, pas vraiment. Mais ça devrait le faire, haha.

Gabriel : Ouais, ça devrait, mais ce n’est pas le cas.

Cédric : Je pense que chaque chanson a sa propre histoire derrière elle.

Gabriel : Je pense que si nous jouions des chansons, nous enregistrerions simplement des heures et des heures de musique improvisée. J’aurais du mal à me limiter à seulement cinq minutes, vous savez.

PAN M 360 : Je sais que l’élément visuel est vraiment une grande partie du groupe, faites-vous un effort pour apporter cela aux concerts ?

Gabriel : Eh bien, ce soir, nous allons avoir quelques projections en fait, ce qui est plutôt cool. Et je ne sais pas si vous avez vu Cédric, mais il se passe quelque chose là-bas. Nous faisons quelques trucs avec nos costumes, et c’est quelque chose que nous pouvons faire en tournée aussi, car apporter des lumières coûte cher.

PAN M 360 : Tous vos albums ont été vraiment bien produits avec une production pop serrée. Vous avez un tas d’overdubs et tout ça. Ressentez-vous le besoin de compenser dans le live avec plus d’énergie, plus de jams, ou quelque chose du genre ?

Miles : Eh bien, cela peut être différent aussi. Personnellement, je vois le live comme un album différent, un aspect créatif différent. Je veux dire, un concert qui sonne exactement comme l’album, personnellement, en aurait assez.

Cédric : Ouais, je veux dire, nous l’avons déjà suivi. Nous voulons faire quelque chose de différent maintenant.

PAN M 360 : Alors, est-ce qu’un morceau comme « Pur sang rouge » s’ouvre davantage dans le live ?

Miles : Ha, c’est le seul que nous jouons tel quel.

Cédric : Je pense que c’est génial qu’on ait une chanson qui se termine. Parce que nous avons simplement tendance à faire le contraire et à avoir des jams perpétuels.

PAN M 360 : Très bien. Alors, quelle est la prochaine étape pour le groupe ?

Gabriel : Nous espérons le Mexique. Ce n’est pas sûr mais nous avons tous apprécié cinq interviews avec la presse mexicaine. Il semble donc qu’il y ait un certain intérêt. Nous verrons!

Mundial Montréal permet de faire des découvertes musicales inattendues. Cela m’est arrivé avec Sara Curruchich, une auteure compositrice Maya du Guatemala, qui chante en espagnol et en Kaqchikel, la langue de son peuple. 

Sara est une militante pour les droits indigènes, pour les droits des femmes et la diversité sexuelle, ce qui n’est pas toujours évident au Guatemala et dans l’ensemble de l’Amérique latine. Sara mélange les musiques traditionnelles au rock, à la Cumbia et au reggae. Son engagement social est assumé, mais s’exprime de manière autant ludique qu’austère.

En plus de sa performance en showcase dans le cadre du Mundial, le jeudi 16 novembre, le vendredi 17, Sara Curruchich donnera un concert accoustique avec le guitariste Luis Juarez Quixtam, au Centre René-Goupil de Montréal. Dans les deux cas, c’est une performance plus accoustique et intime que sur ses albums précédents.  

J’ai eu le privilège de passer une heure avec elle. C’était passionnant. 

PAN M 360 : Sara, pouvez-vous nous raconter vos origines, où vous avez grandi et dans quel contexte?

SARA CURRUCHICH : Je suis un femme Maya Kaqchikel du Guatemala, c’est la deuxième plus grande communauté linguistique du pays. On parle vingt-cinq langue chez nous. Mon peuple aime l’art, on trouve beaucoup de peintres. Mais c’est un peuple qui a été très affecté par la guerre civile de 36 ans au Guatemala. Encore aujourd’hui, nous ressentons des séquelles, des traumatismes, qui ont traversés les générations. Je suis une enfant de la guerre, je suis née en 1993. Et certaines de mes chansons veulent garder vivante la mémoire de ces événements terribles pour nous.

(NOTE: La guerre civile guatémaltèque a duré de 1960 à 1996. Elle a fait au moins 200,000 morts et un million de citoyens déplacés. La grande majorité des victimes étaient membres des peuples indigènes mayas. Un conflit que nous avons oublié.)

PAN M 360 : Et après la guerre comment était la vie?

SARA CURRUCHICH : Ma famille était très pauvre, mes parents se consacraient à l’agriculture ; mais nous étions dans la survivance au quotidien. J’ai commencé à travailler très jeune dans les marchés. À la même époque j’ai découvert la musique à travers une organisation religieuse qui faisait de la musique dans des lieux où les gens sont malades (hôpitaux, hospices). J’ai alors constaté à quel point la musique pouvait atténuer la douleur des gens. Et j’ai commencé à faire de la musique. Ça m’a servi de remède contre les douleurs de notre vie. Aujourd’hui, comme musicienne professionnelle, je fais toujours de la musique pour revitaliser l’âme humaine, effacer la douleur.

PAN M 360 : Est-ce qu’on peut dire en même temps que votre musique est politique?

SARA CURRUCHICH : Absolument. Je suis issu d’un peuple dont la douleur provient d’un capitalisme abusif. Qui a été profondément violenté durant la guerre et qui l’est toujours aujourd’hui. Le racisme est très profond au Guatemala. 

PAN M 360 : Comment a débuté votre carrière musicale professionnelle?

SARA CURRUCHICH : J’ai commencé à écrire des chansons en 2010. Je donnais aussi des ateliers de musique dans de nombreux villages de nos communautés. J’ai écrit des chanson dans ma langue maternelle, le Kapchikel. Malheureusement, cette langue a été peu enseignée à l’école. Il y’a encore cette perception que parler notre langue n’aide pas à nous développer. C’est une posture très raciste. Bien sûr, nous devons parler espagnol, mais apprendre notre langue serait bon pour notre estime. 

PAN M 360 : Votre premier disque s’intitule Somos, paru en 2019. On sent l’influence de la musique traditionnelle maya, mais il y’a aussi autant du rock et de la cumbia, c’était une volonté de transcender les styles musicaux?

SARA CURRUCHICH : Oui. Mes textes parlent beaucoup de ma communauté, du droit à la terre, de la beauté des fleuves. Mais je considère que c’est important d’explorer les genres musicaux. Ce serait une erreur de dire que, parce vous êtes un musicien indigène, vous devez vous restreindre à la musique indigène. D’autre part, il faut reconnaître qu’en raison du racisme, la musique traditionnelle est mal vue, parfois même dans nos communautés. Un jour, je faisais écouter cette musique à un groupe de jeunes. Ils m’ont dit : « enlève ça c’est hyper ennuyant ». Je me suis servie d’instruments électriques pour les convaincre que cette musique était intéressante. 

Je suis convaincue que mon mélange musical me permet de m’adresser à des publics différents, et amplifie mon message. Et franchement, j’adore les mélanges.

PAN M 360 : L’album Somos est suivi par l’album Mujer Indigena en 2022, comment les compareriez-vous?

SARA CURRUCHICH : Somos, contient des chansons que j’ai écrites dans les huit années précédentes. Somos, Nous Sommes, voulait parler de l’ensemble de ma communauté, notre résistance, la migration, des luttes pacifiques qui se déroulent au Guatemala, mais également dans plusieurs autres pays. Il y a également une chanson qui traite des trois énergies vitales, dans la « cosmovision » Maya, qui est très importante pour nous.

Cet album a été réalisé par Gambeat, le bassiste de Manu Chao, qui a beaucoup contribué au son de l’album.

Mujer Indigena est un peu la suite de Somos, mais j’ai voulu davantage explorer ma propre réalité. Je suis une femme indigène et je veux partager mon histoire avec vous. J’ai reçu aussi beaucoup de collaborations : la chanson Pueblos est chantée avec l’immense Lula Downs, du Mexique, une chanson qui parle des peuples d’Amérique Latine. Il y’a aussi Qach’alal, une chanson en collaboration avec Carmen Cumez et Rosalina Tuyuk, deux politicienne mayas dont les maris ont été tués par l’armée durant la guerre. Amor Diverso traite de la diversité sexuelle, j’ai eu le plaisir de la chanter avec Muerdo, un artiste espagnol qui a beaucoup traité de ces questions dans ses chansons. Amparo Sanchez, chanteuse et compositrice espagnole a réalisé cet album. C’était très important pour moi que ce soit une femme qui supervise ce projet. 

PAN M 360 : Le risque, avec du contenu aussi militant, c’est que ça devienne très lourd, très chargé pour les auditeurs, êtes-vous consciente de cela? 

SARA CURRUCHICH : C’est évident que je vise à faire réfléchir les gens sur notre réalité. Mais il faut que cette réflexion, cette conscientisation, débouche sur l’espoir, la joie. Pour moi, être sur scène et susciter cette réflexion est très libérateur. Ça me permet de partager nos souffrances, mais également nos espoirs. Ce n’est pas un chemin facile, surtout au Guatemala où la persécution politique existe encore. Le gouvernement actuel est un gouvernement autoritaire. Ils voulaient passer une loi qui aurait permis d’arrêter tous les gens qui parlaient en faveur des droits des femmes et de la sexualité libre. Heureusement, ça a été bloqué, sinon je m’en allais tout droit en prison ou je m’exilais.  

PAN M 360 : En ce moment, votre pays vit un tournant politique : le Guatemala vient d’élire un président de gauche, qui n’est pas encore arrivé au pouvoir et la droite tente d’empêcher son arrivée au pouvoir. Est-ce que quand même, ça vous donne de l’espoir?

SARA CURRUCHICH : Bernardo Arevalo, le président élu, incarne une espérance, c’est une bouffée d’air frais. Il veut combattre la corruption. Il a l’appui de beaucoup de gens de nos peuples, parce qu’il comprend nos aspirations. Mais on tente par tous les moyens de l’empêcher d’exercer le pouvoir, en janvier. Pour beaucoup de gens, cette élection est un moment historique. Cela pourrait représenter le début d’un temps nouveau pour notre pays.

(NOTE : l’actuel gouvernement autoritaire et la cour suprême, dont les juges ont été nommés par la droite, tentent de rendre invalide le résultat de l’élection du mois d’aout dernier. Le président élu parle de « Coup d’État judiciaire ».)

PAN M 360 : Vous êtes aussi très engagée pour promouvoir les nouveaux talents musicaux des communautés mayas du Guatemala. Et aussi d’ailleurs.

SARA CURRUCHICH : Depuis des années, j’explore des régions et des villages pour parler de musique avec les communautés. Au Costa-Rica, j’ai écrit une chanson, Tayela, avec douze femmes indigènes, qui a bien fonctionné. J’ai une émission de radio qui veut promouvoir les nouvelles voix indigènes. Je produis aussi trois artistes émergents du Guatemala. Deux sont Mayas, une autre est Garifuna, c’est une autre nation indigène.

Pour moi, c’est essentiel de partager ces nouvelles voix. La reconnaissance que j’ai acquise à l’étranger va me permettre d’investir dans ces nouveaux artistes.  

PAN M 360 : Vous êtes au Canada pour développer des contacts musicaux, mais également avec des communautés autochtones, comment ça se passe?

SARA CURRUCHICH : Avant d’arriver à Montréal, nous sommes allés au Indigenous Music Summit à Toronto. C’était super, j’ai découvert plein de gens. La musique permet tellement de connections. Même si nous vivions à des milliers de kilomètres, on peut sentir des réalités communes : la joie, la dignité. J’ai écouté Kelley Fraser, entre autres. On sent le même réveil, les mêmes aspirations.

J’espère que, grâce, au Mundial, nous pourrons revenir au Québec et au Canada pour partager notre musique.

PAN M 360 : Vous avez de nouveaux projets musicaux? 

SARA CURRUCHICH : J’ai un projet accoustique avec mon compatriote Luis Juarez Quixtam, que nous présentons au Mundial, que nous allons endisquer, il y a des extraits qui sont déjà parus. Il y’a un quatrième album en gestation, qui sera très différent de tous les autres. À suivre.

Pourquoi , au fait, jouer encore et toujours le Messie de Georg Friedrich Haendel au temps des Fêtes? Noémy Gagnon-Lafrenais explique pourquoi il demeure pertinent de rejouer cette œuvre archi-connue, la plus interprétée de toutes durant cette période. Violon solo d’Arion Orchestre Baroque, la musicienne (et bientôt ingénieure chimique) raconte son parcours par la même occasion.


PAN M 360 : Vous avez une solide expérience du Messie, racontez-nous! 


Noémy Gagnon-Lafrenais : Mon rôle dans le Messie, je l’ai joué près d’une trentaine de fois dans ma carrière.

PAN M 360 : On peut comprendre, car c’est l’œuvre la plus jouée au temps des Fêtes.

Noémy Gagnon-Lafrenais : Exactement. Apparemment, c’est le cas depuis le XIXᵉ siècle qu’on joue le Messie à l’approche de Noël, car au départ, c’était une œuvre pour la période de Pâques. Ce qui a fait la popularité du Messie dans le monde anglo-saxon et donc aussi en Amérique du Nord, c’est en en partie parce qu’il s’agit d’un oratorio anglais – Haendel ayant vécu en Angleterre.

PAN M 360 : En Europe, est-ce joué au temps des Fêtes ?

Noémy Gagnon-Lafrenais : J’ai des amis musiciens qui vivent aux Pays-Bas et qui ne jouent pas le Messie. J’ai aussi une collègue qui a mené une carrière de musicienne baroque en France, pour ensuite s’installer au Québec. Récemment, elle m’a écrit et posé des questions musicologiques sur le Messie que nous allons jouer ensemble : « Allons-nous faire des tutsis? Des repienos? Où se trouve tel ou tel solo? Alors, j’en déduis qu’elle ne l’a pas (ou très peu) joué auparavant. Elle n’a pas d’expérience avec cette pièce, à tout le moins avec la façon dont on la joue en Amérique du Nord.

PAN M 360 : Donc il s’agit vraiment une tradition britannique, anglo-saxonne et nord-américaine. 

Noémy Gagnon-Lafrenais : Oui, c’est une pièce qui est jouée très souvent, mais puisque certains de mes collègues l’ont jouée moins souvent ou pas du tout, et puisqu’il se trouvera des gens dans la salle pour qui ça va être le premier Messie, ça vaut la peine de le rejouer.

PAN M 360 : Ce n’est pas une pratique courante chez Arion que de jouer les œuvres connues du répertoire baroque et de la musique ancienne.

Noémy Gagnon-Lafrenais : Effectivement, avec Arion, on présente quand même depuis les dernières années beaucoup d’œuvres de niche, des œuvres de compositeurs français moins connus… C’est super parce que ça démontre que le répertoire n’est pas épuisé. Il est beaucoup plus vaste qu’on pense. C’est bon pour nous en tant que musiciens parce que ça nous garde à l’affût, ça nous tient sur le bout de notre chaise. On doit continuer à découvrir, on doit continuer à se poser des questions. Mais c’est ça, des projets, quand tu fais une redécouverte ou une première mondiale ou un premier enregistrement, ce sont des projets qui sont extrêmement exigeants et stressants. Moi, j’adore ça, tu es beaucoup plus investie dans le processus créatif, mais c’est aussi beaucoup de pression.  Alors quand on fait des œuvres qui sont un peu moins souvent jouées ou qui sont redécouvertes, le travail en amont est beaucoup plus grand.

PAN M 360 : Et il faut aussi plaire au public en lui jouant des œuvres qui lui sont familières.

Noémy Gagnon-Lafrenais : Ce que je trouve intéressant et agréable à faire Le Messie avec mes collègues, c’est qu’on en sait les fondements. La majorité d’entre nous connaît vraiment cette musique, alors on ne perd pas de temps en répétition à se dire « Peut-on recommencer à la mesure 75? », « Quel accord  avons-nous ici ? » 

On n’a pas besoin de passer du temps à discuter du langage, mais on a le temps de pouvoir vraiment profiter de la spontanéité du jeu parce la partition est maîtrisée. Quand tu joues un même programme 200 fois, tu trouves alors la beauté de l’exécution dans la spontanéité du jeu, dans les petites choses que tu communiques au public en temps réel.

Pour moi, ça va nous permettre peut- être plus d’explorer en tant que groupe cette spontanéité- là, sans le stress d’avoir une œuvre qu’on ne connaît pas de fond en comble. Par exemple, comparativement à quand on découvre une œuvre.  

PAN  M 36 : Arion continu de jouer exclusivement avec des instruments anciens, n’est-ce pas  ? 

Noémy Gagnon-Lafrenais : Systématiquement. Et on couvre le répertoire d’à peu près 1660 à 1780, mais là, le mois dernier, on a aussi fait des œuvres d’Hélène de Montgomery euros qui avaient été composées en 1820 pour piano.

PAN M 360 : Le son d’ensemble s’en trouve plus doux.

Noémy Gagnon-Lafrenais : Les flûtes sont en bois, les instruments n’ont pas d’embouchures de métal. On utilise aussi des cordes de boyau, ce qui adoucit la sonorité de l’orchestre, effectivement. C’est  plus organique, moins métallique, moins tranchant, moins normalisé car il n’y a pas une corde de boyau identique, alors que des normes existent pour les cordes en acier. Alors selon moi, les cordes animales produisent des sonorités plus riches.

PAN M 360 :  Et vous collaborez avec le Studio de musique ancienne de Montréal  SMAM.

Noémy Gagnon-Lafrenais : Oui, ce programme est exécuté sous la direction d’Andrew McAnerney qui est un excellent chef de chœur. Vraiment, il  a bien pris la relève du défunt fondateur, Christopher Jackson.

 

PAN M 360 : Parlons maintenant de votre parcours professionnel.

Noémy Gagnon-Lafrenais : J’ai joint Arion en 2014, alors que je terminaismes études à Juilliard (New York). J’ai fait un diplôme spécialisé en musique ancienne, en performance de la musique baroque à New York. Auparavant, j’étais en Californie au Conservatoire de San Francisco, puis je me suis rapprochée de la côte Est. Bien sûr, Juilliard une école prestigieuse, plusieurs musiciens de réputation internationale y ont étudié, donc j’ai été vraiment en contact avec des gens avec qui je n’aurais jamais eu la chance d’être en contact sans ce programme. Ça m’a menée à jouer avec Jordi Savall, William Christie, Kristian Bezuidenhout, Rachel Podger, Masaaki Suzuki et autres maîtres.  

PAN M 360 : Et puisque vous êtes native du Québec, vous êtes rentrée au bercail.

Noémy Gagnon-Lafrenais : En 2014, j’ai eu vent d’une audition pour Arion Orchestre Baroque, je m’y suis présentée. À partir de 2014, j’ai commencé à jouer dans la saison régulière. Et quand Chantal Rémillard, qui fut violon solo de l’orchestre pendant près de 38 ans, j’ai fait partie du processus de sélection. Et puis Mathieu Lussier a été nommé directeur artistique et on a poursuivi le processus jusqu’à ce qu’il décide de m’offrir le poste et c’est  donc ma troisième saison en tant que violon solo pour Arion. Dans toute organisation, la période de changement bouleverse, mais je pense qu’on est en train de bâtir quelque chose de vraiment super.

PAN M 360 : Comme d’autres musiciens de haut niveau, vous menez une double carrière.
 
Noémy Gagnon-Lafrenais : À 30 ans, je suis retournée au cégep, puis à Polytechnique. J’ai fait ça en même temps que ma période d’essai pour violon solo. Pendant un moment je ne le disais de peur de perdre mon emploi que j’ai finalement obtenu. C’est alors que j’ai révélé être étudiante à Polytechnique depuis deux ans. J’ai presque fini. La session prochaine, il me restera 13 crédits et puis basta.

PAN M 360 : Donnerez-vous alors priorité au génie chimique ou bien à la musique baroque?

Noémy Gagnon-Lafrenais :
Ça reste à voir parce que j’adoremon travail avec Arion. La musique reste ma passion, c’est ce que je vais mettre de l’avant toute ma vie. Mais je ne veux pas faire juste une chose dans cette vie.  Alors suis heureuse d’avoir développé ces compétences qui me servent aussi dans ma vie d’artiste.


PROGRAMME George Frideric Handel (1659-1695) Messiah, HWV 56 (Londres, 1741 / Dublin, 1742)  

PREMIÈRE PARTIE 

Comfort ye, my people – Récitatif (Ténor)

Ev’ry valley shall be exalted – Air (Ténor) 

And the Glory of the Lord – Chœur 

hus saith the Lord – Récitatif (Basse)

But who may abide the day – Air (Alto) 

And he shall purify – Chœur 

Behold, a virgin shall conceive – Récitatif (Alto)

O thou that tellest good tidings to Zion – Air (Alto) et Chœur

For behold, darkness shall cover the earth – Récitatif (Basse)

The people that walked in darkness – Air (Basse) 

For unto us a Child is Born – Chœur 

here were shepherds abiding – Récitatif (Soprano)

And lo, the angel of the Lord – Récitatif (Soprano) 

And the angel said unto them – Récitatif (Soprano) 

And suddenly, there was with the angel – Récitatif (Soprano)

Glory to God in the Highest – Chœur Rejoice greatly, O daughter of Zion – Air (Soprano) 

Then shall the eyes of the blind be opened – Récitatif (Alto) 

He shall feed his flock – Duo (Alto et Soprano)

His yoke is easy, and His burthen is light – Chœur  

ENTRACTE   DEUXIÈME PARTIE

He was despised – Air (Alto) 

Surely He hath bourne our griefs – Chœur

And with His stripes we are healed – Chœur

All we like sheep have gone astray – Chœur

All they that see Him – Récitatif (Ténor)

He trusted in God – Chœur 

hy rebuke hath broken His heart – Récitatif (Ténor) 

Behold and see if there be any sorrow – Air (Ténor)

He was cut off out of the land of the living – Récitatif (Ténor)

But Thou didst not leave His soul in Hell – Air (Ténor)

Lift up your heads – Chœur

Why do the nations so furiously rage – Air (Basse)

Let us break their bonds asunder – Chœur

He that dwelleth in Heaven – Récitatif (Ténor)

Thou shalt break them with a rod of iron – Air (Ténor)

Hallelujah – Chœur 

TROISIÈME PARTIE 

I know that my Redeemer liveth – Air (Soprano) 

Since by man came death – Chœur

Behold, I tell you a mystery – Récitatif (Basse)

The trumpet shall sound – Air (Basse)

Worthy is the Lamb – Chœur 

Amen – Chœur 

CHEF ET CHEF DE CHOEUR : Andrew McAnerney

SOLISTES :

Soprano Susan Elisabeth Brown 

Alto Nicholas Burns

Contreténor Haitham Haidar

Baryton Geoffroy Salvas 

CHORISTES :

Sopranos : Rebecca Dowd, Marie Magistry Ellen Torrie 

Altos Marie-Josée Goyette,  Josée Lalonde,  Marie-Andrée Mathieu 

Ténors :  Mathieu Abel, Nathan LeLièvre, Michiel  Schrey 

Basses : Victor Chisholm, John Giffen, Francois-Nicolas Guertin

INSTRUMENTISTES

Premiers violons :  Noémy Gagnon-Lafrenais (solo) Julie Rivest Jimin Dobson Sallynee Amawat

Seconds violons : Jessy Dubé Marie Nadeau-Tremblay Mélanie de Bonville 

Altos :  Jacques-André Houle Peter Lekx

Violoncelles Amanda Keesmaat Andrea Stewart

Contrebasse :  Francis Palma-Pelletier 

Orgue : Christophe Gauthier

Clavecin : Rona Nadler

Hautbois : Matthew Jennejohn, Karim Nasr

Basson : François Viault 

Trompettes : Roman Golovanov,  Simon Tremblay 

Timbales : Matthias Soly-Letarte

SOUS LA DIRECTION D’ANDREW MCANERNEY, LE MESSIE DE HAENDEL EST JOUÉ À LA SALLE BOURGIE LE vendredi, 17 novembre, 19:30, le samedi, 18 novembre, 16:00 et le dimanche, 19 novembre, 14:30

POUR INFOS ET BILLETS, C’EST ICI

Cette édition du Montréal Mundial m’a permis de rencontrer Maritza, une auteure-compositrice qui a un parcours pas banal. Cette dominicaine adoptée par un couple québécois a fait partie de la première cuvée de Star-Académie, il y a 20 ans. Par la suite, elle a pris une trajectoire musicale plus personnelle, indie-folk, pour arriver à une nouvelle étape, en 2022 : l’album Quien Eres, entièrement en espagnol, où Maritza assume ses racines latinas. Nous nous sommes rencontrés dans les coulisses du Mundial. 

PAN M 360 : Maritza, tentons de reconstituer votre parcours, qui débute dans une petite ville de République Dominicaine.  

MARITZA : Je suis née Maritza Severino-Pegueiro. Mais, quand j’ai deux ans et demi, ma famille pauvre et nombreuse me confie à l’adoption, entre autre pour des raisons de santé. C’est comme ça que je deviens Maritza Bossé-Pelchat, de l’Ancienne Lorette, en banlieue de Québec. Je suis devenue complètement québécoise, c’est comme si mes racines n’existaient plus.

PAN M 360 : Mais vous ne deviez pas passer inaperçue dans cette banlieue très homogène, non?

MARITZA : Tout-à-fait et c’est important d’en parler. Dans les années 80, j’ai vécu beaucoup de racisme, particulièrement à l’école primaire. C’était confrontant pour moi, car, dans ma tête, j’étais devenue blanche. Je ne savais pas comment réagir, j’attendais juste que les insultes finissent. Mes parents adoptifs étaient aussi sous le choc, ils ne s’attendaient pas à cela. Aujourd’hui encore, ça se produit mais beaucoup moins.

PAN M 360 : En 2001, vous vous installez à Montréal, comment la musique s’installe dans votre vie?

MARITZA : Au départ, j’étais très complexée par ma voix. Mais plus je chantais, plus je sentais l’impact positif sur ma vie. J’ai pris des cours de chant et, en 2003, mon professeur me suggère d’aller passer les auditions de Star Académie. J’y suis allée en me disant que ce serait une bonne expérience. À mon grand étonnement, ils m’ont choisi, j’ai donc participé à la première cohorte de cette émission, qui a emballé tout le Québec.

PAN M 360 : Ça a dû être une formidable expérience, mais vous n’êtes pas restée longtemps dans le giron de Star Académie. Et il y a eu un bon intermède, si je puis dire, avant le retour à la musique. 

MARITZA : Star Académie, c’était beaucoup de pression mais c’était très formateur, ça m’a fait grandir. Ça m’a permis de rencontrer des tas de musiciens et de gens de spectacles. En même temps, je n’étais pas très confortable dans ce moule très standardisé. J’avais besoin de plus de liberté et j’ai assez rapidement cassé mon contrat avec les producteurs de Star Académie. 

Par la suite, j’ai fait des études en Intervention sociales en relation d’aide auprès des jeunes. J’ai travaillé dans des Centres Jeunesse et dans des organismes communautaires. En 2009, j’ai co-fondé RAIS, Ressources Adoption, un organisme qui vient en aide aux adoptés et aux adoptants, par toutes sortes de moyens. Tout cela prend encore beaucoup de place dans ma vie et a sans doute influencé ma trajectoire musicale.

PAN M 360 : Par la suite, vous faites deux disques en français, de l’Indie Folk, un EP éponyme en 2012 et l’album Libérons-nous en 2017. Comment arrive l’idée de faire un album et d’écrire des chansons en espagnol?

MARITZA : Ça a été un processus très long. J’ai grandi sans parler espagnol. J’avais pris un cours au CEGEP et je n’ai pas vraiment eu un coup de coeur pour la langue. J’avais compris que ma famille dominicaine m’avait abandonnée, j’avais du ressentiment, inconsciemment. Un jour, je rentre du CEGEP et mes parents me disent : « Il faut qu’on parle ». J’ai alors appris que trois de mes soeurs biologiques cherchaient à me retrouver depuis plusieurs années. C’était un choc.

J’ai appris que cette partie de ma famille dominicaine avait immigré près de Boston, aux États-Unis. Je pouvais communiquer en anglais avec une de mes soeurs. Graduellement, nous nous sommes réunies. J’ai commencé à apprendre l’espagnol. J’ai revu ma mère biologique, à Boston. Quand j’ai eu ma fille, qui a aujourd’hui dix ans, c’est comme si ça avait interpellé mes racines. J’ai commencé à m’intéresser en profondeur à la République Dominicaine, à la culture latino-américaine. Je me suis rendu à plusieurs reprises en République, pour rencontrer ma famille qui est la-bas. Je m’y suis fait des amis. Ça a beaucoup amélioré mon espagnol!

PAN M 360 : Quelle a été la première chanson écrite en espagnol?

MARITZA : Ma mère biologique fredonne sans arrêt, j’adore sa voix. J’ai eu envie de faire un duo avec elle, en espagnol. Je l’ai invité à venir enregistrer à Montréal et ça a donné la chanson Para Ti (Pour Toi), qui termine l’album Quien ères. C’était une façon pour moi de lui dire que je ne lui en voulais plus. Ça a été un moment magnifique. Par la suite, j’ai continué d’écrire et nous avons fini par avoir assez de chansons pour faire un album.

PAN M 360 : Personnellement, j’ai beaucoup aimé cet album, est-ce que je me trompe si je dis que c’est un disque très personnel?

MARITZA : Vous avez raison, ça raconte plusieurs facettes de mon histoire. Quien Ères aborde mon identité, qui je suis, ça parle de périodes plus sombres que j’ai vécues. Querida Nina, je la dédie à ma fille. Te Espero parle d’ouverture à l’amour. Dans mes spectacles, j’explique le contexte des chansons en français pour faire en sorte que le public québécois comprenne bien. 

PAN M 360 : Quelles ont été vos influences musicales pour ce disque?

MARITZA : Il y a Chavela Vargas, la grande chanteuse mexicaine, l’incontournable Lhasa De Sela, qui m’a marquée. Les chanteuses mexicaines Natalia Lafourcade, Sylviana Estrada, et Carla Morrison, une belle artiste. Mais il y’a aussi des influences americana. David Thiboutot, avec qui j’ai écrit les chansons, est un grand fan de Calexico. Je remercie aussi Juan Sebastian Larobina, qui  m’a beaucoup aidé pour la prononciation en espagnol. 

PAN M 360 : Quien Eres est sorti il y’a plus d’un an, en fin de pandémie, il n’a pas été aussi entendu qu’en temps normal, allez-vous faire une tournée?

MARITZA : En ce moment, j’essaie d’organiser cela. Il faudra sans doute attendre à l’automne prochain pour une tournée québécoise et canadienne. Je travaille aussi sur un autre album, qui sera également en espagnol, mais dans des tonalités musicales différentes. Je n’aime pas me répéter. 

Et c’est un de mes rêves de voyager avec la musique. Et je souhaite que ma participation au Mundial favorise cela. 

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