Fête de la musique : le buffet de Tremblant

par Réjean Beaucage

On ne va pas dans un buffet comme la Fête de la musique à Tremblant pour y choisir des plats à la carte, et c’est précisément la diversité du menu qui fait tout l’intérêt de l’affaire. Comme dans tout bon buffet, cependant, et
bien que ce soit gratuit, on ne peut pas goûter à tout! Sélection, donc, des concerts présentés durant le premier week-end de septembre à Tremblant.

Il faut d’abord se rendre, me direz-vous peut-être, et on s’aperçoit rapidement, avec la densité du trafic, de la popularité de la destination. Et en effet, une fois sur place, on dirait bien que tout le monde s’en allait là, parce que c’est la fête au village, comme on dit! Si dans le menu varié de la Fête, le plat principal est servi à 20h00, ça ne signifie pas que tout ce qui précède n’est qu’amuse-gueule et mise en bouche. 

Arrivé en fin d’après-midi samedi, on s’installe à la terrasse de Fat Mardi’s, juste à côté de la scène, côté cour. Parce que c’est bien les métaphores culinaires, mais il faut bien manger quelque chose. C’est donc en bouffant que nous entendrons les premières pièces de Degg J Force 3, dont l’afro-reggae sauce hip-hop fait taper du pied et lever les bras. Les frères Moussa M’Baye et Ablaya M’Baye ont tôt fait de mettre le public dans leur poche à coup de « Vive Mont-Tremblant! » ou « Vous êtes magnifiques! », et même dans le tube du groupe #GuineaLove, c’est vite « Mont-Tremblant » qui remplace « Ma Guinée ». Le groupe a 25 ans cette année et son afro-rap est sans doute old school, mais devant un public en grande partie familial, il fait merveille.

Après ce concert, on devait avoir droit à celui d’Yves Lambert accompagné du groupe Bon Débarras, mais un malheureux orage nous a privés de tourtière… Faudra se reprendre.

Premier concert du dimanche avec OktoEcho, la troupe de Katia Makdissi-Warren qui est un véritable microcosme de la diversité du festival. Dans la petite heure du concert, on passe du pow-wow avec danseuse mohawk au chant soufi avec derviche tourneur (ou tourneuse, en l’occurrence), puis au chant de gorge inuit, le tout accompagné de contrebasse et piano, mais aussi de qanun, nay, oud et d’une section de percussions pour le moins entraînante. Les différentes saveurs locales se mêlent en un vaste mashup culturel qui marche à fond et laisse bien voir ses racines communes. Katia Makdissi-Warren, qui était l’année dernière la compositrice mise de l’avant par la Société de musique contemporaine du Québec pour sa série « Hommage », poursuit une route parfaitement personnelle qui la mène à la rencontre de l’universel, et elle trouve sur le chemin un public tout à fait sympathique à sa cause.

Catherine Major donne deux récitals chaque jour au piano public installé par Québecor, grand commanditaire de l’événement. Entre les réductions d’œuvres que l’on connaît dans des arrangements plus complexes sur disques, elle balance aussi quelques nouveautés, comme l’ouverture de son opéra Albertine en cinq temps (livret du Collectif de la Lune Rouge, d’après Michel Tremblay), qu’on pourra voir au Rideau Vert à compter du 7 septembre, ou Carmen porcelaine, une des pièces qui devraient se retrouver sur un album à venir de piano solo. Très à l’aise au milieu du public et généreuse à souhait, Major prend les demandes spéciales, quitte à devoir se fier au public pour souffler les paroles dans le cas d’une pièce comme Valser en mi bémol, parue sur son deuxième album, en 2008. Un très bon moment.

Après l’orage de la veille, le soleil a voulu prendre sa revanche, et la scène principale, Place Saint-Bernard, lui offrait une belle foule à cuire. On a donc frôlé l’insolation en écoutant le répertoire klezmer d’Oktopus, qui va de la traditionnelle grecque Misirlou à sa version surf, celle de Dick Dale, que l’on a pu entendre dans Pulp Fiction, en passant par la Rhapsodie roumaine nᵒ 1 d’Enescu. Avec flûte, piano, violon, trompette, trombones (2) et la clarinette de Gabriel Paquin-Buki, qui fait aussi les arrangements, Oktopus livre une mouture du genre pour le moins festive, et qui est parfaitement à sa place dans la programmation de la Fête.

On n’allait pas annuler le spectacle de fin de soirée deux fois de suite, mais cette fois-ci, le soleil couché, il fallait s’équiper de plus qu’une petite laine pour apprécier Angèle Dubeau et La Pietà, dont l’invité avait sans doute contribué à rallier une bonne partie de la foule, qui débordait largement du parterre de sièges installés devant la scène. Daniel Bélanger viendrait plus tard, après une première partie assurée par la violoniste et son ensemble avec des œuvres enregistrées récemment pour ses disques « Immersion » (2021) ou « Elle » (2022), qui célèbre le 25e anniversaire de son ensemble. Elle nous a aussi présenté deux pièces de son prochain disque, consacré au compositeur britannique Alex Baranowski, qui s’inscrit dans la mouvance minimaliste, aux teintes cinématographiques, prisée par Angèle Dubeau. Cette première partie s’est achevée sur Dona Nobis Pacem 2, que la violoniste a enregistrée pour le portrait qu’elle consacrait à Max Richter en
2017.

Les neuf musiciennes, incluant la soliste, accueillent ensuite Daniel Bélanger pour interpréter un bouquet de chansons de l’auteur-compositeur, dont quelques-unes qu’il ne joue pratiquement jamais en concert comme Primate électrique (d’où le recours à une tablette, sur laquelle défilaient ses partitions). De La Folie en quatre à Rêver mieux, en passant par Les deux printemps et Dis tout sans rien dire (reprise en rappel), on a eu droit à d’excellents arrangements rendus par des musiciennes qui avait visiblement du plaisir à jouer. Angèle Dubeau nous assurait récemment que ce concert spécial était un one shot deal dont aucune reprise n’est prévue. N’empêche, il devait bien y avoir là de quoi remplir un disque, enfin. Le public présent a savouré son plaisir et offert aux artistes une ovation bien sentie.

La 22e édition de la Fête de la musique à Tremblant se poursuit le lundi 5 septembre avec quelques concerts en après-midi, mais il nous faut reprendre la route. Jusqu’à la prochaine fois.

Mutek : l’onirisme queer de Bendik Giske et la magie pure de Caterina Barbieri

par Salima Bouaraour

En première nord-américaine, Bendik Giske semblait perché dans le ciel, flottant dans de mystérieux antres, déjouant ainsi les jeux de lumière serpentine. Son saxophone trônait tel un maître du temps. Les pièces de l’album Cracks ont ouvert les portes du Paradis, traçant ainsi le chemin pour toutes celles ou tous ceux qui ne seraient pas encore convaincus de cette beauté queer. Sous l’emprise de cet être à la fois animal et humain, il devenait évident de ne plus vouloir se dérober. L’artiste nous a plongés en hypnose, nous a ensorcelés à coup d’échos et de rêverie. En souffle continu, cet ange fait d’un instrument à vent une parole de sérénité. Les stroboscopes électrisaient les fidèles sporadiquement. La scénographie onirique qui nous a totalement charmés.

Telle une nymphe, vêtue de blanc et plongée dans la pénombre, Caterina Barbieri est apparue sur la scène du Mtelus pour la série Nocturne 2 du festival Mutek. Son aura énigmatique illumina la salle sous un jeu de lumières, des lasers et des nuages de fumée, dansant aux rythmes saccadés de sa performance grandiose. Caterina ne joue pas de la musique. Elle parle avec ses instruments. Elle évoque des incantations. Elle déjoue les règles de l’arithmétique. Polyphoniques et polyrythmiques, ses pièces ont catalysé toute l’énergie de ses séquenceurs, de ses notes concises et de son dialogue théâtral avec le divin. Des morceaux de son nouvel album, Spirit Exit, ou du mythique Ecstatic Computation ont plongé le public dans un univers paranormal. Le titre Fantas a transcendé la Place des Arts à l’entrée en scène de Caterina. De longues minutes se sont écoulées dans un espace d’infinitude où la perception humaine s’est fondue dans la magie du synthétiseur analogique et modulaire « caterinesque ». Immobilisées dans des nappes circulaires et convergentes, les sonorités se déstructuraient par des coups de filtres, de résonance, de pitch et de LFO, ainsi qu’à l’aide de toutes les substances hallucinogènes requises pour transcender la machine. Caterina Barbieri, de la magie pure.


Photo de Caterina Barbieri : Important Records

SMERZ : le duo qui décoince la musique électronique

par Stephan Boissonneault

Après une étrange prestation MUTEK où Mue et Katherine Melançon utilisaient des synthés végétaux et grignotaient ceux-ci, un autre duo de DJ s’est pointé sur scène. Il s’agissait de deux Norvégiennes connues sous le nom de SMERZ, qui se sont lancées dans une séance de chill-beat, de slacker et de synth-pop.

Impossible de ne pas parler de la présence sur scène de ces deux amies, Catharina Stoltenberg et Henriette Motzfeldt. Elles avaient toutes deux l’air de sortir directement du lit, avec des cheveux en désordre et attachés, ainsi que de longs t-shirts sombres. L’une portait des godasses Crocs et l’autre des bottes d’hiver. En gros, on dirait qu’elles s’en fichaient, qu’elles avaient oublié leur spectacle et n’avaient rien prévu en fait de tenue. Peut-être touchaient-elles à un problème? SMERZ s’affiche comme l’antithèse du monde trop sérieux de la musique électronique.

Mais au fur et à mesure qu’elles harmonisaient leurs voix brumeuses et que des percussions polyphoniques s’ajoutaient, on se rendait compte que ces musiciennes sont des professionnelles, et que l’absence de costumes et de projections tape-à-l’œil devait être volontaire. Celles-ci ressemblaient à des photos d’amis prises au collège, avec des séquences en boucle de gens marchant ou jouant avec leurs cheveux. C’était hypnotique, mais ça ne servait pas de contexte aux chansons. Ou alors nous n’avons pas saisi le truc. J’ai l’impression que ces vidéos étaient aléatoires, on avait l’impression de feuilleter la photothèque du téléphone d’un inconnu, que l’on aurait trouvé au milieu de la rue. Cela ajoute à l’atmosphère détachée que créait la musique.

C’était un spectacle agréable, en somme, celui qui fut le plus susceptible de nous inciter à nous lever et à danser dans l’euphorie et l’ébahissement.

Photos de Bruno Destombes pour MUTEK.

La nouvelle empreinte de l’OSM

par Alain Brunet

Ainsi, cette neuvième Virée classique de l’OSM nous a fait plonger dans l’ère Rafael Payare et dans une nouvelle vision du monde classique. L’empreinte du maestro vénézuélien est importante au San Diego Symphony où il assure aussi la direction musicale, comme elle le sera à Montréal désormais. On l’a observé ces derniers jours : jamais un directeur musical  et chef principal aussi haut gradé de nos institutions musicales n’a mis aussi rapidement une telle emphase sur la grande création issue des trois Amériques. Jamais également avons-nous observé un virage aussi net vers la diversité culturelle, interprètes et créateurs confondus. Virée… virage !

On pourra  peut-être s’interroger sur le dosage et le mélange des multiples références mises en relief dans certains programmes de cette Virée tenue jusqu’à dimanche, on ne peut qu’applaudir cette impulsion et cette direction artistique qui, au-delà du « grand répertoire », consiste à mettre de l’avant un vaste corpus de musiques de qualité issues des grandes cultures américaines : anglaise, espagnole, portugaise, française, autochtone. 

Hormis le concert d’ouverture au sujet duquel nous avons déjà écrit, complétons la grande sélection de comptes-rendus de notre très apprécié collègue Frédéric Cardin par quelques retours supplémentaires sur le week-end de cette éclairante Virée 2022 orchestrée par l’OSM.

Sous le thème Rhapsodie américaine, du folklore à la légende, ce programme de vendredi à la Maison symphonique a mis en relief  feu le compositeur québécois Jacques Hétu dans le contextes de ses magnifiques Légendes, une pièce de 16 minutes reliant la musique traditionnelle québécoise aux formes modernes et contemporaines de l’écriture symphonique. Puis on se trouvait au début du siècle précédent, côté George Gershwin, avec l’oeuvre célébrissime Rhapsody in Blue, avec pour soliste le pianiste argentin (né au Vénézuela, résidant en Belgique) Sergio Tiempo, une œuvre orchestrale relativement simple mais dont la qualité essentielle est d’implanter une esthétique profondément new-yorkaise et américaine en l’hybridant de blues et de jazz primitif. On concluait ce programme avec la partie no 2 des Danzón très connues du compositeur mexicain Arturo Márquez. 

Samedi, le violoncelliste Bryan Cheng et le violoniste Andrew Wan se produisaient au centre d’estrades provisoires érigées sur la scène du Théâtre Maisonneuve, ce qui créait de facto une atmosphère intimiste pour l’exécution de ces deux authentiques virtuoses canadiens issus de la diversité. Précédé d’œuvres de Philip Glass et de la sous-estimée compositrice Rebecca Clarke, sans compter deux pièces très americana pour violoncelle seul composées par Mark O’Connor et Mark Summer, l’occasion de contempler la polyvalence et la souplesse de Bryan Cheng, ce programme avait pour point culminant la Sonate pour violon et violoncelle en la mineur composée par Maurice Ravel en hommage à son ami Claude Debussy, décédé prématurément. On sait que Ravel avait aussi puisé dans la musique américaine, notamment chez Gershwin, mais ce n’est pas exactement le cas dans cette Sonate, néanmoins magnifique et très bien exécutée en ce début d’après-midi.

Après un moment revivifiant passé avec l’Ensemble Obiora sous la direction de Rafael Payare, avec pour soliste Steven Banks venu jouer la Fantaisie pour saxophone (soprano) du Brésilien Heitor Villa Lobos, on retournait à la Maison symphonique en soirée pour un concert parfaitement dosé, et dont l’élément crucial était la première performance du pianiste Bruce Liu avec l’OSM depuis sa très grande victoire au Concours Chopin en 2021. 

Aussi lauréat du Concours OSM, le prodige montréalais a interprété avec clarté et finesse la très athlétique  Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, composée aux États-Unis par l’expatrié russe. On avait préalablement eu droit à l’ouverture Scorpius du grand compositeur canadien R. Murray Schafer, ainsi que l’épique suite no 7 pour orchestre des  Bachianas brasileiras , suite de quatre mouvements composée en 1942 par l’incontournable Villa-Lobos, assurément inspirée par JSB tout en conservant une saveur à la fois tropicale et moderne.

Le lendemain dimanche, l’Ensemble de la Virée  était piloté par Rafael Payare et pouvait compter sur 15 interprètes de haute volée, dont les solistes James Ehnes, le plus renommé des violonistes canadien, Steven Banks, l’étoile montante du saxophone classique aux USA, Pacho Flores, trompettiste supra virtuose du Venezuela et son compatriote Hector Molina au cuatro, spectaculaire à souhait. Au programme, ce fut d’abord le 3e mouvement, allegro giusto,  du concerto  pour cordes op.17 de Miklós Rózsa, suivi de la soyeuse Lullabye de Gershwin et de la suite no 5 des Bachianas brasileiras, certes la plus connue de toutes et superbement exécutée par ce dream team et son soliste au saxophone soprano.

Steven Banks choisira ensuite le saxo ténor pour soutenir le discours mélodique du trompettiste et bugliste vénézuélien Pacho Flores dans Revirado, tango nuevo de l’Argentin Astor Piazzolla. Ce concert généreux se poursuivra dans l’exécution des flamboyants Cantos y Revueltas [Chants et révoltes], pour trompette et cuatro.  Le dernier droit sera celtique et traditionnel avec les Trois reels pour orchestre à cordes du Québécois Gilles Bellemare et autres Souvenirs d’Amérique magnifiés par le violon de James Ehnes.

À l’évidence, nous sommes à l’aube d’un nouveau chapitre de l’histoire de l’OSM. L’inclusion, la diversité culturelle et stylistique, une autre vision du répertoire classique, une certaine correction de l’histoire des musiques modernes et contemporaines. 

Est-il besoin de souligner que l’idée que le monde classique occidental blanc se fait de la grande musique est en pleine mutation, d’autres musiques complexes sont aujourd’hui admises dans le répertoire de grandes instutions, d’autres culltures et des interprètes de toutes origines font désormais partie de la grande conversation.

Au cours des années qui viennent, la nouvelle direction musicale de l’OSM pourrait montrer la voie en ce sens.

CRÉDIT PHOTOS: ANTOINE SAITO

Petite magie typiquement montréalaise

par Frédéric Cardin

Il fallait le savoir. Une publication Facebook, peut-être d’autres sur les réseaux concurrents, c’est à peu près tout ce dont a bénéficié un concert magique pour annoncer sa présence. Ou il fallait peut-être passer comme ça sur la rue Duluth est pour avoir une idée que ça s’en venait, et remarquer l’écriture à la main sur la bande encerclant le square Stromboli qui annonçait le show d’un band nommé Kolonien, identifié comme faisant du folk-pop suédois. Bref fallait être chanceux, ou presque. Je le fut, et quelle chance!

D’abord présentons les protagonistes : Kolonien, quartette de folk-pop (oui ça on l’a dit) suédois. Une affaire de famille, deux frères, une cousine et un ami d’enfance qui vivait dans la même commune hippie au sud de Stockholm (vu l’aspect fluide des relations personnelles de ce genre de communauté, c’est probablement aussi un membre de la famille). L’organisateur : Jacob Edgar, fondateur et tête dirigeante engagée du label Cumbancha, un favori de n’importe quel mélomane world qui se respecte. Jacob, désormais citoyen canadien établit à Montréal, voulait que son band (leur album Till Skogen vient de sortir sous son étiquette) vienne faire un tour dans la métropole, alors que ça n’avait pas été prévu. Ottawa et Sherbrooke, c’est tout ce qui avait été planifié. Pas Montréal? Jacob a écrit à l’agent et remédié à la situation quelque deux semaines avant, sachant que la vibe du groupe, par une soirée si belle et douce, se loverait comme un gant de soie sur le public montréalais, particulièrement celui du Plateau. Et oh! qu’il avait raison! 

Le répertoire sans prétention du band, tiré en grande partie de Till Skogen et joué avec précision et musicalité, a tout de suite séduit les oreilles bigarrées de la foule qui s’est amassée rapidement autour du petit square aménagé récemment en scène extérieure, animée chaque samedi et dimanche soirs de l’été (vous le saviez vous? Pas moi!). Les membres du groupe (Anna Möller, nouvelle maman, était remplacée par l’exubérante Thea Åslund… une autre cousine!) se sont manifestement plu énormément dans l’atmosphère intimiste et spontanée de la rue montréalaise et ils le montraient. Ils ont généreusement joué plus d’une heure, passant de danses enlevantes aux sonorités qui paraîtront celtiques à certains, à des moments de douceur introspective, voire contemplative, où les quatre artistes s’exécutaient dans des harmonies vocales rustiques, mais absolument charmantes. Ils sont tombés en amour avec Montréal semble-t-il. C’est Jacob qui me l’a dit. Pas de doute, ce fut réciproque! 

Montréal a soif de world music, celle d’ailleurs mais aussi celle qui vibre en elle grâce à ses propres artistes, et l’arrivée de Jacob Edgar, immigrant déjà bien enraciné dans l’esprit de cette ville, est de bonne augure. Till Skogen, qui est sorti en avril dernier, faisait partie de ma pile (stratosphérique) d’album à écouter et commenter. Manquant de temps, j’ai fini par oublier. Eh bien, cette rencontre inspirante d’hier me force à y revenir. D’ici quelques jours, je vous reviens avec un texte sur l’album en question. Mieux vaut tard que jamais. Restez scotchés, donc. Et surtout : allez faire un tour sur Duluth est, juste à côté de Mollie, resto-bar portugais, les samedis et dimanches soirs qui restent de l’été : des moments de pure magie vous y attendent.

Une Virée dans l’air du temps

par Frédéric Cardin

Ce sont deux concerts sous le signe de la diversité auxquels votre serviteur est allé assisté samedi dernier lors de la Virée classique de l’OSM. Pas la diversité musicale, en termes harmoniques et stylistiques, car ça allait du Romantisme au modernisme / impressionnisme, même pas un siècle de l’histoire de la musique. Plutôt la diversité des compositeurs et compositrices et des interprètes, ce qui a rempli de bonheur les mélomanes curieux.

En effet, les surprises étaient pour le moins emballantes, à commencer par le concert de trios joués samedi matin avec passion et conviction par Jean-Sébastien Roy (violon), Cameron Crozman (violoncelle) et Philip Chiu (piano). Le programme, audacieux, était consacré à de véritables chefs-d’oeuvre méconnus de deux compositrices états-uniennes, soit Amy Beach et Rebecca Clarke. Le Beach, en la mineur op. 150, pourtant une pièce de maturité écrite en 1938 à la veille de la Seconde guerre mondiale, est tout en légèreté, accueillant et souriant. Un brin espiègle, même, il exprime une relative sérénité à travers une utilisation symbiotique de textures romantiques et impressionnistes. Un chef-d’œuvre, certes, mais de nature sympathiquement naïve. Le véritable plat nutritif de cette agréable rencontre, où le public de quelques dizaines de paires d’oreilles était installé sur la scène du Théâtre Maisonneuve dans une sorte de cocon acoustique et à deux pas des musiciens, était le Trio de Rebecca Clarke, britannique de naissance naturalisée états-unienne. Oh, la grande œuvre de musique de chambre que voilà! Un premier mouvement tempétueux nous indique qu’un drame d’une sombre gravité s’y déroule. Le deuxième mouvement est un Adagio digne du meilleur Debussy ou Ravel, avec une mélodie poignante, d’une forte charge émotionnelle, discrètement esquissée à travers des commentaires à contre-courant projetés comme sur un voile diaphane qui ondoie subtilement. L’image suscitée prend alors des couleurs moirées teintées d’ombrages délicats. Le troisième mouvement conclut l’aventure avec un Vivace empreint d’urgence et de fougue, magnifiées par une écriture vibrante et souvent pleine de surprises. On ne pouvait espérer bien mieux des trois interprètes, tellement leur immense talent était parfaitement aligné en direction d’une expression de qualité maximale pour ces perles insoupçonnées du répertoire. Loin de l’anecdotique, ce programme fut certainement une révélation pour les chanceux et chanceuses qui ont pu y assister.

Ensemble Obiora

Deuxième rencontre à mon agenda, le concert du nouvel ensemble Obiora, sous la direction de Rafael Payare lui-même. Une Maison symphonique beaucoup plus multicolorée que d’habitude donnait à entendre à la fois (en partie) un répertoire rarement joué, mais aussi un orchestre ‘’de la diversité’’ créé en pleine pandémie et amorçant ainsi une vie que l’on souhaitera longue et prospère. Obiora, formé de musiciens professionnels issus de racines afro-descendantes, latinos et moyen-orientales (pour la plupart) a été créé justement pour montrer que la musique classique professionnelle est également jouée par des non-caucasiens (et non-asiatiques, bien que quelques-uns se retrouvent tout de même dans le groupe), ce qui est une excellente chose. Une ou deux imprécisions tonales nonobstants, l’orchestre a manifesté une cohésion d’ensemble plus que satisfaisante, un investissement émotif convaincant dans les œuvres au programme et au final, une légitimité certaine à faire partie du paysage musical montréalais. Il s’agit du tout premier orchestre du genre au Canada. On peut en être fier. Le programme du concert débutait avec Lyric for Strings, de l’Afroaméricain George Walker, une pièce fort jolie que plusieurs apprécieront pour sa proximité de style et de caractère avec l’Adagio pour cordes de Barber. Suivait la petite merveille qu’est la Fantaisie pour saxophone de Villa-Lobos, un savoureux entrelac d’impressionnisme et de modernisme extra-européen. L’impressionnant saxophoniste Steven Banks, dont je vous parlais dans une autre critique, a encore fait des miracles grâce à une technique époustouflante, une musicalité poétique et une sonorité instrumentale moelleuse et séduisante. Le clou du spectacle était assuré par une version pour orchestre à cordes du Quatuor ‘’américain’’ de Dvorak. Le chef Payare a induit une bonne dose de subtilités et de nuances, généralement bien exécutée par Obiora. Les thèmes respiraient adéquatement, insufflant ainsi une agréable aisance narrative à la musique, et les dynamiques se mouvaient avec grâce. S’il ne s’agissait des quelques incartades de justesse, peut-être dues à la nervosité, la résultante aurait été entièrement parfaite.

Steven Banks avec Rafael Payare et l’Ensemble Obiora – crédit : Antoine Saito

L’ensemble Obiora (à propos duquel mon collègue Alain Brunet a réalisé une entrevue) est une promesse d’avenir emballante. Un rafraîchissement nécessaire de l’énergie vitale et surtout du répertoire habituel de la musique classique (mais dont les piliers fondamentaux ne seront pas abandonnés, comme l’a démontré le concert) sera apporté par ce très jeune groupe qui ne demande qu’à nous surprendre et nous étonner encore. 

N’en déplaise à certains gardiens du temple de la pureté classique auto-proclamés (qui sévissent dans certains espaces qui leur sont réservés quotidiennement et qui nous assomment de leurs mentalité archaïque de deuxième zone), l’avenir de la musique classique passera par ce genre d’élargissement de ce que l’on considère être la ‘’bonne musique’’. Un élargissement que les véritables mélomanes curieux et curieuses appellent de leur cœur.

Belle Virée de découvertes vendredi soir!

par Frédéric Cardin

Les mélomanes curieux avaient de quoi être comblés ce vendredi soir 12 août à la Virée classique de l’OSM. Deux concerts présentant du répertoire rarement entendu étaient proposés sur la scène de la Compagnie Jean-Duceppe de la Place des Arts. Le premier a transporté les mélomanes sur place dans la musique baroque du continent sud-américain, une merveille encore trop souvent ignorée des ensembles de musique ancienne, et pourtant pleine de flamboyance. Des mélodies chaleureusement naïves, qui trahissent le contexte d’éloignement radical du savoir européen, se retrouvent déployées dans des harmonies polyphoniques simples mais bougrement efficaces. On devine que les compositeurs de l’époque avaient à cœur non seulement d’édifier les populations locales, largement ignorantes du savoir musical européen, mais surtout de les toucher émotionnellement sans trop les dérouter. On retrouvait sur la scène onze membres du Choeur de l’OSM sous la direction d’Andrew Megill, accompagnés de trois des meilleurs musiciens de la scène baroque montréalaise, soit Sylvain Bergeron au théorbe et à la guitare baroque, Luc Beauséjour au clavecin et à l’orgue positif et Elinor Frey au violoncelle. Bien que le niveau de perfection technique du chœur n’était pas aussi millimétré que celui d’un ensemble plus spécialiste du genre comme le Studio de musique ancienne de Montréal (pour prendre une évidence), le jeu de groupe était bon et le côté ludique de certaines pièces, bien exprimé. Il manquait un peu de rondeur dans la projection, mais on doit probablement mettre cela sur l’acoustique de la salle, non optimisée pour ce genre de sonorités.

Le deuxième concert dans la même salle nous offrait encore une fois du répertoire hors norme mais tout à fait satisfaisant! Trois petits bijoux de musique de chambre, des découvertes enthousiasmantes en vérité, étaient séparés par deux chefs-d’œuvre bien connus de Debussy, Syrinx et Danse sacrée et danse profane (en version de chambre). J’ai pour ma part adoré également le Quintette pour saxophone alto et quatuor à cordes d’Adolf Busch, le premier mouvement du Quarteto simbolico de Villa-Lobos et le Quintette pour saxophone alto et quatuor à cordes d’Ellen Taaffe Zwilich. Le premier est un intéressant exercice d’équilibre entre un pastoralisme souriant, voire espiègle, et un néoclassicisme (celui de la première moitié du 20e siècle) plus frugal. La plume de Busch est claire et limpide, privilégiant des lignes bien définies pour chaque instrument, se chevauchant sans jamais saturer l’harmonie. Des entrelacs de lignes, parfois sinueuses et parfois hachurées, servent de canevas au saxophone alto qui tour à tour s’amuse, ignore et survole ses compagnons de jeu. Une œuvre importante qui mérite d’être bien mieux connue. Le Quarteto simbolico, dont nous n’avons entendu que le 1er mouvement, est une belle révélation. Symbolique de titre, mais plutôt impressionniste de nature, c’est une petite merveille où la flûte, le saxophone alto, la harpe et le célesta se sont épanouis dans la splendeur et le raffinement de l’écriture du compositeur brésilien. La dernière pièce au programme, le Quintette de l’Étatsunienne Zwillich, est elle aussi une très jolie nouvelle addition à ma bibliothèque mentale, et probablement à celle du public présent également. Le jazz y tient une place prépondérante, mais la rigueur technique exigée du saxophone est résolument classique moderne. Le concert était surtout l’occasion de découvrir un interprète de grand talent, le saxophoniste étatsunien Steven Banks. Quel élégant artiste! Un son beau et moelleux, une aisance autant dans les aigus que dans les graves et une technique impeccable, nette et finement ciselée. Bien que M. Banks tenait l’affiche, la réalité de la musique est qu’il s’agissait d’un travail collectif et chambriste de très haut niveau. Plusieurs lauréats du Concours OSM faisaient partie de l’ensemble sur scène (dont Cameron Crozman et Antoine Malette-Chénier), et le jeu d’ensemble était hautement relevé. Je ne sais pas combien de temps ces jeunes artistes ont eu pour mettre tout cela en ordre, mais le résultat était impressionnant : des attaques en tutti précises comme un scalpel, une sonorité globale équilibrée, des nuances pile poil là où il le fallait et d’une grande efficacité, bref, un très grand concert qui en valait des dizaines d’autres avec des artistes plus célèbres et un répertoire plus prévisible. Merci à la Virée classique pour avoir eu le courage de programmer ce genre de programme. Les quelque 350 spectateurs présents à chaque concert ont démontré qu’il y a un public non négligeable pour de la musique moins connue et même pointue. C’est rassurant, et ça mérite d’être souligné.

OSM au pied du Stade : pourquoi s’étonner des couleurs de l’Amérique?

par Alain Brunet

Les mélomanes biberonnés à la musique classique de tradition européenne ont été peut-être étonnés, déconcertés ou même offusqués par le programme du concert d’ouverture de la Virée classique, exécuté par l’OSM sous la direction de Rafael Payare. Mercredi soir, sur l’esplanade du Parc olympique, le maestro vénézuélien et ses acolytes ont misé sur un buffet des Amériques afin d’en illustrer la grande diversité.

Trop de plats ? Difficile à digérer? Possible mais… les perceptions immédiates peuvent aussi être trompeuses.

D’un point de vue occidental, blanc et ô combien normatif, la seule œuvre véritablement « classique »au programme étant le 4e mouvement, Allegro con fuoco, de la Symphonie nº 9 en mi mineur, op. 95, Du Nouveau Monde de Dvořák. On comprendra certes l’étonnement de la gent classique, on en comprendra moins la réprobation et la condescendance.

Qu’elle aime ou non cette vision du monde musical, la gent classique doit faire face à cette nouvelle réalité : les musiques complexes destinées aux orchestres symphoniques débordent désormais le « grand répertoire » germanique, italien, français, russe ou scandinave, bref caucasien. Leonard Bernstein, dont on a repris les danses symphoniques de la bande originale du film West Side Story, avait eu cette prémonition dans les années 50 et 60, incluant des formes latines et afro-caribéennes dans son œuvre. Bernstein était loin d’être le seul à défendre cette approche inclusive : Ravel, Gershwin, Varèse, tant d’autres compositeurs blancs ont ainsi procédé dans plusieurs de leurs œuvres marquantes. On l’a aussi observé dans Honey and Rue d’André Prévin, dont l’influence jazz est nette et demeure pourtant dans l’esthétique classique. La très douée soprano Janine De Bique avait d’ailleurs très bien saisi le concept et l’a magnifiquement rendu au public montréalais.

Paquito D’Rivera, saxophoniste cubain de haute virtuosité, a mené une carrière dans les sphères du jazz latin, ce qui n’exclut en rien son ouverture aux formes classiques de tradition européenne. Son Concerto Venezolano, pour trompette (excellent Pacho Flores!) et orchestre inclut forcément des formes populaires de musique afro-latine, mais comporte aussi des éléments orchestraux d’une complexité harmonico-mélodique comparable aux soi-disant grandes musiques occidentales, et aussi d’une complexité rythmique généralement au-dessus des standards européens du monde classique. 

La démarche de feu le compositeur vénézuélien au programme, Evencio Castellanos (1915-1984), se trouvait plus proche du monde classique : les matériaux issus des musiques populaires servaient à construire une œuvre de facture occidentale alors que Paquito D’Rivera se veut ici au confluent du jazz moderne et de la musique contemporaine classique.

Quant au chant traditionnel de la nation wolastoqiyik interprété par Jeremy Dutcher et précédé d’une déclamation poétique de Natasha Kanapé Fontaine, la démarche est différente : on parle ici de l’habillage symphonique d’un chant simple et beau, interprété avec justesse et passion. 

Y a-t-il lieu de s’étonner de tels métissages mis de l’avant par un orchestre symphonique, en l’occurrence l’OSM ? Peut-être bien mais…

Depuis l’émergence des musiques plus complexes en Occident, soit à la Renaissance, les musiques dites sérieuses s’abreuvent des formes populaires ou folkloriques, pourquoi alors conclure à la légèreté pop lorsque des non-occidentaux érigent des formes plus complexes inspirées de leurs propres formes populaires et les marient au langage orchestral d’Occident? Voilà, manifestement, l’apparence d’un biais blanc et normatif.

Voilà la perception d’un monde musical occidental croyant encore à sa supériorité. Ce monde doit désormais se raviser : d’autres musiques symphoniques complexes doivent être honorées, nous en avions mercredi les exemples probants. S’il y a eu un problème, il n’était pas d’ordre musical, il était d’ordre culturel… et stratégique.

La surabondance d’informations lancées à un public peu habitué à cet éclectisme peut prêter flanc aux points de vue et perceptions occidentalo-centristes, qui relèguent les Paquito D’Rivera et Evencio Castellanos chez les compositeurs de troisième division. Rafael Payare et ses acolytes de la direction artistique de l’OSM devront alors se montrer plus rusés pour la suite des choses… et ne surtout pas reculer en diluant leur approche éditoriale, parfaitement défendable.

PROGRAMME

Artistes

Orchestre symphonique de Montréal

Rafael Payare, chef d’orchestre

Natasha Kanapé Fontaine, autrice 

Jeremy Dutcher, chanteur 

Jeanine De Bique, soprano

Pacho Flores, trompette

Magalie Lépine-Blondeau, porte-parole 

Oeuvres 

Dvořák, Symphonie nº 9 en mi mineur, op. 95, « Du Nouveau Monde » : IV. Allegro con fuoco (11 min)

Lecture d’un texte de Natasha Kanapé Fontaine

Chant interprété par Jeremy Dutcher

Paquito D’RiveraConcerto Venezolano, pour trompette et orchestre (18 min)

BernsteinWest Side Story, danses symphoniques (20 min)

André PrévinHoney and Rue : « The town is lit » (5 min)

Evencio CastellanosSanta Cruz de Pacairigua (17 min)

Lanaudière en clôture : songe d’une pluie d’été

par Alain Brunet

La canicule des derniers jours s’étant conclue un peu trop tôt dimanche après-midi, des pluies torrentielles ont précédé l’ultime concert du Festival de Lanaudière et, malheureusement, démobilisé la vaste majorité des festivaliers ayant prévu se poser sur la pelouse. Dommage, car l’ondée s’est interrompue peu avant l’exécution des œuvres. Force est de conclure que ce programme fut à la hauteur de toutes les attentes d’une grande clôture festivalière.

Les places assises sous le toit de l’amphithéâtre Fernand-Lindsay étaient néanmoins toutes occupées. La première tranche du 19e siècle, soit la transition de la période classique à la romantique, était donc au programme de l’Orchestre Métropolitain sous la direction de notre Yannick Nézet-Séguin, superstar parmi les maestros de l’univers connu.

On passa d’abord une dizaine de minutes avec l’Ouverture en do majeur de Fanny Mendelssohn (1805-1947), moins connue que son frère Felix pour des raisons purement sexistes et patriarcales. Imaginez-vous femme compositrice il y a deux siècles! Il fallait une opiniâtreté hors du commun pour imposer son propre langage orchestral et briller parmi une communauté de compositeurs quasi exclusivement masculins. On ne s’étonnera pas que les partitions de son Ouverture en do majeur se trouvent encore dans les boules à mites, et c’est tout à l’honneur de l’OM d’en honorer la pertinence, ce qui fut fait après l’orage lanaudois.

La soliste invitée pour la deuxième œuvre au programme est une amie de YNS et de l’OM, soit la grande pianiste française Hélène Grimaud. On se souvient de mémorables moments brahmsiens passés à la Maison symphonique en juin 2014, deux ans après que la relation artistique fut amorcée entre elle et le maestro québécois avec le Philharmonique de Vienne. Nous voilà dix ans plus tard, Hélène Grimaud était dimanche invitée pour une première fois au festival de Lanaudière, afin d’y interpréter le Concerto pour piano en la mineur, op. 56 de Robert Schumann.  

La musicienne a établi le dialogue avec l’orchestre avec tous les attributs nécessaires aux excellentes interprétations : juste assez de liberté au service d’une partition parfaitement intégrée. On l’a constaté d’abord dans l’Allegro affettuoso, rigoureux et impressionnant pour son exactitude. Puis vint l’Intermezzo : Andante grazioso, séquence des plus suaves. On a vu alors Hélène Grimaud transcender sa concentration extrême et se laisser emporter par le flux symphonique pour ensuite offrir un dernier mouvement digne des plus beaux orages dominicaux, l’Allegro vivace, qui fut à la hauteur des attentes. 

La dernière œuvre au programme, une des plus connues de Felix Mendelssohn, fut composée entre 1829 et 1942. Un voyage en Écosse, où se trouvent les ruines du palais de Marie Stuart, en fut le déclencheur.

L’austérité et la gravité du premier mouvement, un Andante con moto évoquerait d’ailleurs les Highlands, le climat brumeux et froid de l’Écosse. Puis, le thème principal du second mouvement est repris par une clarinette évoquant la cornemuse. La facture générale de l’orchestre s’avère alors plus sereine, plus légère qu’au premier mouvement. L’Adagio qui suit se veut à la fois lyrique et martial comme le souligne le musicologue Robert Markov, c’est-à-dire l’imbrication d’un passage imposant et grandiose à une longue et placide envolée mélodique. La symphonie se conclut par un quatrième mouvement des plus énergiques, un Allegro vivacissimo de circonstance. 

Chose certaine, l’exécution de l’OM n’avait rien à envier à celle de la Chamber Orchestra of Europe, enregistrée chez Deutsche Grammophon sous la direction de YNS. Avec ces superbes mouvements enchaînés sans interruptions (et applaudissements inutiles), l’orchestre montréalais a visiblement comblé son chef, son public, ses profanes et ses connaisseurs.

La boucle du Festival de Lanaudière était bouclée en cet après-midi des plus écossais, comme l’a souligné d’entrée de jeu Renaud Loranger, son directeur artistique. Songe d’une pluie d’été, émergeant de l’ondée… pour employer une tournure shakespearo-mendelssohnienne.

CRÉDIT PHOTO : ANNIE BIGRAS

PROGRAMME

ARTISTES

Orchestre Métropolitain
Musiciens

Hélène Grimaud, piano
Yannick Nézet-Séguin, direction

OEUVRES

Fanny Mendelssohn

Ouverture en do majeur

Robert Schumann

Concerto pour piano en la mineur, op. 54

Felix Mendelssohn

Symphonie no 3 en la mineur, op. 56 « Écossaise »

La fièvre du mardi soir

par Alain Brunet

Commençons par la fin : A Fifth of Beethoven est un instrumental disco enregistré par Walter Murphy et le Big Apple Band, adaptation du premier mouvement de la Symphonie n° 5 de Ludwig van Beethoven. L’exécution de la fameuse 5e  et son dramatique TA-TA-TA-TAAAAAAA fut le plat de résistance et sa fantaisie dance music, qu’on peut toujours  écouter sur le célébrissime Naturday Night Fever Soundtrack, en fut le dessert.  Dans le cas qui nous occupe, c’était plutôt la fièvre du mardi soir !

Légèrement vêtu, shorts, t-shirt, baskets, tatouages bien en vue sur le mollet et l’épaule, le maestro Yannick Nézet-Séguin avait alors revêtu une camisole encore plus moulante, se trémoussant avec sa baguette au grand plaisir du vaste public devenu à sa rencontre, dans un contexte météorologique tout simplement parfait. 

Du côté de la Ville de Montréal, on affirme que 50 000 personnes ont assisté à cet événement gratuit,  premier rendez-vous fixé au pied du Mont-Royal depuis 2019 pour les raisons que l’on sait. L’Orchestre Métropolitain se produit sur le Mont-Royal depuis des lustres, attirant des foules de plus en plus considérables vu sa popularité et celle de son chef, star internationale parmi les maestros de sa génération. 

Bien sûr, nous n’étions pas là pour une acoustique idéale (quoique très réussi dans le contexte) , mais bien pour un événement populaire bien mené. L’animatrice  Pénélope McQuade aura chauffé la salle et a conclu cette soirée crépusculaire dans la verdure, ébahie par la relecture disco de Beethoven. La version au programme était d’ailleurs plus considérable que celle du tube studio, vu les effectifs orchestraux en présence.  Bon, la section rythmique était un peu mince mais l’esprit de l’adaptation fut respecté à souhait, bien assez pour soulever la foule.

Juste avant, les quatre mouvements de l’archi connue Symphonie du Destin avaient été applaudis un à un par une portion congrue du public, peu habitué aux pratiques mélomanes pendant les exécutions des œuvres comportant plusieurs parties distinctes. L’exécution de la 5e de Beethoven fut  néanmoins très dynamique, tonifiante et contrastée, jouée dans un esprit similaire à celui de la Chamber Orchestra of Europe (qui n’est pas exactement un orchestre de chambre) dirigée par YNS pour un enregistrement récent chez Deutsche Grammophon – Beethoven :The Symphonies. Voilà une excellente stratégie du directeur artistique de l’OM dans un. L’exécution seule de la 5e aurait été sympathique et très prévisible (la symphonie la plus connue sur Terre?),  l’explosion du mouvement disco au rappel en justifie parfaitement le choix.

Deux œuvres au programme avaient été composées par des talents locaux ou canadiens. D’origine russe, le compositeur post-romantique Airat Ichmouratov, fier Montréalais d’adoption, était présent pour savourer l’interprétation d’un extrait de son Ouverture ville cosmopolite, composée une décennie plus tôt et dont l’objet était de faire état de la diversité de nos cultures métropolitaines au sein d’une même œuvre, rigodons symphoniques en prime. 

Après quoi on eut droit à deux mouvements de la 3e symphonie de la pionnière Louise Farrenc, rarissime compositrice connue du 19e siècle ayant atteint cette haute expertise dans l’art de marier les sons.
Enfin, on a pu contempler les évocations symphoniques de la nature boréale, un concept de Barbara Assiginaak, excellente compositrice de la nation Odawa. Aussi longtemps que la rivière coule se veut une œuvre horizontale, contemplative, très organique. Quiconque a fréquenté nos forêts, nos lacs et nos rivières pouvait s’y retrouver, la profonde sensibilité autochtone pour la nature est ici au service d’une musique contemporaine parfaitement concluante. Savourer cette oeuvre au Mont-Royal et sa canopée, était un pur délice.

Le festival parisien « Restons Sérieux » prend les armes à la Bastille

par Louise Jaunet

Depuis 2016, la salle du Supersonic a su faire sa place dans le monde de la nuit parisienne et le démontre une nouvelle fois avec la 5e édition de son festival Restons Sérieux. Située dans une ancienne usine du XXe siècle sur la rue Biscornet tout près de la place de la Bastille, cette salle, maintenant devenue mythique, nous fait décoller plus vite que la vitesse du son de la scène techno et house encore majoritaire à Paris, à l’aide d’une programmation 100 % rock, ouverte principalement sur l’international.

Créée en référence au premier simple d’Oasis, la scène a notamment pu voir passer du beau monde comme The Vacant Lots, The Holydrug Couple, Lydia Lunch, Lorelle Meets The Obsolete, Orville Peck, Working Men’s Club ou les groupes montréalais Jesuslesfilles, The Besnard Lakes, Paul Jacobs et Elephant Stone. Également ouverte jusqu’au petit matin pour les soirées de sets de DJ, la salle peut être fière d’avoir accueilli des artistes réputés tels que Peter Hook, IDLES ou les Libertines derrière les platines. Fait notable, les concerts sont tous gratuits, permettant d’ouvrir la place aussi bien aux mélomanes aguerris qu’aux simples amateurs aux oreilles curieuses, avec une rémunération pour les artistes provenant majoritairement des recettes faites avec les soirées de DJ et les consommations, comme la Superpilsonic, bière signature de la maison. Depuis 2020, le club s’est même agrandi et comporte désormais un disquaire indépendant de vinyles neufs, où l’on peut voir placardées aux murs des affiches de Wooden Shjips, TV Priest, Metz, U.S. Girls ou Amyl and the Sniffers et trouver, dans le bac des nouveautés, les derniers Alan Vega, Tess Parks ou Vanishing Twin. Autant dire que n’importe quel amateur de rock se sent assez vite chez lui, dans ce microcosme.

Construit initialement autour d’une blague, le festival Restons Sérieux célébrait du 12 au 16 juillet derniers le beau et le bizarre de la contre-culture rock en français, afin de marquer le coup de la fête nationale du 14 juillet. Avec Infecticide, Mustang, Noir Boy George et Stereo Total comme têtes d’affiches des éditions précédentes, Restons Sérieux revient cette année avec une nouvelle émeute de 25 projets franchouillards tous un brin loufoque, pour donner la parole aux sans-culottes et aux sans-dents révoltés qui ont réussi à prendre d’assaut leur forteresse intérieure pour combattre le système despotique. PAN M 360 s’y est rendu pour vous et vous propose les sept projets coup de cœur de l’édition 2022. Cocorico!

Lou de la Falaise (pop-rock, tropicalisme)

Avec seulement deux titres parus en ligne, Lou de la Falaise a tout de même de quoi déjà convaincre les fans de pop française “chicosse” qui regrettent que tout le monde se foute désormais de la poésie. Accompagné de deux violonistes sur scène, le nouveau groupe fraîchement naissant mélange des sonorités classique, new wave ou tropicalisme et construit une pop haute couture en fleur, décomplexée et accessible qui rappelle la french touch de l’Impératrice, Magenta ou Juniore. Avec un humour au second degré bien à la française, son dernier titre Je suis cool tourne en dérision les bobos parisiens gonflés du bulbe car trop fiers d’écouter La Femme au Mexique et d’aimer le Schweppes à la quinine. Un peu de patience, le premier album de Lou de la Falaise ne devrait pas tarder à faire son saut dans l’inconnu. Affaire à suivre.

Casse Gueule (pop, expérimental, électro)

Aussi populaire qu’expérimental et dystopique, pour parler d’une France dépassée par les événements à venir, Casse Gueule raconte les aventures et expériences extralucides de Mannus avec ses synthétiseurs et ses boîtes à rythmes bien déglingués. Accompagné d’un chanteur hurluberlu habillé en bleu de travail qui ne peut pas s’empêcher de dévisager chaque personne du public et d’un joyeux luron en marcel blanc qui joue du synthé sur un bidon d’essence, Mannus fait parler une Intelligence Accidentelle venue d’une autre dimension qui guide le périple de ce trio farfelu. Casse Gueule nous présentait les morceaux de son prochain album de space-opéra où un cochon dans l’espace donne des leçons de génocide et de pacification à 8 milliards d’humains pour affronter l’hiver nucléaire. Tout comme Jacques, Salut c’est cool et CRABE, ces étranges créatures nous montrent finalement que le libre arbitre n’est bel et bien qu’une illusion.


Les Clopes (pop, coldwave, synthwave)

Shooté à la nicotine et à la coldwave, Les Clopes est manifestement le groupe de craignos cools le plus mortel et apprécié en ville de cette édition. Mené par Guillaume Patrick, sa perruque et son débit de parole hyper simpliste découpé au couteau, le groupe rappelle facilement la new wave d’Indochine, sans forcément chercher à produire quelque chose de bien sérieux pour allumer le gaz au Zippo. Cachés derrière leurs lunettes fumées de lendemain de soirée d’orgie, ils chantent des idées morbides faites de saucisse, de cimetière, de HLM et de dépression, pour les polygames incompris qui aiment fumer des clopes dans un blockhaus noir parce qu’ils sont déprimés par cette chienne de vie. Putain que c’est glauque. Bisous.

Ultramoderne (électro-punk, post-punk)

Formé autour d’Aline au chant et de Crush aux machines, Ultramoderne est un duo issu de la scène anarcho punk de Blois. Resté coincé dans l’espace-temps des machines analogiques des années 2000, Ultramoderne se sent paradoxalement dépassé par la vie contemporaine infernale et le progrès mensonger et propose une musique electroclash et post-punk totalement outdated mais pleinement assumée. Présentant sur scène son dernier album sorti en 2019 La performance est vulgaire, Ultramoderne donne avec son cœur une place aux voix silencieuses des ouvriers de Peugeot déprimés et aux caissières de supermarchés robotisées.

Poltergeist (coldwave)

Poltergeist est un mot allemand intraduisible en français, qui désigne un phénomène paranormal défiant la raison et la logique, se manifestant par des événements ou des apparitions inexplicables provoqués par des esprits désincarnés. C’est aussi le nom du projet d’Ari Girard, un homme-orchestre âgé d’à peine 20 ans et caché derrière la guitare et les synthés de son premier album KÄMPFER. Rappelant vaguement l’ambiance feutrée et torturée de Boy Harsher, Poltergeist donne vie sur scène à un soldat fantôme franco-allemand, pris dans la bataille du chemin de La Grande Dame qui cherche désespérément la rédemption de Mère Nature dans les tranchées de la matrix. Envoûtant.


Musique Post-Bourgeoise (électro, chanson à texte)

L’artiste Olivier Urman, tête pensante derrière le projet Musique Post-Bourgeoise, clame des textes poétiques qui semblent être écrits pour le monologue d’une pièce de théâtre existentialiste moderne. Alors qu’il fréquente les galeries d’art pour lutter contre la fin des choses, l’enfer ne se trouve pas que chez les autres selon lui, mais bel et bien à l’intérieur de soi. Publié sur le label MisèRécords (avec comme devise “l’absurdité nous a créés, nous créons l’absurdité”), son dernier album La Limite, paru en 2021, réussit largement à faire danser les foules pour provoquer “la révolte contre soi-même, le seul obstacle à son propre avancement” et ainsi créer l’espace clos de la vacuité dans le vide.

La Jungle (krautrock, trance, noise)

Après son passage au festival des Vieilles Charrues, La Jungle est venu créer un chaos monstrueux au Supersonic pour présenter son cinquième album Ephemeral Feast. Ce duo belge qui mélange des influences krautrock, noise et trance, a provoqué un véritable mur de son aussi puissant qu’A Place to Bury Strangers et aussi transcendant que la techno-kraut analogique et chamanique du groupe chilien Föllakzoid. Entre les onomatopées incompréhensibles, les riffs cinglants de guitare en boucle et les percussions qui provoquent la tachycardie, le duo implose les barrières mensongères de nos têtes et nous plonge dans des profondeurs intérieures insoupçonnées. L’herbe est sans aucun doute plus verte dans l’antre de La Jungle.

Sophie Lukacs, kora-cœur à Nuits d’Afrique

par Luc Marchessault

« Dring-dring-dring » fait le téléphone à l’entrée du Balattou, pendant que la présentatrice nous présente Sophie Lukacs. « Dring-dring-dring » fait de nouveau l’intempestif appareil à la sonnerie rétro, tandis que la principale intéressée pose sur ses cuisses son instrument sphérique. Tout le monde sourit, y compris Sophie. On ne pourrait espérer une ambiance plus détendue et conviviale. Le lieu y est pour beaucoup : côté décor, pas grand-chose n’a changé au Balattou depuis 37 ans; ce sont avant tout les rencontres, découvertes et métissages musicaux sans cesse renouvelés qui donnent son âme à ce vénérable club.

La feuille de route de Sophie Lukacs risque de provoquer l’apoplexie chez les néo-pharisiens qui ont dénigré le choix de Mélissa Lavergne comme porte-parole de Nuits d’Afrique cette année : une non-Africaine, non-homme et non-griot qui s’est approprié la kora, instrument emblématique des contrées mandingues! Sacrilège!

Madame Lukacs a vu le jour à Budapest, en Hongrie. Elle a immigré au Québec et a étudié le violon à McGill, notamment. Lors d’un voyage au Burkina Faso, elle a découvert la kora, cet instrument traditionnel à 21 cordes dont les sonorités lui ont tapé dans l’oreille, au point qu’elle voulut se l’approprier. Comme elle nous le racontait candidement hier soir, elle est retournée en Afrique de l’Ouest en se donnant un an ou deux pour maîtriser l’instrument et apprendre de 50 à 100 pièces traditionnelles mandingues, forte de sa formation classique. Une fois sur place à Bamako, elle alterna les maîtres pour apprendre plus rapidement. Or, le grand Toumani Diabaté, qui fut son mentor, l’avait mise en garde : « Ne multiplie pas les professeurs, tu vas tout mélanger. »

C’est exactement ce qui se produisit. Sophie Lukacs dut donc prendre le temps et suivre les étapes. Elle nous l’a bien résumé lors d’une courte et instructive démonstration : d’abord les pouces et l’accompagnement pendant un bon bout de temps; puis les index et davantage de rythmes; ensuite les mélodies; et enfin l’improvisation, le tout étalé sur sept années. Pour cette prestation à Nuits d’Afrique, Sophie Lukacs était accompagnée du percussionniste chevronné Michel Medrano Brindis à la calebasse, ainsi que du compatriote magyar László Koós au violoncelle, dont il pinçait les cordes comme s’il se fût agi d’une contrebasse. Au programme, des airs traditionnels mandingues et des compositions avec paroles en bambara, dont Tolon et Forama, parue sous forme de simple avec Awa Kassé Mady Diabaté au chant. Sophie Lukacs a aussi interprété des compos en anglais – dont Too Many Times et Falling – et une en hongrois. On a remarqué que sa voix semble plus assurée lorsqu’elle chante dans la langue nationale du Mali. Et on a constaté que les années d’apprentissage de Sophie Lukacs ont été fort fructueuses : sa maîtrise de cet instrument enchanteur ne fait aucun doute. Un plus vaste public pourra d’ailleurs en prendre la mesure en septembre, puisque Sophie lancera son premier album sur étiquette Nuits d’Afrique.

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