La fièvre du mardi soir

par Alain Brunet

Commençons par la fin : A Fifth of Beethoven est un instrumental disco enregistré par Walter Murphy et le Big Apple Band, adaptation du premier mouvement de la Symphonie n° 5 de Ludwig van Beethoven. L’exécution de la fameuse 5e  et son dramatique TA-TA-TA-TAAAAAAA fut le plat de résistance et sa fantaisie dance music, qu’on peut toujours  écouter sur le célébrissime Naturday Night Fever Soundtrack, en fut le dessert.  Dans le cas qui nous occupe, c’était plutôt la fièvre du mardi soir !

Légèrement vêtu, shorts, t-shirt, baskets, tatouages bien en vue sur le mollet et l’épaule, le maestro Yannick Nézet-Séguin avait alors revêtu une camisole encore plus moulante, se trémoussant avec sa baguette au grand plaisir du vaste public devenu à sa rencontre, dans un contexte météorologique tout simplement parfait. 

Du côté de la Ville de Montréal, on affirme que 50 000 personnes ont assisté à cet événement gratuit,  premier rendez-vous fixé au pied du Mont-Royal depuis 2019 pour les raisons que l’on sait. L’Orchestre Métropolitain se produit sur le Mont-Royal depuis des lustres, attirant des foules de plus en plus considérables vu sa popularité et celle de son chef, star internationale parmi les maestros de sa génération. 

Bien sûr, nous n’étions pas là pour une acoustique idéale (quoique très réussi dans le contexte) , mais bien pour un événement populaire bien mené. L’animatrice  Pénélope McQuade aura chauffé la salle et a conclu cette soirée crépusculaire dans la verdure, ébahie par la relecture disco de Beethoven. La version au programme était d’ailleurs plus considérable que celle du tube studio, vu les effectifs orchestraux en présence.  Bon, la section rythmique était un peu mince mais l’esprit de l’adaptation fut respecté à souhait, bien assez pour soulever la foule.

Juste avant, les quatre mouvements de l’archi connue Symphonie du Destin avaient été applaudis un à un par une portion congrue du public, peu habitué aux pratiques mélomanes pendant les exécutions des œuvres comportant plusieurs parties distinctes. L’exécution de la 5e de Beethoven fut  néanmoins très dynamique, tonifiante et contrastée, jouée dans un esprit similaire à celui de la Chamber Orchestra of Europe (qui n’est pas exactement un orchestre de chambre) dirigée par YNS pour un enregistrement récent chez Deutsche Grammophon – Beethoven :The Symphonies. Voilà une excellente stratégie du directeur artistique de l’OM dans un. L’exécution seule de la 5e aurait été sympathique et très prévisible (la symphonie la plus connue sur Terre?),  l’explosion du mouvement disco au rappel en justifie parfaitement le choix.

Deux œuvres au programme avaient été composées par des talents locaux ou canadiens. D’origine russe, le compositeur post-romantique Airat Ichmouratov, fier Montréalais d’adoption, était présent pour savourer l’interprétation d’un extrait de son Ouverture ville cosmopolite, composée une décennie plus tôt et dont l’objet était de faire état de la diversité de nos cultures métropolitaines au sein d’une même œuvre, rigodons symphoniques en prime. 

Après quoi on eut droit à deux mouvements de la 3e symphonie de la pionnière Louise Farrenc, rarissime compositrice connue du 19e siècle ayant atteint cette haute expertise dans l’art de marier les sons.
Enfin, on a pu contempler les évocations symphoniques de la nature boréale, un concept de Barbara Assiginaak, excellente compositrice de la nation Odawa. Aussi longtemps que la rivière coule se veut une œuvre horizontale, contemplative, très organique. Quiconque a fréquenté nos forêts, nos lacs et nos rivières pouvait s’y retrouver, la profonde sensibilité autochtone pour la nature est ici au service d’une musique contemporaine parfaitement concluante. Savourer cette oeuvre au Mont-Royal et sa canopée, était un pur délice.

Le festival parisien « Restons Sérieux » prend les armes à la Bastille

par Louise Jaunet

Depuis 2016, la salle du Supersonic a su faire sa place dans le monde de la nuit parisienne et le démontre une nouvelle fois avec la 5e édition de son festival Restons Sérieux. Située dans une ancienne usine du XXe siècle sur la rue Biscornet tout près de la place de la Bastille, cette salle, maintenant devenue mythique, nous fait décoller plus vite que la vitesse du son de la scène techno et house encore majoritaire à Paris, à l’aide d’une programmation 100 % rock, ouverte principalement sur l’international.

Créée en référence au premier simple d’Oasis, la scène a notamment pu voir passer du beau monde comme The Vacant Lots, The Holydrug Couple, Lydia Lunch, Lorelle Meets The Obsolete, Orville Peck, Working Men’s Club ou les groupes montréalais Jesuslesfilles, The Besnard Lakes, Paul Jacobs et Elephant Stone. Également ouverte jusqu’au petit matin pour les soirées de sets de DJ, la salle peut être fière d’avoir accueilli des artistes réputés tels que Peter Hook, IDLES ou les Libertines derrière les platines. Fait notable, les concerts sont tous gratuits, permettant d’ouvrir la place aussi bien aux mélomanes aguerris qu’aux simples amateurs aux oreilles curieuses, avec une rémunération pour les artistes provenant majoritairement des recettes faites avec les soirées de DJ et les consommations, comme la Superpilsonic, bière signature de la maison. Depuis 2020, le club s’est même agrandi et comporte désormais un disquaire indépendant de vinyles neufs, où l’on peut voir placardées aux murs des affiches de Wooden Shjips, TV Priest, Metz, U.S. Girls ou Amyl and the Sniffers et trouver, dans le bac des nouveautés, les derniers Alan Vega, Tess Parks ou Vanishing Twin. Autant dire que n’importe quel amateur de rock se sent assez vite chez lui, dans ce microcosme.

Construit initialement autour d’une blague, le festival Restons Sérieux célébrait du 12 au 16 juillet derniers le beau et le bizarre de la contre-culture rock en français, afin de marquer le coup de la fête nationale du 14 juillet. Avec Infecticide, Mustang, Noir Boy George et Stereo Total comme têtes d’affiches des éditions précédentes, Restons Sérieux revient cette année avec une nouvelle émeute de 25 projets franchouillards tous un brin loufoque, pour donner la parole aux sans-culottes et aux sans-dents révoltés qui ont réussi à prendre d’assaut leur forteresse intérieure pour combattre le système despotique. PAN M 360 s’y est rendu pour vous et vous propose les sept projets coup de cœur de l’édition 2022. Cocorico!

Lou de la Falaise (pop-rock, tropicalisme)

Avec seulement deux titres parus en ligne, Lou de la Falaise a tout de même de quoi déjà convaincre les fans de pop française “chicosse” qui regrettent que tout le monde se foute désormais de la poésie. Accompagné de deux violonistes sur scène, le nouveau groupe fraîchement naissant mélange des sonorités classique, new wave ou tropicalisme et construit une pop haute couture en fleur, décomplexée et accessible qui rappelle la french touch de l’Impératrice, Magenta ou Juniore. Avec un humour au second degré bien à la française, son dernier titre Je suis cool tourne en dérision les bobos parisiens gonflés du bulbe car trop fiers d’écouter La Femme au Mexique et d’aimer le Schweppes à la quinine. Un peu de patience, le premier album de Lou de la Falaise ne devrait pas tarder à faire son saut dans l’inconnu. Affaire à suivre.

Casse Gueule (pop, expérimental, électro)

Aussi populaire qu’expérimental et dystopique, pour parler d’une France dépassée par les événements à venir, Casse Gueule raconte les aventures et expériences extralucides de Mannus avec ses synthétiseurs et ses boîtes à rythmes bien déglingués. Accompagné d’un chanteur hurluberlu habillé en bleu de travail qui ne peut pas s’empêcher de dévisager chaque personne du public et d’un joyeux luron en marcel blanc qui joue du synthé sur un bidon d’essence, Mannus fait parler une Intelligence Accidentelle venue d’une autre dimension qui guide le périple de ce trio farfelu. Casse Gueule nous présentait les morceaux de son prochain album de space-opéra où un cochon dans l’espace donne des leçons de génocide et de pacification à 8 milliards d’humains pour affronter l’hiver nucléaire. Tout comme Jacques, Salut c’est cool et CRABE, ces étranges créatures nous montrent finalement que le libre arbitre n’est bel et bien qu’une illusion.


Les Clopes (pop, coldwave, synthwave)

Shooté à la nicotine et à la coldwave, Les Clopes est manifestement le groupe de craignos cools le plus mortel et apprécié en ville de cette édition. Mené par Guillaume Patrick, sa perruque et son débit de parole hyper simpliste découpé au couteau, le groupe rappelle facilement la new wave d’Indochine, sans forcément chercher à produire quelque chose de bien sérieux pour allumer le gaz au Zippo. Cachés derrière leurs lunettes fumées de lendemain de soirée d’orgie, ils chantent des idées morbides faites de saucisse, de cimetière, de HLM et de dépression, pour les polygames incompris qui aiment fumer des clopes dans un blockhaus noir parce qu’ils sont déprimés par cette chienne de vie. Putain que c’est glauque. Bisous.

Ultramoderne (électro-punk, post-punk)

Formé autour d’Aline au chant et de Crush aux machines, Ultramoderne est un duo issu de la scène anarcho punk de Blois. Resté coincé dans l’espace-temps des machines analogiques des années 2000, Ultramoderne se sent paradoxalement dépassé par la vie contemporaine infernale et le progrès mensonger et propose une musique electroclash et post-punk totalement outdated mais pleinement assumée. Présentant sur scène son dernier album sorti en 2019 La performance est vulgaire, Ultramoderne donne avec son cœur une place aux voix silencieuses des ouvriers de Peugeot déprimés et aux caissières de supermarchés robotisées.

Poltergeist (coldwave)

Poltergeist est un mot allemand intraduisible en français, qui désigne un phénomène paranormal défiant la raison et la logique, se manifestant par des événements ou des apparitions inexplicables provoqués par des esprits désincarnés. C’est aussi le nom du projet d’Ari Girard, un homme-orchestre âgé d’à peine 20 ans et caché derrière la guitare et les synthés de son premier album KÄMPFER. Rappelant vaguement l’ambiance feutrée et torturée de Boy Harsher, Poltergeist donne vie sur scène à un soldat fantôme franco-allemand, pris dans la bataille du chemin de La Grande Dame qui cherche désespérément la rédemption de Mère Nature dans les tranchées de la matrix. Envoûtant.


Musique Post-Bourgeoise (électro, chanson à texte)

L’artiste Olivier Urman, tête pensante derrière le projet Musique Post-Bourgeoise, clame des textes poétiques qui semblent être écrits pour le monologue d’une pièce de théâtre existentialiste moderne. Alors qu’il fréquente les galeries d’art pour lutter contre la fin des choses, l’enfer ne se trouve pas que chez les autres selon lui, mais bel et bien à l’intérieur de soi. Publié sur le label MisèRécords (avec comme devise “l’absurdité nous a créés, nous créons l’absurdité”), son dernier album La Limite, paru en 2021, réussit largement à faire danser les foules pour provoquer “la révolte contre soi-même, le seul obstacle à son propre avancement” et ainsi créer l’espace clos de la vacuité dans le vide.

La Jungle (krautrock, trance, noise)

Après son passage au festival des Vieilles Charrues, La Jungle est venu créer un chaos monstrueux au Supersonic pour présenter son cinquième album Ephemeral Feast. Ce duo belge qui mélange des influences krautrock, noise et trance, a provoqué un véritable mur de son aussi puissant qu’A Place to Bury Strangers et aussi transcendant que la techno-kraut analogique et chamanique du groupe chilien Föllakzoid. Entre les onomatopées incompréhensibles, les riffs cinglants de guitare en boucle et les percussions qui provoquent la tachycardie, le duo implose les barrières mensongères de nos têtes et nous plonge dans des profondeurs intérieures insoupçonnées. L’herbe est sans aucun doute plus verte dans l’antre de La Jungle.

Sophie Lukacs, kora-cœur à Nuits d’Afrique

par Luc Marchessault

« Dring-dring-dring » fait le téléphone à l’entrée du Balattou, pendant que la présentatrice nous présente Sophie Lukacs. « Dring-dring-dring » fait de nouveau l’intempestif appareil à la sonnerie rétro, tandis que la principale intéressée pose sur ses cuisses son instrument sphérique. Tout le monde sourit, y compris Sophie. On ne pourrait espérer une ambiance plus détendue et conviviale. Le lieu y est pour beaucoup : côté décor, pas grand-chose n’a changé au Balattou depuis 37 ans; ce sont avant tout les rencontres, découvertes et métissages musicaux sans cesse renouvelés qui donnent son âme à ce vénérable club.

La feuille de route de Sophie Lukacs risque de provoquer l’apoplexie chez les néo-pharisiens qui ont dénigré le choix de Mélissa Lavergne comme porte-parole de Nuits d’Afrique cette année : une non-Africaine, non-homme et non-griot qui s’est approprié la kora, instrument emblématique des contrées mandingues! Sacrilège!

Madame Lukacs a vu le jour à Budapest, en Hongrie. Elle a immigré au Québec et a étudié le violon à McGill, notamment. Lors d’un voyage au Burkina Faso, elle a découvert la kora, cet instrument traditionnel à 21 cordes dont les sonorités lui ont tapé dans l’oreille, au point qu’elle voulut se l’approprier. Comme elle nous le racontait candidement hier soir, elle est retournée en Afrique de l’Ouest en se donnant un an ou deux pour maîtriser l’instrument et apprendre de 50 à 100 pièces traditionnelles mandingues, forte de sa formation classique. Une fois sur place à Bamako, elle alterna les maîtres pour apprendre plus rapidement. Or, le grand Toumani Diabaté, qui fut son mentor, l’avait mise en garde : « Ne multiplie pas les professeurs, tu vas tout mélanger. »

C’est exactement ce qui se produisit. Sophie Lukacs dut donc prendre le temps et suivre les étapes. Elle nous l’a bien résumé lors d’une courte et instructive démonstration : d’abord les pouces et l’accompagnement pendant un bon bout de temps; puis les index et davantage de rythmes; ensuite les mélodies; et enfin l’improvisation, le tout étalé sur sept années. Pour cette prestation à Nuits d’Afrique, Sophie Lukacs était accompagnée du percussionniste chevronné Michel Medrano Brindis à la calebasse, ainsi que du compatriote magyar László Koós au violoncelle, dont il pinçait les cordes comme s’il se fût agi d’une contrebasse. Au programme, des airs traditionnels mandingues et des compositions avec paroles en bambara, dont Tolon et Forama, parue sous forme de simple avec Awa Kassé Mady Diabaté au chant. Sophie Lukacs a aussi interprété des compos en anglais – dont Too Many Times et Falling – et une en hongrois. On a remarqué que sa voix semble plus assurée lorsqu’elle chante dans la langue nationale du Mali. Et on a constaté que les années d’apprentissage de Sophie Lukacs ont été fort fructueuses : sa maîtrise de cet instrument enchanteur ne fait aucun doute. Un plus vaste public pourra d’ailleurs en prendre la mesure en septembre, puisque Sophie lancera son premier album sur étiquette Nuits d’Afrique.

Ifriqiyya Électrique : mon genre de possession

par Stephan Boissonneault

Quatre personnes perdent la tête sur la scène du Ministère; elles sont toutes de noir vêtues, arborant un look goth moderne, et exécutent une musique de transe lourde et enveloppante. Une femme jouant du carillon à main pousse un cri, comme si elle invoquait directement les puissances des cieux, tandis qu’une autre, affublée d’un corset et d’une coupe de cheveux à la Bellatrix Lestrange, produit des arpèges complexes au moyen de sa guitare basse, tout en roulant les yeux. Le guitariste est en nage, tandis qu’il fait des gammes aux sonorités moyen-orientales, tandis que l’autre percussionniste bondit sur la scène. Il y a bien sûr des tambours, préenregistrés mais tout à fait tonitruants. Cette pièce-rituel dure une quinzaine de minutes, à coups d’appels et de réponses répétitifs. Ceux-ci, mélangés à la musique lourde et bourdonnante, créent un tout omnipotent.

Il s’agit d’Ifriqiyya Électrique, une formation expérimentale d’inspiration marocaine qui met de l’avant le rituel de la banga. Ifriqiyya conjugue cette pratique thérapeutique, que les communautés noires du sud de la Tunisie utilisaient pour invoquer les esprits amis, aux bruits et rythmes industriels sombres afin de créer une expérience très singulière. C’est un peu comme d’assister à un concert de métal ou de NIN au milieu du Sahara. Chaque chanson se fond rapidement dans la suivante, chaque membre d’Ifriqiyya Électrique vivant sa propre forme de possession sonore. Sans aucun contexte, on pourrait trouver ce spectacle terrifiant, car il ressemble parfois à un exorcisme en direct. Mais ce n’est pas le cas, c’est un adorcisme, un type de possession qui est voulu par le praticien en vue de la transe.

Je ne comprends pas les mots, mais ces chants semblent porteurs de douleur et de tourments; ce sont des catharsis que chacun des musiciens projette dans notre monde cruel. Chaque interprète est un pro, et j’apprendrai d’ailleurs plus tard que le guitariste, François Cambuzat, et la bassiste, Gianna Greco, collaborent fréquemment avec Lydia Lunch, souveraine new-yorkaise du post-punk. À un moment donné, Cambuzat s’empare de son pied de micro et commence à jouer et à chanter dans la foule. Il se déplace comme un spectre, transpire à grosses gouttes et invite la foule à se joindre à lui. C’était peut-être trop pour un public du jeudi soir, mais Cambuzat a maintenu l’intensité.

Ifriqiyya Électrique est un projet dont bien des gens n’entendront jamais parler de leur vie. Or, je peux vous certifier que leur prestation ne ressemble à rien de connu.

Le festival Nuits d’Afrique démarre en fanfare!

par Stephan Boissonneault

J’arrive à la première soirée de Nuits d’Afrique, à 20 h 40 au Club Balattou; Lindigo, un groupe de percussions maloya de huit musiciens, a déjà entraîné l’auditoire dans une danse frénétique et moite. Dirigé par le charismatique Olivier Arasta, impec dans sa veste dorée à motifs géométriques, Lindigo met la foule en ébullition, sautant, virevoltant et chantant en créole.

On ne croirait pas qu’il s’agit d’un mardi soir, vu la salle bondée, mais Lindigo a manifestement des fans ici, ou alors s’ils n’en avaient pas, ils en ont désormais. Le mélange des tambours conga, du kamelengoni et du balafon (le xylophone ouest-africain) est un véritable spectacle.

« Êtes-vous prêts à aller à Madagascar? » crie Olivier. La foule perd la tête et applaudit.

Je me sens mal pour les serveurs qui doivent se faufiler dans la foule, car tout le monde essaie de faire des mouvements de danse complexes, en essayant de suivre le rythme des percussions. Or, les serveurs ont eux aussi le sourire aux lèvres!

Lindigo au Balattou

Lindigo

Le maloya est un genre musical né avec les esclaves amenés pour travailler dans les plantations de cannes à sucre. Il est devenu une arme de résistance culturelle, qui a été interdite jusque dans les années 1980. Lindigo s’est donné pour mission de préserver ces sons et de les transmettre de génération en génération.

Toujours sur Saint-Laurent mais au sud du Balattou, un autre homme – également vêtu d’une veste dorée à motifs géométriques – monte sur la scène du Ministère. Il annonce avec anticipation la première partie, un DJ québécois qui se fait appeler Oonga. La foule est prête et bientôt une vague de drum and bass funky et lourde envahit la salle. C’est bruyant, on transpirant une fois de plus, et une partie du public plus âgé ne sait pas comment réagir!

Oonga joue une quarantaine de minutes, jusqu’à ce que la tête d’affiche de la soirée, un trio colombien de Bogota qui s’appelle Ghetto Kumbé monte sur scène. Celle-ci est sombre, éclairée seulement par les masques phosphorescents de Ghetto Kumbé, reliés à des dreads phosphorescents. Cela me rappelle le laser tag, mais mené par des monstres prêts à ensorceler, dans un rituel musical, l’esprit de leurs adeptes… -et c’est exactement ce qu’ils font. Il y a deux batteurs qui martèlent des rythmes afro-colombiens, soutenus par une autre « créature » qui produit de la house colombienne gargantuesque.

Ghetto Kumbé au Ministère

Si vous êtes déjà retrouvés dans une discothèque d’Amérique du Sud, dites-vous que c’était comme ça hier soir, mais avec le volume à 11. Toute la salle tremble, un homme court pour rattraper son verre de bière qui se dirige vers le bord de la table. Ghetto Kumbé rappe aussi, assez bien, tandis que les deux MC alternent entre la batterie et le micro. Armé de mon espagnol rouillé, je crois entendre un appel à la révolution contre les gouvernements corrompus de la planète, une cause qui a l’assentiment de tous. Je baigne dans le futurisme afro-colombien. Pas mal pour un mardi soir.

Photos : Stephan Boissonneault

TOBi charme la foule du FIJM

par Jacob Langlois-Pelletier

Depuis un bon moment déjà, je surveille l’ascension de l’artiste canado-nigérian TOBi. Il y a quelques années, le rappeur avait piqué ma curiosité avec son titre City Blues. Sa dégaine à la Kendrick Lamar, son énergie similaire à celle d’Anderson .Paak et sa tessiture à la Brent Faiyaz faisaient de lui un artiste prometteur, du moins à mes yeux. Depuis, TOBi a sorti deux albums – ELEMENTS Vol.1 et Still+ – et a collaboré avec des artistes américains tels que The Game, Maxo Kream et Flo Milli. Force est d’admettre que TOBi est en constante progression et possède tous les outils pour briller à l’international. À la sortie de la programmation du FIJM 2022, j’étais agréablement surpris d’y voir son nom. J’avais bien hâte de voir ce que TOBi réservait aux Montréalais, et il ne m’a pas déçu. TOBi a entamé son spectacle en douceur avec des titres plus R&B comme Too Hot.

Sur scène, le rappeur était accompagné d’un batteur, d’un bassiste, d’un claviériste et d’un saxophoniste. Mis à part quelques échantillons de discours, la musique était entièrement faite en temps réel. La voix de l’artiste et la musique jazz se mélangeaient à merveille. À chacune de ses punchlines, la musique s’intensifiait, conférant davantage de poids aux paroles de l’artiste. Plus les minutes passaient, plus TOBi plongeait dans son catalogue rap. À mi-chemin, il a offert un freestyle à la foule. Dans son élan d’improvisation, TOBi a fait référence Montréal et au FIJM. Après sa chanson Made Me Everything, TOBi a quitté la scène. Cependant, la foule du FIJM en a décidé autrement en scandant le nom de l’artiste. Face à cette vague d’amour, TOBi est revenu sur scène pour chanter son titre le plus populaire, City Blues. Mission réussie pour TOBi, lui qui a visiblement charmé la foule du FIJM.

The Roots : soirée nostalgique et haute en énergie, en clôture du FIJM

par Jacob Langlois-Pelletier

Black Thought et sa bande ont offert près de deux heures de musiques sans arrêt, lors de la dernière soirée du FIJM 2022. Avec son flow rapide, découpé à la lettre et presque hypnotisant par moment, Tarique Trotter a emporté les milliers de gens présents dans un tourbillon de nostalgie. En passant par le rap, le jazz, le R&B et même la disco, The Roots a rendu hommage aux grands de la musique. Au total, l’orchestre de huit musiciens – comprenant l’incontournable Questlove – accompagnait le rappeur sur scène. Afin de reprendre son souffle, Black Thought laissait place aux prouesses musicales de chacun des membres du groupe. La formation philadelphienne a interprété à sa manière des titres intemporels tels que You’re The One For Me de D.Train, ainsi que Running Up That Hill (A Deal with God) de Kate Bush.

Bien évidemment, le collectif mythique a chanté leurs plus grands succès, notamment What They Do et You Got Me, aux grands plaisirs des gens entassés à la Place des Festivals. Initialement chanté par Erykah Badu, le refrain de cette dernière pièce a été interprété par le guitariste de la formation, Captain Kirk Douglas, aidé par la foule. Les gens présents dansaient, festoyaient et s’époumonaient sur les sons envoûtants des Roots. Du début à la fin, le collectif a conservé un rythme effréné. La dégaine des musiciens a visiblement plu à la foule, qui a accueilli à bras ouverts ce tsunami musical sans fin. Impossible de demander mieux pour clore les dix jours de la 42e édition du Festival international de jazz de Montréal!

Serpentwithfeet et Basia Bulat : le serpent nu et la belle endimanchée

par Frédéric Cardin

J’aime Josiah Wise, alias Serpentwithfeet, artiste de R’n’B contemporaine mâtinée de racines chorales gospel et d’études lyriques classiques. De ses deux albums principaux (il a aussi des EP ici et là), c’est le premier, Soil, qui m’habite encore. On y décelait ses racines étoffées soutenant une profusion d’idées intéressantes dans les rythmes et l’agencement de l’ensemble. Deacon, l’opus apparu en 2021, se rapprochait pas mal plus de l’appellation « adulte contemporain » utilisée dans les prix en musique tels les Grammys. Une appellation que je trouve abominable tellement elle ne correspond à rien. Et pire, une catégorie qui enfante une pléthore de déchets autotunés qui se ressemblent tous. Cela dit, même dans ce rapprochement, le porteur d’une culture afro-queer bienveillante et assumée réussissait à remplir son univers sonore avec ce continuel attrait pour la surprise.

Je vous dis tout cela parce que je m’attendais à mieux de la première partie que M. le serpent-avec-des-pieds proposait au concert où la Montréalaise folk Basia Bulat allait séduire l’auditoire un peu clairsemé du Théâtre Maisonneuve. Dans la musique de l’Américain, il y a un potentiel scénique fort intéressant (choeurs, cordes, instruments rythmiques, claviers), mais ce à quoi on a eu droit, c’était un serpent dénudé de ses attributs les plus attrayants. Wise était seul avec un DJ qui coordonnait, grosso modo, le lancement des voix chorales préenregistrées, les boucles et les beats. Bref, un gars chantait sur une trame sonore. Bof. Principaux moments d’intérêt : quand ledit Serpent s’installe seul au clavier et nous charme de douces ballades ou encore de réflexions personnelles inspirées du moment. On voit qu’il sait créer une belle intimité avec le public. À ce moment, on comprend mieux pourquoi l’artiste est une étoile montante. À l’image de ses clips où la vie toute simple de couples gais (souvent le sien) est montrée sans ostentation militante, juste la nature touchante d’un quotidien banal fait de tendresse et de complicité. Mais on s’attendait quand même à du déploiement, à de la fantaisie et à beaucoup plus de chaleur (un éclairage banal et froid!) pour une musique qui doit envelopper son auditeur comme une doudou. Bref, j’aime l’artiste, mais voilà un show qui n’était pas à sa hauteur.

Le contraste était de taille avec l’arrivée de Basia Bulat, son quatuor à cordes, et son trio basse-guitare-batterie. La scène s’est éveillée, bien que tranquillement, et sans jamais déborder d’intensité, vu la nature de la musique de la Torontoise qui a fait de Montréal sa maison de cœur. Les mélodies, simples et belles, chaleureusement étoffées par les cordes et pudiquement soutenues par la section rythmique (on a à peine remarqué la batterie tellement elle restait en retenue), se sont épanouies dans le Théâtre au grand plaisir du public qui souriait, charmé. Bulat s’est exprimée en un français exquis et en anglais, en s’adressant aux spectateurs.

Un brin tranquille au final, mais ça, c’est parce que la première partie qui aurait dû soulever l’atmosphère est restée trop placide et bien trop retenue.

Bran Van 3000 à la Place des Festivals : Montréal rassemblé et rassembleur

par Frédéric Cardin

C’était une soirée retrouvailles hier soir sur la Place des Festivals. Un hommage à 25 ans de jeunesse pour l’album qui a marqué toute une génération : Glee de Bran Van 3000. James (Di Salvio) était là, Sara (Johnston) aussi, puis plusieurs autres. Presque tous. On a entendu les meilleures, mais pas toutes, puisque l’hommage a en fait été distillé à part presque égales avec Discosis, l’autre album culte du band montréalais. Sur scène. Ça dansait, ça groovait, ça chantait, ça souriait. Le groupe, à l’image de Montréal, mélangeant français (pas chanté) et anglais, styles musicaux allant du dancefloor au rock en passant par le reggae, le hip-hop, la soul vintage et l’électro dans une communion syncrétique qui rappelle le métissage de cette foule multi-inter-culturelle savoureuse à voir. Toutes les tonalités de couleur de peau, toutes les générations, peu importe la lettre de l’alphabet, probablement les confessions aussi, les langues et les orientations sentimentales, tout Montréal y était et célébrait le simple fait d’avoir une identité commune aussi rassembleuse. Ma blonde m’a dit « Des fois, c’est faux » en parlant des voix. Elle a l’oreille classique, voyez-vous. Moi aussi d’ailleurs. Et je ne peux nier qu’elle a raison. Astounded sans Curtis Mayfield comme sur Discosis, eh bien, c’est pas aussi pareil. Ben non. Pis la pop, en général, c’est comme ça. Faut pas s’attendre à l’impeccabilité d’autres styles plus savants comme le classique et le jazz (on est pourtant à la grand-messe mondiale de ce genre!). Mais il faut faire fi de certaines notions, tout à fait légitimes par ailleurs, et se laisser entraîner par le sentiment de plénitude collective que crée ce groupe, devenu culte par la force des choses, et par son énergie communicatrice.

Clay & Friends, triomphe du chocolat blanc

par Alain Brunet

Des dizaines de milliers de fans et badauds ont pu en témoigner jeudi soir, Place des Festivals, Clay and Friends est l’incarnation même des références musicales intégrées par les vingtenaires québécois francos.

Vincent Roberge, alias Les Louanges, avait ouvert le bal il y a quelques albums de cela; l’intégration de la culture afro-américaine récente à la culture chansonnière québécoise fait désormais partie de la nouvelle normalité. Mike Clay et ses amis ont désormais acquis le statut de vedettes populaires en franglophonie d’Amérique.

Enfin, on peut cesser de soupirer devant l’omniprésence de l’americana et de la chanson rock chez les francos qui passent leur vie sur ce continent. Ce retard chronique a été comblé, passons à un autre sujet et revenons brièvement sur la prestation consensuelle de Mike Clay, ses collègues et invités spéciaux.

Depuis quelques années, on a observé un changement radical au sein des publics d’ici avec l’intégration populaire de la soul, du R&B, du funk, du hip-hop, d’un zeste de jazz mais aussi d’un lien solide avec la chanson keb de qualité, et même une ouverture disco-funk à la musica popular brasileira de TomJobim et Vinicius De Moraes, revisitée par feu Pierre Barouh (Agua de Beber – Ce n’est que de l’eau), Louis-Jean « 360 » Cormier à l’appui.

Les tubes s’intitulement Bouge ton thang, Chocolat, Lovely Day (avec Comment Debord), Cardin, Sweat and Smokes (autre bossa nova kebericana) , Que onda, cheese, Going Up the Coast et plus encore.

Le chocolat blanc de Verdun est en vogue, sa musica popular est bel et bien implantée pour de bon. Réjouissons-nous.

DOMi & JD Beck : fraîcheur absolue!

par Alain Brunet

Née à Metz, Domitille Degalle, 22 ans, a commencé à jouer du piano et de la batterie dès la petite enfance. Diplômée du Conservatoire de Nancy, elle s’est déplacée brièvement au Conservatoire de Paris, puis traversa l’Atlantique afin de faire ses études au Berklee College of Music.

Elle devint DOMi et mit en ligne ses propres vidéos sur les réseaux sociaux, ce qui lui valut l’attention de plusieurs musiciens de jazz et de hip-hop de premier plan, tels Anderson .Paak, Louis Cole et Thundercat.

JD Beck est né à Dallas, Texas, 19 ans. Il a commencé à jouer de la batterie à l’âge de 10 ans, notamment avec le groupe d’Erykah Badu, ainsi qu’avec le bassiste MonoNeo. À 14 ans, il fut pris en charge par Robert « Sput » Searight (Snarky Puppy , Ghost-Note).

DOMi et JD Beck se sont connus lors du spectacle Namm 2018. Les deux ados ont commencé illico à se produire en duo. Très rapidement, ils ont créé un buzz dans la communauté jazz-groove. La bonne nouvelle s’est répandue à la vitesse grand V avec la sortie de Take A Chance, une chanson mettant en vedette Anderson.Paak.

Voilà pourquoi le Club Soda était plein mercredi dernier. Deux jeunes prodiges dans le vent, deux vedettes instantanées du jazz groove, pour les meilleures raisons. Le concept d’un duo électro-jazz-groove est brillant, la jeunesse et la fraîcheur de ces musiciens éduqués et extrêmement doués ne peut que réjouir les jazzophiles.

Terri Lyne Carrington : qu’est-ce que ça prend pour attirer les jazzophiles?

par Alain Brunet
Terri Lyne Carrington n’a pas le pouvoir attractif des batteurs vedettes de sexe masculin. C’est le froid constat à faire au terme de trois concerts présentés par la virtuose dans un Gesù peu garni. Niet, pas de buzz pour cette musicienne de très grand talent et de très grande expérience, ayant tourné et enregistré dans les formations de Herbie Hancock, Wayne Shorter, Carlos Santana, Al Jarreau et Stan Getz, pour ne nommer que ceux-là. Pas de buzz à l’endroit de la première batteuse ayant atteint un tel niveau de virtuosité, de surcroît directrice artistique et fondatrice du Berklee Institute of Jazz and Gender Justice. Féministe opiniâtre en plus d’être une percussionniste surdouée, une authentique pionnière dans le jazz. Qu’est-ce que ça prend de plus pour attirer les jazzophiles? Ses duos avec la déclamatrice électroacousticienne Moor Mother et le pianiste Aaron Parks étaient pourtant bien ficelés, tout comme sa conclusion de mercredi en quintette. Carrington y creusait le legs de Charlie Parker, génie du be-bop, extirpant des thèmes mélodiques, riffs, fragments de solos, pour ensuite reconstruire le tout dans un contexte contemporain. L’exécution était solide, mais encore peu incarnée puisque c’était la première fois que l’ensemble de cette matière était jouée en quintette. Autour de la batteuse, une trompettiste, un saxophoniste, une contrebassiste, ainsi qu’une pianiste et pas n’importe laquelle : transplantée à New York depuis quelques années, la Canadienne Kris Davis brille sur les scènes du jazz et de la musique contemporaine impliquant l’improvisation. Musicienne plus qu’excellente, Kris Davis a offert mercredi une superbe performance. Qu’est-ce que ça prend de plus, donc, pour remplir une salle de la taille du Gesù? Sauf exception, soit des réputations construites au fil des décennies précédentes, le jazz plus sérieux présenté au FIJM n’attire plus grand monde. Le FIJM a même entrepris d’offrir des concerts gratuits en salle, pour sa programmation jazz plus sérieuse. Intéressant… le jazz « jazz » serait-il en train de devenir un produit d’appel, dans les grandes manifestations où il est inscrit? Sa tribune a été remplacée et la réduction progressive de sa place dans un tel happening musical en accélère le vieillissement. Encore plus étrangement, le jazz contemporain des dernières décennies voit son public prendre de l’âge, quasiment plus que celui de la musique classique, qui trouve davantage de nouveaux adeptes. Qu’est-ce que ça prend donc? Un autre contexte. Un contexte où les grandes musiques de tous genres, musiques plus conceptuelles ou formes plus classiques, convergent au plus grand plaisir des mélomanes. Qui offre ce contexte désormais, pour ce type de jazz ?
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