Un 15 juillet au FINA: Kaleta & Super Yamba Band, Saïd Mesnaoui, Jah Observer & WWSS

par Rédaction PAN M 360

L’équipe de PAN M 360 est très présente au Festival international Nuits d’Afrique (FINA), nos contributeurs.trices rapportent quotidiennement ce qu’ils.elles ont vu et entendu aux concerts présentés à Montréal jusqu’au 23 juillet.

Kaleta & Super Yamba Band : Retour vers le futur de l’afrobeat… avec pas mal de juju!

crédit photo: André Rival

Ce fut une soirée de samedi épique au Balattou, avec la première prestation montréalaise du groupe new yorkais Kaleta & Super Yamba Band. 

L’ADN du septuor est imprégné d’afrobeat, de soul et de funk, mais aussi de beaucoup de juju, style créé au Nigéria dans les années 1920, puis développé par des artistes de légende tels Tunde King et Tunde Nightingale, et finalement précurseur de l’afrobeat. Des percus… percutantes et virevoltantes, la guitare volatile, la basse bondissante et les vents spectaculaires (trompette, sax baryton, flûte) ont plongé les Montréalais présents en grand nombre dans une extase authentiquement vintage digne d’un club de Lagos vers 1970.

Le leader charismatique du groupe, Kaleta, est un fils spirituel du grand King Sunny Adé, et fait monter la pression à mesure que les heures avançaient. On est d’abord désarçonné d’entendre un premier cri digne de James Brown sortir de cette personne en apparence douce et réservée. Mais plus on avance, plus on en redemande. Super Yamba Band est, oui, un groupe d’afrobeat/juju, mais, venant de Brooklyn, on remarque bien la musicalité étoffée des instruments à vent. 

Walter Fancourt et Sean Smith sont des jazzmen accomplis, leur maîtrise technique et sonore n’est jamais approximative, même si les imperfections notoires des cuivres dans les bands de l’époque vintage avaient un grand charme. L’accueil du public a été à la hauteur. Kaleta, Super Yamba Band et Montréal sont faits pour s’entendre, et on devine que cette première ne sera pas la dernière.

Frédéric Cardin

Guérison, célébration, innovations gnawas chez Saïd Mesnaoui

Crédit photo: André Rival

Saïd Mesnaoui et son vaste groupe de dix musiciens ont présenté un spectacle qui témoignait du pouvoir rédempteur de la musique gnawa. Armé de son fidèle guembri à la main, le luth traditionnel à trois cordes originaire du Maroc, Mesnaoui a joué devant un groupe enthousiaste de spectateurs, jeunes et moins jeunes, venus de partout, au Théâtre Fairmount.


Il n’a pas fallu longtemps avant que l’effet hypnotique du gnawa s’empare de nous. Les triplettes de la qarqaba, castagnettes en métal, ont été fusionnées avec élégance avec les guitares électriques, claviers et percussions. Voilà autant de couches de profondeur et de textures, repoussant les limites du genre gnawa tout en en conservant l’essence fondamentale. La fusion des mélodies anciennes du gnawa avec des saveurs de jazz, de rock, de blues et même de reggae a ainsi généré une expérience merveilleusement unique,  perfectionnement réussi de Saïd.

Au-delà du concert, les musiciens ont tous exprimé un sentiment de spiritualité et d’unité, valeurs profondément enracinées dans la culture gnawa. La voix émouvante du chanteur principal a a volé au-dessus de nous, avec ses messages de résilience, d’amour et de guérison. Les interactions captivantes d’appel et réponse entre les musiciens et le public ont produit une ambiance de célébration et de joie collectives.

Varun Swarup

Aux sources chaudes du sound system avec WWSS et  Jah Observer

Les Montréalais Guillaume Alexandre et Pierre FX sont des fans absolus du sound system à la jamaïcaine. Ils ont construit leurs enceintes avec  les ressources locales, ils ont débusqué des pièces de collection, vinyles, reggae, dub, Caraïbes, etc. rares et s’être associé à des OGs de la culture et de la communauté jamaïcaine.

Au fil des ans, les événements  sous la bannière World Wild Sound System (WWSS) ont pris du coffre, à tel point d’attirer Jah Observer, 66 ans, véritable légende des sound systems au Royaume-Uni. Aussi parmi les fondateurs du Carnaval de Notting Hill à Londres, carrément le deuxième plus grand festival au monde se consacrant à la culture jamaïcaine.  

Vers 22h30 c’était déjà très plein et très chaud au Ministère. On y était venu danser aux sources du roots reggae, du dub, des toasters (ancêtres du rap). L’idée de nos hôtes était de faire se déhancher le public sur le plancher de danse, tout en lui faisant savourer ces perles des années 60 et 70, exceptionnellement sorties de leurs huîtres. 

Franchement très cool soirée, amorcée par près de deux heures de réchauffement avant l’arrivée en scène de Jah Observer, qui travaille toujours avec l’attirail classique du sound system : une platine et un pré-amplificateur. Donc l’art de cet animateur consiste à un jeu constant entre ce qu’il fait  jouer sur la platine et ses interventions au micro en direct. Cette alternance devient de plus en plus fluide et contagieux devant nous, en temps réel. Quelques minutes ont suffi pour que nous portions tous en nous ce puissant virus du reggae originel.

Alain Brunet

Un 14 juillet au FINA: Delgrès, Bianca Rocha

par Rédaction PAN M 360

L’équipe de PAN M 360 est très présente au Festival international Nuits d’Afrique (FINA), nos contributeurs.trices rapportent quotidiennement ce qu’ils.elles ont vu et entendu aux concerts présentés à Montréal jusqu’au 23 juillet.

Delgrès, power trio atypique, blues-rock créole… atypique !

Crédit photo: André Rival

Il y a un petit buzz montréalais à l’endroit de Delgrès, dont le nom s’inspire de Louis Delgrès, colonel métis de l’armée française ayant péri héroïquement en Guadeloupe lorsque Napoléon avait rétabli l’esclavagisme dans les colonies. 

Et pourquoi ce petit buzz? Parce ce Parisien aux origines afro-antillaises et ses collègues au visage pâle proposent un mélange inusité : chant créole guadeloupéen (assorti d’un peu de français et d’anglais assorti de blues et de stoner rock.  Delgrès a déjà fait parler de lui à son passage précédent à MTL, assez pour remplir le Ministère vendredi soir dans le contexte des Nuits d’Afrique.

Le frontman et guitariste Pascal Danae, ex-membre Rivière Noire (Victoire « musiques du monde »  en 2015), fait équipe avec le batteur Baptiste Brondy, un collègue de M et autres Jean-Louis Aubert, et le joueur de soubassophone Rafgee, éduqué au Conservatoire de Paris 5 et régulièrement embauché dans les bals antillais pour ainsi remplacer la basse à cordes par ce reptile bien gras qui l’enroule pour notre plus grand plaisir.

Les riffs de guitare sont blues d’abord et avant tout, essentiellement delta blues et Chicago blues, motifs guitaristiques que Pascal Danaef agrémente d’autres riffs et mélodies rock typiques des années 70. Ce n’est peut-être pas aussi saturé et explosif que les Black Keys, Jon Spencer ou autres Jack White, même si on peut y savourer les  paraphrases de Whole Lotta Love (Led Zep)… 

Néanmoins, ça déménage! 

La section rythmique est cruciale pour le succès de ce power trio atypique. Le soubassophone s’exécute comme une basse électrique, la batterie très compétente en fait plus qu’un batteur régulier de type blues-rock.

Professionnel d’expérience, le frontman de Delgrès dispose d’un bel arsenal de motifs blues et rock et son chant créole s’impose parmi nous sans problème aucun. Les propos engagés et lucides de son intellect, ou les mots passionnés de ses tripes, tout ce verbe mis en rimes a  tôt fait d’atteindre ses cibles.

Pascal Danae et ses collègues ont ainsi offert deux sets très chauds, qui laissent présager une prochaine escale montréalaise dans une plus grande salle. Prédiction facile !

Alain Brunet

Bianca Rocha, enthousiasme sincère pour la MPB

crédit photo: André Rival

Devant une salle comble au Club Balattou, l’autrice-compositrice-interprète brésilienne Bianca Rocha et son groupe, ont présenté un ensemble chaleureux de MPB classique ainsi que quelques titres originaux. Rocha a affiché une présence scénique confortable, son enthousiasme et sa passion pour la musique brésilienne étaient palpables, créant une atmosphère chaleureuse et invitante. Il y a eu des appels fréquents à la piste de danse tout au long du concert, le public a répondu et en a certainement profité !

Batterie, guitare et basse ont fourni à la chanteuse un solide soutien musical. Leurs arrangements minimalistes ont étoffé avec goût la voix délicate mais énergique de Rocha, créant une toile de fond musicale serrée… bien que parfois clairsemée. Peut-être le concert aurait-il pu bénéficier d’une instrumentation supplémentaire, un peu de cuivres, un claviériste… ce qui donnerait plus d’espace à la guitare pour respirer.

La soirée est devenue encore plus spéciale avec l’ajout de l’interprète invitée, la chanteuse Flavia Nascimento. Dans notre entretien avec Bianca, cette dernière a mentionné comment Flavia est affectueusement surnommée « le soleil » dans la communauté brésilienne, et il est facile de comprendre pourquoi. Sa présence sur scène plus grande que nature et ses performances vocales émouvantes ont ajouté encore plus de chaleur et de dynamisme à la soirée.

Varun Swarup

Un 13 juillet au FINA: Blick Bassy, Eliasse, Juan Carmona

par Rédaction PAN M 360

L’équipe de PAN M 360 est très présente au Festival international Nuits d’Afrique (FINA), nos contributeurs.trices rapportent quotidiennement ce qu’ils.elles ont vu et entendu aux concerts présentés à Montréal jusqu’au 23 juillet.

crédit photo: Andy Rubal

Blick Bassy et la transculture camerounaise, ça coule de source !

« L’eau est une métaphore puissante de la chaîne. C’est un lien sans lequel nous ne pouvons pas vivre. Elle est en chacun de nous, en chaque élément vivant de l’ordre naturel! Comme dans une chaîne, comme avec l’eau, nous ne pouvons nous extraire de la chaîne sans nuire à nous même et aux autres. Les conflits sont de cet ordre : un retrait de certains groupes de la chaîne du vivant, de la chaîne de dépendance. Et les conséquences sont désastreuses. »

Tirée de notre interview de Blick Bassy par le collègue Frédéric Caddin, cette citation tombe sous le sens.

Devant nous sur scène ou via ses enregistrements (Ako, 1958, Madiba), les superbes chansons de cet artiste camerounais (transplanté en France) caressent un objectif de rédemption et coulent de source, question de poursuivre dans la métaphore aquatique. La quête personnelle de Blick Bassy, un être inspiré et raffiné, se déploie aux antipodes de l’ethnocentrisme, à l’opposé du repli sur soi et ou de valeurs ancestrales périmées. 

Blick Bassy l’a démontré jeudi au Théâtre Fairmount : il est un artiste doué et un authentique citoyen du monde, zéro décalé par rapport à tous les chantiers de chanson actuelle en cours sur cette petite planète. Il s’exprime avec les outils d’aujourd’hui et d’hier, ses choix d’accompagnement incluent les technologies numériques, les percussions électroniques ou acoustiques, synthétiseurs, trompette, instruments inventés ou traditionnels, guitare électrique, chant. Sa voix fine aérienne de contre-ténor (dont les vocalises rappellent parfois les chants du peuple Bakaya) sied parfaitement avec les arrangements très créatifs que génère cette instrumentation, ce qui ne dénature en rien les fondements camerounais de l’édifice.

On reste alors très attentif aux ambiances éthérées de ses airs et de ses textes en langue bassa dont on parvient toujours à saisir l’émotion et même le sens si on n’en comprend pas un traître mot. Ses explications en français sont néanmoins limpides et éclairantes. Voilà une excellente prise dans la programmation des Nuits d’Afrique 2023.

Alain Brunet

Eliasse, encore plus rock (zangoma) que prévu !

L’archipel des Comores est peu connu et peu fréquenté par les Nord-Américains, d’où notre intérêt de s’enquérir de sa culture actuelle… aux Nuits d’Afrique, il va sans dire. Voilà pourquoi nous étions au Balattou en début de soirée jeudi. À l’instar de Blick Bassy que nous avons entendu un peu plus tard, Eliasse a quitté sa terre natale pour devenir autre chose et proposer autre chose. 

Artiste fort intelligent, d’ailleurs doté d’un humour particulièrement décapant, l’auteur, compositeur et chanteur est une créature hybride, à l’image de sa transhumance planétaire. Installé en France, il aime le rock et s’allie des musiciens bordelais férus de rock et aussi de jazz on imagine. Car il  faut piger les mesures composées pour accompagner Eliasse, dont la culture populaire se fonde sur un corpus rythmique hors du commun. La percussion est d’ailleurs une arme redoutable dans le répertoire d’Eliasse, qui nous réserve des séquences bien senties en ce sens. 

Ainsi donc, le folklore et les rythmes comoriens sont le point de départ d’une expression rock parfaitement assumée. Rock zangoma, donc, pour reprendre l’appellation d’Eliasse. Sa guitare et ses pédales d’effet, effectivement, ne ménagent pas la saturation créative des accords constitutifs de ces chansons allumées à souhait. Encore plus rock que prévu ! Interprétées en langue comorienne, les paroles d’Eliasse sont des poésies chansonnières sur les sociétés humaines et sur ses marques pas toujours propres dans l’écosystème planétaire. On ne parle pas le comorien, on est très tenté de faire acte de foi à l’écoute d’Eliasse.

Alain Brunet

Juan Carmona, flamenco nuevo et saveurs maghrébines

crédit photo: Andy Rubal

Au National jeudi, Juan Carmona et son ensemble ont offert une performance tonitruante pour une soirée convenablement orageuse. Inaugurant le concert avec une pièce de guitare solo, le guitariste a donné le ton de la soirée avec sa virtuosité fougueuse et lyrique, créant une atmosphère à la fois électrisante et profondément émouvante.

Pour la deuxième pièce, un percussionniste a monté sur scène et les rythmes du cajón et les battements de mains, ces fameux palmas, sont rapidement devenus l’épine dorsale de la musique, accroissant ainsi l’intensité et l’énergie de l’exécution. Le groupe s’est ensuite agrandi davantage avec un clavier/flûtiste et un bassiste,  son leader avait alors la liberté de jouer ses compositions avec plus de lyrisme et de servir  en prime des solos éblouissants.

On a senti un suspense tangible au sein du public, car de nombreux fans du chanteur algéro-montréalais, Youba Adjrab, attendaient son arrivée sur scène. Il n’a pas fallu longtemps après que Youba ait commencé à chanter pour que la foule éclate en applaudissements, et nous avons tous été surpris par la beauté et la fluidité de la voix de Youba, planant gracieusement au-dessus des riches harmonies du flamenco. 

Ce fut une soirée idéale pour cette riche tradition du flamenco, d’autant plus qu’on en a repoussé les limites avec une touche moderne et une touche maghrébine très appréciées. 

Varun Swarup

Un 12 juillet au FINA: Angélique Kidjo, Chanda & the Passsengers, Boulila & Friends, Naxx Bitota

par Rédaction PAN M 360

L’équipe de PAN M 360 est très présente au Festival international Nuits d’Afrique, nos contributeurs.trices rapportent quotidiennement ce qu’ils.elles ont vu et entendu aux concerts présentés à Montréal jusqu’au 23 juillet.

Crédit photo: Pierre Langlois

Angélique Kidjo: impériale malgré une apparente économie de moyens

Sans conteste, Angélique Kidjo demeure cette bête de scène dont l’objet permanent est de mobiliser un à un ses fans potentiels à chacun de ses concerts. Rares sont ces esprits conquérants du showbiz ayant conservé la flamme de la scène une vie durant, la diva béninoise en est un exemple probant. Insatiable, la lauréate du Prix Nuits d’Afrique pour la Francophonie  a offert une performance électrisante comme elle l’a toujours fait lors de ses escales montréalaises depuis les années 90.

Économie de moyens au demeurant : pas d’ambitieux décors de scène au programme, pas d’éclairages innovants, pas d’arrangements sophistiqués, pas de grands moyens audiovisuels, pas de contexte immersif. Mercredi soir au MTELUS, Angélique Kidjo choisissait de carburer à l’huile de bras, optant ainsi pour la vieille école des soirées afro-pop : percussions ouest-africaines, batterie, guitare, basse et une chanteuse assurément survoltée. Rien d’autre. Ce qui n’a aucunement empêché son public de danser et lui manifester bruyamment son amour et son admiration.

Une quinzaine de chansons étaient inscrites au programme : originales de Kidjo, dont Africa, One of a Kind, Do Yourself, Sahara, Meant for Me, Choose Love, Mother Nature, Free and Equal. Plusieurs titres  provenaient de son plus récent album sorti en 2021, Mother Nature, mais sans le lustre des excellentes productions afrobeats,  proéminentes dans cet enregistrement de fort belle tenue.

Le public a aussi eu droit aux reprises connues de l’interprète dont Bemba Colorá (Celia Cruz), Crosseyed and Painless et Once In A Lifetime (Talking Heads) ou encore Pata Pata (Miriam Makeba) en mode accéléré. Le tout fut assorti d’une apparition surprise du chanteur louisianais Zachary Richard dans une version presque rap du classique cajun L’arbre est dans ses feuilles, version prévue en duo via laquelle Angélique a visiblement éprouvé quelques difficultés d’adaptation.

Pour le reste, concert fondé exclusivement sur la seule et solide performance de sa soliste africaine, valeur sûre devant l’Éternel.

Chanda & The Passengers : funk vintage

Dans un même esprit vintage, la formation montréalaise Chanda & The Passengers, chapeautée par la soliste Chandra Holmes, a offert une performance digne des années 60 et 70, soit une approche funk à la James Brown, à la Parliament/ Funkadelic, à la Chic, à la Cameo… Cette magnifique chanteuse à la spectaculaire tignasse afro peut compter sur un puissant registre d’alto/contralto et s’exprime dans les règles de l’art d’une époque antérieure à la sienne.  C’est idem pour ses musiciens férus de funk, de jazz et aussi de musique afro-latine… de la génération précédente. Les époques cohabitent au présent, force est de constater une fois de plus…

Alain Brunet

Boulila & Friends font sauter et se heurter le Club Ballatou

Boulila & Friends a offert un rythme régulier de fusion africaine, de funk, de blues et de jazz gnawan à une salle comble au Club Ballatou. En entrant, la piste de danse s’est immédiatement remplie, avec un groupe de neuf musiciens : un saxophoniste (le seul et unique Damian Jade Cyr de Montréal), une batterie, des choristes, une basse et des claviers, et le leader de Boulila, Boudouch Yassine, à la guitare et au Xalam (une guitare à deux cordes de la taille d’un gros ukelele).

Ce groupe était ridiculement soudé et bien préparé, se lançant dans des jams instrumentaux entre les numéros d’afro-fusion, et reprenant le refrain en union sans se regarder les uns les autres. Le groupe nous a emmenés dans le désert avec un blues saharien presque touareg, rappelant quelqu’un de Mdou Moctar, mais aussi le Calypso avec les rythmes. C’était une performance mystique combinant le son africain avec une fusion plus occidentale, et le public l’a adorée.

Stephan Boissonneault

Naxx Biota a une voix pour la scène

En apportant un peu de rumba congolaise et un style serein à Montréal, Naxx Biota a séduit le Club Ballatou, même si la foule commençait à s’éloigner, car il était 23 heures. Mais sa voix pleine d’âme les a convaincus de rester pendant presque toute la durée du concert. La voix et les mouvements de Naxx Biota sont à la fois enjoués et robustes. Bien que la musique soit rythmée et bien conçue, ce sont ses mouvements de danse et ses visages qui captivent le public. Il y a tant de passion dans ces chansons. Engagée mais très festive, elle poursuit son inspiration dans son style « Mutuashi-Rumba-Sebene » de grande qualité. Je n’ai jamais vu une telle performance. Whitney Houston rencontre Erykah Badu.

Stephan Boissonneault

Un 8 juillet au FIJM: The Brooks, Braxton Cook, Édelène Fitzgerald, High Klassified

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

The Brooks enchante la place des festivals en clôture du FIJM

Crédit photo : Benoit Rousseau

Appelé en renfort mercredi dernier afin de remplacer Macy Gray qui devait initialement se produire sur la grande scène du FIJM, Place des Festivals, le groupe jazzy funk montréalais The Brooks a assuré avec brio le concert de clôture de l’édition 2023. Mené entre autres par Alan Prater au chant et Alexandre Lapointe à la basse, l’octuor a su se tailler au fil des années une place sur la scène groove et briller au Québec et au-delà de nos frontières.

Samedi soir, le band a navigué avec aise dans le funk, le jazz et la soul. The Brooks a exécuté ses meilleurs titres tels que Priceless et Pain & Bliss et a offert une musique qui fait assurément bouger. Tout au long du spectacle, chacun des membres du collectif a eu son moment pour briller, donnant lieu à un solo enlevant du guitariste Philippe Look. Le chanteur et musicien du groupe, Alan Prater, est un véritable showman et a tout donné; Prater était en pleine maîtrise sur la grande scène.

En prime, The Brooks a fait appel aux très aimées chanteuses Dominique Fils-Aimé et Hanorah. Dès son arrivée, Fils-Aimé a fait chavirer le rythme en transportant le public dans son univers plus calme et ombragé. Quant à elle, la deuxième invitée a su charmer le public avec sa reprise du célèbre titre I Try de Macy Gray, probablement une mince consolation pour les amateurs qui souhaitaient voir l’Américaine au festival. Après près 90 minutes de prestation, Alan Prater avait un dernier tour dans son sac et a laissé place à un invité afin qu’il demande sa copine en mariage. Évidemment, la principale concernée a accepté la grande demande et c’était l’extase. Difficile de demander mieux pour clore le FIJM.

Jacob Langlois-Pelletier

Braxton Cook, voir de près une étoile qui monte

Braxton Cook et son quatuor ont illuminé la scène de la tente du Pub Molson hier soir avec une performance passionnée, fougueuse , émouvante. Le travail magistral de Cook au saxophone est toujours un plaisir à écouter, mais cette soirée a également été une vitrine pour le côté auteur-compositeur-interprète de Cook, étoile montante dans le firmament du jazz.

Braxton a inauguré le concert avec l’une de ses compositions les plus connues, No Doubt., un numéro rythmé et émouvant que le groupe chevronné a parcouru avec facilité. Il a enchaîné avec M.B, le premier morceau de son dernier album, Who Are You When No One is Watching, un morceau lourd avec une sorte de rythme trap qui est une dédicace à Ma’Khia Bryant, l’une des les nombreuses victimes de la brutalité policière et du racisme systémique aux États-Unis.

Cook avait une présence scénique charismatique qui n’exclut pas la gentillesse. Il a pris le temps d’entrer en communication avec le public et d’engager ce dernier tout au long du set, offrant un aperçu de comment et pourquoi ceci ou cela a été écrit.

Le groupe a ensuite pris un virage plus pop, avec une interprétation de certaines des chansons du dernier album de Cook, comme 90’s qui présente Masego sur l’original. La voix de Cook a certes brillé mais le choix du lieu n’était pas le mieux adapté pour les moments intimes entre le public et l’interprète. Qu’à cela ne tienne, les spectateurs semblaient vraiment avoir du plaisir. Et je suis sûr que quelques personnes dans ce public ont découvert leur nouvel artiste préféré.

Varun Swarup

High Klassified et ses amis s’éclatent en fin de soirée

Crédit photo : Benoit Rousseau

Le tout dernier spectacle de la mouture 2023 du FIJM était confié au producteur montréalais High Klassified, et sa prestation était très attendue à en juger la masse de festivaliers présents sur l’Esplanade de la Place des Arts, vers 23h. Au cours des dernières années, le beatmaker a connu une ascension fulgurante dans le monde de la musique notamment en étant celui derrière Comin Out Strong de The Weeknd et Future.

En voyant son nom au menu de la soirée au FIJM, on ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Accompagné sur scène du pianiste Nathan Dumont, du batteur Alexis Gagnon et du bassiste Paul Charles, il a proposé un « set 100% Klassified » composé de ses morceaux les plus populaires réimaginés en formule band, allant du R&B à l’EDM en passant par la drum’n’bass. Soutenant qu’il était le « chef d’orchestre de la soirée », le producteur a essentiellement fait jouer les enregistrements de ses différents titres étoffés par le travail des trois musiciens. Pendant le spectacle, High Klassified a plutôt agi en tant qu’animateur en lâchant quelques mots au micro ici et là. Il faut aussi dire que les moments de silence entre les différents morceaux brisaient le rythme du concert, surtout dans le premier droit.

Heureusement pour le public, High Klassified a fait appel à trois artistes au courant de son set, soient Hubert Lenoir, Zach Zoya et Cherry Lena. Les différents invités ont interprété certains de leurs titres produits par le Québécois, dont DIMANCHE SOIR pour Hubert Lenoir. Une chose est certaine, il est intéressant de voir le Lavallois évoluer sur scène, mais cette formule devra être retravaillée. Saluons néanmoins les efforts du producteur afin de transformer ces morceaux pour l’occasion.

Jacob Langlois-Pelletier

Edelène Fitzgerald, Prix Oliver-Jones parfaitement justifié !

On peut d’ores et déjà parler d’une consécration locale: Édelène Fitzgerald a reçu samedi le Prix Oliver-Jones et s’imposait du coup parmi ces jeunes artistes québécois  qui s’élèvent au-dessus de la mêlée. Présent en toute générosité malgré ses 89 ans, le fameux pianiste lui a décerné le prix qui porte son nom, estimant que le “talent québécois est là” et qu’il faut “être fier de notre jeunesse”. 

Édelène se lance avec un nom de famille plutôt connu (!!!) dans le monde du jazz, voilà une arme à double tranchant. Pour l’instant, en tout cas, ça ne tranche que du bon côté! Tromboniste pendant huit ans et plus, elle s’est finalement consacrée au chant vu ses aptitudes évidentes: voix chaude d’alto, diversité de textures vocales, bon sens de l’improvisation, puissance à revendre. 

Elle peut fort bien s’approprier la musique “qui décoiffe”  de Nubiyan Twist ou de Genevieve Artadi, tout en adaptant Queen B de belle façon ou même A Night In Tunisia de Dizzy Gillespie. C’est à mon sens cette avenue  qui lui va le mieux pour se distinguer clairement de ses pairs.  

L’accompagnement est généreux, il faut dire: claviers, basse, batterie, guitare électrique, saxophone, trompette. Ce n’est pas toujours impeccable, on cherche parfois le fil conducteur à ce répertoire. On voit rapidement qu’Édelène Fitzgerald et ses collègues, tous très prometteurs au demeurant,  ne sont pas encore très loin de leur propre éducation musicale et qu’ils réunissent plusieurs de leurs apprentissages au sein d’un même set sans en souder les liens esthétiques.  

Mais… plus d’une heure de concert permettent de conclure à du talent brut qu’il faut absolument développer.  Prix justifié !

Alain Brunet

Un 7 juillet au FIJM: Robert Plant, Alison Krauss, Badbadnotgood, Teke::Teke, Mali Obomsawin…

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Robert Plant et Alison Krauss: la grande classe !

crédit photo: Victor Diaz-Lamich

Il faut le souligner de nouveau: très peu nombreux sont les artistes populaires capables de nourrir leur inspiration jusqu’au bout de la route, et Robert Plant est de ces rarissimes figures emblématiques à avoir réussi cet exploit. Vendredi soir à la Salle Wilfrid-Pelletier, un concert de très haute tenue en faisait encore l’éloquente démonstration : le superbe tandem formé avec l’artiste americana Alison Krauss et une formation d’exception.

La longévité de Robert Plant tient aussi à la cohérence de sa démarche, une vie durant. Rappelons-nous que Led Zeppelin fut au départ un groupe britannique essentiellement inspiré par le rock’n’roll, le blues et le folk américains, avec cette particularité de muscler considérablement  la proposition via les transes générées par les rythmes très lourds de feu John Bonham, les riffs acidulés du guitariste Jimmy Page et de la voix paroxystique de Robert Plant. On se rappellera aussi de l’usage inspiré de référents orientaux et d’arrangements brillants du bassiste John Paul Jones, inspirés de la musique classique moderne occidentale.

Tout ça était perceptible vendredi soir (sauf la musique classique), mais dans un contexte fort différent. La formation réunissait des musiciens américains de haute volée, crème de la crème americana – Jay Bellerose, batterie, Stuart Duncan, banjo, violoncelle, mandoline, Viktor Krauss, basse, guitare, JD McPherson, guitare et concert d’introduction, Dennis Crouch, contrebasse. Sans conteste, cette instrumentation était propice à tous les croisements entre les éléments constitutifs de la musique populaire américaine, et aussi à de brillantes adaptations de Led Zep. 

Tour à tour, on a entendu les reprises en tandem de Rich Woman (Lil’Millet), Fortune Teller (Benny Spellman), Can’t Let Go (Randy Weeks), The Price of Love (Everly Brothers), suivies d’une parfaites relecture  ledzeppienne, soit Rock and Roll et une reprise inspirée de Please Read the Letter (Plant et  Page) On a poursuivi avec High and Lonesome (Plant et T Bone Burnett), Trouble With My Lover (Allen Toussaint & Leo Nocentelli), In the Mood (Plant), puis une paire de chants traditionnels avec paire de solistes, soit Marty Groves et Gallows Pole avant de filer vers la conclusion, avec une magnifique adaptation orientalisée d’une chanson  folk ledzeppienne, The Battle of Evermore. On fermera les livres dans le ravissement total avec When the Levee Breaks (Memphis Minnie et Kansas Joe McCoy).

Un demi-siècle après avoir atteint les cimes du rock, Robert Plant n’a jamais abandonné ces référents et pourtant, il est le seul membre de Led Zep à cheminer dans la grande création – quoique John Paul pourrait être encore pertinent. 

Ainsi, depuis une quinzaine d’années, Plant explore les fondements de la culture americana comme peu de Britanniques l’ont fait à un tel niveau – blues, rock, bluegrass, R&B louisianais, folk, country, musiques des Appalaches, etc.. Il le fait en Amérique du Nord comme en Europe, on a tour à tour applaudi Band of Joy (2010), Lullaby and the Ceaseless Roar (2014), Carry Fire (2017) mais… Raising Sand (2007) et Raise the Roof (2021), ses deux albums en duo avec Alison Krauss ont obtenu le plus d’impact. On peut comprendre car Raising Sand est en quelque sorte la porte d’entrée de ce cycle extraordinaire. Inutile d’ajouter qu’Alison Krauss, une chanteuse et violoniste exemplaire pour son allégeance esthétique au country-folk-américana et aussi au violon traditionnel, forme un duo idéal avec l’ex-frontman de Led Zep.

Et c’est exactement ce qu’on a observé vendredi soir au FIJM, soit encore plus qu’en 2011 lorsque Plant s’était produit façon americana à la PdA avec l’inspiré et compétent Buddy Miller à la direction musicale. Quoique… ce fut excellent il y a 12 ans. C’est dire la pérennité du chanteur anglais, parmi les plus grands à n’en point douter.

Alain Brunet

TEKE::TEKE, tous les éléments réunis pour une grande célébration de créativité

crédit photo Frédérique Ménard-Aubin

Lors de notre récente interview avec TEKE::TEKE, le groupe était un peu inquiet d’attirer suffisamment de monde pour assister à sa représentation au FIJM. En fait, ils n’avaient vraiment rien à craindre. Jouant devant une salle comble au Club Soda, cette soirée était une célébration de ce groupe montréalais absolument unique, devant un public constitué de nombreux fans et de sa famille élargie.

Le septuor s’est hissé cérémonieusement sur scène avec une musique de film en toule de fond. Donner le ton avec Gotoku Lemon – une excellente introduction à leur art-rock immergé dans le monde sonore eleki – toute apparence  d’hésitation a rapidement disparu, et le groupe a contaminé le public. Nous allions choper un virus très spécial !

Maya Kuroki, la sirène aux manettes, manifeste une présence scénique envoûtante. Vêtue d’un costume traditionnel japonais, elle portait de sa voix tout le poids du folklore ancien, perçant le voile entre réalité et imaginaire. Elle dansait et se balançait, entraînant toute la congrégation dans un état de transe . « Ce soir, nous sommes tous des fantômes », a-t-elle lancé au mégaphone. Touche particulièrement sympa !

Derrière Kuroki, le sextet a rapidement puisé sans ses arrangements cinématographiques, uniques et funky, le programme se voulait une vitrine pour le nouvel album Hagata. L’énergie que ces artistes apportent est vraiment épidermique et on aime que le groupe y confère une   théâtralité singulière. Ainsi Teke::Teke  a monté un spectacle dans le plus pur sens du terme. 

Cette musique est une authentique célébration de la créativité, de l’expérimentation inter-genres et interculturelle, et faire partie de cette célébration était un privilège.

Varun Swarup

Badnadnotgood: « expérience audiovisuelle »pas vraiment mauvaise… et pas vraiment bonne

crédit photo: Benoît Rousseau

Ce n’était pas vraiment mauvais… et pas vraiment bon. Il s’agissait de BADBADNOTGOOD, le trio de jazz instrumental monstrueux et changeant, bien qu’il ait joué en live en tant que cinq musiciens sur la scène principale du FIJM. Le set a commencé par un enregistrement de War Pigs, beaucoup trop fort, avant que le bassiste Chester Hansen n’enclenche sa pédale fuzz. Le début ressemblait plus à un concert de doom rock qu’à un concert de jazz et la foule semblait un peu bizarre, mais une fois que le reste du groupe – Alexander Sowinski à la batterie, Leland Whitty au saxophone et aux guitares, Felix Fox aux clés et Juan Carlos aux percussions – est arrivé, le spectacle a pris forme et ils ont plongé dans Signal From The Noise, tiré de leur dernier album, Talk Memory.

Cette fois-ci, le groupe torontois est venu avec un fantastique fond de film 16 mm, qualifiant le spectacle d’expérience audiovisuelle à plusieurs reprises. Depuis 2019, Matthew Tavares, membre fondateur du groupe, n’est plus au clavier et a été remplacé par Felix Fox, un claviériste tout aussi mesuré, mais les trois membres restants ont été les principales vedettes du spectacle, chacun prenant ses propres solos improvisés et groovy entre les chansons de l’album Talk Memory. Sowinski a joué le rôle de « hype man », incitant le public à sauter, à applaudir et à « woo » à certains moments précis.

Il y a eu quelques hommages improvisés à la chanteuse brésilienne Gal Costa et MF Doom, qui ont fait vibrer la foule, mais rien de comparable à l’interprétation de Lavender de IV, sans doute leur album de jazz le plus abouti et le plus accrocheur.Je dirais que Talk Memory est une expérience plus agréable en live que sur l’enregistrement, et bien que le set consistait principalement en cela et que j’espérais plus d’IV et peut-être quelques interprétations de Sour Soul, c’était quand même un show mémorable.

Stephan Boissonneault

L’OVNI FELP atterrit sur l’Esplanade

Le multi-instrumentiste et réalisateur originaire de Besançon a balancé son récent album HELP ainsi que d’autres surprises sur la scène Club Montréal TD.

Après une longue intro atmosphérique aux tons de clavier-basse et saxophone ondulants, Félix Petit prend l’arrière-plan et laisse se produire un à un les invités figurant sur son album. Laurence-Anne vient interpréter la sinistre Dino, dont la propulsion du refrain semble toujours surgir de nulle part. Ensuite, au tour d’une Klô Pelgag, d’une nonchalance rêveuse, d’interpréter Babyfoot, chanson glaciale qui demande une telle attitude. Greg Beaudin, HAWA B, le rappeur de Besançon Miqi O, la tête du groupe Bellflower Em Pompa, tous et toutes se sont succédés au micro.

Le concert est devenu étonnant à partir de la moitié, alors que Félix Petit et ses musiciens ont entrepris de jouer un segment instrumental. Ce qu’on pensait être un simple interlude n’a cessé de se métamorphoser. La musique alternait entre des rythmes plus roc(k)ambolesques les uns que les autres. À la fin de ce pot-pourri d’environ dix minutes, on oubliait presque qu’il restait encore un dernier invité au programme, mais on se l’est rappelé bien vite… car Hubert Lenoir a volé la vedette illico ! Il a brillé, déchiré et pris le contrôle de la scène pour une finale tout simplement énorme. Difficile de le voir comme artiste invité, lui.

Bien que le contexte live ne permette pas autant de détails que ce que HELP offre dans nos oreilles, ce spectacle, avec son équipe d’étoiles, était vraiment digne du plus grand festival de jazz au monde.

Théo Reinhardt

Mali Obomsawin: la renaissance autochtone passe aussi par le jazz contemporain

crédit photo: Pierre Langlois

Puisque nous sommes encore en pleine renaissance de la culture autochtone, toute nouvelle  manifestation de créativité titille notre curiosité et celle de la contrebassiste, chanteuse, compositrice, improvisatrice et leader abénakie Mali Obomsawin n’y fait pas exception. 

On devinera que le Studio TD était plein pour ce premier concert de la musicienne venue en sextuor : Magdalena Abrego (guitare), Scott Bevins (trompette), Allison Burik (clarinette), Noah Campbell (saxophone), Zack O’Farrill (batterie), Mali Obomsawin (contrebasse et chant).

La leader de l’ensemble a grandi dans le New Hampshire mais connaît fort bien Odanak, fief de la nation Abénakie planté près de la rivière Saint-François et non loin du lac Saint-Pierre. Elle s’exprime en angais et en abénaki, elle est clairement à fond dans l’affirmation de son identité autochne, qu’elle assortit d’une critique acerbe (et parfaitement légitime) du colonialisme blanc et de l’oppression catholique.  

Musicalement, ce désir d’actualisation de l’héritage culturel autochtone dans un contexte jazz se traduit par une esthétique contemplative, parfois ponctuée de secousses et éruptions. Des  chants autochtones sont ici des vecteurs mélodiques autour desquels les improvisations, parfois mélodiques, parfois atonales, s’élaborent doucement en temps réel, sur tempos généralement lents. La complainte, la colère mais aussi la fierté et l’espoir se manifestent dans un calme apparent, dont on finit par décrypter la nature.

Les mélodies et rythmes autochtones dont Mali Obomsawin fait usage sont simples et purs. L’intégration de ces matériaux traditionnels dans le jazz contemporain, une pratique musicale forcément plus complexe est une étape incontournable à l’essor des Premières Nations à travers la création musicale. La contrebassiste, chanteuse et leader peut compter sur une solide éducation musicale en jazz de chambre contemporain, comme c’est le cas de ses collègues, sans toutefois révéler un niveau exceptionnel dans l’exécution. 

Néanmoins, on passe un bon moment avec Mali Obomsawin, on apprécie son jeu, son chant, son esprit, sa direction, et aussi sa reprise touchante de Buffy Sainte-Marie, Little Wheel  Spin And Spin.

Et  on est curieux de la suite. Le jazz autochtone ne compte pas énormément de praticiens. On connaît surtout (et pas assez) la chanteuse swing Mildred Bailey(1907-1951), issue de la nation Coeur d’Alene dans l’Idaho , authentique pionnière du chant jazz ayant été une grande influence pour les plus grandes – Ella Fitzgerald, notamment. On connaît aussi feu Jim Pepper (1941-1992), très bon saxophoniste ténor issu de la nation Muscogee Creek, collaborateur de Charlie Haden dans le Liberation Music Orchestra, musicien à qui l’on doit ausi  l’hymne Wichitai To, que connaissent tous les fans de Robert Charlebois sans nécessairement en savoir les origines. 

Il y a certes d’autres musiciens autochtones qui circulent sur la planète jazz, on imagine qu’il y en aura beaucoup plus dans un avenir pas si lointain.

Alain Brunet

Un 6 juillet au FIJM: Tank & The Bangas, Chucho Valdés, Kassa Overall, Colin Stetson…

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Tank & The Bangas, La Nouvelle-Orleans de 2023 et sa jambalaya musicale

crédit photo: Benoît Rousseau

On associe La Nouvelle-Orléans à Louis Armstrong, Wynton Marsalis et sa famille, Terence Blanchard et les nombreux brass bands. Bref, le jazz sous de multiples formes.

Mais La Nouvelle-Orléans est aussi funk, R&B et bounce, comme on nomme la variété régionale du hip-hop.  S’il y a un groupe qui incarne la fusion musicale de la métropole louisianaise en 2023, c’est bien Tank and the Bangas. 

Cette formation malaxe tous les styles de La Nouvelle-Orléans et fabrique son propre son, comme la cuisine créole de la ville mélange la cuisine française, antillaise, espagnole et américaine.

Hier soir sur la Place des Festivals, Tarriona « Tank » Bell et ses amis en ont fait la flamboyante démonstration. Tout le groupe est vêtu de rouge, à l’image de l’album Red Balloon, sorti en 2022.  Pas de doute: nous allions danser, lever les bras, taper des mains, mais devant une toile musicale savante et étoffée .

Le saxophoniste et flûtiste Etienne Stoufflet insuffle l’âme jazz au groupe. La  basse de Jonathan Johnson en assure la base funk. Et le reste du groupe entre dans la danse. Mais il n’y a pas de Tank and the Bangas sans Tank Bell, qui est l’épicentre du groupe. Tank peut chanter soul, rapper, faire de la poésie, crier, chuchoter. La foule suit.  La rondelette chanteuse est une femme à la fois forte et vulnérable, c’est ce qui touche les spectateurs.

Tout au long de la soirée, le groupe alternera entre rythmes furieux et ballades introspectives. Belle soirée, chaude soirée ! Il suffisait de voir les nombreux sourires au sein de la foule très diversifiée pour s’en convaincre.

Michel Labreque

L’immense legs de Chucho

crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin

Le pianiste Jesus « Chucho » Valdes est un monument du latin jazz, autant pour son physique colossal que pour son immense contribution au jazz moderne d’inspiration latino-américaine et d’ascendance africaine. Autrefois leader et principal compositeur de la mythique formation cubaine Irakere, Chucho fut longtemps Ze référence du piano latin jazz, et ce malgré les tensions toujours présentes (et toujours ridicules) avec Los Estados Unidos.  

En 2023? On pardonnera à l’octogénaire de strictement gérer son patrimoine, au plus grand plaisir de ses fans venus remplir le Théâtre Maisonneuve à pleine capacité, jeudi soir.

Octogénaire en pleine possession de ses moyens, le pianiste et ses brillants acolytes ont parfaitement résumé ce legs en une chaleureuse représentation.

La technique de Chucho a longtemps jugée exemplaire : solide formation classique à la soviétique (dans ses impros, on l’a entendu encore citer Mozart, Chopin, Debussy, Rachmaninov), culture complète du piano jazz moderne ou contemporain (sa reprise de Armando’s Rhumba de Chick Corea était exemplaire) et sa propre contribution consiste à adapter ces connaissances au sillon pianistique de  la musique cubaine  moderne- Rubén Gonzales, Frank Emilio, Emiliano Salvador, etc. 

On lui doit bien sûr des innovations singulières au clavier, notamment ces motifs ultra-rapides exécutés en ostinato par la main droite, en parfait synchronisme avec des mélodies ou autres motifs harmoniques articulés par la main gauche. Évidemment, les tumbaos et autres procédés typiques du piano latin sont au menu de Chico. Peut-on lui reprocher de piocher ? Parfois, son exubérance percussive sur les ivoires est un peu too much en ce qui me concerne mais….ses fans, majoritairement latins en cette soirée montréalaise,  adorent ce genre de débordement. Que dire de plus?

On devinera que le pianiste légendaire ne s’entoure pas de pieds de céleri : Horacio Hernandez, batterie, José A. Gola, basse, Roberto Jr. Vizcaino, percussion. Ce dernier fut particulièrement impressionnant, sa maîtrise hallucinante des percussions afro-latines n’était pas sans rappeler celle des plus grands maîtres tel Giovanni Hidalgo.

Autour de Chucho Valdés, aujourd’hui âgé de 81 ans, ce quartette aura présenté le nec plus ultra du latin jazz, bien sûr lié à une autre époque, celui de sa génération. Immense respect.

Alain Brunet

Kassa Overall: chaos organisé

crédit photo: Marie-Emmanuelle Laurin

Touffu, chargé, un tantinet bordélique, groovy, toujours sympathique. Diplômé du fameux conservatoire d’Oberlin (Ohio), ce batteur originaire de Seattle est aussi rappeur et chanteur. Ses qualités vocales sont cependant moindres que ses remarquables habiletés aux percussions. Son flow n’est pas celui de ses invités (Danny Brown, Lil B, Shabazz Palaces, etc.) sur son album Animals, sorti cette année chez Warp, un label enclin normalement aux musiques électroniques cette fois ouvert au jazz assorti de beatmaking.  

Son chant est ténu, pas toujours juste devant public, mais Kazza Overall s’en sort bien malgré ses carences. Car il est un showman parmi les plus allumés du jazz actuel. 

À ses côtés se trouvent l’excellent percussionniste Bendji Allonce (natif de Montréal) exprime sa culture haïtienne en incluant des rythmes vaudous et afro-antillais  son approche; fluide à souhait, le pianiste Ian Fink possède les atouts nécessaires à une carrière internationale; au sax soprano et aux percussions incluant la batterie, le multi-instrumentiste Tomoki Sandera apporte de belles couleurs à l’ensemble et le soutien du bassiste Giulio Xavier Cetto s’avère impeccable. 

Kazza Overall, 40 ans,  a grandi avec le hip-hop et a parfait son éducation en jazz et en percussion classique, il fut sideman pour nombre de pointures dont feue la pianiste Geri Allen. Son projet fusionne à l’évidence tous les éléments constitutifs de sa culture personnelle et cette culture se déballe dans un joyeux bordel sur scène, chaos néanmoins organisé malgré quelques moments d’errance. Cool.

Alain Brunet

Colin Stetson en direct de son univers: respiration circulaire, micro-contacts…

Dans un Gèsu sombre, meublé de projections abstraites et d’effets stroboscopiques, on se serait davantage cru au Suoni Per Il Popolo qu’au FIJM C’est sans doute ce qui explique le départ précipité d’une poignée de spectateurs dès les premières plaintes multiphoniques de Colin Stetson. Par contre, les initiés auront été bien servis.

Le musicien était seul sur scène, mais les sources sonores étaient multiples. Stetson a effectivement développé son style iconoclaste en agrafant des microphones un peu partout sur ses colonnes d’air. Cette captation complexe permet entre autres de faire ressortir un jeu percussif sur les clés de l’instrument, mais également les dynamiques les plus subtiles du souffle au contact de l’embouchure. Un capteur piezo placé sur la gorge permet également d’amplifier les effets de voix, qui sont par la suite modulés via leur passage à travers l’instrument. Même sachant cela, la performance n’en était pas moins mystifiante, alors qu’on peinait parfois à identifier quelle combinaison de technique pouvait produire des textures complexes. Pourtant, aucune pédale à effet ni boucle n’y était pour quelque chose.


Lorsqu’on écoute ses albums, il est facile d’oublier les prouesses nécessaires à une telle exécution, alors qu’il est toujours théoriquement possible de se rabattre sur des enregistrements superposés ou du travail de postproduction. Voir Colin Stetson en spectacle confronte immédiatement l’auditeur au fait de sa respiration circulaire, qui semble pouvoir s’éterniser à volonté. En pleine maîtrise de son univers sonore, le saxophoniste a livré une exécution hypnotique de son répertoire, lequel était centré sur des morceaux relativement drone et à longs développements. À la sélection de pièces du dernier album When We Were That What Wept for the Sea, quelques morceaux aux fondements plus rythmiques de All of this I do for Glory auraient bien complété le programme.

Laurent Bellemare

Un 5 juillet au FIJM: Thundercat, Genevieve Artadi, Annahstasia, Ping Pong Go, Jupiter…

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Thundercat est le space cowboy funky de nos rêves

Thundercat / Benoit Rousseau

Malgré la chaleur accablante du 5 juillet, des milliers de personnes se sont rassemblées à la Scène TD pour voir Thundercat, le bassiste virtuose qui a produit la musique de certains des artistes les plus influents de la dernière décennie : Kendrick Lamar, Flying Lotus, Gorillaz, Ariana Grande, Anderson .Paak, etc.

Il jouait bien sûr de sa propre musique, principalement celle de son dernier album de jazz-fusion, It Is What It Is. Dès les premiers instants, Thundercat (de son vrai nom Stephen Bruner) a fait comprendre à la foule que cette prestation allait être plus jazz que la plupart des autres – car il joue au FIJM – en jouant un solo de basse ridiculement free jazz sur sa classique basse à six cordes orange brûlé, plein de pops et de virages à nous faire tourner la tête. Allô Victor Wooten?

Non, Thundercat est son propre maître et donne l’impression que c’est trop facile et on peut dire qu’il aime ça, souriant d’un grand sourire de Cheshire entre les chansons. Et ses falsettos vocaux montent en flèche, comme s’il était un Marvin Gaye moderne avec un peu plus de delay et de filtre d’écho. Mais son groupe, Justin Brown à la batterie et Dennis Hamm au clavier, était tout aussi talentueux, prenant leurs propres solos de cinq minutes entre les chansons. Ce qui distingue Thundercat des autres, c’est son adoration pour la culture pop, les animes, les films et les jeux vidéo, et il l’a fait savoir pendant son concert, en parlant de son enthousiasme pour les trois derniers épisodes de l’épopée fantastique ninja, Naruto. Cet aspect de Thundercat est indissociable de ses paroles et de sa tenue de scène – collier doré Sonic the Hedgehog, t-shirt rayé Felix the Cat et un trésor de tatouages de références aux jeux vidéo et aux animes, [See You Space Cowboy…] – montre un homme qui sait de quoi il parle.

La setlist était principalement composée de titres plus récents, datant des deux dernières années, mais il y avait quelques grands succès de Drunk comme A Fan’s Mail, Tron Song et Friendzone. Une surprise, juste pour le FIJM, a été la présence de Louis Cole à la batterie pour le titre I Love Louis Cole. Il s’avère que les deux sont de très bons amis. Tout le monde attendait Them Changes, et Thundercat a livré une version plus improvisée de son épopée bass funk. Il est ensuite parti et est revenu pour jouer No More Lies, le morceau qu’il a sorti il y a peu avec Tame Impala. Il aurait peut-être été plus judicieux d’intervertir l’ordre de ces deux dernières chansons, le public étant devenu beaucoup plus électrique pour Them Changes. Un concert du FIJM à graver dans nos mémoires.

Stephan Boissonneault

Geneviève Artadi, songwriting d’un autre type

Genevieve Artadi est liée à cette scène californienne d’un renouveau moins en moins neuf, en marche depuis la fin des années 2000, avec les Flying Lotus, Thundercat, Terrace Martin, Sounwave et autres Cameron Graves.  Avec trois albums à son actif, on la compte parmi les rares chanteuses à formuler de telles propositions : créer des refrains, couplets et ponts sur des charpentes harmoniques et figures rythmiques complexes inspirées du jazz contemporain, du jazz-fusion et de l’électro-jazz. 

À l’orée de la nuit, le Studio TD était rempli à craquer pour accueillir cette chanteuse atypique. A-t-on craqué pour elle? Sa voix haute et claire est limitée en puissance et en texture, mais sa personnalité extravertie compense pour cette relative ténuité vocale qui peut devenir un irritant. Cette tension de cette petite voix avec le muscle du soutien rythmique est non sans rappeler  Deerhoof, et la comparaison s’arrête là car nous sommes vraiment sur le terrain du jazz et le super batteur de Mme Artadi se nomme Louis Cole dont on kiffe totalement le big band. 

Les autre membres de la formation sont l’excellent guitariste Adam Ratner et nulle autre que la claviériste Isis Giraldo, alias Chiquitamagic, très douée Colombienne qui a fait ses études en piano jazz à Montréal et qui fait désormais carrière dans les grandes ligues. Elle a progressé vers la production, le beatmaking et le jeu de claviers en temps réel, elle fréquente la famille élargie de Louis Cole depuis quelques années et la voilà à la direction musicale de Genevieve Artadi.  Bravo et cool soirée chez Genevieve Artadi.

Alain Brunet

Ping Pong Go font du cosmos leur terrain de jeu

Entre 19 et 20h sur l’Esplanade, ce groupe formé du claviériste Vincent Gagnon et du batteur P-E Beaudoin cuisait pour toutes les bonnes raisons. On a pu voir ces deux fourmiller un peu partout sur la scène émergente franco-québécoise dans les dernières années, entre les Hubert Lenoir, Keith Kouna, Lou-Adriane Cassidy, Tire le coyote et bien d’autres. Pour leur concert au FIJM, Lysandre Ménard et Cédric Martel s’ajoutaient à l’équipe, aux claviers et à la basse respectivement.

On peut dire que Ping Pong Go redonne son sens galactique au mot « nébuleux ». La musique du groupe semble venir du cosmos, sans doute grâce aux sonorités de ses nombreux synthétiseurs. Épopée à travers les planètes ou voyage planant nocturne au-dessus d’un paysage urbain, les deux se valent. Même sous le soleil de 19h, dans la chaleur suffocante de cette journée, on réussissait à nous emmener ailleurs, sans oublier un détour chez Billie Holliday et un passage dans un coin qui rappelle pas mal Talking Heads. 

En voyant Ping Pong Go jouer sur scène, le nom du groupe prend tout son sens. Chaque morceau est une partie de tennis de table : la basse et les percussions montent la table, les claviers se renvoient la balle, le rythme monte… et le tout se termine par un smash! éclatant.

Bref, place aux solos de synthés criards, à une molette de modulation acharnée, place à la prouesse technique et technologique, place au space-jazz-prog-jam, place aux grimaces, aux sourires, aux regards complices, et à toute cette vibrance. Place à Ping Pong Go!

Théo Reinhardt

Annahstasia, beau moment d’instrospection

Je ne connaissais rien d’Annahstasia quand je suis arrivé à la scène Rio Tinto du festival. J’ai tout de suite été happé par cette voix. Dans une enveloppe musicale plutôt douce, Annahstasia est parfois déchirante. Cette jeune dame sait alterner entre l’extrême douceur et le cri.

J’ai appris qu’Annahstasia Enuke est une nigériane américaine basée à Los-Angeles. Qu’elle a enregistré un EP cette année, intitulé Revival.

Est-elle soul, folk ou jazz? Plutôt folk, repondrais-je, mais avec des attirances vers le soul-jazz. Le mélange de violoncelle, guitare, basse et clavier confère de la profondeur aux arrangements .

Une partie de la foule était vraiment subjuguée , malgré la chaleur accablante de cette soirée. Je suis toujours fasciné par la capacité du public à écouter quand c’est essentiel. Et, cette heure de concert était essentielle.

Cette voix qui peut jouer sur plusieurs octaves nous conviait ainsi à une sorte d’intimité, d’énergie essentielle.

Annahstasia nous dit qu’il faut être gentil et respectueux . Et beaucoup de chansons parlent de pouvoir féminin.

Elle a fini par demander en français ; « C’est bien? » J’ai répondu: « c’est très bien ».

Michel Labrecque

Jupiter sur Terre

Jupiter Bokondji, né Jean Pierre Bokondji Ilola, propose une infusion frénétique de musique congolaise qu’il croise avec une culture populaire clairement mondialiste. La musique de ce bouillant frontman (et son groupe Okwess) se fonde sur la rumba / soukouss, fondement de la musique pop congolaise moderne, mais aussi d’attitude rock comme on en trouve peu sur le continent noir. Même si sa voix rauque et grave dépasse à peine un octave, le chanteur en impose, son autorité sur scène ne fait aucun doute. Les curieux venus à sa rencontre auront apprécié l’énergie et l’indépendance d’esprit de cet artiste prisé des rock stars, on pense notamment à Damon Albarn ou Massive Attack. Solide décharge!

Alain Brunet

Un 4 juillet au FIJM: Marisa Monte, The Weather Station, Mezerg, The Bad Plus, black midi, Makhathini …

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

The Weather Station at FIJM / Benoit Rousseau

The Weather Station offre un climat merveilleux au FIJM

Accompagnée de son groupe, vêtue de bleu acidulé, Tamara Lindeman alias The Weather Station, a apporté la chaleur émotionnelle et la pluie au FIJM avec sa pop baroque jazzy et sa voix de sirène. En fait, sa voix peut passer d’un registre grave et conversationnel à un soprano lumineux en quelques secondes, hypnotisant le public en un clin d’œil. Son groupe est également une merveille, portant l’instrumentation à un autre niveau avec des solos de saxophone, des riffs de guitare délavés et retardés, et une section rythmique qui fait se balancer les corps. L’album Ignorance semblait faire partie de la setlist principale et peu du morceau complémentaire, How Is It That I Should Look At The Stars. Une partie de moi voulait vraiment entendre des morceaux plus anciens, mais je suis arrivé en retard, et c’est parfois le propre du showbiz.

Mais une fille sur le côté de la scène, qui, je pense, était la fille d’un membre invité du groupe et ne devait pas avoir plus de 12 ans, a exécuté de fantastiques mouvements de danse non chorégraphiés pendant les tubes Robber et I Tired To Tell You, ajoutant de la légèreté à des chansons aux sujets lourds comme les changements climatiques et la structure géopolitique mondiale qui s’assombrit. Je pense que c’est là l’attrait extraordinaire de la musique de The Weather Station ; peu importe à quel point elle est sombre ou triste, on peut toujours danser dessus.

Stephan Boissonneault

La grand messe sensuelle de Marisa Monte (avec Rommel en prime)

Mardi soir, au Théâtre Maisonneuve, nous étions quelque part entre Montréal et Montrecife. Un public très majoritairement brésilien, surexcité, habillé à quatre épingle s’était rassemblé pour accueillir Marisa Monte.

Beaucoup d’entre eux ont été surpris par l’arrivée sur scène  du brésilécois-allons-y d’un autre néologisme-Rommel, qui assurait la première partie.

L’auteur-compositeur né dans l’État du Maranhao au nord du Brésil et installé chez nous, a conquis le public rapidement. Dans la mouvance de Chico Cesar et, jusqu’à un certain point, du Lenine des premières années, il a présenté des extraits de Karawara, son sixième album, qui rend hommage aux autochtones du monde entier. C’était une formidable vitrine offerte par le FIJM, en première partie d’une grande étoile brésilienne . Et Rommel n’a pas raté sa chance. Il s’est fait beaucoup de nouveau amis. Ses créations sont de plus en plus originales. 

La salle était déjà chauffée à bloc, quand Marisa Monte a fait son apparition sur scène, sur une musique très atmosphérique pinkfloydienne.

Puis elle s’est lancée à fond dans l’interprétation de Portas, son premier disque original en dix ans.

Une fois de plus, ce mélange de sophistication et de musique populaire nous saute aux oreilles. Les arrangements du trio de vents-cuivres, du tromboniste Antonio Neves, sont hyper savants et s’harmonisent fabuleusement à la voix de Marisa. On croirait parfois entendre du Steve Reich. 

Et quelle voix! C’est vraiment en concert qu’on réalise l’étendue de son registre vocal, puisque la dame a fait longtemps du chant classique. 

Autre surprise: elle a fait toutes ses présentations de chansons en français. Même devant une salle essentiellement lusophone. Bravo madame!

Après la section consacrée au nouveau disque, la rayonnante chanteuse et compositrice s’est lancée dans l’interprétation de nombreux succès passés. 

Entre chaque chansons, elle présentait longuement un de ses musiciens avant de lui faire un câlin. Pour montrer l’importance de l’équipe.

Quand j’ai quitté , peu de temps avant la fin, le Théâtre Maisonneuve était en transe.

Marisa Monte, c’est l’intelligence, la sensualité, l’ouverture.

Par contre, Marisa, laisse tomber ta robe de première partie qui clignote et fait mal aux yeux. 

Mezerg at Rio Tinto Stage / Benoit Rousseau

Mezerg transforme la scène extérieure Rio Tinto en boîte de nuit

Si vous êtes comme moi et que vous suivez un tas de musiciens sur Instagram après avoir observé leur virtuosité pendant quelques vidéos, vous connaissez peut-être déjà Mezerg, une machine techno française, one-man band qui n’utilise que des instruments live comme le clavier synthé, le thérémine et le kick pour créer une fête dansante endiablée.

Il est intéressant d’observer Mezerg en action, lorsqu’il décide quelle ligne de synthétiseur mettre en boucle ou quel coup de pied de batterie pour commencer sa chanson. Cet homme est construit sur l’improvisation, affiné par ses talents de thérémine qui défient les profondeurs et submergent complètement le public, comme s’il nous ordonnait à tous de partir en guerre. Le jeu d’éclairages était également grandiose, parfois synchronisé avec le kick de Mezerg, que je suis presque sûr qu’il contrôle le tout via MIDI, mais qui sait ? Mezerg est probablement plus apte à jouer à MUTEK Montréal qu’au FIJM, mais la foule était en admiration devant ses talents de techno-jazzman et plus qu’heureuse de se déplacer dans le club extérieur qu’il a créé.

Stephan Boissonneault

The Bad Plus en tant que quartette

Photo Benoît Rousseau

Deux décennies plus tôt ou peut-être un peu plus, The Bad Plus avait été qualifié de « trio acoustique le plus pesant du jazz ». On aimait alors The Bad Plus pour ses reprises jazzifiées de musiques cool du moment, de l’indie rock à l’électro. De surcroît, on appréciait leurs propres compositions, très en phase avec les tendances jazzistiques du dernier quart de siècle.

On se souviendra aussi d’une collaboration magnifique avec le saxophoniste Joshua Redman, au milieu des années 2010. Puis le trio acoustique s’est transformé après le départ du pianiste Ethan Iverson. La contrebasse (Reid Anderson) et la batterie (Dave King) ont dû conclure d’autres alliances. Et celle devant laquelle nous nous sommes retrouvés,  mardi soir au Monument National, était tout à fait distincte de l’ancienne mouture. Sous étiquette Edition, un album homonyme en témoigne, sorti en 2022.

Reid Anderson n’a pas manqué d’humour, notamment en présentant sa pièce Motivation 2 et rapportant les appréhensions  de certains, à savoir si cette œuvre était plus motivante que Motivation 1. Ou encore cette pièce You Won’t See Me Before I Come Back où il indique s’être rendu au Tim Hortons. Haha!

Grande différence dans l’instrumentation : Ben Monder est clairement un maître de la guitare jazz de notre époque, tant pour son articulation virtuose que ses orientations créatives en tant que compositeur ou improvisateur. Au saxo (ténor dans ce contexte), Chris Speed roule sa bosse depuis longtemps dans l’écosystème du jazz new-yorkais, sa réputation n’est plus à faire, sa haute virtuosité ne fait nul doute. 

Au programme du Monument-National , on mise désormais davantage sur le répertoire original que sur une exécution singulière des vieux et nouveaux standards. À savoir si l’identité ou la marque The Bad Plus est absolument nécessaire à la réussite à long terme de ce quartette fort intéressant (et moins spectaculaire)  on vous le donne en mille.

Alain Brunet

black midi at FIJM / Frédérique Ménard Aubin

black midi mène le Club Soda au feu de l’enfer

Devant une salle comble au Club Soda, black midi a offert un spectacle digne de son nom. Avec son post-punk frénétique, leur math rock et leur indie jazz, le tout enveloppé d’un manteau d’expérimentation avant-gardiste, la foule de jeunes spectateurs a eu droit à une soirée spectaculairement chaotique.

Après que l’auditoire eut été chauffé à blanc par Joseph Shabason, le quatuor britannique est entré sur scène avec un air de confiance nonchalante, ressemblant à une équipe hétéroclite de savants fous sur le point de se mettre au travail. Geordie Greep, l’énigmatique frontman du groupe, s’accroche à sa guitare avec une intensité qui confine à la possession. Son regard perçant et ses propos schizophréniques sur scène suggèrent un conduit vers un royaume éthéré qui se trouve juste au-delà de la portée de l’entendement des mortels. Le batteur Morgan Simpson s’est avéré être une véritable force de la nature, et j’ai passé le concert à être envoûté par son athlétisme.

Jouant beaucoup de morceaux de l’album Hellfire, le groupe s’est également fait plaisir avec quelques classiques de Shlagenheim. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’un mosh pit débauché se forme sur le devant de la scène, et j’ai parfois eu l’impression que le groupe ressemblait à des sénateurs romains commandant leurs légions dans une œuvre de Hieronymus Bosch.

Varun Swarup

Makhathini… ça frappe fort !

J’ai commencé ma soirée musicale du 4 juillet avec un trio de jazz, je l’ai terminée avec un autre, bien différent.

Le trio du cubain québécois Rafael Zalvidar, accompagné du saxophoniste alto Luis Deniz, a offert un jazz savant, un peu scolaire pour moi , mais a comblé la foule, qui était en grand nombre au studio TD, à 18h 00.

En revanche, le Sud-Africain Nduduzo Makhathini ont offert une performance beaucoup plus iconoclaste au Pub La Traversée Molson Export. L’Esplanade Tranquille était tout sauf tranquille. 

Certains appellent ça du jazz spirituel, d’autres pourraient dire du jazz destructeur. Je suis arrivé à mi-chemin du concert de 22 H 00. Makhathini, son bassiste Zwelakhe-Duma Bell et son batteur Francisco Mela étaient déjà en sueur.

Ces jeunes loups du jazz tapent fort sur leurs cordes, sur leurs peaux ou sur les ivoires. Mais transpire de tout cela une urgence de vivre, une énergie folle.

Ça joue fort, mais ça demeure acoustique et jazz, avec des passages free. 

Un jazz imparfait, mais très parlant, susceptible de joindre un jeune public. Et le vieux que je suis a apprécié se faire brasser.

J’ai toutefois eu un peu peur pour l’état du piano à la fin du concert…

Michel Labrecque

Un 3 juillet au FIJM et en marge: Herbie, Domi, JD, Nate, Cynic, Atheist…

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Herbie Hancock, verdeur phénoménale !

Le piano est un instrument propice à la longévité de son utilisateur, Herbie Hancock en a fait lundi la brillantissime démonstration, lundi soir à la Salle Wilfrid-Pelletier. Aucunement diminué par l’âge qu’il a (83 ans!!), le plus respecté des pianistes vivants sur la planète jazz témoignait d’une verdeur phénoménale, d’une articulation exemplaire et d’une vivacité d’esprit sans pareil. On aurait pu lui pardonner certains manquements, remarquez, on n’a vraiment pas eu à le faire. 

Herbie y est allé d’abord d’une ambitieuse Overture introduite par un passage carrément électroacoustique (pas aussi« weird » que l’annonçait son concepteur) assortie d’éléments, riffs ou thèmes tirés de son immense répertoire, connu de tout jazzophile qui se respecte –  Butterfly, Chamelelon, Rockit, etc. 

Certaines œuvres au programme ont été jouée intégralement et transformées par les sidemen, et pas les moindres : le trompettiste Terence Blanchard, le guitariste Lionel Loueke, le bassiste James Genus et le batteur Jaylen Petiniaud, ont conféré leur personnalités respectives à l’œuvre du plus cool des octogénaires actifs sur la planète jazz. 

Il était prévisible que fusse rendu un hommage à Wayne Shorter, ami de toujours avec qui il avait joué Footprints, un standard de feu le saxophoniste et compositeur, jadis magnifiée par le Miles Davis Quintet dont ils étaient tous deux parmi les membres éminents.

Il était toutefois moins prévisible qu’une part congrue de ce programme fut constitué de pièces  jazz-funk, notamment Actual Proof (album Thrust) et  Come Running to Me (Sunlight) avec Vocoder, ancêtre de l’Autotune. 

Pour conclure? Le mégatube Chameleon  (Headhunters, album homonyme),  bien évidemment. Pour ce, le leader a choisi d’exploiter son synthé en bandoulière et improviser avec chacun de ses collègues plutôt que de s’exécuter au piano dans le bridge. D’aucuns auraient préféré la structure de l’enregistrement originel, mais notre monumental Herbie a choisi le risque d’une relecture en règle, pour le meilleur ou pour le pire. 

N’est-ce pas ce à quoi on doit s’attendre d’un grand jazzman ? Oui, et on lui pardonnera ses choix artistiques moins intéressants qu’à l’escale précédente.

Alain Brunet

Domi & JD Beck, ze phénomène de l’heure

Tout le monde se les arrache, bien au-delà de la planète jazz. La propulsion virale de ces deux artistes à peine sortis de l’adolescence n’a d’égal que leur talent. Domi (Domitille Degalle), originaire de Nancy, et JD Beck de Dallas et réunis aux USA alors qu’ils étudiaient au Berklee College of Music, faisaient déjà l’objet d’un vrai buzz. 

Un concert plutôt poche, paresseux et décousu de Robert Glasper m’avait conduit à migrer vers ce concert des plus rafraîchissants, donné dans un Club Soda bien rempli. C’était peu de temps après la sortie de Not Tight, un premier album prisé par un vaste public, bien au-delà du jazz.

 Un an plus tard, le phénomène a pris de l’ampleur. Anderson.Paak, Snoop Dog, Thundercat ou même Ariana Grande enregistrent à leurs côtés, c’est dire leur pouvoir attractif.

On avait eu droit sensiblement à la la même matière que lundi à la Wilfrid, alors que Domi a multiplié les prouesses de sa main droite, rapidité extrême et précision extrême de l’articulation, et ébloui de sa main gauche qu’elle utilise à la manière d’une basse électrique, notamment lorsqu’elle joue du Jaco Pastorius ou du Wayne Shorter, époque Weather Report.

Comment expliquer ce buzz? Par la jeunesse de ses protagonistes , par l’esthétique visuelle assortie de décors naïfs des plus sympas, par leur look d’ados qui se fichent de tout… et surtout par cette hallucinante virtuosité acquise à un si jeune âge – tournant de la vingtaine. JD Beck a déjà absorbé et maîtrisé maintes techniques de ses prédécesseurs, son petit kit de batterie et ses emprunts à la musique électronique impressionnent. Quiconque apprécie les instrumentistes d’un tel niveau se délecte à coup sûr, même avec les problèmes techniques auxquels ils ont dû faire face devant le public de Herbie Hancock. 

Alain Brunet

Nate Smith et l’esprit du groove

Au deuxième soir de sa virée de trois concerts, le super-batteur Nate Smith a produit l’effet escompté : ravir les fans de groove en leur balançant la matière d’une obscure « beat tape » qu’il avait enregistrée pour ses 40 ans, « il y a de ça quelques années » comme il l’a souligné en pouffant de rire. Aux côtés de spécialistes de cet exercice, soit le claviériste Kiefer et le bassiste CARRTOONS, Nate Smith a mis de l’avant ce minimalisme soul-funk.

L’approche consiste à répéter pendant une dizaine de minutes ou plus une progression harmonique très simple, inspirée de la soul/R&B. Simpliste? Redondant? Nenni. Nate Smith et ses collègues chevronnés ont tôt fait de faire apprécier les micro-variations de ces grooves et d’ainsi en faire sortir toute la suavité. Cette facture existe depuis les belles années de CTI dans les années 70, un label enclin à la jazzification de la soul.

Le retour en force de la soul/R&B instrumentale via le hip hop dans le monde du jazz s’accompagne de phénomènes connexes dont celui-ci, revigoré par des instrumentistes doublés de beatmakers, forts d’une vaste culture de musiques populaires afro-américaines à l’ère numérique. Qui s’en plaindra?

Alain Brunet

Emmet Cohen, réincarnation du swing

Je mentirais si je devais écrire une critique complète du concert du Emmet Cohen Trio, lundi soir au Studio TD. Pour un artiste si profondément enraciné dans la tradition désormais presque centenaire du swing, ce fut une belle surprise, mais peut-être pas vraiment une surprise.

Avec ses performances électrisantes et sa forte présence en ligne, Emmet est maintenant une sorte d’icône du piano dont la mission est de maintenir vivant l’esprit du swing – et stride par moments.

En arrivant à mi-chemin de leur set, il y avait une sensation particulière dans l’air. Quelque part, l’esprit d’Ahmad Jamal était présent, alors que le groupe canalisait l’élégance et la théâtralité des arrangements du trio minimaliste-maximaliste de Jamal. Le dévouement du trio à engager le public était également louable. Cohen s’est fait un devoir de faire en sorte que la foule se sente partie prenante du spectacle, partageant des anecdotes et des idées sur la musique qu’ils étaient sur le point de jouer. Pour terminer la soirée, leur troisième rappel, ils ont absolument secoué le classique d’Ellington, Satin Doll, et à la fin du concert, nous savions tous que nous faisions partie de quelque chose de spécial.

Varun Swarup

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Focus and Elements : Cynic et Atheist enfin réunis

En marge du Festival de Jazz, Montréal accueillait hier soir deux sommités du métal progressif infusé de jazz fusion. Tous deux fort de 35 ans d’activité, Cynic et Atheist présentaient respectivement l’intégralité de Focus (1993) ainsi qu’une sélection de Piece of Time (1990), Unquestionable Presence (1991) et Elements (1993). Devant un Théâtre Fairmount bien rempli, les deux groupes ont livré une exécution irréprochable de leur répertoire.

Atheist impressionnait par son énergie inépuisable, laquelle s’arrimait par ailleurs sans problème avec la complexité des morceaux interprétés. Effectivement, il est rare de voir une combinaison aussi réussie de technicité instrumentale et de présence scénique si forcenée. Le chanteur Kelly Schaeffer, seul membre original de la formation, s’est entouré jeunes musiciens faisant la moitié de son âge pour composer sa dernière mouture. Cependant, la fougue de ses camarades n’avait d’égale que la sienne puisque Schaeffer n’a visiblement rien perdu de son charisme et de sa folie. Si rejouer des classiques aurait pu amplement satisfaire, surtout pour un lundi soir tranquille, Atheist a de loin dépassé les attentes.


Ensuite, Cynic a démarré son spectacle avec un rendu chronologique de son premier album, devenu un culte incontournable du death metal. Plus angulaires et agressives que les pièces récentes du groupe, ces compositions étaient interprétées avec toutes les nuances souhaitables. Notamment, l’interaction entre voix chantée au vocoder et voix criée était fidèle à l’album. Quant aux timbres de guitares, ceux-ci étaient soigneusement travaillés et adaptés à chaque section musicale via processeurs numériques. Après un bref hommage à l’encens aux défunts Sein Reinert (batterie) et Sean Malone (basse), Cynic a enchaîné avec quatre morceaux traversant leur discographie plus récente. Ces pièces parfois sereines, parfois intenses, mais toujours très dynamiques ont bien clôturé la soirée même si on en aurait pris davantage.

Laurent Bellemare

Un 2 juillet au FIJM: Samara Joy, JaRon Marshall, Elliot Maginot, Blue Moon Marquee, Vance Joy …

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Samara Joy déjoue toute méfiance

Crédit photo: Benoît Rousseau

Y avait-il lieu d’être méfiant ? Samara Joy gagne un Grammy, deux Grammys, révélation de l’année, album jazz de l’année. La fille a 23 ans, deux albums dont un autoproduit. Et voilà que le jury des Grammys décide qu’une chanteuse de jazz classique dépasse toutes les chanteuses pop émergentes de 2023. On écoute distraitement Samara Joy, on se dit bof, voilà une autre intégriste du jazz qui titille les bien-pensants de la culture américaine. Pas très excité, donc.

Et puis, je me dis qu’il ne faut quand même pas éviter le sujet, le snobber. Que ces victoires largement médiatisées, légitimement ou non, méritent notre attention. Ce n’était donc pas sans scepticisme que je me suis porté volontaire pour la couverture de Samara Joy. Et… une fois de plus, des idées préconçues s’écroulent. On l’entend pendant une courte apparition samedi soir, invitée du prodige pianistique Julius Rodriguez. Hum, ce n’est pas la réplique muséale de Sarah Vaughan, peut-être plus que ça. Puis on propose à PAN M 360 une interview avec cette jeune femme.

Elle est très grande, elle est brillante, elle est sympa. Aucune prétention. Deux heures plus tard, on se présente au Monument National. Elle a troqué sa tenue relaxe pour une robe de soirée et des talons. Elle entonne This Is the Moment, nos oreilles battent du pavillon, nos yeux s’écarquillent. Ce n’était donc pas un de ces choix incohérents et déconnectés dont les Grammys sont capables parfois.

Samara Joy a un registre d’alto mais peux pousser la note dans celui d’une soprano. Ce n’est pas seulement le résultat d’une technique rigoureuse, mais bien d’un don de la nature. La variété des timbres, des modulations, des variations de puissance, voilà autant d’atouts pour cette chanteuse exceptionnelle.

Super à l’aise sur scène, humble et fière, très drôle, divertissante au max. Elle sait s’approprier un standard tel Stardust de Hoagy Carmichael ou Chega de Saudade signée Tom Jobim, ou une adaptation vocale de Nostalgia composée jadis par le trompettiste bop Fats Navarro, ou encore l’hybridation de Stevie Wonder et Nancy Wilson, ou même ces lignes incandescentes en hommage à la grande Betty Carter, une influence somme toute plus évidente chez Samara Joy. Ce qui est une excellente nouvelle pour la suite des choses.

Alain Brunet

JaRon nous guide tous vers le cosmos

JaRon Marshall, le claviériste des Black Pumas, a ranimé la foule endormie de la scène Rogers en jouant 80 % de son premier album solo, earth sounds, dimanche soir au FIJM. Soutenu par un batteur et un bassiste fantastiques – avec lesquels il a commencé à jouer le même jour -, JaRon a entraîné la foule dans un tourbillon de jazz cosmique qui tenait à la fois de Return to Forever et de Pharoah Sanders. L’instrument principal était, bien sûr, deux claviers que JaRon maîtrisait avec aisance.

On aurait dit qu’il n’avait pas transpiré pendant ses solos de synthétiseur ou ses arrangements d’accords complexes. Le groupe a fait un excellent travail en gardant le groove pour le public, sans trop plonger dans le domaine du free jazz. JaRon est clairement un maestro qui aime le jazz émotionnel et nous avons eu la chance de le voir sur une scène plus petite et plus intime, car ce musicien pourrait facilement jouer sur les scènes principales dans un an ou deux.

Stephan Boissonneault

Elliot Maginot fait son nid sur l’Esplanade

À 23h, l’Esplanade de la Place des Arts voit se produire l’auteur-compositeur-interprète Elliot Maginot. Sur la scène, des guirlandes parcourent l’espace, grimpent sur l’équipement, délimitant le terrain de jeu. Pour agrémenter le tout, six hiboux décoratifs sont éparpillés à l’avant-scène et sur le matériel… cet animal qui est en apparence devenu le symbole de prédilection de l’artiste, à en juger par ses communications sur les réseaux sociaux.

Le concert d’Elliot Maginot débute sur une atmosphère sonore à laquelle vient s’ajouter quelques ondoiements de guitare. Un son planant qui fait à la fois monter la tension et relaxer les muscles. Alors que les musiciens se préparent, le public se réchauffe. Ensuite, c’est parti pour 55 minutes de folk-pop flattée,  tantôt sautillante, tantôt contemplative, et surtout lumineusement teintée de saxophone, marimba, violoncelle et de touches ouest-africaines. La batterie résonne dans la cage thoracique et la voix de l’artiste dans l’esprit. 

Elliot Maginot se distingue par cette voix pincée et pleine de souffle, et aussi par son interprétation intense mais contenue. Lorsqu’il chante, son corps et son visage se crispent d’émotion, et sa voix est traversée d’un frémissement – pas un vibrato – qui soulève les mots plus longs et les fins de phrases. Un chanteur peu commun, peut-être, mais un chanteur tout de même. On le comprend en le voyant sur scène.

Bref, spectacle charmant! Disons que la branche sur laquelle Elliot Maginot est perché ne donne pas trop envie de partir.

Théo Reinhardt

Blue Moon Marquee Brings transporte son Raspy Gypsy Blues au FIJM

Il était agréable de voir Blue Moon Marquee, un groupe albertain qui a débuté humblement en tant que duo, jouer devant une plus grande foule à la Scène Loto Québec. Ils étaient en compétition avec Vance Joy au même moment, mais les vraies têtes – la foule qui cherchait quelque chose d’un peu plus que du folk générique – ont commencé à grandir de plus en plus. Ce doit être la voix envoûtante et Tom Waits-esque d’A.W. Cardinal, ou la section rythmique, jouée par Jasmine Colette à la basse et à la batterie. Vous avez bien lu. Elle joue des deux et frappe littéralement les cymbales tout en jouant et en chantant. Rien de plus punk rock et DIY que cela. Sans elle, le groupe n’est rien.

Il s’agit généralement d’un groupe de deux musiciens, mais lors de ce concert, ils ont été rejoints par un clavier/orgue de style saloon qui a ajouté une toute autre dimension à la guitare solo bluesy et à la basse qui bat la chamade. Ce groupe est plein d’intensité et son énergie est sauvage et indomptable. Cardinal a terminé son set en chantant sans micro et sa voix rauque a porté jusqu’au fond de la foule. Ne manquez pas d’aller voir Blue Moon Marquee la prochaine fois que vous en aurez l’occasion.

Stephan Boissonneault

Vance Joy charme la foule du FIJM

Un peu plus d’un an après la sortie de son troisième album, In Our Own Sweet Time, l’auteur-compositeur-interprète australien Vance Joy foulait la grande scène du FIJM, en fin de soirée dimanche. Devant une place des festivals pleine à craquer, l’artiste de 35 ans a offert un heureux mélange de titres tirés de ses différents projets, et ce pendant près de 90 minutes. Placé au milieu de la scène, avec sa guitare ou son ukulélé à la main, Vance Joy était accompagné sur scène par différents musiciens, dont une trompettiste et un saxophoniste, procurant davantage de richesse et de profondeur à ses meilleurs succès. Tout sourire, l’Australien a débuté sa prestation avec Missing Piece, un morceau issu de son dernier opus.

À mi-chemin, Vance Joy a enflammé la foule lorsqu’il s’est emparé de son ukulélé pour son titre Saturday Sun pour ensuite ralentir le tempo avec sa ballade We’re Going Home. Lors de cette dernière, les gens amassés devant la scène ont brandi leur lumière, donnant lieu à un superbe moment. Sans équivoque, le moment fort du spectacle a été lorsqu’il a chanté son titre le plus populaire à ce jour, Riptide. C’était l’heure de la fête et la foule s’époumonait en chantant les paroles de la chanson. Alors qu’on croyait que l’interprétation de son plus gros hit signait la fin de sa prestation, l’artiste a surpris tout le monde avec une reprise bien réussie du succès de ABBA, Gimme! Gimme! Gimme!. Force est d’admettre que Vance Joy a su conquérir le cœur de millions d’auditeurs avec sa pop au fil des années, et nous en avons encore eu la preuve hier soir!

Jacob Langlois-Pelletier

Un 1er juillet au FIJM: Julius Rodriguez, Theon Cross, Moon Hooch, Anomalie, Micheal League…

par Rédaction PAN M 360

Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !

Julius Rodriguez: déjà un grand, du haut de ses 24 ans

Malgré un premier set écourté à cause des ‘’conditions météorologiques’’, le jeune pianiste-batteur-compositeur Julius Rodriguez a rendu la foule bien réfugiée sous l’abri du pub La Traversée Molson Export de la Place Tranquille du Quartier des spectacles totalement scotchée à sa vivacité, son intelligence et sa virtuosité.

La méthode Rodriguez est simple : toujours se baser sur un motif, une phrase mélodico-rythmique, un riff ou un thème simple et accrocheur pour ensuite libérer toutes ses possibilités expressives. Rodriguez est un jeune musicien aussi instinctif en impro que remarquablement éduqué en technique (classique ET jazz). Son jeu limpide et franchement excitant est empreint d’une émancipation qu’il sait communiquer à ses partenaires à la contrebasse, à la batterie (car il a joué majoritairement le piano) et à la trompette.

Ceux-ci sont aussi aisés dans leur hardiesse interprétative que bien attelés à rendre tout cela cohérent avec la vision de leur leader. Quelques perles signées Hancock (dont Butterfly), mais pas mal de matos de ses deux albums actifs (un complet et un EP, tout juste) et de la nouvelle matière aussi, qu’il n’a pas encore nommée. Je suggère Rainy Night in Montreal, parce que ça restera un moment mémorable. En bonus, pour une seule pièce (In Heaven, présente sur Let Sound Tell All sorti en 2022) : la magistrale voix de Samara Joy que l’on compare, à raison, à Ella, Nina et Sarah. Une véritable leçon d’expressivité vocale. La prochaine fois que Julius viendra chez nous, ce sera en salle, à fort prix.

Frédéric Cardin

Theon Cross explore les sons mystérieux du tuba

Theon Cross joue du tuba comme quelqu’un qui a découvert tous les secrets de cet instrument. Personne ne savait vraiment ce qui nous attendait à l’intérieur des murs du TD Studio, mais la majeure partie du spectacle était composée de Theon Cross et d’un guitariste à la réverbération produisant des sons cosmiques, qui m’ont rappelé les intermèdes d’une chanson de The Comet is Coming.

La guitare agissait presque comme une machine à larsen, plongeant davantage dans le domaine du rock ambient, alors que le tuba était toujours au premier plan de la performance. Dans certains morceaux, seul Cross jouait du tuba avec des techniques de respiration complexes qui faisaient ressembler l’instrument à un chat hurlant. Pour être honnête, après 15 minutes de ce type de performance en solo, j’avais vu ce que j’avais à voir. Il est très doué, mais on ne peut que s’étonner du nombre de sons que l’on peut produire avec un tuba, tant de fois.

Stephan Boissonneault

Moon Hooch: EDM cuivrée et jazzée pour cette génération

Moon Hooch se trouve dans une impasse étrange où il pourrait être un groupe EDM dirigé par des saxophones, ou un trio de jazz à l’ambiance plus sonore. Cependant, ils ont définitivement privilégié le côté dansant de leur musique lors de leur performance intérieure et pluvieuse de la Fête du Canada au Gesu. La salle pouvait accueillir des sièges, mais il n’a fallu que 15 minutes à Moon Hooch pour que tout le monde se lève et danse sur leur impressionnante musique de duels de saxophones.

Le batteur a vraiment besoin d’être mentionné ici parce qu’il maintient le rythme et le groove pendant que Michael et Wenzl font durer la folie. Certains morceaux ressemblent à de la techno ou de la house music et si je ne les regardais pas passer du saxophone baryton au saxophone alto et au saxophone ténor en direct, j’aurais juré que les morceaux venaient des patchs de synthé. Moon Hooch joue le rôle de DJ à tour de rôle pour stimuler la foule pendant que les autres membres du groupe jouent à fond. Je pense que le choix de la salle était étrange car un groupe avec autant d’énergie aurait dû jouer sur une scène extérieure.

Stephan Boissonneault

Anomalie en formule big band, ce n’est qu’un début !

photo credit: Benoît Rousseau

Scène Rio-Tinto, ils étaient plus d’une quinzaine de musiciens sous la bannière Anomalie, ce projet de jazz-fusion-soul-R&B-dancehall mené par le claviériste et compositeur montréalais Nicolas Lemieux.

La prédiction est facile à formuler : dans toutes ses configurations, Anomalie est promis à une brillante carrière internationale. Cette formule big band n’est pas courante dans le contexte jazzistique local, mais elle l’est de plus en plus au sein de la génération de trentenaires biberonnés au hip-hop de Kendrick Lamar, à l’électro de Flying Lotus et au jazz issu des nouvelles scènes de Los Angeles, Chicago ou Londres.

Comme il l’explique en interview, Nicolas Lemieux ne cherche pas à transcender les formes du jazz moderne mais plutôt à composer la musique orchestrale comme s’il s’agissait d’une chanson pop aux prolongements jazzifiés. Samedi, les milliers de fans trempés au terme d’une averse longue et insistante, ayant amputé de moitié la performance prévue pour 90 minutes. Le public n’en était pas moins heureux de vibre sur ces rythmes plus proches du hip-hop instrumental que du jazz, de ces riffs puissants et harmoniquement consonants, et quelques solistes chrevronnés tel le trompettiste Andy King ou le leader lui-même aux claviers.

Cette pop instrumentale parle à quiconque a vécu son adolescence ou sa jeune vie adulte au cours des deux précédentes décennies. Chacun peut s’y retrouver, les balises sont claires, aucune prise de tête à l’horizon. L’écriture de Nicolas Lemieux ne mène pas aux explorations atonales, emprunte peu les chemins rythmiques non binaires, s’en tient à des mélodies accrocheuses et des riffs conviviaux. Voilà autant de raisons de croire au succès présent et à venir d’Anomalie.

Alain Brunet

League, Brock, Thomas, Spark: magnifique mélange d’instruments et de genres

Snarky Puppy est ce groupe de jazz iconoclaste américain, qui se produisait le 30 juin en grand ensemble, pour célébrer son dernier album Empire central

Le premier juillet, nous avons eu droit à un quartet issu de Snarky Puppy. Le violoniste Zach Brock, le batteur JT Thomas, le claviériste Bobby Sparks et le bassiste et leader Michael League. 

Violon, Clavier, batterie, Basse, c’est peu commun.

À eux quatre, ces musiciens ont travaillé avec tellement de gens, de David Crosby à Stanley Clarke à David Liebman, the RH Factor, Fred Hammond. Et ils se connaissent tous depuis longtemps .

Le quartet est parti en lion, sur un thème de Wayne Shorter puis Stevie Wonder a suivi. Je n’ai pas reconnu la pièce tellement le travail d’improvisation jazzistique était puissant. 

Ces quatre esprits libres improvisent sur des thèmes connus, mais ne savent pas où leur complicité va les mener. Parfois, on est dans le jazz pur, parfois dans le soul déchirant, parfois dans le fuzzy extrême. 

Michael League nous a expliqué l’origine de ce quartet: dans les début de Snarky Puppy, au Texas, en 2007, League, Sparks et Thomas se rendaient chaque lundi soir dans une petite boîte de Dallas, pour improviser sans arrêt . Le violoniste Zach Brock se joignait à eux occasionnellement. 

Le festival de Jazz a offert une deuxième soirée de spectacle à Michael League et il a choisi de ressusciter cette expérience.  

Et personne ne s’est ennuyé : Jt Thomas a chanté une chanson de Bill Whiters Who is He And What Is He To You, qui a mené à des improvisations déjeantées.. Le violoniste Zach Broch était tout en subtilités, Bobby Sparks s’est déchaîné sur son orgue. 

Puis il y’ a eu Voodoo de De Angelo. Et un blues dont j’ai oublié le nom.

Tout au long du spectacle, Michael League, comme à son habitude, formait le liant avec sa basse électrique vrombissante. Il s’est même permis quelques envolées en solo, y compris une avec une pédale fuzz qui grattait notre colonne vertébrale.

Je l’ai dit souvent sur ce site: Michael League est un des musiciens américain les plus créatif de sa génération. Il en a fait de nouveau la démonstration.  

Et la foule, multigénérationnelle, en aurait pris encore.

Michel Labrecque

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