classique arabe / flamenco

« Racines du Flamenco » au Festival du Monde Arabe 23′

par Varun Swarup

L’acte de clôture du Festival du Monde Arabe, « Roots of Flamenco », promettait une fusion captivante de chants et de danses irakiens et andalous, et même s’il a largement tenu ses promesses, il n’a pas réussi à incarner l’authenticité attendue d’une soirée de musique traditionnelle. Malgré une musicalité louable sur scène, la performance a eu du mal à maintenir un objectif clair alors qu’elle s’efforçait d’entrelacer mythe et histoire, virant parfois vers un son de fusion générique.

La soirée a débuté de manière plutôt théâtrale, avec Cheikh Sidi Bémol assumant dans la foulée son rôle de conteur. Omar Bashir, fils du célèbre oudiste Munir Bashir et véritable virtuose à part entière, a doucement pincé son oud sous Cheikh tout en parlant de sa première rencontre avec le oud et du joueur mythique qui a révélé ses histoires. Au fur et à mesure que la soirée avançait, les membres du reste du groupe de huit musiciens ont été présentés alors que nous tracions la route de Bagdad à Séville.

Assister au dialogue musical entre Omar et les deux guitaristes flamenco était certes spectaculaire mais généralement leur jeu virtuose était relégué aux mêmes progressions d’accords mineurs. L’aspect le plus déroutant de cette performance était peut-être l’inclusion du piano dans ce bel ensemble. Cela semblait quelque peu déplacé dans le contexte de la performance, ne s’intégrant pas parfaitement au récit et occupant une place importante dans le mix global. Avec trois autres instruments à cordes qui retenaient déjà l’attention, le piano a ajouté une couche qui, par moments, a vraiment dilué l’essence de la performance.

Le danseur et le chanteur, respectivement Miguel Angel Orengo et Cristobal Muñoz, qui font partie intégrante d’une telle performance, ont semblé passer au second plan pendant une grande partie du spectacle, n’apparaissant sur le devant de la scène que dans la seconde moitié du deuxième set. C’était un peu décevant car leur présence aurait ajouté de la profondeur et des nuances à la narration globale. Pourtant, lorsqu’ils ont été mis à l’honneur, ils ont certainement éveillé le feu du flamenco dans leur performance.

Malgré ces lacunes, le concert de clôture a réussi à souligner l’importance des échanges culturels, en soulignant la beauté des traditions partagées et la fluidité de nos cultures. Même si le manque de concentration et les distractions musicales occasionnelles ont pu tempérer l’expérience globale, la finale du festival a finalement célébré la richesse de la diversité culturelle et mis en valeur l’éclat indéniable du flamenco exposé.

rap keb

20 ans de Disques 7ième Ciel au Centre Bell : 4 heures de célébration !

par Jacob Langlois-Pelletier

Annoncé depuis déjà plusieurs mois, le concert commémoratif des 20 ans de Disques 7ième Ciel était un rendez-vous très attendu des amateurs de hip-hop et rap keb. Fondé par Steve Jolin alias Anodajay en 2003, le label a joué un rôle important dans l’essor du genre musical au Québec. Elle compte parmi ses rangs FouKi, Koriass, Souldia, Manu Militari, Imposs et une panoplie d’autres artistes d’ici. En guise de célébration, Jolin et sa bande ont offert une (très) longue prestation de plus de quatre heures aux allures de showcase, vendredi soir au Centre Bell.

Quoi de mieux que le proprio Anodajay pour ouvrir le bal. Acclamé par la foule à son arrivée, il a lancé le bal d’une main de maître avec deux de ses titres, dont Le Beat à Ti-Bi, sa fameuse chanson avec Raôul Duguay. Sur scène, le Rouynorandien est seul, accompagné d’un DJ et de visuel d’archives et vidéoclips qui défilent derrière lui. C’est d’ailleurs avec cette approche minimaliste et l’apparition sporadique de quelques musiciens et choristes que s’est déroulé le restant de la soirée. 

Après l’ouverture par le porte-étendard de Disques 7ième Ciel, les vétérans rappeurs Dramatik, Manu Militari et Koriass ont enchaînés plusieurs de leurs anciens morceaux, au grand plaisir des plus nostalgiques présents dans la salle. 

Deux heures de spectacle, la majorité des artistes de l’étiquette avaient foulé la scène, à coup de deux ou trois titres solos. C’est lors des présences sur scène de Souldia que le Centre Bell se fait le plus bruyant; le prince de Limoilou cultive depuis plusieurs années une incroyable connexion avec le public québécois. Outre les vedettes, Zach Zoya, le collectif LaF et la Brown Family ont su se démarquer du lot. Vers 22h, on annonce un entracte… 

Vingt minutes de pause et Anodajay est de retour sur scène et le spectacle reprend de plus belle. Dans ce deuxième droit, la plupart des artistes font leur retour, et on donne énormément de place à Koriass et Souldia. La soirée s’étire et la foule s’essouffle tranquillement. Par chance, les différents artistes avaient réservé leurs morceaux les plus populaires pour la deuxième partie. 

Autour de moi, plusieurs amateurs de rap quittent tranquillement leur siège et se dirigent vers la sortie. Pour vous décrire l’ambiance, on se sentait par moment dans un bar où les gens discutent et font la fête, tout en ayant de la musique en fond. La longueur et l’enchaînement plutôt aléatoire des différentes performances y sont pour beaucoup. Vous en vouliez du rap, en v’là!

Concentrons-nous sur le positif. Au cours de ces quatre heures de rap, les amateurs ont eu le doit à plusieurs moments forts tels qu’un excellent rap a cappella de Koriass, la présence de la grande Diane Tell pour l’interprétation de Jamais su avec Anodajay, une version remixée de sa fameuse chanson Souvent longtemps énormément, et un excellent cypher avec la plupart des artisans de 7ième Ciel pour clore cette soirée historique. La soirée aurait d’ailleurs bénéficié davantage de cette créativité offerte lors de ce dernier segment. 

Le hip-hop québécois va bien, très bien même, et cette grande célébration en est une énième preuve. Sans Steve Jolin et Disques 7ième Ciel, nous en serions à des années lumières d’où nous en sommes présentement en ce qui concerne le rap keb. Difficile de dire qu’on se serait attendu à plus de ce spectacle alors qu’on nous a servi plus de 240 minutes de musique, bien que tout aurait pu être davantage concis et percutant. 

Mais bon, force est d’admettre qu’en une seule soirée, c’est tout un défi de rendre hommage à autant d’années d’histoire du rap keb façon 7ième Ciel et le rendu y a néanmoins fait honneur.

crédit photo Souldia: @Play.fille Sarah-Maude Lessard

Chanson francophone

CCF | GillesValiquette et son party de retrouvailles

par Claude André

C’est à un immense party de retrouvailles d’amis vieux de plus de cinquante ans que nous avait convié vendredi soir Gilles Valiquette, le nerd sympathique et avant-gardiste de la chanson québécoise.

C’est un peu en revêtant une casquette d’anthropologue que l’auteur de ces lignes, qui, pour être bien honnête, ne connaissait que quelques-uns des tubes du sieur Valiquette, s’est rendu au Théâtre Outremont avec pour mission de comprendre pourquoi l’artiste bénéficie d’un tel capital symbolique auprès de ses pairs.

Il avait convié sa mouvance à célébrer les 50 ans de son premier album récemment revisité : Retour à Chansons pour un café  paru en octobre dernier.

Sous la direction musicale de Marc Pérusse (guitares), son meilleur ami dira-t-il comme il l’a fait en présentant tous les membres de sa formation – dont Monique Fauteux (chanteuse d’Harmonium) et sa fille, Julie Valois (claviériste également) au chœur, et Rémy Malo (bassiste) – le boy next door égraine ses chansons folks pour le plus grand bonheur des nombreux aficionados qui les connaissaient par cœur, lui soufflant même, ici et là, les paroles de certaines d’entre elles lors des trous de mémoire.

« J’étais guitariste pour Jacques Michel, puis j’ai décidé de faire quelques chansons et de les lancer, comme on lance une bouteille à la mer. Cinquante ans plus tard, c’est moi qui ramasse la bouteille », confia le septuagénaire et éternel adolescent après nous avoir confié que c’est parce que les Séguin, notamment, ont repris ses titres qu’il s’est dit que ça pourrait peut-être aussi fonctionner pour lui, encouragé en ce sens par le réalisateur et ancien du groupe Les Bel Canto, René Letarte qui lui avait soufflé « je connais du monde ».

Yé ben cool

Reconnaissant, le Jacques Michel en question se pointera sur scène pour notre plus grand bonheur, histoire d’interpréter l’un de ses grands succès Pas besoin de frapper pour lequel Valiquette redevient accompagnateur ainsi que Viens me voir demain. C’est à travers ce geste d’apparence banale que l’on saisit l’humilité de l’artiste et bête de studio, qui cède ainsi toute la lumière à quelqu’un d’autre lors de son propre spectacle. Il fera de même plus tard avec Richard Séguin, qui viendra nous réchauffer avec Sous les cheminées. « On lui doit beaucoup. Gilles a ouvert un sentier pour tout le folk du Québec », synthétise Séguin en parlant de celui qui était le guitariste principal du premier disque des Séguin paru également en 1973.

Et il est vrai qu’en réécoutant ces chansons, souvent candides mais efficaces, on se rend compte que, finalement, elles en sont imprégnées sans trop que l’on perçoive des seventies : Un peu de bonheur, Sous un soleil d’été, Tout est mieux là-haut n’est-ce pas? et autres Samedi soir… cette dernière étant la réponse, dira-t-il, à sa compagnie de disques qui l’avait sommé de faire une toune… disco!

C’est vers la fin du spectacle que Valiquette, ce fan fini des Beatles auxquels il a consacré un livre volumineux, quittera (enfin!) son tabouret et remplacera sa guitare acoustique (hourra) pour une six cordes électrique afin d’interpréter celle que nous attendions tous : Je suis cool, accompagné par Normand Brathwaite, arrivé plus tôt aux percussions et qui nous montrera de quel bois il se chauffe à l’harmonica. Stop. Prise deux : « Vous êtes supposé dire : “yé ben cool, yé ben cool, yé ben cool”, au refrain. » Bon enfant, la foule s’exécute.

Puis, comme pour prolonger le plaisir, Valiquette entamera, évidemment, La vie en rose. Rappel numéro 1. Chez nous, c’est chez vous. Tout le monde reprend le refrain accrocheur à l’unisson. Des coulisses, reviennent sur scène les nombreux invités qui sont passés précédemment : Jacques Michel, Louis Valois (bassiste d’Harmonium), Louis Valiquette (fils de Gilles et membre de trois formations, dont The Sainte Catherines et Yesterday’s Ring), Richard Séguin, François Pérusse…

Flash : une odeur imaginaire de Marie-Jeanne flotte dans l’atmosphère, les gens se sourient béatement, un pays se dessine, les filles feront l’amour librement, l’insouciance et la joie de vivre planent dans l’air du temps. On rentre chez soi en saluant des juifs hassidiques et en chantonnant un air beatlesque signé Valiquette. Sourire léger et effluves de patchouli en mémoire, l’enfance est revenue l’espace d’un soir.

crédit photo: Jean-François Leblanc

musique contemporaine

Alisa Weilerstein : Bach, sublimé, chamboulé et actualisé

par Frédéric Cardin

Hier soir, à la Maison symphonique de Montréal, a eu lieu une rencontre tout à fait réjouissante (pour certains) et déconcertante (pour d’autres) : un concert-concept intitulé Fragments et mené intensément pendant deux heures, en solo, par la violoncelliste Alisa Weilerstein (la conjointe de Rafael Payare). Comment, d’abord, résumer succinctement le dit concept? Il y a six Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach, vous le savez probablement déjà. À chacune de ses Suites, Weilerstein a ajouté plusieurs compositions (pour violoncelle solo également) commandées spécialement à un large aréopage de compositrices et compositeurs contemporains. Chacune des suites devient un cycle intitulé Fragments (de 1 à 6, donc). À l’intérieur de ces Fragments, tout est mélangé entre les mouvements des suites (même pas joués dans l’ordre habituel, le célèbre Prélude de la première suite arrivant à la fin du Fragment I!)) et les nouvelles compositions. Seule considération : des enchaînements opérés en fonction d’un arc dramatique et expressif scénographié et appuyé par une mise en scène assez sobre, mais subtilement expressive. Celle-ci est réalisée grâce à deux éléments fondamentaux : des blocs/panneaux illuminés de l’intérieur placés diversement (chaque Fragment a son ‘’placement’’ particulier), et un éclairage général dynamique et changeant au fil du déroulement du Fragment interprété. Ainsi, chaque Fragment, d’une durée d’une heure, devient un théâtre musical à la dramaturgie unique. Vous aurez compris que Weilerstein n’a pas joué les six Fragments de son projet total hier. Le concert se serait terminé au milieu de la nuit! Nous avons donc eu droit aux deux premiers de la série. 

À noter que ce concert fait partie de la programmation du Festival Bach 2023. Toute la programmation est en ligne ici.

Mais bon, vous êtes ici pour savoir si c’était bon, non? Bien entendu, cela dépend des sensibilités de chacun, mais pour ma part, je suis très heureux du résultat, et j’ai très envie de connaître les quatre autres cycles de la série.

Je ne vous inonderai pas avec une description de chaque pièce enchaînée avec chaque autre, et tel mouvement de Bach, etc. Ce serait comme décrire une liste d’épicerie. Je tenterai plutôt de caractériser chacun des deux Fragments entendus, car là est l’intérêt de la chose : il s’agit d’une proposition artistique qui remet Bach en contexte à l’intérieur de cycles musicaux contemporains possédant une personnalité unique. Du moins, c’est ce que j’ai compris de l’exercice.

Fragments I est organique, fluide et ‘’pacifiste’’. La relation entre les pièces contemporaines et celles extraites de la Suite sol majeur, BWV 1007 (la no 1) est en général bienveillante, quoique certains éclats contrastant se manifestent ici et là. Joan Tower, Reinaldo Moya, Chen Yi, Gil Schwarzmann et Allison Loggins-Hull ont créé un dialogue fait de post-minimalisme, de modernisme lyrique et même de sonorités latines et chinoises (trés diluées. Pas de ‘’crossover’’ pop ici), avec le grand Jean-Sébastien. La scénographie et l’éclairage sont faits de caractérisations symboliques assez évidentes : les cubes/panneaux sont agencés de manière équilibrée, en demi-cercle parfait et ceinturant la soliste comme l’intérieur d’un temple. Une scène sur la scène. De plus, ils deviennent blancs pour chaque mouvement de Bach (symbole de pureté?). Pour les autres, nous avons des teintes de rouges, de bleus et d’orangés assez chaleureux. Les transitions entre les pièces se font de manière assez naturelle. Nous sommes ici dans un parcours émotionnel posé qui offre aux spectateurs une entrée en matière à la fois étonnante et amicale. La modernité des pièces nouvelles n’est pas astringente, quoique tout de même exigeante en terme d’écoute attentive. 

Fragments II est différent. D’entrée de jeu, Weilerstein est elle-même dans un autre personnage : habillée plus ‘’modernement’’ et surtout coiffée façon ‘’glam-rock’’. La musique est lancée sur les chapeaux de roue : une attaque frontale rythmique et dynamique avec une pièce de la Québécoise Ana Sokolovic qui crache sa virulence au public. Le message est lancé : on est ailleurs. En fait, c’est l’ensemble du Fragment II qui est placé sous le signe d’une personnalité beaucoup plus agressive que le premier (mais pas que, car un superbe épisode final où Weilerstein chante une douce berceuse tout en s’accompagnant offre un moment de grande tendresse poétique). Fragment II est un cycle de contrastes frappants, dans lequel Bach et nos contemporains se heurtent et se jaugent. Mais, il y a bel et bien dialogue. Un dialogue argumentatif où l’on n’est pas toujours d’accord, mais qui reflètent tout de même une réalité bien actuelle : tout n’est pas rose et harmonie dans un monde de bonnes intentions. Du choc naîtront aussi de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. La mise en scène, encore une fois, caractérise cette personnalité de façon claire : les cubes/panneaux sont, cette fois, éparpillés sur scène, certains couchés. On a l’impression que le temple évoqué dans le premier Fragment est maintenant en ruines. Bach continue d’être en blanc, mais l’éclairage de scène est beaucoup plus cru qu’en première partie. Des projecteurs bord en bord assaillent souvent la soliste. Les pièces de ce cycle ne s’enchaînent pas, elles se suivent et se cognent. Ce sont donc les univers d’Ana Sokolovic, Caroline Shaw, Gity Razaz, Daniel Kidane et Alan Fletcher qui ont ici le mauvais rôle : celui de faire paraître Bach comme salvateur dans un monde en perdition. 

Cela dit, les œuvres nouvelles de ces compositeurs et compositrices ne sont pas, en toute honnêteté, si terribles. On a entendu bien pire. Certes, elles sont souvent rythmiquement motoriques, ou dynamiquement explosives, mais les discours offerts sont compréhensibles. Toutes les pièces ‘’racontent’’ quelque chose, dramatiquement parlant, bien que cela puisse être n’importe quoi, et très différent selon la personne qui écoute. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a aucun exemple, nulle part, d’atonalisme dodécaphonique ou sériel cérébral. Rien qui puisse se réclamer, non plus, de l’avant-garde expérimentale. Rien non plus, à l’inverse, de franchement néo-classique/romantique, ou strictement minimaliste. C’est peut-être d’ailleurs là où Weilerstein aurait pu creuser davantage, afin de donner un portrait plus réaliste de la musique d’aujourd’hui. J’admets que le travail de cohésion aurait été décuplé. Mais personne ne dit que la véritable création est simple. 

La Maison symphonique, pas pleine mais bien garnie, a réagi favorablement en majorité. Une partie du public n’est pas revenue après le premier Fragment, et quelques personnes sont parties pendant le deuxième. Il y avait quand même un nombre appréciable de jeunes, et je n’ai pas cru constater que ceux-ci étaient parmi les déserteurs! Je dis ça, et je ne dis rien…

Un collègue a émis l’opinion qu’il n’y avait peut-être pas d’intérêt à l’exercice s’il fallait ‘’détourner’’ Bach (à sa décharge, je pense qu’il faisait référence à l’approche très ample et romantique du jeu de Weilerstein dans les extraits des Suites, mais son opinion générale du concept n’était pas vraiment plus enthousiaste…). Je me demande comment on peut encore en être là dans ce genre de réflexion. Je ne retrouve plus la référence (qui a dit cela à l’époque?), mais les arrangements de Liszt de symphonies de Beethoven pour piano seul généraient le même genre de réactions de certains ‘’spécialistes’’ au 19e siècle. Et probablement toutes les ‘’revisites’’ de grands classiques à travers l’histoire de la création. 

La démarche de la violoncelliste Alisa Weilerstein est résolument contemporaine. Pas dans le sens d’un avant-gardisme harmonique et désormais académique qui remonte en fait à carrément un siècle. Plutôt, et essentiellement, dans le sens d’une posture d’écoute et de conception de la musique réellement contemporaine, digne du 21e siècle et de l’ère des playlists Spotify ou celles de nos téléphones. Les traditionnels conservateurs continuent d’écouter la musique dans une perspective absolutiste où le premier mouvement vient avant le 2e, et où une Allemande de la Suite en ré mineur, BWV 1008 (la no 2) ne suit pas logiquement une pièce qui lui est stylistiquement extraterrestre et qui est intitulée With One Foot Heavy and the Other Light, Johanna and Anna Lilted Across Long Years (Microfictions vol.2, I). Pourtant, au 21e siècle, la nouvelle ‘’écoute’’ est ainsi déconstruite, chez les plus jeunes, surtout. Weilerstein (elle n’est pas la seule) nous propose un autre narratif du concert. Un scénario où ce dernier n’est plus le simple miroir d’un répertoire bien rodé et structuré, ou encore le perroquet d’une conception discursive basée sur une liste d’œuvres ‘’à jouer’’, dans le bon ordre et avec les bons compléments. Dans cette proposition, et à l’instar de la radio qui s’est dans le passé affranchie de la structure du concert, le concert façon Weilerstein s’affranchit aujourd’hui de la disposition traditionnelle dans laquelle il est enfermé depuis le 19e siècle. Les jours du programme live Ouverture-Concerto-Symphonie (pour la version d’orchestre) sont bien comptés. Le récital, moins contraint, se voit quand même remis en question par ces Fragments.

Est-ce une bonne chose? Une mauvaise chose? C’est une réalité. Il est futile de s’y opposer pour des raisons idéologiques ancrées dans une certaine conception rigide du bon goût, ou de la ‘’pertinence’’. On a eu des querelles entre les ‘’Modernes’’ et les ‘’Anciens’’, entre la gang à Brahms et celle à Wagner, entre les partisans de Boulez et ceux de Glass. Bêtises, toutes ces certitudes. Aucun de ces camps n’a fait disparaître l’autre, ou l’a rendu obsolète. 

Il n’est pas non plus pertinent de savoir si ce que Alisa Weilerstein propose avec ces Fragments deviendra une forme ‘’à la mode’’ ou pas. Ou annonce une déconstruction totale des formes d’écoute du concert classique. Mais ce qui est certain, c’est que l’artiste explore un besoin très actuel, et très pertinent celui-là, de revoir la façon dont les concerts classiques sont donnés et écoutés. Ce questionnement est très contemporain et nécessaire, qu’on le veuille ou pas. Il est réjouissant, aussi, car il montre que la musique classique continue de susciter des questionnements, et qu’une jeune génération est prête à expérimenter avec elle, pas seulement en l’écrivant, mais aussi en la présentant à sa façon et selon ses propres codes. Ça, ça me dit qu’elle est bien vivante, et j’en suis très heureux.

Weilerstein (qui a joué spectaculairement avec une étonnante diversité de textures et de sonorités) n’a peut-être pas trouvé la formule magique (de toute façon, je suis sûr qu’il n’y en a pas!), mais elle a offert une idée, et nous a donné un ‘’spectacle’’ dont j’ai envie de connaître la ‘’suite’’ (lol).

Afrique / roots reggae

Danser poings levés avec Tiken Jah Fakoly

par Claude André

Dans un Mtelus gonflé à bloc, le grand chaman du reggae francophone Tiken Jah Fakoly a dégoupillé, mercredi soir, ses hymnes fédérateurs sur des rythmes new roots chaloupés.

C’est « l’artiviste » montréalaise d’origine mexicaine Noé Lira qui avait la lourde tâche d’assurer la première partie du reggaeman tant attendu.

Si certains ont maugréé en apprenant qu’il faudrait se farcir une prestation avant celle de Tiken Jah, la jeune chanteuse-accordéoniste et sa bande de filles (clavier, percussion, violoncelle) auront tôt fait de changer cette humeur, tant la jeune protégée de l’étiquette Bonsound irradie par son énergie solaire, ses danses hypnotiques, ses couleurs vives et sa contagieuse fureur de vivre. On la verra probablement un jour enflammer la foule depuis la grande scène de la Place des festivals.

Vers 21 heures, un groupe composé de 10 personnes, dont une section de cuivre et une autre de choristes, a chauffé la salle pour celui qui, fidèle à son habitude, s’est présenté sur le côté cour vêtu de sa tunique africaine, chantant Dernier appel, bâton de sourcier à la main jouant, encore une fois, son image de prophète en mission.

L’image n’est pas fortuite.

Depuis plus de 25 ans, le frère spirituel de Bob Marley et de Martin Luther King écume de sa voix rêche les scènes de l’Afrique francophone, d’Europe et du Québec avec ses chansons fédératrices qui lui ont valu quelques inimitiés, voire des interdictions de séjour et autres menaces carcérales, de la part de dictateurs patentés.

« L’Afrique est un des continents les plus riches et sa population est une des plus pauvres : est-ce que c’est normal ça? », demandera-t-il au cours de la soirée, suscitant l’engouement d’une foule qui avait parfois l’air de militants enthousiasmés par un meeting politique.

Comme un seul homme

Ainsi, aux premières notes de Plus rien ne m’étonne, les spectateurs se sont d’emblée mis à chanter en chœur, avant même que le chanteur ne s’exécute. Ce qui a semblé agréablement le surprendre.

Assurément le moment le plus fort de la soirée. Surtout sur le parterre où régnait une fièvre solidairement contagieuse et festive. Quelques chansons, moins percutantes (Où est-ce que tu vas? Religion, I Can Hear), feront baisser la température avant l’hymne écolo Le monde est chaud. Une chanson qu’à la demande du charismatique frontman, la foule a dansé en brandissant le poing pour… la planète!

Nous avons alors eu droit à un interlude au cours duquel les musiciens ont quitté leur poste pour danser à la queue leu leu sur scène au son de la batterie, tandis que Tiken, de retour avec ses vêtements de ville cette fois, a fait de même en nous gratifiant de ses savates et autres coups de pieds imaginaires. Le quinquagénaire a encore la pêche!

Il nous balancera cette fois Quand l’Afrique va se réveiller, une variante de Le peuple a le pouvoir jouée en première séquence. Une pièce qui n’aurait pas déplu à La Boétie, l’auteur du célèbre Discours sur la servitude volontaire.

Parmi les autres temps forts, notons, la libératrice Quitte le pouvoir ainsi que l’entraînante (mais fort utopiste) Ouvrez les frontières, qui a suscité des acclamations enthousiastes, ainsi que Braquage de pouvoir en rappel.Bref, une autre belle soirée reggae signée Tiken Jah : efficace, requinquante, mais, pour être honnête, sans surprise, un peu comme du comfort food pour les oreilles.

photo live tirée de la page FB de Tiken Jah Fakoly. cr: Anais Fournier – Matthis Vander – Bernard Benant – Léa Daher

jazz

ONJ – Hommage à Wayne Shorter

par Varun Swarup

Il n’est pas surprenant que l’Orchestre national de jazz de Montréal ait livré une excellente prestation hier soir, mais on peut se demander s’il s’agissait d’un hommage tout à fait approprié à une sommité comme Wayne Shorter. À l’instar de nos impressions sur la prestation de Ron Carter avec l’Orchestre jazz des diplômés-es de l’Université de Montréal, sous la direction de Ron Di Lauro encore une fois, l’ensemble n’a peut-être pas réussi à rendre hommage à la contribution unique de M. Shorter au lexique du jazz. 

La soirée à la Cinquième Salle de la Place des Arts a commencé sans cérémonie, avec deux arrangements de qualité mais pour la plupart oubliables, sans rapport avec le reste du programme. Hammerhead, la première composition de Shorter à laquelle nous avons eu droit, était un premier choix décevant. Il s’agit d’un morceau hard-bop précoce et quelque peu orthodoxe écrit par le compositeur-interprète pendant ses années avec Art Blakey et les Jazz Messengers, sans doute avant qu’il ne commence vraiment à prendre son envol.

Ce morceau me semble tout simplement superflu compte tenu de l’immensité du répertoire de Shorter. Endangered Species, le morceau suivant, était une sélection tout aussi curieuse et j’imagine que beaucoup ne la connaissaient même pas – ou très peu. L’excitation était palpable lorsque le morceau suivant fut Armageddon, un classique des années dorées de Shorter sur Blue Note.

Bien sûr, il ne s’agit pas de critiquer les musiciens. Il est certain que chaque membre de ce très bel ensemble a fait preuve de diligence, la section des saxophonistes composée de Jean-Pierre Zanella, Samuel Blais, André Leroux, Frank Lozano, Alexandre Côté, se surpassant pour rendre hommage au maître. Si seulement ils étaient présents sur des arrangements plus mémorables. « Yes or No » se démarque comme l’une des pièces qui se rapproche le plus de l’esprit vital et audacieux de la musique de Shorter.

Malheureusement, le rappel de Speak no Evil, interprété dans une sorte de style latin, n’a pas suffi.  La soirée est restée très agréable, mais lorsqu’un ensemble cherche à rendre hommage à des icônes comme Wayne Shorter, il est essentiel de choisir un répertoire qui rende vraiment hommage à l’héritage de l’artiste. L’absence de certaines compositions emblématiques et l’approche conservatrice des arrangements m’ont laissé, comme peut-être beaucoup de spectateurs, dans l’attente d’un reflet plus authentique de l’imagination musicale de Shorter. 

OSM | Alban Berg et la 7e de Beethoven : surprises et élégance au programme

par Rédaction PAN M 360

L’OSM continue la parenthèse « Beethoven » de sa saison avec un concert faisant écho au précédent. De façon similaire au concert présentant le Concerto pour violon, on présente la gracieuse et si dansante 7e Symphonie en la remettant en perspective avec des compositeurs qui ont remis en question la composition classique.

C’était le thème pour les deux concerts. La première école de Vienne (Haydn, Mozart et surtout Beethoven) est mise en opposition, ou plutôt en perspective face à la seconde (Schoenberg, Berg et Webern). On ne semble pas avoir la chance d’entendre du Schoenberg cette année à l’OSM, mais Anton Webern était à l’honneur en octobre et cette fois-ci c’est Alban Berg qui était sur le programme.

De façon assez subtile, on sent que ce sont les œuvres de Berg qui ont construit le programme, même si leur présence est invisible dans le titre du concert. Les Trois pièces pour orchestre sont complexes et surprenantes. Les contrastes et les coups de tonnerre des percussions gardent en haleine. On sursaute et on s’étonne devant les sonorités agressives de la partition. La scène était bondée, avec un orchestre puissant qui jouait très fort, voire trop par moments. La seconde œuvre de Berg, le Concerto pour violon souvent appelé « À la mémoire d’un ange » est souvent considéré comme l’aboutissement du langage dodécaphonique. On sent la douleur et la tristesse dans les lignes mélodiques sinueuses qui semblent impossibles à résoudre. Le soliste Augustin Hadelich offre une interprétation cristalline, contrôlée et hypnotique. D’une difficulté technique palpable et d’une grande imprévisibilité, il est sûr que l’exécution de ces deux œuvres a été un défi de taille pour l’orchestre et Hadelich, mais un défi relevé avec brio. Le soliste a remercié le public avec un rappel, soit l’Andante de la Sonate no. 2 de Bach.

La 7e Symphonie de Beethoven, l’œuvre principale du concert, est d’une élégance et d’une majesté incomparable. Considérée comme « l’apothéose de la danse », on s’imagine facilement à un grand bal au palais du Prince, avec la cour dans ses plus beaux habits. Une ouverture plus contrôlée ouvre la voie à une interprétation basée sur une montée graduelle, mais constante, d’intensité. Les musiciens de l’orchestre semblent connaitre la partition par cœur, et la direction de Christophe Eschenbach est efficace. D’une apparence très carrée, ses mouvements indiquent son investissement dans les différentes sections. C’est une bonne clé d’écoutepour chacune des oeuvres.

Évidement, le magnifique et si acclamé second mouvement de la Symphonie vole un peu la vedette. On sent tout de même un certain plaisir à voir l’orchestre mettre en valeur les autres mouvements, notamment le troisième et le quatrième, qui sont joué avec toute l’intensité qu’on s’attend désormais à voir sous la direction artistique actuelle.

Beethoven sera de retour à l’honneur en avril 2024 avec la visite de Kent Nagano. Pour plus de détails sur les concerts à venir, visitez la page de l’OSM ICI.

Crédit photo : Antoine Saito

Chanson francophone

Coup de cœur francophone | Le pari de Moran

par Claude André

Piano, violon, violoncelle, contrebasse, images fantomatiques de la maison en Toscane et plus encore.  Moran a brillamment relevé le défi en se frottant, hier soir, à l’œuvre de l’« immense provocateur » qu’était Léo Ferré.

Après Catherine Sauvage, Renée Claude, Philippe Léotard, Dan Bigras, une question me hantait : est-ce que la voix basse, le chant chevrotant et la personnalité scénique plutôt calme de Moran se marieront bien au chant et aux déclamations si marqués et parfois très intenses de Ferré?

Ouverture avec Préface. Un texte déclamé dont quelques lignes auront traversé le temps pour devenir des citations : « ce qu’il y a d’encombrant avec la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ». Puis, autre chef d’œuvre Tu ne dis jamais rien. La pièce qui aura inoculé à Moran la passion ferréenne.

Tout vêtu de noir, comme les quatre instrumentistes derrière lui, Moran, près de son lutrin, assume. Voix limpide et prononciation soignée font mouche. Le ton est donné. L’artiste nous avait dit qu’il abordait ce tour de chant avec « respect et humilité ».

C’est vrai. Trop, se dit-on ici et là, notamment, après Ni dieu ni maître qui était aussi pour Léo une chanson exutoire. Lorsque l’on manipule des mots fait de nitroglycérine, l’explosion ne doit-elle pas se produire? Le spectacle en est seulement à sa seconde représentation et « on apprend à se connaître devant vous », dira Moran.

Des perles noires 

Qu’à cela ne tienne, les classiques défilent comme autant de perles de Beaujolais nouveau grand millésime grâce aussi aux orchestrations exquises électro-acoustiques et aux ambiances sonores du pianiste Martin Lizotte. Sans oublier les jeunes et talentueuses musiciennes aux cordes : Marie Nadeau-Tremblay (violon), Sahara von Hattenberger (violoncelle) et Émilou Johnson (contrebasse et basse).

Avant la pause, nous avons droit à un diaporama onirique où Mathieu Ferré récite un texte méconnu, mais savoureux, de son illustre père à propos de Bardot, Gainsbourg, Aznavour, Jésus et autres Johnny Hallyday : Les idoles n’existent pas. Hélas, en raison de la disposition des musiciens et de leurs instruments, les images projetées à hauteur de scène sont voilées pour le public du parterre dont nous sommes.

Au retour, La Solitude raisonne. Le violoncelle pleure et nous entraîne dans ses sanglots longs de l’automne. Moran, qu’on ne voit pas sur la scène, se révolte. On passe du respect à la connivence. L’explosion se produit. Fiou. Il se passe vraiment quelque chose.

Le choix des titres a dû être déchirant, mais au final, des plus judicieux : Pépé, qui ne devait pas être sur la liste, s’avère une des interprétations les plus touchantes. Moran peut s’aventurer dans les notes plus hautes. Le public avisé aura eu droit à La Mémoire et la mer, Ton Style, C’est extra (plus difficile) et autres perles noires, avant l’incontournable Avec le temps. Il n’y aura pas de rappel, c’était prévu.

On repart ragaillardi en se disant que, quoiqu’en dise Moran en entrevue, il est presque impossible que ce spectacle ne se retrouve pas un jour capturé sur disque.

Non, avec le temps, tout ne s’en va pas. On l’a redécouvert hier soir. Vivement une tournée, nous serons au rendez-vous. Tout comme notre jeune voisin de table, francophile de Vancouver, qui est né à… la Mecque. 

C’est le vieil anar qui n’avait ni dieu ni maître qui serait ravi.

crédit photo: Jean-François Leblanc

Chanson francophone / indie folk / indie pop / indie rock

Coup de coeur francophone | Le Roy, la Rose et le Lou[p], quand s’unissent les forces montantes

par Jacob Langlois-Pelletier

Le lendemain du Gala de l’ADISQ 2023, quoi de mieux que de voir sur scène le trio formé de la récipiendaire du Félix de la « Révélation de l’année » en 2022, Ariane Roy, et de deux anciens nommés dans cette catégorie en 2019 et 2021, Lou-Adriane Cassidy et Thierry Larose.

Après avoir été réunis sur scène le temps d’un concert mémorable aux Francos 2022, les trois auteurs-compositeurs-interprètes avaient annoncé en juin dernier une courte tournée de neuf représentations. Devant un Club Soda plein à craquer lundi soir, Le Roy, La Rose & Le Lou[p] ont offert une excellente prestation, à la hauteur de leur talent.

En lever de rideau, les trois artistes se présentent au public, chacun assis sur une chaise, guitare à la main. En ce début acoustique, ils interprètent la chanson thème de leur formation, suivie d’un titre solo de chacun des membres. On remarque tout de suite que nous n’avons pas affaire à un simple spectacle. Les différents morceaux sont ré-imaginés en trio, donnant vie à une superbe version de Cantalou ornée des harmonies de Cassidy et Roy.

D’entrée de jeu, une connexion spéciale s’installe entre eux et le public. Presque silencieuse par moment, la foule est admirative des talents qui se déploient devant elle. Cependant, ce court moment guitare-voix était loin d’être annonciateur du reste du spectacle…

Fin du segment plus intimiste, Thierry, Lou-Adriane et Ariane se lèvent et leur band fait son entrée sur scène. Le rythme devient effréné, la batterie et les guitares se déchainent. Leurs voix s’y mêlent à merveille. La proposition des trois protagonistes est rock, ça décoiffe et ça fait bouger le Club Soda.

Les trois membres sautent, dansent  et s’échangent de nombreux sourires; leur plaisir est contagieux. Ils s’échangent le rôle principal alors qu’on navigue dans leurs discographies respectives. Le résultat est cohérent et on salue tout le travail réalisé pour ficeler une telle soirée. 

Ce qui monte doit redescendre, Le Roy, La Rose & Le Lou[p] ont offert un moment de douceur et de calme au public en fin de spectacle. Au piano et accompagnée par la voix d’Ariane Roy, Lou-Adriane Cassidy a chanté Ça va ça va. Sa délicatesse a charmé les gens présents et c’était sans équivoque l’un des moments phares du spectacle.

Après le titre Les amants de Pompéi porté par les chants du public, Thierry Larose s’est écrié « Vive la musique québécoise! », deux fois plutôt qu’une. Si l’art de ces trois artistes prometteurs ne vous convainc pas que de la bonne musique peut se faire ici, aussi bien vous traiter de cause perdue…

Crédit photo : Jacob Langlois-Pelletier

art-punk / expérimental

Une soirée avec Pussy Riot: ce groupe qui n’en est pas un

par Ann Pill

Si les spectateurs pensaient assister à un concert des Pussy Riot, ils ont peut-être été un peu déçus par leur prestation à guichets fermés mercredi soir au Théâtre Rialto.

Ceux qui s’attendaient à une expérience d’activisme multimédia, à une performance absurde mais émouvante et poignante, ont été servis. La salle de ce magnifique ancien cinéma était pleine à craquer, mais la scène était étrangement stérile. Quelques tambours, quelques pieds de micro, un DJ et une longue table avec une quantité ridicule de bouteilles d’eau (nous reviendrons sur les bouteilles d’eau plus tard).

Le spectacle, intitulé Riot Days, est une « pièce » au sens le plus large du terme, basée sur le livre de Maria (Masha) Alyokhina, membre de la communauté Pussy Riot. Il s’agit des mémoires de Maria (Masha) Alyokhina, qui raconte les deux années qu’elle a passées dans une prison du goulag après la fameuse action « punk-prayer ».

Pour les non-initiés, les Pussy Riot sont un groupe de protestation féministe et un collectif artistique. En 2012, elles ont donné une de leurs célèbres représentations de guérilla à la cathédrale de l’église du Christ-Sauveur de Moscou, pour protester contre la réélection de Poutine et ses liens avec l’Église.

Les Pussy Riot ont compté 10 à 15 membres au fil des ans, mais seules quatre d’entre elles se sont produites : Maria Alyokhina, Diana Burkot, Olga Borisova et Alina Petrovna.


Alexander Cheparukhin, producteur et réalisateur des éléments visuels des Riot Days, a présenté le groupe. « Ils n’ont jamais été un groupe punk », a-t-il dit à la foule, « ils n’ont jamais été un groupe du tout. »

On pouvait sentir l’incertitude au sein du public quant à ce qu’ils attendaient de cette soirée.

Des codes permettant de faire des dons aux hôpitaux pour enfants ukrainiens étaient disséminés un peu partout. Les membres de Pussy Riot n’ont jamais perdu de vue les réalités de la guerre et la situation en Russie pendant leur performance.

Le spectacle a commencé par une performance de Liza Anne, une ouverture parfaite qui a donné le ton de l’activisme étrange de la soirée. C’était à la fois beau et émouvant quand elle a parlé de son coming out à 30 ans et comment maintenant elle est « sobre, amoureuse, et que tout a un sens ». Dans la foulée, elle s’est lancée dans un numéro chorégraphié délicieusement déroutant sur son amour pour Shania Twain.

Cette combinaison de beauté, d’émotion, de chaos, de confusion et d’humour a été le fil conducteur de la soirée. La performance des Pussy Riot nous a mis en état d’alerte. À un moment donné, Alyokhina s’est tenue au centre de la scène, se versant une bouteille d’eau après l’autre sur la tête, tandis que Borisova arrosait le public.


La leader, trempée de sueur, allume une cigarette et tout le groupe commence à faire des tours de piste.

Chaque élément du spectacle était intrinsèquement relié. Pour les non russophones, le texte à l’écran a clarifié l’élément narratif du spectacle. Cela a également conduit à des parties incroyables du spectacle où l’on pouvait lire en lettres géantes tout en majuscules : « Poutine s’est pissé dessus. »  

Il y avait des vidéos des Pussy Riot au moment de leur arrestation et du contenu de leur infâme prière punk qui a vraiment mis le public dans le contexte de la Russie de l’époque. Chaque livre devrait être accompagné d’un récit d’une heure et demie qui vous est hurlé en russe alors que vous êtes aspergé d’eau.

Bien qu’il ne soit pas certain que le public ait payé pour cela, il était certainement engagé et personne ne pouvait détourner le regard. Le spectacle a vraiment pris de l’ampleur après l’arrosage de bouteilles d’eau. Malheureusement, le son était un peu bizarre. Mais le spectacle était tellement synchronisé et chorégraphié qu’il a pu suivre son cours.


Les Pussy Riot ont sorti beaucoup de nouvelles musiques ces deux dernières années, avec des éléments vraiment sympas, mais nous n’avons entendu aucun de ces succès lors de ce spectacle. La musique était surtout un outil pour vous tenir au courant de l’histoire de Masha. Il ne s’agissait ni de leur ancien son punk brut, ni de leur nouvelle musique pop électronique plus accessible. C’était une bande-son expérimentale presque industrielle. 

Ce n’était pas un concert. Les Pussy Riot ne sont pas un groupe. Il s’agit d’un groupe d’activisme politique qui a diffusé son message par le biais de la musique. Mais leur message féministe anti-Poutine est plus important que jamais. Et si entre l’eau dans les yeux et la surcharge sensorielle qui s’est produite sur scène, le message à retenir était peut-être « Poutine a fait pipi dans son pantalon. »


Crédit photo: Sarah O’ Driscoll 

Festival Ligeti à la Salle Bourgie | Pierre-Laurent Aimard : Touchantes et transcendantes perspectives

par Rédaction PAN M 360

Il y a cent ans déjà, le fascinant compositeur hongrois György Ligeti voyait le jour. Même s’il a disparu en 2006, sa musique a préservé une trace imposante sur la musique contemporaine et actuelle des XXe et XXIe siècles. La Salle Bourgie et le Quatuor Ligeti ont invité une foule d’interprètes et de compositeurs à venir rendre hommage à cet architecte sonore aussi diversifié que bouleversant.

La musique de Ligeti est difficile à définir en une seule œuvre puisqu’elle évolue non seulement à travers les formats dans le quel il a composé, mais aussi à travers les périodes. Ainsi, il était impossible d’adéquatement représenter et honorer son œuvre à travers un seul concert. C’est pourquoi ce festival est composé de trois concerts distincts, indépendants, pour t’enter de représenter les différents aspects du travail de Ligeti et de le présenter à un public souvent déjà conquis, mais toujours aussi curieux face à une musique si inusitée.

Le dernier concert du Festival Ligeti invitait un musicien de marque. Le fantastique pianiste français Pierre-Laurent Aimard venait rendre un hommage remarqué et sincère à un proche collaborateur et ami en la personne de Ligeti. Il a proposé un touchante mise en perspective des œuvres pour piano du compositeur avec les œuvres du répertoire classique (avec Beethoven), romantique (avec Chopin) et moderne (avec Debussy). C’était également l’occasion de mettre en valeur le nouveau piano à queue de concert de la Salle Bourgie (un Steinway modèle D-274 de Hambourg).

La première partie est entièrement consacrée à l’alternance entre les mouvements de la Musica ricercata (1951-1953) de Ligeti et des Bagatelles de Beethoven (une sélection parmi elles). On apprécie la manière avec laquelle Aimard met en évidence les idées en résonnance et les liens étroits entre l’écriture des deux compositeurs. On se surprend à parfois perdre le fil et à confondre les deux compositeurs, du moins lorsque l’on ne connait pas les œuvres par cœur. On ne peut qu’admirer l’interprétation intense et magnifique de la part du pianiste.

Le programme de la seconde partie a été modifié, offrant à nouveau une alternance de compositeurs, cette fois-ci entre les œuvres de Ligeti, Chopin et Debussy. Cela donne l’occasion à Aimard de comenter chaque œuvre du programme et d’en expliquer la logique. L’attention avec laquelle il a reconstruit le programme démontre tout l’amour sincère qu’il portait pour Ligeti et sa musique, et on le sent à travers l’exploration harmonique, mélodique et rythmique qu’il a proposé. Il offre même un rappel, où il joue l’œuvre Fanfares qui avait été retirée du programme. Un grand succès et une belle occasion de réfléchir sur les échos entre les époques.

On peut qualifier la célébration de György Ligeti et son Festival à la Salle Bourgie comme un succès. Que cela soit une occasion de découvrir ou d’approfondir sa connaissance sur le compositeur hongrois, une chose est sûre : il a été impossible de rester passif devant la musique intensément créative et époustouflante de ce monument de la musique contemporaine.

Crédit photo : Claudine Jacques

Festival Ligeti à la Salle Bourgie | Quatuor Ligeti : Comment honorer un géant?

par Rédaction PAN M 360

Il y a cent ans déjà, le fascinant compositeur hongrois György Ligeti voyait le jour. Même s’il a disparu en 2006, sa musique a préservé une trace imposante sur la musique contemporaine et actuelle des XXe et XXIe siècles. La Salle Bourgie et le Quatuor Ligeti ont invité une foule d’interprètes et de compositeurs à venir rendre hommage à cet architecte sonore aussi diversifié que bouleversant.

La musique de Ligeti est difficile à définir en une seule œuvre puisqu’elle évolue non seulement à travers les formats dans le quel il a composé, mais aussi à travers les périodes. Ainsi, il était impossible d’adéquatement représenter et honorer son œuvre à travers un seul concert. C’est pourquoi ce festival est composé de trois concerts distincts, indépendants, pour t’enter de représenter les différents aspects du travail de Ligeti et de le présenter à un public souvent déjà conquis, mais toujours aussi curieux face à une musique si inusitée.

Le second concert, dimanche après-midi, était l’occasion pour plusieurs compositeurs de rendre hommage à György Ligeti à travers des œuvres commandées par le Quatuor Ligeti. On entend des œuvres de Nicole Lizée, de Xiaoyong Chen, d’Emily Hazrati, de Mandhira de Saram, de Rolf Hind, de Sidney Corbett, d’Ana Sokolovic, et surtout de Lukas Ligeti, le fils de György, dont l’œuvre Entasis ouvrait le programme.

On retrouve dans leurs œuvres des évocations, des pastiches et des emprunts au style particulier de Ligeti (père). On explore à la fois les rythmes et les timbres, jumelant à quelques reprises la voix et les sifflements aux sont rudes des techniques de violon souvent demandées par le compositeur. On se rend compte durant cette première partie à quel point Ligeti a su utiliser l’étendue du langage musical contemporain, en ajoutant des dimensions de texture et d’intensité qui ont inspiré plusieurs générations de compositeurs après lui. Le Quatuor Ligeti est d’une qualité exemplaire et communique parfaitement les intentions des partitions.

Le concert s’est terminé par les deux Quatuor à cordes du compositeur, des œuvres qui mettent en valeur l’agressivité et la délicatesse anxiogène du style plus mature de Ligeti. Les contrastes sont frappants, sur le plan des sonorités et de l’intensité, et on est facilement happés par la force de l’écriture. On est épuisés à la fin, mais on en sort rassasiés et marqués.

Pour lire le compte rendu du troisième et dernier concert, c’est ICI!

Crédit photo : Claudine Jacques

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