électroacoustique / expérimental / contemporain

AKOUSMA , un 20 octobre | Giannini, Benedicte, Merino, Block, Gonima, Aho Ssan

par Salima Bouaraour

Mécanique, électrique et électronique: cette 19e édition d’Akousma nous a  offert une soirée de clôture avec un plateau d’artistes canadiens et internationaux  synthétisant la richesse et la variété de la musique concrète née il a 75 ans, renommée  électroacoustique au fil du temps.  

Bloc 1: Nicolas Giannini (CA/IT), Bénédicte (CA), Elias Merino (ESP)  

Nicola Giannini  (Canada / Italie )

La pièce présentée, ici, Rebonds, fut une ouverture plutôt académique: un véritable  exercice de style. Jouant sur la figure rythmique du ricochet sonore, ce compositeur doctorant à l’Université de Montréal a présenté 13 minutes de superpositions et  d’enchaînements de corps sonores ainsi que des jeux de spirale répétitive et à vitesse  croissante. Cette chorégraphie a su exploiter toutes les possibilités de la spatialisation  et de l’immersion. En effet, elle a été le fruit d’une résidence au centre d’art, Spoborole,  à Sherbrooke. Nicola Giannini a remporté de nombreux prix et mentions: premier prix  au concours JTTP 2019 organisé par la Communauté électroacoustique canadienne,  mention honorable au XII° concours de la Fundación Destellos, finaliste au concours  Città di Udine 2018 et prix Micheline-Coulombe-Saint-Marcoux lors de la première  édition concours AKOUSMAtique en 2022. Un préambule tout à fait convenu.  

Bénédicte  (Canada )

La montréalaise -artiste interdisciplinaire, de son vrai nom, Maxime Gordon- dévia  franchement vers l’électronique. Nappes rondes et profondes de synthétiseurs en spirale formant et déformant le paysage sonore avec en final,  l’introduction d’échantillons de voix féminines. Les oreilles averties ont pu analyser  cette symbiose de sons se défiant de toutes les frontières de genre. Il est à noter  qu’elle est DJ, compositrice et performeuse. Sa pièce Halves Shoals semblait être le  chassé-croisé de toutes ses cordes de compétences. Elle a su nous porter dans un  univers sensuel, intérieur et d’une grande candeur. Ses productions se jouent à MUTEK  (Montréal), à l’Institut du Son Spatial (Budapest), à MONOM (Berlin), à Eastern Bloc x  Nuit Blanche (Montréal) ou à Glory Affairs x Punctum (Prague). Elle travaille  actuellement sur un nouvel album et organise des promenades sonores (soundwalk) à  travers Montréal.

Elias Merino (Espagne)

Le Bloc 1 de la soirée s’est conclu avec Synthesis of Unlocated Affections: empathy distress (2023)  d’une durée de 30 minutes. Un retour à l’expérimentation pure. Les maîtres mots ici  étaient plutôt: déconstruction, contemplation fracturée, immersion à revers. À l’instar  d’une nouvelle fantastique, ce récit de musique abstraite a transgressé les lois  naturelles. Entre altérité et étrangeté, le malaise était perceptible, ressenti, palpable.  Cet artiste espagnol s’intéresse énormément aux futurs spéculatifs et à la fiction. Un  scénario bien ficelé entre littérature et musique.  

Bloc 2 : Olivia Block (US), Evan Magoni / Gonima (US/CA), Aho Ssan (FR)  

Olivia Block  (États-Unis)

24 minutes de plongée sous les eaux du lagon de San Ignacio, dans la Baja California Mexicana. Un long travail texturé du son basé sur des enregistrements in-situ ou en  studio en audio-synthèse pour s’inviter dans le milieu de vie des baleines. Ce site  vierge, protégé par l’UNESCO, laisse transparaître une nature pure. L’États-unienne Olivia Block  et son œuvre Breach nous ont transmis un univers subaquatique et  abyssal. Une pièce riche en émotions. Il était relativement facile de visualiser les  différents collages sonores effectués tels un scénario où différents chapitres  s’ouvraient et se fermaient. Le paroxysme de la pièce fut orageux et résultant à un  déferlement de pluie battante. 

 

Evan Magoni / Gonima  (États-Unis / Canada)

Nouveau sursaut! Cette fois-ci dans l’electronica ambient glitch. Homeostasis d’Evan  Magoni – sous le pseudonyme Gonima- fit remonter la tension avec finesse et subtilité.  Cette œuvre sonore se déploya telle une peinture florale pointilliste avec parcimonie et  une profondeur multidimensionnelle. Cette tension émotionnelle et chaotique sous  contrôle se retrouve aussi chez Autechre, Boards of Canada, Loscil, Aphex Twin, Marc  Leclerc (Akufen). Voilà 15 minutes et 40 secondes de beauté saccadée, syncopée, éthérée.  Gonima a réussi un bel exercice de genre pour laisser la place à l’apothéose.  

Aho Ssan  (France)

Niamké Désiré alias Aho Ssan clôtura le festival en beauté. Et quelle beauté, oui! Falling  Man est une œuvre qui a été commandée par le Groupe de Recherches en Musiques  -intégré à l’Institut National de l’Audiovisuel depuis 1975 et siégeant à la Maison de  Radio France- et cofinancée par le programme Creative Europe de l’Union  Européenne. Prenant pour source d’inspiration, une photographie prise lors de  l’attentat du World Trade Center, cette pièce en trois parties est un pur chef d’œuvre. À l’instar d’une quasi synthèse de toute l’histoire de la musique concrète,  contemporaine, électronique, jazz et hip-hop, Falling Man déploie une richesse et une  finesse sachant conjuguer la vitesse de progression du scénario de tous les corps  sonores, la pétillance des cuivres, la consistance profonde des rythmes et la touche  finale de voix apportant l’espoir et l’optimisme pouvant triompher de l’obscurantisme. Parfois, il faut noter qu’il est largement possible d’analyser l’ampleur intellectuelle d’un  artiste par le biais de ses œuvres musicales. Ici, nul doute. Aho Ssan a fourni une  pièce plus que sonore mais aussi cinématographique, intellectuelle voire philosophique. En effet, il est à souligner que son dernier album Rhizomes évoque la  pensée rhizomatique de Gilles Deleuze, Félix Guattari et d’Édouard Glissant.  

Le festival Akousma se ferma ainsi tel un questionnement musical sur l’actualité,  le monde et ses crises multiples où au lieu de se cliver et se fermer, nous devrions penser à notre horizontalité et notre multiplicité pour mieux exister ensemble.

crédit photo: Caroline Campeau

Les Violons du Roy à la Salle Bourgie | Fougue et sonorités enivrantes avec Anthony Marwood

par Rédaction PAN M 360

Anthony Marwood et les Violons du Roy ont visité la Salle Bourgie vendredi soir pour un concert présentant des œuvres assez peu communes, mais qui après leur écoute en compagnie de ces musiciens aguerris, occuperont certainement une plus grande place dans les mémoires.

Marwood fait très bonne impression sur scène. Son jeu puissant et son showmanship font de lui un violon solo excitant et agréable à entendre. Il réalise avec brio et adresse des lignes mélodiques virtuoses et, surtout, très chargées. Durant la seconde pièce, celle de Mendelssohn, il dirigeait en tant que soliste et sa prestance humble et confiante semblait centrer l’orchestre autour de lui. Il n’y a plus de doutes à avoir sur la qualité des musiciens des Violons du Roy. Chaque section a su réaliser avec justesse et intensité les partitions souvent très complexes des trois œuvres présentées, même en support. On note également le travail exemplaire de Isaac Chalk à l’alto, qui avait d’importantes sections solos durant la dernière pièce, et dont les sonorités évoquaient presque une section complète de vents.

Que dire sur les œuvres joués? On peut commencer par le fait que les trois œuvres ont été composée durant la jeunesse des trois compositeurs. La première œuvre, la Sérénade pour cordes en mi mineur de Edward Elgar a été composée en 1892 alors qu’il avait 35 ans et précède encore un peu sa maturation musicale finale. Il s’agit d’une œuvre enlevante, presque enivrante qui vous emporte dans ces largesses et ses sonorités enchanteresses. La seconde œuvre, composée à 13 ans par Félix Mendelssohn, est le Concerto pour violon et cordes no. 1 datant de 1822. La composition y est plus simple, plus formelle, mais on y trouve une énergie et une intensité tant pour le soliste que pour l’orchestre autour. Le style y est presque classique (Mendelssohn n’ayant visiblement pas encore acquis son style propre), mais on sent l’éclosion proche d’un langage nouveau.

La dernière œuvre est plus paradoxale. L’Octuor en do majeur de Georges Enesco, fabuleusement arrangé par nul autre qu’Anthony Marwood, témoigne de la fougue et de l’ambition du jeune compositeur qui l’a écrit. Enesco avait en 1900, date de la composition, 19 ans et il avait clairement beaucoup de choses à dire. Peut-être un peut trop, parce qu’on perd facilement le fil avec toutes les idées différentes qui nous sont présentées. Les idées musicales sont très intéressantes, mais la surcharge de notes et le manque de continuité laisse l’auditeur un peu au dépourvu. C’est une œuvre de qualité, mais qui démontre également que, parfois, trop vouloir en dire revient à n’en dire que peu au final.

Il s’agit, somme toute, d’un concert bien réussi pour les Violons du Roy. La Salle Bourgie est effectivement bien adaptée à ce format et à cet ensemble. On espère avoir la chance d’en entendre plus souvent dans le futur!

Pour plus d’information sur les concerts des Violon du Roy, cliquez ICI.

électroacoustique

AKOUSMA, un 19 octobre| Bermudez Chamberland, Ratti, Tomoko Sauvage, Senécal, Ahti, Hansen

par Alain Brunet

La seconde soirée d’Akousma, soit jeudi soir à l’Usine C n’a peut-être pas présenté un programme d’anthologie mais la diversité et le relief des propositions au programme valait le déplacement à l’Usine C. 

Diego Bermudez Chamberland

Destin//Trouble, du Québécois Diego Bermudez Chamberland,  est sa deuxième composition d’une œuvre acousmatique répartie en trois mouvements (Cartografía interior). Les forces naturelles, les territoires infinis et le dynamisme de la vie seraient les vecteurs de la mythologie scandinave selon L’Edda, un recueil de l’auteur Snorri Sturluson. Voilà selon le programme officiel la source d’inspiration du compositeur dans le cas qui nous occupe. Ainsi, ces thèmes sont librement adaptés à une morphologie des sons résultant de différentes sources : sons de synthèse, prises de sons « naturels », traitements audionumériques, instruments acoustiques. Cette diversité de sources n’est certes pas une garantie de succès mais on a ici affaire à une œuvre tout à fait concluante, dont on observe la théâtralité et la cohérence narrative. Ce n’est donc pas une suite d’effets savants au service de la recherche fondamentale, on suit sans problème le parcours de ce Destin/ Trouble fertile en rebondissements et en contrastes parfois violents, et en apprécie la tension dramatique.

Nicolas Ratti

L’Italien Nicolas Ratti, musicien et designer de renommée internationale, présentait ensuite une version live de l’œuvre  K1/K2 pour support, synthétiseur modulaire et boucles de piano. On n’a pas assisté à la réinvention du minimalisme électroacoustique, mais cette œuvre s’est avérée facile d’absorption. Les matériaux sont clairement identifiables : enregistrés au piano et traités numériquement, des accords et clapotis mélodiques sont exposés en boucle par le clavier avec de minuscules variations. Les harmonies et fragments mélodiques sont assortis de percussions et sifflet jouées très simplement, d’abord déclenchés en temps réel et jouées carrément  par le compositeur à la conclusion de l’œuvre, le tout enveloppé de bourdons émis par le synthétiseur modulaire. Sympathique, reposant, agréable… et c’est tout.

Tomoko Sauvage

Japonaise installée en France, la compositrice Tomoko Sauvage surfe depuis un bon moment sur l’eau de ses bols qu’elle a convertis en instruments de musique, soit en y installant des micros-contacts permettant d’en capter les sons. L’eau, la céramique, l’amplification subaquatique et le traitement électronique sont les outils d’expression dont l’objet est de s’adapter à la dynamique imprévisible des matériaux mis à contribution. Ainsi, l’œuvre au programme  résulte de manipulations aquatiques et prises de sons transformées en temps réel. Le processus créatif est fort intéressant d’entrée de jeu, il faut dire : traitements divers résultant d’ondes générées dans les bols, immersion d’objets dans l’eau, harmoniques générées par le frottement,  etc. Or, l’étendue des découvertes au programme s’avère plutôt limitée, du moins ce qu’on en a entendu jeudi soir. Au bout d’une quinzaine de minutes, une impression de redondance s’installe et il faut multiplier les efforts pour que l’attention soit maintenue.

Pierre-Luc Senécal

Artiste prolifique, à qui l’on doit entre autres le très métal Growlers Choir,  Pierre-Luc Senécal s’en est mis beaucoup sur les épaules avec la création de l’œuvre Broken Voices, inspirée par le thème de la guerre. Son profil biographique indique qu’il est inspiré par le rock, la pop et le métal, on était donc en droit de s’attendre à une prestation musclée, qui fit somme toute plus cérébrale, à la limite du documentaire sonore. Avec cette rhétorique parlée sur les impacts tragiques et quantitatifs de la guerre, on perd un peu l’émotion que suscite la violence armée. Il est bien sûr complexe d’éviter le piège du bruit d’artillerie, Sénécal nous épargne ainsi les bruits de chars, mitrailleuses et autres munitions et préfère se concentrer sur l’illustration sonore de l’état psychologique engendré par la guerre. Au lieu des pétarades, on a plutôt droit à des fragments de dialogues et rires sont mis en scène, entrelardés de courtes séquences de chaos synthétique. Intéressant. Bien construit. Marquant? C’est selon.

Marja Ahti


Marja Ahti est une artiste sonore et compositrice suédo-finlandaise qui « crée des récits musicaux précis avec des textures acoustiques détaillées en mutation lente auxquelles s’ajoutent des formes et des tons calibrés intuitivement ». Entre les sons familiers du quotidiens et ceux de l’abstraction résultant d’une vue de l’esprit, Marja Ahti déploie une œuvre raffinée et sensible. Une écoute peu attentive de Still Lives, réparties en 4 mouvements, peut certes  laisser une impression de redondance ou  encore mener à conclura à une approche générique dans un contexte électroacoustique, mais le jeu de textures brillamment construites et la progression dramatique de ces fluides sonores infirment une telle impression. Rien de spectaculaire mais beaucoup plus riche qu’il n’y paraît.

Devon Hansen

 
Authentique nerd de la musique électro, Devon Hansen puise dans différents bassins de sons 

hip-hop, techno, glitch minimal, ambient, électroacoustique “classique”. Ce qu’il en fait, on le présume, peut laisser plusieurs impressions puisqu’il travaille en direct avec une grande latitude. Jeudi soir, le chemin était subtil, ludique par moments, sans éclat de manière générale. On pouvait néanmoins apprécier ces variations de bourdons et de criquets synthétiques, grognements dans les graves, percussions de table,  le tout nappé d’harmonies consonantes. Les découvertes et ressentis ont été un peu minces d’entrée de jeu mais cette musique de Devon Hanson s’avère un authentique grower.

crédit photo: Caroline Campeau

Le Vivier | Créations et célébrations pour le cinquième anniversaire de Stick&Bow

par Elena Mandolini

L’ambiance était à la fête hier soir à La Chapelle Scènes Contemporaines. L’ensemble Stick&Bow, duo atypique composé de Krystina Marcoux au marimba et Juan Sebastian Delgado au violoncelle, célèbre cette année leur cinquième anniversaire. Devant un public enthousiaste, les deux interprètes ont manifestement voulu se faire plaisir en proposant un programme comprenant presque uniquement des créations. Presque tous les compositeurs et toutes les compositrices étaient présent.e.s pour assister à la première exécution publique de leurs œuvres.

Le timbre du violoncelle et du marimba se marient parfaitement et la salle de La Chapelle était tout à fait adaptée à ce genre de concert. L’ambiance intime faisait en sorte que le public se sentait tout près des interprètes, et aucun problème de volume n’est à noter. La scénographie du concert est également à saluer. La scène était tantôt plongée dans la pénombre, tantôt éclairée par des lampes suspendues au plafond. Ces éléments contribuaient à créer différentes ambiances, tant mystérieuses qu’animées, ajoutant chaque fois une nouvelle dimension à chacune des pièces.

Il s’agit d’ailleurs du concept du concert : mobiliser plusieurs sens. À l’entrée en salle, chaque membre du public a reçu un petit sac contenant diverses collations à déguster durant le concert. Un élément parfois distrayant durant les allocutions entre les pièces, mais tout de même apprécié. On se sentait réellement à une fête d’anniversaire!

Musicalement, le duo nous a fait entendre toute l’étendue de leur talent. Les pièces demandaient l’utilisation de plusieurs techniques de jeu, autant au marimba qu’au violoncelle. Les instruments étaient réellement utilisés à leur plein potentiel, et on a l’impression qu’il s’agit de deux instruments solos, tant les partitions sont exigeantes et intenses. Le public a pu prendre part à un voyage sonore qui les menait de pièces introspectives et planantes à des œuvres aux sonorités jazz, en passant par des morceaux pleins d’intensité et de fougue. Les pièces étaient entrecoupées d’anecdotes sur les cinq premières années d’existence de l’ensemble.

Stick&Bow nous a offert un cadeau pour leur anniversaire, celui de nous offrir des œuvres passionnantes, touchantes et impressionnantes. Les deux interprètes ont visiblement beaucoup de plaisir à nous partager ces œuvres, et ce plaisir est contagieux. Pour Stick&Bow, l’aventure ne fait que commencer!

Pour la programmation complète du Vivier, cliquez ICI.

Ciné-concert à l’OSM | Tragédie, humour et humanité avec Le Dictateur de Charlie Chaplin

par Rédaction PAN M 360

Mercredi soir, l’OSM offrait à la Maison symphonique un petit cadeau au public omnivore montréalais. Une perle (aussi tragique soit-elle) du répertoire cinématographique, amplifiée et mise en valeur musicalement par un orchestre dont la qualité n’est plus à douter.

Le Dictateur, sorti en 1940, est un bijou de son genre. Le premier film réellement parlé de Charlie Chaplin présente une attention minutieuse à l’esthétique sonore, telle qu’on le retrouvait dans Les temps modernes quatre ans plus tôt, et une chorégraphie exemplaire qui fait la force de Chaplin. Le film se présente presque comme un ballet, évoquant autant la grâce que la misère humaine. La scène du globe terrestre est marquante dans cette optique. Il est nécessaire de remettre en contexte le film, qui a été réalisé bien avant que l’on saisisse l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut s’empêcher de sourire et de rire face à cet humour si universel et si bien dosé.

Il est certain que la présence d’un orchestre comme l’OSM pour réaliser la trame sonore a bonifié, ou plutôt enluminé l’expérience. C’est avec clarté et fidélité au matériel original que les musiciens, sous la gouverne de Timothy Brock, ont accompagné le public. Les cuivres étaient en demande, étant donné le caractère militaire de nombreuses scènes, et ont été parfaits. Ils ont même par moment su extirper quelques rires par eux-mêmes. Les cordes quant à elles, très nombreuses (surtout pour les contrebasses), ont assuré la fondation de l’orchestre et la réalisation des émotions plus douces et sombres, à l’écran.

La musique du film n’a certainement pas la même ambition ou l’envergure d’une symphonie mahlérienne, mais démontre des qualités certaines qui sont à saluer, et à applaudir! Il s’agit d’une musique qui regorge d’humour et de fraîcheur. Malgré un aspect très fonctionnel (la musique est un outil dramatique par essence), on se plaît à observer comment la partition sert à accentuer les gags ou les émotions, tant dans la tristesse que dans la joie, ou encore dans la confusion et dans l’espoir. En effet, on remarque l’utilisation fréquente de leitmotivs.

Charlie Chaplin a lui-même dit avoir amèrement regretté d’avoir fait ce film après que les atrocités des camps de concentration aient été révélées au monde en 1945. Il ne s’agissait plus, selon lui, d’un sujet dont on pouvait rire. Sa présence dans le contexte actuel est également troublante. Le film a beaucoup d’échos avec la situation actuelle, voire trop d’échos. On ne peut critiquer l’OSM d’avoir programmé cette œuvre, ne sachant ce qui allait se passer, mais on peut saluer l’organisation de l’avoir conservée, avec son message surtout optimiste et humaniste. Un réconfort apprécié.

Le ciné-concert est représenté ce jeudi soir à 19h30, et d’autres ciné-concerts sont offert durant la saison de l’OSM. Pour plus de détails, consultez la page des concerts à venir ICI.

Carminho à Montréal: la passion du fado via son histoire ancienne ou nouvelle

par Stephan Boissonneault

Le Théâtre Outremont, plein à craquer de Portugais de Montréal et d’amateurs de fado, a été abasourdi mercredi soir par la prestation de Carminho et de son groupe, qui s’apparentait parfois à un opéra intime, à une mise à nu de l’âme en direct.

« Je chante le fado depuis que je suis dans le ventre de ma mère », a déclaré Carminho au public, vêtue d’une robe entièrement noire et de gants en cuir noir. Elle avait l’air d’un présage des ténèbres et son comportement sur scène nous laissait deviner qu’elle serait très sérieuse. Mais ce n’était qu’une apparence, car elle était en fait très humoristique ; elle plaisantait avec le public, jouant de son français minimal et de son anglais approximatif pour apporter un peu de légèreté entre les chansons de son dernier album, Portuguesa, et de quelques œuvres antérieures.

Lorsqu’elle a déclaré qu’elle chantait du fado dans le ventre de sa mère, ce n’était pas un mensonge. Sa mère, Teresa Siqueira, est également une célèbre chanteuse de fado, et Carminho a grandi entourée de musiciens dans des maisons de fado, de sorte que le style de vie de la musique fado est profondément ancré dans le sang de Carminho. Et ceux qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le fado ont eu droit à une brève leçon d’histoire de la part de Carminho. Pour elle, le fado est la vie, sa langue, un moyen d’exprimer la passion et les difficultés du peuple portugais. Le fado, dont l’origine remonte aux années 1800, suit une structure traditionnelle et sonne souvent comme un deuil, avec de longues pauses dramatiques permettant au chanteur de tenir une note passionnée spécifique.

La voix de Carminho est pleine de vie et de tristesse, avec une touche dramatique qui vous secoue et vous laisse sans voix, que vous compreniez ou non de quoi parle la chanson. Une leçon d’histoire sur le fado, mais aussi sur l’origine des chansons, les poètes portugais qui les ont écrites et les amis de Carminho qui lui ont donné la bénédiction d’ajouter de la musique à leurs poèmes.

L’une d’entre elles parlait de deux amoureux qui ne ressentent rien l’un pour l’autre. « Je me demande s’il y a un couple dans le public ce soir à qui cette chanson s’adresse », a déclaré Carminho sous les rires du public. Une autre chanson était la réimagination par Carminho d’un poème classique sur une jeune fille qui se rend à une fontaine, mais qui est dérangée par des « oiseaux », qui semblent être en fait des hommes. Carminho a réécrit les paroles pour que ce soit un homme qui aille à la fontaine. « Il est vrai que beaucoup de fado a toujours été masculin et sexiste, les hommes écrivant les poèmes pour que les femmes les chantent, alors j’ai voulu changer cela », a déclaré Carminho. Et changer cela n’a pas été une mince affaire. Carminho a dû obtenir la bénédiction de la famille du poète originel et la signature de la Société portugaise des auteurs. En ce qui concerne le fado, la poésie et l’art en général, la valeur artistique et les droits d’auteur semblent revêtir une grande importance au Portugal.

Carminho a également été qualifiée d’innovatrice du fado pour avoir introduit le mellotron, la guitare électrique et la guitare lap steel en plus de la configuration traditionnelle de la basse acoustique, de la guitare classique et de la guitare portugaise. En raison de cette configuration, elle a interprété des chansons de fado plus traditionnelles, mettant l’accent sur les trilles et les gammes de la guitare portugaise, et des réimaginations plus modernes avec les tons chauds du mellotron et les lignes obsédantes de la guitare lap steel. Le spectacle était donc varié, sans aucun moment d’ennui.

AKOUSMA, UN 18 OCTOBRE | Dhomont, Delisle, Mourad Bncr, Côté, Guerra-Lacasse, Cano Valiño, Reid

par Laurent Bellemare

Est-ce possible d’entrer dans le son? C’est la question à laquelle la musique électroacoustique semble vouloir répondre. Entouré des trente haut-parleurs ide l’acousmonium installé à l’Usine C, on avait en tout cas l’impression d’être enveloppé dans le son en mouvement.

En guise d’ouverture de sa 19e édition, le festival Akousma proposait une gamme diversifiée d’œuvres savamment ficelées grâce à des procédés technologiques variés. Fort de 7 décennies de développement, ce classicisme de la musique électro n’est pas en reste en matière de renouveau. Hier, on pouvait d’ailleurs entendre des esthétiques les plus académiques à celles plus profanes. Mis à part les deux prestations, il n’y avait absolument rien à voir, mais beaucoup à entendre. Tout était fixé sur support, comme si vous alliez voir un film sans image, mais rebondissant d’action.

Francis Dhomont

À 96 ans, Francis Dhomont a pratiquement écrit l’histoire de l’électroacoustique. D’ailleurs, sa pièce Somme toute agissait comme un ‘best of’ de sa carrière. Elle était diffusée par Louis Dufort, ancien élève de Dhomont et directeur artistique d’Akousma, qui n’a pas raté l’occasion de souligner l’énorme influence du compositeur français. Bruits qui vous tournent autour, rebonds, objets qui roulent et articulations imprévisibles : tous les éléments clés d’une œuvre concrète phare y étaient. Bien que réalisée dans les règles de l’art, règles en partie écrites par Dhomont lui-même –, la pièce avait peut-être tout de même le défaut de ses qualités. C’était un exposé somme toute très académique, où l’aspect rétrospectif de l’œuvre pouvait être perçu comme un saut du coq à l’âne. Il n’en demeure pas moins qu’entendre une nouvelle pièce de Francis Dhomont, c’est toujours un plaisir ainsi qu’un réel privilège.

Julie Delisle 

Pipa Aura Suichi est-il un titre annonciateur de l’utilisation du pipa chinois? On aurait pu y croire. Pourtant, c’est une banque de son uniquement conçue des instruments inventés du compositeur Jean-François Laporte qui est à la source de cette œuvre de Julie Delisle, compositrice et flûtiste montréalaise. Complètement acousmatique, cette pièce cachait bien son jeu. On y entendait divers crépitements sonores, lesquels sonnaient parfois humides, à l’instar d’un mouvement d’ébullition. Il y avait un usage marqué des traitements sonores, camouflant bien souvent la nature des sons utilisés. Si le tout se développait selon une structure et des phrasés relativement convenus, la pièce avait toutefois une profondeur de champ créée par ses différentes couches texturales évoluant en concomitance.

Mourad Bncr

Comment l’environnement terrestre sonnera-t-il lorsqu’il n’y aura plus d’humains? Chose certaine, personne n’y sera pour l’entendre. Cela ne signifie pas pour autant que notre monde ne sera que silence. Dans Le monde après nous, l’artiste multimédia Mourad Bncr s’imagine un tel paysage sonore. Dès son entrée sur scène, la salle est immédiatement tombée dans une atmosphère lugubre, où la musique évoluait lentement dans une esthétique à la croisée du drone, du dark ambient et du glitch.  Mis à part la présence de l’artiste ainsi que l’inclusion distante d’une mélodie feutrée de flûte nord-africaine, la musique de Bncr était une affaire désincarnée, soustrayant l’anthropocène du portrait pour y laisser derrière une musique qui respire. Les articulations subtiles avaient tout l’espace nécessaire pour que leur mouvement soit pleinement ressenti par l’auditoire. Fort différente des autres propositions, Le monde après nous était un moment fort de la soirée.

Guillaume Côté

Avec Guillaume Côté, on s’aventurait dans des territoires autrefois proscrits par l’enseignement académique de l’électroacoustique. Discrete Stream of Light était une longue pièce de vingt minutes, structurée avec une poignée de longues montées en intensité, juxtaposées les unes après les autres. Durant l’un de ces mouvements, on baignait dans une superposition d’arpèges consonants reprenant les grands principes de l’esthétique minimaliste. Il y avait alors une densification progressive des strates sonores, culminant vers un sommet et une chute brève. Une nouvelle vague pouvait ensuite débuter. Harmoniquement, le tout était très statique. Aucune dérogation du mode majeur dans le choix des notes. De plus, l’essentiel de la matière utilisée semblait constitué de sons de synthèse. Si l’impression était loin d’être celle d’un contenu novateur et surprenant, la familiarité du résultat musical a fait de Discrete Stream of Light une œuvre fort satisfaisante sur le plan des affects. S’il y a eu un moment de bonbon auditif à Akousma hier soir, c’était définitivement celui-là.

Roxanne Melissa Guerra-Lacasse

Il y a parfois un décalage entre les inspirations thématiques des artistes et la perception qu’on peut avoir des œuvres finales. Dans La Berceuse de la veuve de Roxanne Melissa Guerra-Lacasse, c’est l’amour qui devrait être le moteur de création. Ce n’est pourtant pas évident d’y déceler un concept à la fois si vague et si omniprésent dans l’art. Il en va de même pour la pièce de théâtre éponyme qui a inspiré l’œuvre. Ce qu’on pouvait entendre, par contre, c’est une pièce acousmatique très bien montée, dans laquelle une variété de sources sonores plus ou moins identifiables se courtisent et dansent une ronde au-dessus de nos têtes. La pièce est vaguement narrative et les articulations sont graduelles. Il y a une histoire qui se raconte à travers cette trame plutôt ambiante et ses sons inversés, mais on ne sait pas laquelle. La relation avec le théâtre est certainement intéressante, et on peut s’attendre à ce que cet apport porte fruit à long terme dans la musique de Guerra-Lacasse. Une artiste dont il faudra surveiller le travail.

Rocío Cano Valiño

Même constat avec le travail de la compositrice argentine Rocío Cano Valiño dont les deux œuvres présentées à Akousma (Astérion; Okno) étaient respectivement basées sur des récits de Jeorge Luis Borgès et Silvina Ocampo. Dans Astérion, je n’ai su trouver ni labyrinthe ni Minotaure. Toutefois, j’y ai entendu une musique totalement engageante. Dans les deux pièces, les articulations étaient telles que l’attention était retenue du début à la fin. Les grincements, cliquetis et effets de crécelles abondaient et chaque seconde était d’une grande densité d’information sonore. La saturation de sons sur-stimulait l’ouïe, provoquant à la fois plaisir et chatouillement à l’oreille. Un travail monumental de micromontage a été réalisé pour pouvoir composer ces œuvres constamment en mouvement. L’esthétique était cohérente d’une pièce à l’autre et la précision technique de celles-ci était remarquable. Ces diffusions par Valiño auront été des moments marquants de l’événement.

Sarah Belle Reid

Avec Sarah Belle Reid, la trompette était mise dans tous ses états. La compositrice canadienne était la seule à présenter une œuvre mixte, Manifold pour trompette et électronique. Cette prestation de 25 minutes mettait en scène la compositrice elle-même, qui jouait de son instrument d’une manière bien peu orthodoxe. Pour l’essentiel de la composition, la trompette était utilisée comme amplificateur du souffle de Reid, lequel était ensuite capté par un micro qui interagissait avec le dispositif informatique en place. Ainsi, avec divers effets de respiration et bruits de bouche, la compositrice utilisait son instrument à la fois comme une source sonore et comme un contrôleur. Elle manipulait également certains paramètres numériques via des potentiomètres, laissant même sa trompette de côté pour se consacrer à ses machines pendant un bref instant. Vers la fin de l’œuvre, on a pu entendre quelques notes cuivrées, intervenant un peu comme une délivrance résolvant un long moment de tension. Mais pour le reste, on avait droit à une musique effrénée, dont le débit des interventions à la trompette relevait d’un chaos total, mais contrôlé. Le jeu entre l’humaine et la machine était spectaculaire, et cette œuvre aura su terminer la soirée en force.

Dominique Fils-Aimé | Ses racines courent dans la salle

par Michel Labrecque

Dans la foulée de son nouvel album , Our Roots Run Deep, Dominique Fils-Aimé s’est présentée le 17 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, devant une salle comble, gagnée d’avance si on en juge par le tsunami d’applaudissements avant que la première note ne soit émise.

Comment rendre sur scène, cet album , magnifique au demeurant, basé principalement sur la multiplication des voix de la chanteuse par des effets de studio? C’était un pari risqué, qui a été gagné!

Une mouture plus électrique, rythmique, qui nous a tous envoûtés. 

Dominique Fils-Aimé ne fait rien comme les autres.  Elle fait des trilogies d’albums, à contrario des tendances actuelles à l’instantanéité.  Pour son spectacle, elle a débuté en suggérant candidement qu’elle ne voulait pas d’applaudissements et qu’elle était follement nerveuse. Après une déclaration d’amour au public, elle a annoncé que son concert allait être en continu, sans véritable pause.

Et nous l’avons suivie dans son voyage intérieur. 

Ça a donné près de quatre-vingt-dix minutes d’introspection dans lequel on a mélangé savamment des chansons des trois premiers albums aux nouvelles créations. Le tout lié par de jolis textes introspectifs en français sur les milles vies de Dominique Fils-Aimé et son droit à faire la liste, à pleurer et à demander « pourquoi? ». L’écrivaine et actrice Queen Ka, Elakahna Talbi de son vrai nom, aurait contribué à la confection des textes. 

Alors que sur Our Roots Run Deep, l’instrumentation est largement acoustique (contrebasse, percussions , trompette), la version scénique laisse beaucoup plus de place aux claviers (David Osei Afrita), à la guitare électrique (Étienne Miousse) et à la basse électrique(Danny Trudeau) et à la batterie(Salin Cheewapansri). Hichem Kalfa à la trompette et Elli Miller -Maboungou aux percussions complètent le groupe.

Cela donne une facture plus tonique et festive à la musique. Par contre, on perd la complexité des arrangements vocaux de l’album. 

Mais cela permet aussi à Dominique Fils-Aimé de livrer ses chansons d’une façon différente en mettant en évidence la force de sa voix unique. 

Le concert se termine sur Our Roots Run Deep, la première chanson du nouveau disque. Terminer par le début. Je vous l’ai dit: elle ne fait rien comme les autres. 

De toute évidence, la salle a plané. Et moi aussi. 

La tournée se poursuit au Québec et en Ontario 

  • La photo est tirée de la page Facebook de Dominique Fils-Aimé

NEM et Le Vivier | Concert d’ouverture du NEM : Explorations et fascinations

par Rédaction PAN M 360

Le Nouvel ensemble Moderne (NEM) entreprenait lundi soir sa 35e saison. Un concert qui mélangeait les divers horizons de l’ensemble, entre créations, réarrangements et répertoire contemporain, tous ont pu trouver leur plaisir dans les sonorités éclatantes de ces musiciens aux talents clairs et certains.

Parmi les musiciens, on note la présence de François Vallière à l’alto, qui a réalisé l’arrangement de la première pièce de John Rea pour 15 instruments, et qui a été excellent tout au long de la soirée. C’est en fait le mot d’ordre pour la totalité des musiciens : l’excellence. De la clarté des sonorités jusqu’à la justesse, en passant par la richesse des timbres, on peut difficilement remettre en question la qualité d’interprétation des œuvres, surtout des créations. L’intensité des percussions, opérées par Julien Grégoire, est à saluer. Et évidemment, le tout était mené avec calme et assurance par la main adroite de Lorraine Vaillancourt, la cheffe fondatrice de l’ensemble, cette 35e saison étant sa dernière à la barre du NEM.

Des quatre pièces du programme, trois étaient des créations, dont deux étaient totales. Les Tableaux de La Meninas de John Rea, des variations s’inspirant des Kinderszenen de Schumann, se présentaient comme de délicieux tapas musicaux, prenant la forme de pastiches de différents compositeurs marquant du 20e siècle. Très divertissant et on aimerait en entendre plus! La première des deux créations qui suivent, soit celle de Samuel Andreyev nommée Contingency Icons, explore efficacement les timbres et joue avec les extrêmes. Le début rappelle un des mouvements du Sacre du printemps de Stravinsky, ce qui en fait une superbe transition, puisque le Rea se terminait sur un pastiche de ce dernier. La seconde création, La persistance, l’éphémère de Tomás Diaz Villegas, explorait quant à elle les différents effets et rythmes que les instruments de l’ensemble pouvaient offrir.

La dernière œuvre, la pièce de résistance en quelque sorte, était Secret Theatre de Harrison Birtwistle. Elle se présente comme une synthèse des autres œuvres présentée ce soir-là, avec des éléments qu’on retrouve au centre de ces dernières, mais sous une forme plus structurée. On retrouve aussi des éléments nouveaux, comme des glissages aux cordes qui frôlent le microtonal, ou encore des mouvements physiques par les musiciens, qui montent graduellement sur une scène à l’arrière au fil de la pièce. Intrigante, la pièce est chaleureusement applaudie par le public et on en fait l’éloge après le concert.

La salle du Studio Théâtre de l’Espace Danse de l’Édifice Wilder était agréablement pleine. La présence d’une belle délégation dans le public témoigne de l’importance du NEM pour la scène musicale contemporaine montréalaise et québécoise.

Une belle ouverture pour cette saison anniversaire!

Vous pouvez en apprendre plus sur les prochains concerts du NEM ICI.

Pour connaître la programmation complète du Vivier, c’est ICI.

Crédit photo : Philippe Latour

PHÉNOMÉNA & Arts in the Margins | Java, Bali et Sumatra au programme

par Laurent Bellemare

Quelques jours plus tôt, à son quartier général de La Sala Rossa, le festival Phénoména accueillait un événement unique organisé par Arts in the Margins. Il est effectivement rare de recevoir la visite d’artistes venus d’Indonésie de notre côté de  l’océan. C’est pourtant trois fameux artistes de musique électronique expérimentale des îles de Java, Bali et Sumatra qui nous étaient présentés. Réunis sous la bannière du label javanais Yes No Wave Music, tout ce beau monde était en pleine tournée canadienne afin de présenter un bel échantillon de ce qui se fait de mieux dans l’archipel sud-est asiatique.

Wok the Rock

Le DJ Wok the Rock, fondateur du label Yes No Wave Music, avait la tâche de démarrer la soirée. Il a su réchauffer la salle, déjà bien remplie, en présentant des mix tout aussi intrigants qu’accrocheurs. En guise d’introduction, l’artiste échantillonnait la voix du chanteur Rully Shabara, connu pour son travail avec Senyawa, créant une atmosphère particulière alors que les mots en bahasa indonesia étaient répétés en un rythme saccadé. Un second échantillon de cette même voix allait d’ailleurs être entendu plus tard, à la fin de sa prestation. Entretemps, Wok the Rock travaillait avec des trames fort diversifiées, des tambours de hsaing waing birmans aux sonorités plus synthétiques. Sur le plan du rythme, la musique avançait souvent à deux vitesses, superposant des rythmes effrénés à une texture sonore plus lente et libre. Le tout progressait de temps à autre, ponctué par de surprenantes modulations rythmiques. Chose certaine, c’est qu’une partie de la foule semblait déjà être entrée dans une transe psychédélique, ce qui n’allait que s’amplifier au fil de la soirée.

Rani Jambak

Rani Jambak est une artiste sonore minangkabau, groupe ethnoculturel habitant la province de Sumatra du Nord. Toute sa démarche est axée sur l’écologie et la réutilisation des sons de son environnement naturel et culturel, dotant sa musique d’un univers sonore riche et unique. Afin de voyager léger, elle n’a malheureusement pas fait grâce à son public du Kincia Aia, instrument qu’elle a inventé et qui s’inspire des moulins à eau traditionnels. Plutôt, elle offrait une performance minimaliste avec ordinateur et microphone, assumant ici un côté dansant. Même son entrée en scène était faite dans les règles de l’art de la musique électronique, soit en prenant graduellement la place de Wok the Rock en mode back to back. Si tout était pulsé et très accessible, la musique de Jambak était également colorée par des environnements sonores urbains et forestiers inconnus du grand public. L’artiste possède également une voix remarquable, qu’elle a mise à profit en chantant de nombreuses pièces vocales. Il faut souligner l’excellence de l’exécution des lignes vocales, qui étaient non seulement parfaitement justes mais remplies d’expressivité, chose dont témoignaient également les mouvements corporels de Jambak. L’échange d’énergie constant entre l’artiste et son public aura fait de ce moment le clou de la soirée.

crédit photo Rani Jambak : Deanna Radford 

Gabber Modus Operandi

Résidants sur l’île de Bali, les deux artistes de Gabber Modus Operandi sont explicites quant à leur musique. Ils créent ensemble un gabber électronique rapide, agressif et psychédélique. Dès leur entrée sur scène, le volume des enceintes a considérablement augmenté et les rythmes insistants ont tout de suite entraîné la foule dans une frénésie collective. On se serait cru dans un rave, ou à l’une des Nocturnes du festival Mutek. D’ailleurs, on avait regretté l’annulation du duo indonésien lors de l’édition 2022 de ce festival. Voilà qui est rectifié.


Alors que la moitié du groupe gérait une station de DJ, le second musicien faisait surtout usage de sa voix. Il scandait, racontait et criait des paroles noyées de la réverbération et les effets, rien qui s’apparentait à du chant ordinairement conçu. Habillé à mi-chemin entre un militaire et un skieur, il enfilait également des gants sur lesquels étaient fixés des lasers verts. Ces faisceaux fluorescents ajoutaient grandement à l’éclairage et se promenaient librement dans la salle au gré des mouvements frénétiques du chanteur. À ces rythmes et ces voix qui semblaient incontrôlables, un choix personnalisé d’échantillons venait tapisser les trames, comme celle d’instruments de gamelan. La foule se souviendra également de l’imitation très approximative d’un kecak balinais que le groupe tentée en demandant au public de s’asseoir par terre. Vaguement futuriste, mais d’une intensité immédiate, Gabber Modus Operandi a su ameuter tout le monde grâce à son délire psychotrope.

Bach et Khayyam par Constantinople : un magnifique dialogue à travers le temps et l’espace

par Frédéric Cardin

L’ensemble Constantinople dirigé par Kiya Tabassian a invité le public à une rencontre profondément touchante et humaine hier soir à la salle Bourgie de Montréal. Faisant coïncider tant musicalement que thématiquement les partitions de Bach (1685-1750) et les textes du poète persan Omar Khayyam (1048-1131), même à 600 ans d’écart, Tabassian et les musiciens qui l’accompagnaient ont ainsi servi de véhicule à de très beaux moments de communion pour le public nombreux et très diversifié en âge et en provenance culturelle. Le choix des pièces a été fait avec grand soin, de toute évidence, car les enchaînements entre extraits de cantates (par exemple) et chants ou pièces instrumentales de style classique persan se faisaient avec beaucoup de fluidité. La soprano tchèque Hana Blažíková a une fort belle voix, bellement équilibrée et d’une justesse impeccable. 

Le même concert, avec les mêmes interprètes, donné à l’Abbatiale Sainte-Foy de Conques, le 9 août dernier : 

On a enchaîné pièces de Bach et morceaux classiques persans dans une sorte de cohabitation inspirée où les deux géants ont échangé, parfois même chanté dans un unison partagé, sur la vie, la mort, dieu et l’amour. Tout cela dans un grand respect qui laissait autant de place à l’un qu’à l’autre, mais aussi à des interactions plus serrées et étroites, presque fusionnelles. C’est fascinant de constater que deux univers qui, il y a 50 ans et plus, auraient parus irréconciliables aux supposés connaisseurs et puristes musicaux, semblent aujourd’hui tout à fait capables de s’entendre et de stimuler chez le public une attention soutenue et des réactions très enthousiastes. Les applaudissements ont été en effet très chaleureux. Il semble bien que la musique soit encore une fois un modèle que les humains de la Terre devraient suivre plus étroitement! 

Soulignons également la grande qualité musicale des membres de l’ensemble, les réguliers comme Didem Basar au kanun, Tanya LaPerrière au violon baroque, Michel Anger au théorbe et Patrick Graham aux percussions (et Tabassian lui-même au chant et au setar), et les invités comme la Turque Neva Özgen au kemenche, la Néerlandaise Tineke Steenbrink à l’orgue positif (également co-fondatrice du Holland Baroque) et l’Allemande Johanna Rose à la viole de gambe. 

Crédit photo : Constantinople

Ensemble Obiora | Une soirée de premières et de découverte réussi

par Alexandre Villemaire

Ce n’est peut-être pas la soirée d’ouverture que l’Ensemble Obiora avait initialement dessiné, mais ce fut néanmoins une soirée de double premières remarquable. Pour le concert d’ouverture de sa saison 2023-2024, « le premier ensemble canadien de musique classique essentiellement composé de musicien.nes professionnel.les dits issus de la diversité culturelle », devait accueillir comme cheffe invitée la Vénézuélienne Glass Marcano. Remarquée pour sa fougue et son énergie lors du Concours La Maestra en 2020 à Paris – où elle s’est vue remettre le Prix spécial de l’orchestre -, la jeune cheffe devait donner son premier concert en Amérique du Nord avec l’ensemble montréalais. Pour des raisons de santé, celle-ci a malheureusement dû annuler sa participation au concert. C’est le chef français Samy Rachid qui a accepté de monter sur le podium à la dernière minute pour la remplacer. Ex-violoncelliste du Quatuor Arod, ce jeune trentenaire qui vient d’être nommé chef assistant de l’Orchestre symphonique de Boston et qui a déjà fourbi ses armes à l’Opéra National du Rhin et au Festival Verbier en était lui aussi à sa première performance en Amérique du Nord.

Le programme de la soirée à mis de l’avant un répertoire romantique et moderne. En ouverture Le Tombeau de Couperin de Ravel, avec ses timbres particulièrement colorés s’inspire des suites de danses de l’époque baroque et rend hommage à la musique française du XVIIIe siècle. Originellement écrite pour piano, Ravel en a extrait quatre des six mouvements (Prélude; Forlane; Menuet; Rigaudon) pour en faire une orchestration. Avec une direction d’une grande clarté menée par des gestes aériens et énergiques pleins de sens, Rachid fait ressortir admirablement les sonorités de l’orchestre avec nuances ainsi que le caractère intrinsèque de chaque danse.

Pièce centrale du concert, le Concerto pour violon no 1 en ré majeur de Florence Price, interprété pour la première fois au Canada, a été une belle découverte. De facture classique avec son organisation en trois mouvements (Tempo moderato, Andante, Allegro) il porte clairement la marque des origines de sa compositrice. Porté par la violon solo d’Obiora Tanya Charles Iveniuk, le premier mouvement notamment, évoque plusieurs des caractéristiques de la musique afro-américaine, telles les inflexions gospel, l’interaction en appel-réponse de l’orchestre et même du blues. Offrant plusieurs moments solos, il a permis de mettre en valeur la technique de la soliste dans des lignes d’une grande virtuosité. Le deuxième mouvement, plus lyrique, était empreint de grande envolée mélancolique, alors que le dernier mouvement retrouve la virtuosité festive et joyeuse où l’orchestre accompagne la soliste par des accents rythmiques et un tapis de notes enveloppant pour terminer dans une finale éclatante. Le concert s’est conclu avec les Variations sur un thème de Haydn par Brahms, une œuvre contrastante où les variations que le compositeur propose autour d’un thème choral tiré de la Feldpartie en si bémol majeur, déploient des caractères allant du dramatique grave au lyrisme dansant pour arriver à une finale au ton claironnant et victorieux.

Tout autant que le jeu de Tanya Charles Iveniuk, la direction de Samy Rachid nous a fait forte impression. Par une direction soignée et des gestes simples, mais immensément signifiants, il communique avec aisance une palette de dynamique et de couleurs. Il est d’une énergie enjouée, mais contenue, jamais dans l’excès avec une direction qui met en relief l’architecture des pièces en modelant finement le son de l’orchestre. Un chef à suivre et surtout à réinviter!

Deux ans seulement suivant sa création et après être passé d’un orchestre de 25 musiciens à plus du double, l’Ensemble Obiora peut assurément se dire qu’avec le programme vivant et original proposé samedi soir, l’intérêt et la diversité du public qui était présent, il est plus que jamais ancré dans le paysage musical montréalais.

Crédits photos : Tam Lan Truong (Tanya Charles Iveniuk) et Therera Pewal (Samy Rachid)

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