Vendredi, la sensation montréalaise Rêve a fait paraître son premier album Saturn Return. Avec cette proposition, elle fait briller la dance-pop sous toutes ses formes et confirme à nouveau son immense potentiel. PAN M 360 a profité du retour en ville de la chanteuse afin de lui parler de son nouveau projet, son processus créatif et d’astrologie.

Depuis la sortie de son titre CTRL+ ALT + DEL en 2021, Rêve ne cesse de gagner en popularité. Elle suit les traces de la vedette britannique Dua Lipa et propose une musique dansante et très rythmée. Avec Saturn Return, l’autrice-compositrice-interprète n’a qu’un seul but en tête : redonner ses lettres de noblesse à la musique dance. 

PAN M 360 : Vous dévoilez ce vendredi votre premier album Saturn Return. La musique dance et ses dérivés sont au cœur de ce projet. D’où provient votre amour pour ce style? 

RÊVE : Ma passion pour cette musique a débuté lorsque je suis sortie dans une boîte de nuit à Montréal. À ce moment-là, j’étais sans aucun doute trop jeune pour aller dans ce genre d’endroit, mais disons simplement que j’allais bientôt avoir 18 ans. Avant cette sortie, j’avais déjà assisté à des concerts, mais je n’avais jamais vu un set d’un DJ. Je me rappelle d’être entrée dans le club et de m’être dirigée sur la piste de danse. Tout de suite, j’ai senti une connexion avec les autres et la musique du DJ. La musique était transcendante et l’ambiance euphorique. Je suis immédiatement tombée en amour avec la musique dance. Depuis cette soirée, mon but a toujours été de recréer cette ambiance par l’entremise de ma musique. 

PAN M 360 : Comment décririez-vous votre musique en général sur ce projet? 

RÊVE : Je dirais que c’est un album dance-pop influencé par une multitude de genres différents. Mon but avec ce projet était de prouver aux gens que la musique dance peut être très diversifié et versatile, car je trouve que les gens qui n’en consomment pas régulièrement croient que ce genre se limite à ce qu’on voie sur une scène comme celle du festival Tomorrowland. Il y a tellement plus à découvrir dans la dance et cette musique s’écoute dans une multitude d’occasions différentes. C’est vraiment ça que je voulais démontrer. 

PAN M 360 : Que signifie le concept de Saturn Return? 

RÊVE : « Saturn Return » signifie le moment dans la vie d’une personne, aux alentours de 27 à 30 ans, où les planètes retournent au même endroit dans le ciel qu’elles l’étaient lors de sa naissance. 

En astrologie, cette période est considérée comme un moment où l’on apprend le plus de leçons. Vous apprenez beaucoup de dures vérités et tout ce qui n’est pas fait pour vous disparaîtra et vous vous alignerez davantage sur ce que vous avez toujours censé être. Ce n’est certes pas facile de passer à travers cette période, mais le résultat de tout ça est magnifique. Cet album met en lumière mon parcours au cours des dernières années autant les joies, les amours, les pertes que les moments de tristesses. Ça parle aussi de vulnérabilité. J’aborde toutes les choses auxquelles ont fait face pendant le « Saturn Return ». 

PAN M 360 : Vous semblez accorder une grande importance à l’astrologie!

RÊVE : À la maison, ça a toujours été quelque chose de très important. Ma mère a toujours été obsédée par l’astrologie et l’est encore à ce jour. Si je signe un contrat ou que je me prépare pour un concert, ma mère me dit des choses comme « fais attention, Mercure est en rétrograde aujourd’hui ». Elle est très croyante envers l’astrologie. Je ne le suis pas autant qu’elle, mais ça fait tout de même partie de ma vie.

PAN M 360 : Quelle impression vouliez-vous laisser à vos auditeurs avec ce premier album?

RÊVE : C’était vraiment important pour moi que ce projet serve comme un endroit de sécurité pour que les gens puissent vivre et célébrer leurs émotions. Je veux que mes auditeurs puissent vivre le bon et le mauvais avec cet album. Saturn Return est une célébration de toutes les émotions que les humains vivent. La vie est dure et je veux que les gens trouvent du confort en écoutant mes chansons. Comme j’ai mentionné plus tôt, je veux aussi que les gens voient à quel point la musique dance est versatile.

PAN M 360 : Sur Saturn Return, on retrouve plusieurs morceaux en collaboration avec les producteurs québécois Banx & Ranx dont CTRL+ ALT + DEL et Big Boom. Parlez-moi de votre relation avec eux.

RÊVE : Ils sont comme des frères pour moi. C’est très rare de collaborer avec des gens que tu adores autant en tant qu’humains qu’artiste, mais c’est le cas avec eux. Ce sont les personnes avec qui je préfère collaborer. Nous parlons le même langage et nous nous comprenons tellement bien. Nous avons une superbe énergie ensemble. Nous avons une relation incroyable. 

PAN M 360 : Quel est votre morceau favori avec eux?

RÊVE : Je dirais que c’est CRTL + ALT + DEL, car c’est notre première grosse chanson ensemble et celle qui m’a grandement aidé à propulser ma carrière. 

PAN M 360 : À mi-chemin dans l’album, on retrouve votre excellent titre My My (What A Life)? Comment est né ce morceau?

RÊVE : Oh mon dieu! My My (What A Life) est le dernier morceau que j’ai ajouté à l’album. Lorsque j’écoutais le projet, je me disais « oh, il me manque un titre drum’n’bass! » Je suis une grande admiratrice de ce type de musique. J’ai créé une partie de Saturn Return en Angleterre et ce style y est extrêmement populaire. J’en étais presque à la fin de la création du projet, mais j’ai décidé d’aller de l’avant et de créer la chanson. Il le fallait.

PAN M 360 : Sans aucun doute, une chanson détonne sur Saturn Return. Past Life est une balade plus douce s’éloignant de la dance. Plus tôt cette semaine, vous avez mentionné que ce titre vous ramenait à vos racines musicales. Pourquoi était-il important pour vous d’avoir un morceau de ce style sur votre album?

RÊVE : C’était quelque chose de très important pour moi. C’est un album dance, mais je voulais rendre hommage à mes racines musicales. J’ai commencé à faire de la musique en pleurant, assise devant mon piano. C’était une forme de thérapie pour moi. Past Life, c’est exactement ça. J’ai écrit le refrain « Looking at you when i wake up in the middle of the night I’m thinking “God damn, I must’ve been good in a past life” » il y a deux ans, mais je n’avais jamais réussi à terminer la chanson. Ça parle d’une relation que je rêvais d’avoir. À ce moment-là, je n’étais pas dans la meilleure relation et je me disais « j’aimerais tellement ressentir ces émotions un jour. » Et puis cette année, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a fait sentir de cette manière, et j’ai réussi à écrire le reste en moins de 15 minutes. Ça doit être ça le pouvoir de l’amour!

PAN M 360 : Vous avez aussi déjà dit que vous nécessitiez davantage d’intimité pour créer des morceaux comme Past Life. Pourquoi?

RÊVE : Quand j’écris ce genre de ballades, je dois vraiment être dans ma bulle. Comme j’ai dit plus tôt, j’ai toujours utilisé le piano comme outil thérapeutique, et c’est dans ces moments que j’écris mes morceaux les plus vraies et honnêtes. D’être seul au piano avec un verre de vin, ça me permet de réellement vivre mes émotions.

PAN M 360 : Allez-vous partir en tournée pour l’album au cours des prochains mois?

RÊVE : Oui! Je vais être en tournée à travers le Canada au début de l’an prochain. J’ai tellement hâte de connecter avec mes fans et de leur faire vivre le monde de Saturn Return.

Crédit photo : revemtlmusic.com

La créativité et l’inventivité de Tomoko Sauvage constituent un subtil alliage de technicité et d’empirisme. Son approche électro-aquatique se révèle être une source intarissable de sonorités entremêlant  l’injonction d’un toucher maîtrisé sur des contenants en céramique et d’un résultat labile de l’aqua-écho.  

Poétique et métaphysique, cette mise en scène du son se déploie telle une équation du hasard où un  composant liquide se métamorphose en sonate volubile.  

Depuis 20 ans, cette performeure musicienne, originaire de Yokohama (Japon) et installée à  Paris, a syncrétisé une série de pratiques issues de son parcours:  études de piano jazz à New York,  études de musique classique indienne (hindoustanie),  productions d’album à l’instar de l’album Fischgeist, sorti en 2020, enregistré en Allemagne dans des bassins aux conditions extrêmement  singulières.  

Aujourd’hui reconnue pour ses performances avec waterbowls données aux quatre coins du monde, elle est une des invitées de qualité du festival Akousma.  

Pour PAN M 360, elle nous fait le plaisir de détailler quelques aspects de ses installations passées, présentes et futures.  

PAN M 360: Tomoko, en juillet 2012, j’ai assisté à une de tes performances au FRAC -Fond Régional d’Art Contemporain- de Lorraine, à Metz, organisée par  l’association des musiques nouvelles: Fragment. Tu avais offert une performance sur une variété de bols dans un contexte méditatif et contemplatif. Le public était en émoi. Tes gestes  ressemblaient à un rituel. Comment ta pratique a-t-elle évolué depuis?  

TOMOKO SAUVAGE: Cela fait 11 ans, maintenant ! Mes souvenirs sont plus ou moins vagues, car chaque prestation est différente. Ma musique a énormément évolué depuis, c’est certain. Avec  mon instrument waterbowls, j’accentue les répétitions tout en jouant sur des lentes évolutions,  tout en douceur. En 11 ans, j’espère que ça a quand même bien évolué! 

PAN M 360: Plus récemment, en février dernier, tu as été l’invitée du MUDAM  -Musée d’Art Moderne du Grand Duché- au Luxembourg, dans le quartier  européen du Kirchberg, pour ainsi participer à l’exposition du Libanais Tarek Atoui, intitulée: Waters’ Witness. L’artiste est connu pour des installations multi- sensorielles à base de sons et d’objets. Considérant le son comme un catalyseur  d’interactions humaines, il collabore avec de nombreux spécialistes. De quelle manière as-tu imaginé cette performance?  

TOMOKO SAUVAGE: Effectivement, j’ai été invitée pour jouer de la musique en écho. Le  projet était conçu pour que je puisse m’inspirer du son déjà existant dans la pièce. À partir de l’installation  sonore de Tarek Atoui, il a fallu que je développe une panoplie de notes. J’étais en alerte permanente pour trouver des occasions de jouer et de déjouer. Parfois, j’ai su anticiper sur les moments plus calmes ou les pauses pour ajouter mon son. C’était un vrai défi! La structure et la  configuration du MUDAM sont particulières, car c’est un mélange de béton armé et d’espaces  volumineux propice à une forte réverbération.  

PAN M 360: Concernant ta présence à Akousma, étant donné que chaque performance  est unique, de quelle manière l’appréhendes-tu ?  

TOMOKO SAUVAGE: Avec waterbowls, l’acoustique du lieu est déterminante pour les sons  que je peux faire sortir de mon instrument. Chaque lieu est un défi technique. Ça sera très spécial  de jouer dans l’acousmonium avec beaucoup de haut-parleurs. Ça peut être assez difficile de contrôler le larsen (feedback) que j’utilise comme élément musical. C’est pour cela que j’exige un long test de son pour bien connaître l’acoustique du lieu et pour aménager l’environnement sonore pour mes bols d’eau.  

PANM360: Ton dernier album, Fischgeist, sorti en 2020, à Berlin-Prenzlauer Berg,  en août 2019. Il a été enregistré dans des conditions spécifiques et très particulières.  Peux-tu nous en détailler les conditions et à quel point elles ont eu un effet singulier sur les sonorités?  

TOMOKO SAUVAGE: C’était enregistré dans un ancien réservoir d’eau qui a des  réverbérations très longues, soit de 20 secondes et plus. Pour jouer avec du feedback, c’est assez  incroyable. Il y a eu beaucoup de fréquences possibles et inimaginables que j’ai réussi à capter, mais aussi des harmoniques très riches. Le son le plus infime était naturellement amplifié. J’ai adoré cet espace unique fait de briques anciennes du XIXe siècle. Le contexte était humide et froid. La température oscillait entre 8 et 10 ° C. C’était incroyable! 

 

PAN M 360: Penses-tu que ce style de musique doit ou restera voué à un public averti et initié? Existe-t-il une façon de le démocratiser ou du moins de sensibiliser un public plus vaste ? 

TOMOKO SAUVAGE: En fait, oui! En Europe, je suis souvent invitée à jouer dans des contextes plutôt grand public. J’ai déjà joué dans des médiathèques de petites villes, mais aussi  des gros festivals de musique électronique. Les programmateurs de festivals veulent aujourd’hui mélanger les genres. Il y a beaucoup de gens, surtout des jeunes, qui sont curieux de découvrir la 

musique qu’ils ne connaissent pas. J’en suis plutôt ravie !  

 PAN M 360: Des projets pour un avenir proche ou lointain?  TOMOKO SAUVAGE: Beaucoup de choses, oui! Je prépare en ce moment des nouvelles  installations sonores à présenter dans un biennal d’arts à Santiago, au Chili, en novembre. Je  viens de terminer la musique pour un court film d’animation dessiné à la main par un réalisateur  français. Je prépare une sortie d’un EP chez INA-GRM de Paris. C’est une bonne période avec  pas mal d’inspirations pour moi. Les multiples crises que traversent notre monde, aujourd’hui me laissent penser que nous avons besoin de musique plus que jamais. 

TOMOKO SAUVAGE SE PRODUIT CE JEUDI 19 OCTOBRE, USINE C, 20H, DANS LE CADRE D’AKOUSMA. INFOS ET BILLETS ICI

Le plus surprenant chez la compositrice argentine Rocío Cano Valiño, c’est qu’elle mène aussi une carrière d’architecte d’intérieur. C’est peut-être ce qui explique sa fascination pour les sons qui l’entourent, et plus particulièrement leur décomposition en de plus petites particules sonores. 

Ce passage à la loupe de la matière sonore lui permet ensuite de la recomposer avec du micro-montage, technique de composition numérique des plus minutieuses. Habitués et néophytes pourront entendre deux de ses œuvres acousmatiques résonner dans l’orchestre de hauts-parleurs de l’Usine C : Astérion et Oknu.

Bien qu’elle ait étudié la composition à Buenos Aires  avec Demian Rudel Rey, elle  a fait presque toute sa scolarité en France, à Lyon. Elle se spécialise en musique mixte, composant autant pour ensemble instrumental que pour bande électroacoustique. Elle a développé de nombreux projets au sein de la communauté française de musique contemporaine. 

Ainsi donc, Akousma accueille Rocío Cano Valiño et PAN M 360 en fait de même !

Pan M 360 : Vous allez donc participer à la 19e édition d’Akousma, un festival reconnu pour la musique acousmatique.

Rocío Cano Valiño : Tout d’abord, je suis extrêmement heureuse d’avoir été invitée à participer au Festival Akousma, que j’admire énormément depuis des années! 
à

PAN M 360: Plus généralement, comme décririez vous votre démarche artistique?

Rocío Cano Valiño : En tant que compositrice, je fais des pièces instrumentales, mixtes (instrument et électronique) et électroacoustiques ou acousmatiques, et chaque projet c’est une nouvelle aventure.

Pour la composition de mes pièces, j’utilise diverses sources sonores. J’aime beaucoup les sons proches, la granulation et la “physicalité” des sons. Je pense que cette physicalité est aussi reliée à mon double parcours : compositrice et architecte d’intérieur. 

Je me concentre aussi sur l’exploration du timbre à partir de la technique du micro-montage, c’est-à-dire, je travaille avec de petites particules des sons choisies pour explorer les éléments qui le composent (les partiels, les rythmes internes, les variations timbrales).

PAN M 360: Quel est l’objet de votre quête ?

Rocío Cano Valiño : Mon intention est de générer, à travers l’interaction complexe entre différents objets sonores, des gestes vertueux dans un devenir musical dynamique (en constante mutation). Mes sources d’inspirations sont assez diverses, tout d’abord, la musique, l’architecture et le design sont des choses qui me passionnent. De plus, la littérature et la peinture me permettent aussi de rêver.

PAN M 360: Que pouvez-vous nous dire des œuvres présentées à Akousma?


Rocío Cano Valiño : Pour les deux pièces qui seront présentées au Festival Akousma, Astérion et Okno (cette dernière commandée par Radio France pour l’émission «Création Mondiale» et réalisée au Studio GRM Groupe de Recherches Musicales. Elle a eu sa création publique le 14 février au Festival Présences à La Maison de la Radio à Paris), voici quelques informations :

Pour Astérion, j’ai utilisé pas mal d’enregistrements de fermetures éclairs, à différents vitesses, plus proches, plus loin, aussi avec la spatialisation stéréo de ces sons. J’intègre aussi d’autres types de machines que nous pouvons trouver dans une maison, lave-linge, aspirateur… L’utilisation de sons provenant des machines (électriques ou analogiques) m’intéresse énormément, et je les utilise souvent dans mes œuvres. 

Dans le cas de la pièce Okno, j’ai intégré aussi des enregistrements de sons faits avec des machines et magnétophones (boutons, mécanismes, engrenages…) posant la question de la relation des êtres humains avec l’automatisme. Dans l’œuvre, il y a toujours l’idée de la frontière entre ce qu’il est réel et de ce qui est fictif. L’imaginaire est exprimé dans des sons qui peuvent avoir une connotation déjà déterminée en eux-mêmes. Il se construit alors un son imaginaire en dehors du contexte d’origine de chaque élément. 




Pan M 360 : Quelle a été votre formation musicale et votre parcours avant de vous lancer dans l’art sonore et l’utilisation des technologies numériques?


Rocío Cano Valiño : J’ai tout d’abord expérimenté avec la batterie et le violon. J’ai vite développé une attirance pour la musique contemporaine, pour le timbre, les sonorités qui m’entouraient dans la vie quotidienne et les sons que j’entendais dans diverses ateliers de travail pour construire des objets en bois. C’est très probablement grâce à ça que je me suis décidé plus tard pour suivre des cours d’analyse, d’histoire et d’instrumentation de la musique. Et parallèlement, j’étais tellement motivée que j’ai commencé à prendre des cours de composition, mixage et prise de son. Mon intérêt dans les nouvelles technologies et l’art sonore est venu naturellement depuis le début, comme une sorte de nécessité profonde d’intégrer tous mes désirs artistiques dans mes projets. 



Pan M 360 : Vous avez collaboré avec l’ensemble montréalais Paramirabo en 2021. Que pouvez-vous dire de ce projet qui réunissait plusieurs ensembles?


Rocío Cano Valiño : Ce projet était magnifique ! On a fait une tournée dans diverses villes de France et du Canada. C’était une expérience humaine et musicale extrêmement enrichissante. Ce rassemblement de trois ensembles que j’admire énormément m’a permis de prendre tous les risques artistiques que je voulais afin d’arriver à un résultat dont j’était (et je suis) très satisfaite. Et là, j’ai essayé de mettre en valeur l’empreinte sonore de chaque groupe (Paramirabo, Proxima Centauri et HANATSUmiroir). Cela m’a permis de trouver une confluence sonore d’énergie dans ma pièce Okinamaro, pour 12 musiciens et électronique (Commande de l’État du Ministère de la Culture – DRAC Nouvelle-Aquitaine, et l’Aide à l’écriture musicale de l’OARA)




Pan M 360 : Vous avez cofondé l’Ensemble Orbis à Lyon. Quel est votre rôle au sein de cet ensemble et à quels projets pouvons nous nous attendre prochainement?

Rocío Cano Valiño : Je suis dans le comité artistique de l’Ensemble Orbis que j’ai effectivement cofondé à Lyon (France) en 2021 et, qui est dirigé artistiquement par le compositeur Demian Rudel Rey. Je suis responsable de la partie électronique de l’ensemble. Ce projet est un rêve qui est devenu une réalité et qui nous permet d’unifier nos forces pour créer des projets musicaux et interdisciplinaires ensemble.

 La musique de création est au cœur de l’ensemble et nous aimons programmer des pièces instrumentales, mixtes et acousmatiques. Nous faisons différents types de formats de concerts : “standards”, déambulations, spectacles, avec des lumières et de la vidéo. Nous avons eu la possibilité de passer commandes à plusieurs compositrices et compositeurs et maintenant, j’ai la chance d’écrire une pièce pour l’Ensemble Orbis, pour tout son instrumentarium et électronique, qui sera créée dans la Biennale de Musiques Exploratoires de Lyon 2024 organisé par le GRAME Centre national de création musicale.



Pan M 360 :Avez-vous des attentes de la part du public montréalais, ou par rapport au Québec de façon plus générale?

Rocío Cano Valiño : J’attends une belle rencontre, une connexion avec eux à travers mon univers musical et peut-être, si j’ai de la chance, de pouvoir échanger avec eux après le concert. Pour moi, c’est toujours très important de créer une liaison et des échanges avec les individus de différentes régions du monde ! C’est cela qui nourrit aussi mes pièces !

Pan M 360 : Merci beaucoup!

Rocío Cano Valiño : Avec plaisir!

Vous pourrez entendre les œuvres de Rocío Cano Valiño lors du Bloc 2 de la première soirée d’Akousma, le 18 octobre 2023 à 21h. INFOS ET BILLETS ICI

https://akousma.ca/Programmation-Akousma-19

Artiste du son et du multimédia invité au festival Akousma, le Montréalais d’adoption Mourad Bncr fait la part belle à la texture et au détail afin d’aménager des mondes virtuels traversés par une diversité de legs culturels mais aussi une science-fiction post-apocalyptique marquée par sa fascination pour l’obsolescence du genre humain et de ses technologies.

Responsable des résidences d’artistes multimédia à la Société des Arts Technogiques (SAT), de surcrît très impliqué dans les pratiques menées à la Satosphère de la SAT, Mourad Bncr s’impose en tant concepteur sonore spécialisé dans la création d’environnements immersifs, l’audio spatialisé et la réalité mixte. 

Au départ beatmaker et producteur de beat-music et de hip-hop abstrait, notre interviewé travaille également à un niveau plus conceptuel et c’est ce dont il est ici question. Inutile d’ajouter que ce travail sera présenté ce mercredi dans le contexte du festival Akousma.

PAN M 360 : Mourad, depuis quand es-tu installé à Montréal? Où vivais-tu auparavant?

Mourad Bncr : Né de parents algériens, j’ai grandi à Pau dans les Pyrénées occidentales, j’ai vécu ensuite à Toulouse. Je suis arrivé à Montréal en  2016, d’abord comme artiste et étudiant, pour ensuite travailler à la SAT à partir de 2017. 

PAN M 360 : Ton travail d’artiste était-il différent lorsque tu vivais en Europe?

Mourad Bncr : C’était en particulier la musique électronique beat-music et hip-hop abstrait, j’ai amorcé alors une pratique en programmation en musique électronique. J’ai peaufiné tout ça en arrivant à Montréal.

 
PAN M 360 : Tu étais donc issu de pratiques musicales qui avaient peu à voir avec l’électroacoustique.

Mourad Bncr : Oui et non. Plus jeune, je faisais déjà de la conception sonore, du sound design, de la musique instrumentale, mais aussi de la musique électronique, du DJing et d’autres choses. Une variété de choses.

PAN M 360 : À Montréal, donc, ta carrière a quand même pris une autre direction, car ton travail est plus lié à la l’exploration multimédia et électroacoustique. 

Mourad Bncr : Oui, et j’ai travaillé en collectif depuis mon arrivée à Montréal, nous avons eu un label, nous avons organisé des événements. Le côté label du collectif est en pause en ce moment, mais c’est ça qui nous a aussi permis de garder un studio en partage avec d’autres artistes. 

PAN M 360 : En Europe, as-tu bénéficié d’une éducation musicale ?

Mourad Bncr : Non, j’étais autodidacte.  Au départ, d’ailleurs, je suis venu à Montréal pour parfaire mes connaissances académiques à l’Université de Montréal, soit dans un programme de musique numérique qui vient de l’électroacoustique mais qui englobe un corpus plus vaste.

PAN M 360 : En cours de route, tu as commencé à faire du multimédia, en témoigne ton implication à la SAT et tes propres productions.

Mourad Bncr : C’est le multimédia qui m’a un peu trouvé. J’ai eu la chance de travailler sur pas mal de collaborations multimédias qui m’ont fait pratiquer et pratiquer et approfondir énormément d’aspects techniques, trouver des solutions à des problèmes sur plusieurs installations. Ça a été pour moi une deuxième passe d’apprentissage. 

PAN M 360 : Aujourd’hui, te définis-tu comme artiste de la musique électronique ou du multimédia?


Mourad Bncr : Je pense que les deux se nourrissent, mais je ne me définis pas moi- même comme artiste multimédia. C’est sûr que je suis bien intéressé par différentes formes d’expression multimédias mais au bout d’un moment, ça devient assez difficile de définir la limite entre ce qui vient de l’expression visuelle, ce qui vient du sonore. Une chose est sûre, je me retrouve toujours autour de la musique.

PAN M 360 : Que viens-tu présenter à Akousma, un festival plus enclin à l’acousmatique qu’au multimédia.

Mourad Bncr :  Il n’y a pas de volet visuel dans ce travail présenté à Akousma , c’est vraiment une performance sonore. 

PAN M 360 : Alors parlons de ce travail sonore qui prend  néanmoins sa source dans le multimédia… 

Mourad Bncr : J’ai fait un travail de recherche sur plusieurs films, en collaboration avec le réalisateur québécois Nicolas Lachapelle. Il dans une approche très intéressante du documentaire, c’est-à-dire qu’il travaille le matériel documentaire en en explorant tous les aspects narratifs et méta-narratifs. En particulier, il y a un corpus que je présente en m’inspirant de son travail. Le monde après nous est  un titre que j’ai repris de son film avec son autorisation, What Remains after We’re Gone?  De mon côté, j’avais fait tout un travail autour d’espaces habités par les humains et sur la présence qu’on pourrait ressentir de ce qui reste de ces lieux après notre passage sur Terre. 

PAN M 360 : Un angle post-apocalyptique? 

Mourad Bncr : C’est un peu ça, mais disons que c’est surtout issu de réflexions que j’ai beaucoup en ce moment aussi, c’est qu’il y a des lieux dont on a eu la chance d’enregistrer un petit peu les propriétés parce qu’ on les aime bien, parce que ça nous permet de faire des belles réserves. Maintenant, on compte beaucoup de lieux qui disparaissent et dont on n’a plus vraiment d’empreinte, d’où l’idée d’essayer de reproduire un lieu et d’y aménager un espace immersif. Pour ce, j’ai beaucoup travaillé sur la réverbération à convolution.

PAN M 360 : La réverbération à convolution consiste en une simulation numérique de la réverbération d’un espace physique ou virtuel. À quoi sert ce procédé dans ton travail?

Mourad Bncr : Des empreintes sonores permettent de générer des réverbérations dans ces espaces reconstitués et de lier ce processus à des dialogues et des intonations de voix et ainsi découvrir de nouvelles textures sonores. Ça va rester quand même assez ambient mais c’est  un matériel qui est basé sur un travail d’espace.


PAN M 360 : Maintenant, tu parles d’un travail avec un réalisateur, alors quel est le  lien entre ce travail et le concert sans images présenté à Akousma? 

Mourad Bncr : Tout le travail fait avec Nicolas Lachapelle, ça reste souvent cantonné à la la musique de films, mais je suis quand même resté dans une recherche similaire.   Plusieurs de mes pièces s’inspirent de cette méthode de travail mise au point pendant ma collaboration avec le cinéaste et que j’applique dans un contexte acousmatique, cette fois dissocié de l’image. 

PAN M 360 : Peut-on parler plus précisément de cette méthode de travail?

Mourad Bncr :  Je travaille beaucoup avec des textures sonores qui définissent les espaces. J’essaie de travailler sur l’empreinte sonore que ces espaces nous laissent et le fait qu’on peut rester avec l’empreinte sonore d’un endroit. C’est un peu la même chose que se retrouver dans un endroit qu’on écoute en silence et puis on finit par fse concentrer sur un son en particulier dans ce lieu- là. Ça, c’est le point de départ pour  une exploration un peu plus introspective sur la façon dont on écoute ces espaces. Puis ça devient plus riche au fur et à mesure que se poursuit l’exploration timbrale ou texturale. 

PAN M 360 : Les timbres, les textures, c’est fondamental dans ton approche sonore?

Mourad Bncr : Oui mais pas exclusif. En beat-music, j’ai beaucoup travaillé avec d’autres matériaux,  de la musique modale ou tonale, des mélodies plus classiques. Ici,  j’essaie de développer quelque chose qui provient du matériel sonore. Après, je peux aussi incorporer quelques instruments dans certaines parties, des flûtes berbères par exemple, dont j’essaie de traiter les éléments de souffle pour ensuite les incorporer dans la pièce. Au lieu de travailler avec un clavier ou avec un instrument pour composer des pièces, je travaille avec du matériel sonore. 

PAN M 360 : Mais tu ne fais pas systématiquement ce travail dans toutes tes compositions.

Mourad Bncr : Il y a différentes façons de travailler la musique. Il y a celle qui provient vraiment du travail en studio où on a quand même beaucoup plus de contrôle sur la composition et c’est un travail de ce type qui est présenté à Akousma. Il y a la deuxième façon, plus instinctive, où je vais travailler  en direct sur des rythmes, avec une approche instrumentale, qui va se rapprocher de la drum’n’bass ou de l’abstract hip-hop. Là, je m’écarte de cette approche sur ce projet. 

PAN M 360 :  Quand je visionne et j’écoute tes propres productions audiovisuelles, les musiques sont plus ambient, abstraites en général.

Mourad Bncr : C’est plus cinématographique, ça prend un peu plus son temps. 

PAN M 360 : Et ça pourrait se rapprocher de l’œuvre acousmatique présentée à Akousma. Un travail inédit?

Mourad Bncr : Presque. Il y a des choses qui sont sorties ou qui sont restées très confidentielles. Autour de tout ça, un projet à partir de cette matière pourrait évoluer après ce concert, et être éventuellement rendu public.

Mourad Bncr présente son travail dans le contexte d’Akousma, ce mercredi 18 octobre à 19h30 à l’Usine C/ INFOS ET BILLETS ICI

[indistinct voices over PA] – In Between (2022) from Mourad Bncr on Vimeo.

La 35e saison du Nouvel Ensemble Moderne sera la dernière de Lorraine Vaillancourt, sa fondatrice, directrice artistique et directrice musicale. Depuis 1989, l’ex-prof de l’Université de Montréal pilote le NEM pour une ultime saison avant de confier le gouvernail  à son successeur désigné, Jean-Michaël Lavoie. Le programme présenté lundi marque l’ouverture de la saison de l’ensemble, nous avons rencontré Lorraine Vaillancourt pour nous en causer.

PAN M 360 : Vous avez deux grands concerts anniversaire à part la semaine du 9 au programme cette année?

Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est ça. C’est les deux grands concerts anniversaires, effectivement, à la rentrée. Et puis le 3 mai 2014, c’est vraiment 35 ans pile, puisque notre premier concert était le 3 mai 1989. C’est ma dernière saison aussi, comme capitaine du navire.

PAN M 360 : Vous vous étiez pourtant retirée une fois, pour reprendre la barre.

Lorraine Vaillancourt :  Oui, je suis comme Charles Aznavour, j’ai plusieurs fins! (rires). En fait, j’avais laissé la direction artistique et conservé la direction musicale. Je continuais à diriger les concerts mais bon, il y a eu toutes sortes de problèmes, puis il y a eu le covid et j’ai repris la direction artistique pour mener l’ensemble jusqu’à son 35ᵉ anniversaire. Disons, j’ai accepté de rentrer au bercail parce que ça marchait plus ou moins.  Après coup, je dirais qu’on ne peut vraiment scinder direction artistique et musicale dans un organisme comme le NEM.  

PAN M 360 : Un organisme de cette taille ne peut effectivement créer plusieurs postes de direction.

Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est ça. En plus, nous sommes en résidence à l’Université de Montréal,  je n’avais plus de salaire comme direction artistique au NEM. Mine de rien, c’était important de remédier à cette situation. C’est précisément celui qui a pris ma place à l’université, Jean-Michaël Lavoie, qui a pris en main l’atelier de musique contemporaine depuis que j’ai quitté l’enseignement, qui est très, très actif, très dynamique.

PAN M 360 : Et c’est lui qui prendra la relève du NEM pour la saison 2024-2025?

Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est lui qui prend la relève l’année prochaine. Il a travaillé déjà avec le NEM, il est un très bon chef et sera le prochain directeur du NEM.  Il travaille déjà en coulisses avec nous depuis un bon bout de temps. On se parle beaucoup, on est sur la même longueur d’ondes, on a la même passion et le même désir de continuer d’écouter la musique qui se fait ailleurs et qui nous concerne. Pour les répétitions du concert de lundi, il est là. Et il parlera de la prochaine saison aux musiciens. On est déjà dans la suite des choses.

PAN M 360 : Vous avez quand même une saison à savourer !

Lorraine Vaillancourt : Ma dernière saison en a motivé quand même un peu la programmation. Au fil des ans, le NEM  s’est modifié. Nous avons encore deux interprètes de la formation originelle et les autres se sont progressivement greffés à l’ensemble. Certains sont avec nous depuis 15 à 20 ans, tout de même. D’autres sont là depuis tout récemment, on a dû remplir certaines chaises. 

PAN M 360 : Et donc vous pouvez compter sur un ensemble solide aujourd’hui.

Lorraine Vaillancourt : C’était mon premier objectif que de se rassembler des musiciens de cette trempe. Je pense que ce qui a toujours fait la force du NEM, c’est sa cohésion. Bien sûr, on part du principe que tous les musiciens, individuellement, sont des super musiciens, mais après ça, il faut jouer ensemble. Ce n’est pas si évident que de jouer ensemble et avoir le goût de jouer ensemble et de transmettre cette musique, quelle que soit la complexité des œuvres, d’avoir envie de s’en investir. En pensant à la suite, mon désir aussi était de laisser au suivant l’ensemble le plus cohérent possible.

PAN M 360 :  Et donc faire connaître les œuvres des compositeurs actuels.

Lorraine Vaillancourt : Oui et c’est pour ça qu’il y a autant de commandes dans ces deux concerts. D’ailleurs, c’est un petit peu contradictoire avec mon objectif du début où je voulais surtout faire du répertoire et m’éloigner un peu de la création. Là, je fais exactement le contraire, car les deux programmes anniversaires seront des concerts de création. Pourquoi? Parce que quand on fait une commande, l’œuvre  est écrite pour les 15 musiciens sans exception, ce qui nous permet vraiment de baigner dans l’œuvre, de vraiment travailler ensemble.

PAN M 360 : Il faut donc de nouvelles œuvres faites sur mesure pour le NEM.

Lorraine Vaillancourt : C’est sûr que ça influence mon choix d’œuvres. Mon désir au début était de rappeler qu’on venait de quelque part; on regarde en avant, mais on a intérêt à regarder souvent par-dessus l’épaule et voir qui se trouve derrière. Ce désir reste important, car plusieurs ont tendance à vouloir gommer l’histoire. Il sont nombreux les compositeurs qui m’ont inspirée depuis 50 ans, mais il y en a aussi très nombreux et ils sont disparus maintenant. Je ne suis pas la seule qui vieillit!  Et c’est pourquoi, par exemple, on rend hommage  à Harrison Birtwistle, décédé au printemps 2022, en jouant une de ses œuvres que le NEM avait jouée en 1994. Secret Theatre, c’est vraiment une œuvre très costaude dans tous les sens du terme.  Birtwistle demeure un monument du répertoire pour notre ensemble.  Un géant.

PAN M 360 :  Il y a  aussi deux créations au programme. 

Lorraine Vaillancourt : Oui une de Samuel Andreyev et une autre de Tomás Diaz Villegas, qui fait son doctorat à l’Université de Montréal et qui est en résidence au NEM. Samuel Andreyev est Canadien, mais il vit actuellement à Strasbourg. Nous allons jouer Contingency Icons, de Samuel Andreyev, et La persistance, l’éphémère de Thomas Diaz Villegas, un titre qui ne pouvait pas me rejoindre plus que ça!  Mon rapport au NEM depuis 35 ans, c’est un peu un signe de persistance et de résistance et puis aujourd’hui, où tellement de choses sont éphémères, dès qu’on dure un peu, ça devient exceptionnel de durer 35 ans… ce qui n’est rien dans l’histoire de l’univers. Donc, je me suis approprié son titre avec sa permission en lui disant « Écoute, c’est un titre qui va directement au but ». 

PAN M 360 : Voyez-vous un lien entre ces deux créations?

Lorraine Vaillancourt : Ces deux jeunes compositeurs utilisent des formes anciennes dans leurs œuvres – canzone, prelude, aria, etc. Coïncidence intéressante, ils ont fait ça sans se consulter, évidemment, tout ça est réinventé à leur manière, mais ils ont repris des formes anciennes. 

PAN M 360 : Il y a donc ces deux créations, mais aussi une orchestration spéciale.

Lorraine Vaillancourt : Quand j’ai pensé à la programmation de ce 35ème, j’avais vraiment envie d’un petit retour sur l’histoire, et si on connaît cette œuvre de John Rea, c’est la première à laquelle j’ai pensé. C’est une œuvre de John Rea, une œuvre à l’origine pour piano inspirée d’une peinture célèbre de Diego Velsaquez. John Rea fut le premier que j’ai approché en lui disant « Tu ne voudrais pas m’orchestrer ça pour les 15 musiciens? » 

Parce que c’est très particulier; évidemment, ça fait référence au tableau magnifique de Velasquez une sorte d’effet  miroir où l’on voit des personnes qui regardent des personnes qui en regardent des personnes et ainsi de suite. Il y a plusieurs couches dans cette peinture et c’est exactement ça l’œuvre de John Rea. On y trouve 21 très courtes variations, parfois, c’est moins d’une minute, ça peut aller jusqu’à deux ou trois minutes.

J’ai choisi 11 de ces miniatures de Tableaux de Las Meninas, qui est aussi un hommage à des compositeurs du passé ou du présent – Schumann, Berio, Vivier, Mahler, Satie, Evangelista, Webern, Schoenberg, etc. Évidemment, on a la patte de John Rea, mais aussi celle de l’excellent orchestrateur François Vallières qui a accepté d’orchestrer pour les 15 musiciens – et qui joue aussi dans cette exécution.

PAN M 360 : Ces pièces sont peu jouées. Cela nécessite-t-il plus de travail en répétition?


Lorraine Vaillancourt : Sauf la pièce de Birtwistle, les autres n’ont pas été jouées du tout. Évidemment,  on ne fait plus une heure de répétition par minute de musique comme on faisait au début, mais on continue quand même d’entrer dans les œuvres trois mois avant le concert, ce qui n’est pas du tout régulier dans le milieu de la musique. Dans les orchestres, les lecteurs sont absolument fabuleux et connaissent le répertoire général. En musique contemporaine, cependant, le langage musical n’est pas toujours le même, les codes peuvent être différents. Quand je l’ai fondé, un des buts de l’ensemble était justement d’essayer de donner du temps aux musiciens de s’approprier la musique, pas seulement la partie qu’ils font mais aussi celle des autres pour avoir une sorte de recul. Si on a juste le temps d’assumer sa propre partie, cela ne suffit pas à l’exécution d’une œuvre réussie.

SOUS LA DIRECTION DE LORRAINE VAILLANCOURT, LE NOUVEL ENSEMBLE MODERNE (NEM) SE PRODUIT LE LUNDI 16 OCTOBRE, 19H30, ÉDIFICE WILDER. INFOS ET BILLETS ICI

La troisième tournée nord-américaine de la grande prêtresse du fado contemporain s’arrête mercredi prochain, 18 octobre, au Théâtre Outremont. Les fans du genre, ceci incluant des mélomanes de notre communauté portugaise, ont déjà acclamé Carminho en 2015 et 2019. Sans conteste, cette artiste portugaise de 39 ans peut prétendre au statut de diva et vient défendre la matière de son récent album, Portuguesa – sous étiquette Warner Music. Jointe cette semaine à l’aéroport de Chicago, notre interviewée s’avère une (très) forte personnalité. Carminho sait de quoi elle cause, on ressent chez elle l’assurance et la posture des géants de la chanson mondiale. Lisez ce qui suit pour le réaliser comme l’a fait l’auteur de ces lignes!

PAN M 360 : Vous nous offrez un chapitre intéressant de votre carrière avec votre sixième album, Portuguesa. Et vous venez avec ce matériel à Montréal ? Allez-vous chanter principalement ce matériel ou autre chose ?

Carminho : Principalement le nouvel album, mais je chante toujours du fado de mes autres albums. Parfois, je pense aussi à l’album consacré à  Tom Jobim, cela dépend de la soirée ou de ce que souhaite le public.

PAN M 360 : Acceptez-vous les demandes spéciales  ?

Carminho : Parfois, oui. Ça peut être agréable !

PAN M 360 : Vous êtes totalement ancrée dans la tradition. Quand on écoute votre musique. J’ai écouté quelques albums, et surtout le dernier. C’est une approche très classique. Comment le voyez-vous vous-même ?

Carminho : Le fado est ma langue, le fado est juste un moyen d’atteindre ce que j’aime faire. Ce n’est pas un exercice de mémoire, donc je ne me considère pas comme un chanteur traditionnel. En fait, je me considère comme une traditionaliste, mais j’utilise la tradition  pour servir mon propre discours, et ce avec une sensibilité qui correspond à mon âge, à ma génération, à mon expérience d’aujourd’hui. D’une certaine manière, je suis contaminée par la musique de ma génération, la musique que j’écoute, les artistes que je vois et qui m’inspirent. Il y a donc beaucoup de choses nouvelles en cours ! Et je vois aussi des possibilités d’expérimentation dans mon propre style de fado. Pour moi, ce n’est pas quelque chose de fini,  la tradition ne s’arrête pas. Le fado est tellement vivant, tellement dynamique, que nous n’avons rien d’autre à faire que  poursuivre ce que nous pensons pouvoir faire. Le fado peut être beaucoup de choses, cela dépend de chaque artiste.

PAN M 360 : Votre relation avec la tradition est donc une sorte de renouvellement sans fin.

Carminho : C’est une relation dynamique et je n’ai pas la prétention de changer le fado. Je ne fais que pratiquer mon art et de petites choses se produisent grâce à ma propre expérience.

PAN M 360 : De quelle manière les temps modernes, votre génération, influencent-ils le fado formellement dans votre musique, votre expression et votre chant ?

Carminho : Il n’est pas facile de donner des exemples parce que c’est un processus organique ; lorsque vous répétez ou enregistrez, vous devez rester ouvert à de nouvelles textures, à de nouveaux instruments. Mon expérience au Brésil par exemple ; en travaillant avec les artistes brésiliens, j’ai été vraiment  inspirée par leur liberté de partager différentes façons d’écrire des chansons ou de jouer. 

Lorsque je creuse dans les plus anciennes traditions du fado, je constate également que les artistes ont construit leur propre répertoire à l’origine, sans se contenter de faire du classique ou du standard. Par exemple, Marceneiro (1891-1982) a composé tous ses fados, c’était donc un artiste progressiste de son temps. J’ai donc été très inspirée par lui pour composer de nouveaux fados traditionnels. Il est d’ailleurs  possible de le faire, il s’agit d’assumer la façon dont vous composez. Il est aussi envisageable d’ajouter de nouvelles paroles à de vieilles chansons, de sorte que nous pouvons dire de nouvelles choses à travers la tradition.

PAN M 360 : Votre instrumentation s’inspire du fado classique. Vous avez donc de la guitare portugaise et de la guitare classique. 

Carminho : Oui, la guitare portugaise et la guitare classique combinées constituent l’instrumentation traditionnelle du fado. De plus, j’ai  des guitares électriques, des lap steel et du Mellotron.

PAN M 360 : Mellotron et lap steel ? C’est en quelque sorte une innovation.

Carminho : C’est un processus, je n’utilise pas le mot innovation parce que je n’ai pas le sentiment d’innover. Je me contente d’être moi-même en train de faire des expériences en studio et d’en être heureu. Je veux aussi faire passer l’émotion à travers cette narration. Parfois, de nouvelles textures et ambiances peuvent aider à raconter l’histoire et, pour moi, le fado me donne cette liberté. Nous ne pouvons donc pas définir ce qu’est exactement la véritable tradition. C’est peut-être quelque chose de différent pour vous. Pour moi, c’est peut-être autre chose…

PAN M 360 : Vous avez raison, la tradition ne s’arrête jamais et s’interprète de multiples façons. Il ne s’agit pas d’être révolutionnaire, mais de suivre le courant. En s’exprimant de cette manière, quelque chose de nouveau peut émerger sans qu’on le veuille. Si vous jouez Bach, vous trouverez de nouvelles façons de l’exprimer, mais en même temps, vous devez jouer la partition correctement.

Carminho : Exactement. Il y a quelque chose qui peut contaminer ce que vous faites en musique, même si vous le faites de manière traditionnelle.

PAN M 360 : Vous avez également été invité à travailler avec des artistes célèbres. Caetano Veloso est l’un d’entre eux. Comment cela s’est-il passé ?

Carminho : Je l’ai rencontré au Brésil. C’est très sympa ! Et oui, c’est un grand artiste. C’est devenu une grande amitié entre nous. C’est un maître, une personnalité, un interprète, un musicien, un compositeur que j’admire le plus. C’est l’un de mes artistes préférés au monde. Et c’est un honneur pour moi de partager la scène avec lui. Nous avons eu des discussions intéressantes sur la langue portugaise lorsque j’ai sorti mon album de Tom Jobim – j’ai été invité par la famille de Tom Jobim à faire cet album avec le groupe original, ce qui a été une expérience incroyable. Caetano a alors entamé une discussion avec moi parce qu’il n’était pas d’accord avec mes choix concernant la langue portugaise et le portugais brésilien, alors que je cherchais ma propre expression et que j’ai peut-être été mal compris. Caetano a donc donné son point de vue sur mon choix. C’était incroyable d’en discuter avec lui. Finalement, il m’a invitée à chanter ! Et ensuite, il m’a invitée à faire une tournée avec lui au Portugal. C’était un moment incroyable pour moi d’être avec lui, avec son incroyable équipe. Un moment très spécial.

PAN M 360 : Montréal est peut-être aussi un moment spécial. Après cette tournée nord-américaine, allez-vous travailler sur de nouveaux projets ?

Carminho : Je travaille toujours sur de nouveaux projets, je suis toujours en train d’obtenir un nouveau répertoire, de nouvelles opportunités pour enregistrer avec mon groupe.

Carminho sera à Vancouver le 15 octobre, à Montréal le 18 octobre au Théâtre Outremont, à Toronto le 21 octobre. Elle interprétera la matière de Portuguesa,son plus récent album, répertoire assorti de chansons enregistrées antérieurement. 

INFOS ICI

PERSONNEL :

Carminho : chant 

André Dias : guitare portugaise

Flávio Cardoso : viola de fado

Tiago Maia : basse

Pedro Geraldes : guitare lap steel

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Rani Jambak est une compositrice, productrice et chanteuse basée à Medan, au nord de Sumatra (Indonésie). Elle a commencé sa carrière en travaillant sur le projet Sound of X de l’Institut Goethe et en lançant Medan Soundspectives, un festival mettant l’emphase sur la diversité acoustique de sa ville natale. 

Jambak est une écologiste convaincue qui produit de la musique pour sensibiliser aux questions environnementales par le biais d’une campagne musico-écologique intitulée #FORMYNATURE. Son nouveau projet #FUTUREANCESTOR s’inspire de son identité ethnique Minangkabau et utilise le son pour explorer les liens entre les connaissances traditionnelles et la nature. Pour ce faire, elle a construit un instrument inventé unique appelé Kincia Aia, inspiré des moulins à eau traditionnels de l’ouest de Sumatra.

En octobre, Rani Jambak sera en tournée au Canada aux côtés du duo électronique Gabber Modus Operandi et du DJ Wok the Rock, pour présenter quelques-unes des meilleures musiques expérimentales indonésiennes de l’heure. Tous les artistes sont affiliés au label YesNoWave, basé à Yogyakarta, une force dans l’underground javanais. Le passage des artistes à Montréal le 15 octobre sera une rare occasion d’entendre de la nouvelle musique de l’Asie du Sud-Est maritime dans notre coin de pays. Nous avons profité de l’occasion pour poser quelques questions à Jambak en préparation de l’événement.

Pan M 360 : Pouvez-vous décrire votre son et votre approche artistique au public canadien qui n’a peut-être jamais entendu parler de votre musique ?

Rani Jambak : Ma musique est un mélange de paysages sonores de la nature et de la ville, incluant des animaux et des instruments traditionnels de Sumatra, en Indonésie. Ces sons font partie de mon voyage personnel à la recherche de mes racines ancestrales en tant que Minangkabau (ethnie du Sumatra ouest)  vivant à Medan (Sumatra nord). En 2019, j’ai commencé un voyage d’enregistrement sur le terrain et j’ai trouvé un moyen d’apprendre mon histoire et ma culture à travers les sons. L’une des philosophies Minangkabau, « Alam takambang jadi guru » (la nature est notre professeur), est un thème important de ma musique. Je parlerai donc des problèmes environnementaux et de la façon dont la nature, les humains et les ancêtres sont liés les uns aux autres. Je l’appelle #futureancestor, comme je vois la connexion entre les humains du passé et du futur.

Pan M 360 : Quelles sont les formes d’art ou les traditions musicales qui vous influencent en tant qu’artiste ?

Rani Jambak : J’ai été influencée par de nombreuses traditions et cultures musicales à partir de mes propres racines Minangkabau et de l’endroit où je suis née, Medan. Medan est une ville unique qui compte 8 ethnies originales, ce qui la rend très riche en diversité sonore. Au cours des trois dernières années, la philosophie Minangkabau et les connaissances ancestrales ont été mon principal centre d’intérêt pour la réinterprétation sous forme musicale. J’ai commencé par apprendre la culture et l’histoire à travers les sons, en créant des instruments à partir de roues à eau appelées « Kincia Aia », puis en comprenant l’histoire grâce au « Tambo Alam Minangkabau », un manuscrit sur l’origine du Minangkabau datant du début du 19e siècle.

Pan M 360 : Ceux qui ne connaissent pas la scène musicale javanaise ne le savent peut-être pas, mais il existe une forte communauté autour de la musique expérimentale à Java et en Indonésie en général. Quel rôle pensez-vous jouer dans cette communauté ?

Jani Jambak : Les femmes sont encore très rares dans la scène électronique expérimentale en Indonésie. J’espère donc que ma musique pourra inspirer d’autres femmes artistes à prendre confiance en elles pour partager leur musique et à croire que les femmes sont également importantes dans cette communauté musicale et pour la diversité de la musique elle-même.

Pan M 360 : Dans quelle mesure vous identifiez-vous à des collectifs tels que Jogja Noise Bombing ou à un groupe comme Senyawa, qui est aujourd’hui connu en Amérique du Nord ? Y a-t-il un lien ou s’agit-il de réseaux différents des vôtres ?

Rani Jambak : Comme je vis à Sumatra, je n’ai jamais connu Jogja Noise Bombing. Mais je suis leurs activités en ligne. Cependant, j’ai rencontré Rully (chanteur de Senyawa) à plusieurs reprises et nous avons discuté. Depuis que je suis en contact avec Wok The Rock et YesNoWave, j’ai l’impression que le réseau entre les artistes électroniques expérimentaux d’Indonésie est beaucoup plus facile. De plus, la présence du Yes No Stage au festival Pestapora 2022 (à Jakarta) a rendu la connexion encore plus forte car nous avons pu nous rencontrer en personne.


Pan M 360 : Quels sont vos projets pour l’avenir proche ? Des sorties notables ou des performances à venir ?

Rani Jambak : Après cette tournée, je me produirai à Jakarta pour Pekan Kebudayaan Nasional (22 octobre), jouant de nouvelles compositions avec mon instrument Kincia Aia.

Pan M 360 : Merci !

Rani Jambak : Merci beaucoup pour ces questions.

Rani Jambak se produit ce dimanche à la Sala Rossa, 20h. Infos et billets ICI

En collaboration avec l’OFF Jazz, l’Orchestre national de jazz de Montréal (ONJ) invite à nouveau le compositeur, saxophoniste, chanteur et chef d’orchestre de jazz norvégien Bendik Hofseth. Rappelons qu’il est venu à New York en 1987, remplaçant le regretté saxophoniste Michael Brecker au sein de Steps Ahead. Trois décennies plus tard, l’ONJ et Hofseth lancent un album de ses œuvres vocales et instrumentales, arrangées pour l’ONJ par Jean-Nicolas Trottier et enregistrées en live au Studio TD en 2018. Pour interpréter cette musique, l’ONJ sera composé de 26 musiciens, dont 8 vents, 13 cordes et une section rythmique. C’est pourquoi nous rejoignons Bendik Hofseth pour en savoir plus sur sa musique et sa carrière, au-delà de Steps Ahead bien sûr.

PAN M 360 : Les amateurs de jazz vous ont connu lorsque vous avez rejoint Steps Ahead au début des années 90, en remplacement de Michael Brecker. Mais par la suite, nous avons perdu votre chemin. Que s’est-il passé depuis ?

Bendik Ofseth : En effet, j’ai fait partie de Steps Ahead pendant un certain temps, nous avons joué à Montréal plusieurs fois au début des années quatre-vingt-dix. Puis je suis retourné en Norvège en 1994.

PAN M 360 : C’est un bon choix, car la scène du jazz et de la musique improvisée est très vivante en Norvège.

Bendik Ofseth : Oui, c’est vraiment fantastique.

PAN M 360 : Est-il encore bon ?

Bendik Ofseth : Oui, c’est vrai. C’est une communauté créative très active. Et aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens arrivent et sont vraiment, vraiment bons. Je pense qu’ils vont laisser leur marque et continuer ce qui a été commencé. Je suis particulièrement redevable au grand batteur Jon Christensen (1943-2020) qui a amené dans ses groupes de nombreux jeunes musiciens au fil des ans. Il faisait partie de la première génération avec Jan Garbarek, Terje Rypdal, Palle Danielsson. Et depuis, la scène norvégienne du jazz a beaucoup changé. Le quartet scandinave de Keith Jarrett était également très important pour nous à l’époque. Je les ai donc écoutés et ils ont façonné mon orientation musicale.

PAN M 360 : Oui, à cette époque, il y avait une sorte de fondation. Nous avions aussi le sentiment qu’il pouvait y avoir une sensibilité nordique dans le jazz contemporain. En ce sens, il y avait une affinité naturelle entre les musiciens canadiens et scandinaves. L’avez-vous perçu de cette manière ?

Bendik Hofseth : Je pense que oui, ce que vous dites est exact. C’est un autre type d’interaction. Vous savez, c’est, c’est, c’est plus sur ce que le groupe peut faire ensemble. C’est un collectif plutôt qu’un soutien au soliste. Et je pense que Jon Christensen a été très, très influent à cet égard, parce qu’il a changé la façon dont les musiciens interagissaient les uns avec les autres.

PAN M 360 : Pouvez-vous être plus précis lorsque vous parlez d’une interaction différente ?

Bendik Hofseth : Bien sûr. Au lieu de soutenir le soliste, les musiciens sont beaucoup plus démocratisés avec cette approche, ils sont habilités à faire ce qu’ils veulent. C’est donc une tapisserie d’interactions. Il n’y a pas vraiment de prévisibilité dans la section rythmique, pour que, vous savez, le jazz américain est très axé sur les protagonistes et les antagonistes d’une certaine manière, l’autre côté est là pour soutenir le héros, vous savez, le soliste. Ce n’est pas le cas dans la  » musique du Nord « , où il y a beaucoup plus d’espace.

PAN M 360 : C’est plus collectif, comme vous le dites. L’expression individuelle est apparue depuis l’ère du jazz moderne, parce que nous pouvions trouver quelques héros comme Bird, Miles ou Coltrane. Cela a façonné la manière dont le jazz a été pratiqué pendant des décennies. Mais depuis les années 70, nous avons vu émerger une sorte de jazz de chambre, qui impliquait, comme vous le dites, des modèles d’interaction différents et une plus grande importance accordée au travail collectif. Aujourd’hui, cette approche s’est améliorée, de Jaga Jazzist à ESP et Phronesis.

Bendik Hofseth :Oui. Avec mon groupe, j’ai essayé d’atteindre cet objectif et de poursuivre dans cette voie, parce que cela nous donne un autre paramètre dans la manière dont nous interagissons. Et cela confère à la musique une certaine imprévisibilité que je trouve très engageante. Lorsque j’improvise de cette manière, je peux obtenir davantage des autres musiciens en temps réel. Je n’ai pas besoin d’être là comme un numéro de cirque avec beaucoup d’astuces exigeant beaucoup de technique. Je peux créer davantage dans l’instant, et c’est donc une forme très satisfaisante pour moi.

PAN M 360 : Vous avez donc développé cette expression en Europe.

Bendik Ofseth : J’avais mon propre groupe et je travaillais avec ma propre musique. C’était une combinaison de chant et de jazz. En 2000, j’ai fait une pause. J’étais épuisée. Je voulais moins voyager et je voulais aussi fonder une famille. Et j’ai fait quelque chose d’assez inhabituel : j’ai commencé à travailler avec une société de gestion collective des droits d’auteur et j’ai été élu président européen des différentes sociétés, puis je suis devenu président mondial de la société de gestion collective des droits d’auteur. Je voyageais donc plus que jamais (haha). J’ai travaillé dans le domaine du droit d’auteur pendant près de 15 ans, ce qui m’a conduit aux Nations unies et à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève. J’y ai travaillé pendant cinq ans et je dirigeais un programme sur la numérisation du marché de la musique. Je faisais donc la navette entre Paris et Genève.

PAN M 360 : Pendant cette période, avez-vous arrêté totalement de jouer ?

Bendik Ofseth : Non, je ne l’ai pas fait. J’ai joué un peu tous les jours pour garder mes muscles en vie, mais je n’ai pas vraiment fait carrière. Je jouais donc pour moi, mais j’acceptais parfois des concerts.

PAN M 360 : Après ce long cycle, vous êtes revenu à la scène ?

Bendik Hofseth : Oui, je voulais refaire de la musique, parce que je pense que c’est plus amusant. Je me suis rendu compte que beaucoup de gens pouvaient faire le travail que je fais avec le lobbying, essayer de changer la loi et tout ça. Mais je suis le seul à pouvoir jouer comme je le fais. Mais j’ai conservé le poste de professeur que j’ai obtenu pendant cette période. J’enseigne donc et je supervise des étudiants en gestion d’entreprises musicales.

PAN M 360 : Parlons de votre programme avec l’ONJ à la 5e salle, après avoir enregistré votre musique avec cet ensemble il y a quelques années.

Bendick Hofseth : Je suis très heureux d’être ici. Et les musiciens sont excellents. J’ai passé un excellent moment lorsque nous étions ici. J’étais ici il y a quatre ans et ce qu’ils voulaient, c’était jouer de la musique d’un de mes anciens enregistrements datant de 1999, juste avant que je ne devienne un expert en droits d’auteur. Nous avons donc joué cette musique dans son intégralité, puis nous avons ajouté d’autres chansons, plus récentes, que j’ai arrangées. Nous avons donc réalisé cet album, dont plusieurs chansons ont été arrangées par Jean-Nicolas Trottier et le reste par moi-même.

PAN M 360 : Pouvez-vous commenter l’évolution de votre expression vocale. Comment l’avez-vous élaborée ?

Bendik Hofseth : Il y a de nombreuses années, je jouais déjà du sax ténor et j’ai commencé à jouer du soprano actuel, comme l’a fait Jan Garbarek. Mais je me suis rendu compte que c’était beaucoup de travail de maintenir la maîtrise des deux instruments. Il m’a donc été plus utile de combiner le ténor et le chant. Pour moi, c’est à peu près la même tessiture que le soprano. C’est également la même technique de respiration, car j’utilise une technique d’opéra lorsque je joue du saxophone – j’essaie d’utiliser les chambres acoustiques du corps à un autre niveau.

PAN M 360 : Excellent !

Crédit photo: Carl Størmer

Ce jeudi, 20h, 5e Salle de la Place des Arts

Basé à Berlin, Roderick Cox est né et a grandi à Macon, en Géorgie, une ville du Deep South d’où sont originaires Little Richard, Otis Redding et les Allman Brothers, pour ne citer que quelques icônes de l’histoire de la musique afro-américaine et des artistes blancs qui s’en sont inspirés. Mais son destin est tout autre : encore au début de sa carrière, il est en train de devenir un chef d’orchestre de renommée internationale, issu d’une nouvelle génération de musiciens classiques très talentueux venus du monde entier. 

Roderick Cox est un chef d’orchestre noir américain basé à Berlin. En 2018, il a remporté le Sir Georg Solti Conductor award, le plus grand prix de ce type décerné à un chef d’orchestre américain. Depuis, il a été invité par les symphonies de Boston, Cincinnati, Détroit, Seattle et New World, les orchestres du Minnesota et l’orchestre de chambre du festival musical d’Aspen. Il a fait ses débuts avec le Houston Grand Opera et le San Francisco Opera et a enregistré Blue de Jeannine Tesori avec le Washington National Opera. Parmi les temps forts à venir, citons ses débuts avec le Philadelphia Orchestra et le Mostly Mozart Festival Orchestra, le City of Birmingham Symphony Orchestra, le Royal Liverpool Philharmonic et le Barcelona Symphony, ainsi que son retour au Los Angeles Philharmonics et au BBC Philharmonics.

Il a fréquenté la Schwob School of Music de la Columbus State University, puis a obtenu un master en direction d’orchestre à la Northwestern University en 2011. À Northwestern, il a étudié la direction d’orchestre avec le maestro russe Victor Yampolsky et Mallory Thompson, un maître pédagogue de la direction d’orchestre. Il a ensuite étudié avec Robert Spano à l’American Academy of Conducting à Aspen, dans le Colorado. Il a également participé au projet Song of America : A Celebration of Black Music, conçu à l’Elbphilarmonie de Hambourg. Dans le cadre de ce projet, il a dirigé la Negro Folk Symphony de William Levi Dawson, qu’il a enregistrée avec le Seattle Symphony Orchestra et qui sera jouée à la Maison symphonique.

Au Québec, il a été invité pour la première fois par l’Orchestre Métropolitain, soit au Festival International de Lanaudière, en juillet  2018. Il était alors précédemment chef associé de l’Orchestre du Minnesota (Osmo Vänskä ). Le jeudi 12 octobre et le samedi 14 octobre, il a été invité par le MSO à diriger un programme comprenant le célèbre Concerto pour violon de Barber avec le grand jeune soliste canadien Blake Pouliot et d’autres pièces de Tchaïkovski et du compositeur afro-américain William Levi Dawson.

Roderick Cox est profondément préoccupé par la négligence des compositeurs afro-américains, leur manque de représentation dans les institutions musicales. En effet, la grande majorité des auditeurs de musique ne connaissent pas Florence Price, William Grant Still, Amy Beach, Samuel Coleridge-Taylor, Leslie Dunner…

C’est pourquoi il dirigera à Montréal la Negro Folk Symphony du compositeur afro-américain William Levi Dawson, « une fusion unique de spirituals et d’esthétique symphonique post-romantique, avec quelques clins d’œil discrets à des compositeurs européens ».  

PAN M 360 l’a rencontré cette semaine, après une répétition, pour parler de ce programme et de son propre engagement dans le monde classique en tant que chef d’orchestre afro-américain.

PAN M 360 : Dans le Deep South américain d’où vous venez, comment êtes-vous devenu un musicien classique ?  

Roderick Cox : J’ai grandi à Macon, en Géorgie, et j’ai eu la chance de bénéficier d’un solide programme d’éducation musicale dès mon plus jeune âge. J’ai donc été immergé et j’ai eu l’occasion de faire partie d’un ensemble musical très tôt. Vers la huitième ou la neuvième année, le professeur d’orchestre local est venu à mon école et nous a permis d’essayer et de jouer de différents instruments.  J’ai d’abord été choisi comme percussionniste. 

PAN M 360 : Votre famille avait-elle des antécédents musicaux ?

Roderick Cox : La musique occupait une place très importante dans ma famille. En grandissant, ma mère était une chanteuse de gospel, très active dans l’église. Il semblait donc qu’il y avait toujours de la musique dans notre maison et sur le chemin de l’école, ou tout simplement de la musique. Et bien sûr, Macon, en Géorgie, a un héritage musical très riche avec Otis Redding, Little Richard, etc. Little Richard, etc. Bien sûr, je n’ai pas rencontré Otis Redding, mais j’ai rencontré Little Richard, qui venait à notre église et s’asseyait juste en face de moi.

PAN M 360 : Mais votre parcours a été totalement différent de celui de Little Richard et d’Otis Redding.

Roderick Cox : Quand je suis allé au lycée, j’ai continué la musique, c’était quelque chose de très naturel pour moi. Bien sûr, je ne pensais pas devenir chef d’orchestre. Cette idée ne m’a jamais traversé l’esprit. Mais je trouvais que faire partie de la fanfare et de l’orchestre était la chose la plus cool qui soit. Lorsque j’ai appris qu’il était possible de poursuivre cette voie à l’université, j’ai eu l’impression de devoir déterminer ce que j’allais faire. Je pensais que je voulais devenir éducateur musical. J’ai donc obtenu un diplôme, un diplôme en éducation musicale avec une concentration en cor d’harmonie, j’ai changé pour le cor d’harmonie quand j’étais au lycée.

PAN M 360 : Après le lycée, vous avez étudié à la Northwestern University (Illinois).

Roderick Cox : J’ai alors étudié la direction d’orchestre, toujours dans l’idée de devenir professeur dans une université, car ma passion, c’était les jeunes et l’éducation. À la Northwestern University, j’ai étudié avec Mallory Thompson et j’ai travaillé avec un professeur d’orchestre, Victor Yampolsky, ancien second violon de l’Orchestre symphonique de Boston, qui s’était échappé de la Russie de Staline et qui était venu en Russie à l’invitation de Leonard Bernstein. Je suppose qu’il a en quelque sorte planté dans mon esprit la graine que je pourrais peut-être faire ma vie en tant que musicien d’orchestre professionnel.  Cette déclaration cruciale a immédiatement élargi mon horizon. Et je crois que lorsque j’ai pris la décision de devenir chef d’orchestre professionnel, je ne l’ai plus jamais remise en question et je n’ai jamais fait marche arrière.

PAN M 360 : Le fait d’être un musicien afro-américain dans le monde classique occidental devient-il une normalité ?

Roderick Cox : Je ne pense pas que ce soit une normalité en ce sens. Je veux dire que je continue à penser que c’est un phénomène très, très rare. Et, vous savez, même en pensant à la musique que je dirige cette semaine, la Negro Folk Symphony, c’est, c’est l’un des rares morceaux de musique qui infuse mon propre bagage culturel dans l’idiome de la musique classique. Ainsi, un certain nombre de styles, le ragtime, les styles jazzy qui sont dans la musique, mais aussi les airs folkloriques noirs, les spirituals et les choses qui sont innées dans notre culture se retrouvent sur la scène du concert. Et c’est tout à fait naturel pour moi de travailler sur cette musique. 

PAN M 360 : Mais vous et vos collègues afro-américains devez être vous-même un promoteur de l’héritage noir américain dans le monde classique occidental, n’est-ce pas ?

Roderick Cox : Je pense que nous continuons à repousser les limites. Mais il y a encore très, très peu de chefs d’orchestre, peut-être une poignée. Et quand on pense aux pourcentages, dans la musique classique, cela n’a pas encore beaucoup changé, peut-être que c’est un peu plus visuel maintenant que nous vivons dans une société plus visuelle. Quand on pense au passé, nous avons eu Kathleen Battle, Jessye Norman, Leontyne Price, Shirley Verrett. Toutes ces grandes chanteuses ont vécu un moment spécial, elles ont été sous les feux de la rampe dans certaines des plus grands amphithéâtres du monde. Mais aujourd’hui, je pense qu’il y a moins de personnes (de couleur) qui occupent ce genre de postes.

PAN M 360 : Il reste donc beaucoup à faire !

Roderick Cox : Ce n’est donc pas une normalité. Et si la question est… est-ce mieux aujourd’hui  ? Je n’en suis pas certain. Je pense donc que ce qui est important et nécessaire, c’est de cultiver la carrière d’un artiste. Il doit y avoir des opportunités et une exposition pour élever les artistes, à travers des années d’engagement, à un certain niveau où ils peuvent être au niveau de Jessye Norman et de Leontyne Price. 

Mais encore une fois, il est très difficile de dire quand cela suffit. Y a-t-il une raison de dire que nous avons atteint un certain niveau ? Je pense que ma devise a toujours été, partout où je vais, de me concentrer sur la connexion avec l’orchestre et la construction de ces relations et de faire de la grande musique ensemble. C’est ce sur quoi je veux me concentrer et, à chaque fois que l’on va encore, quand je programme cette pièce, la Dawson Negro Folk Symphony, j’ai parfois un peu d’appréhension, parce que je me dis, oh, vous savez, est-ce que l’orchestre va l’aimer ? L’aimeront-ils ? Vont-ils penser qu’il s’agit d’une pièce au programme, simplement parce qu’il s’agit d’un compositeur noir ? Y a-t-il une sorte d’ordre du jour dans la présence de ce morceau ? En fait, je ne programme que de la musique que j’aime vraiment, j’essaie de programmer de la musique que j’apprécie vraiment et que j’aime vraiment. C’est pourquoi j’ai souvent programmé cette œuvre qui traite de la musique folklorique des États-Unis. C’est pourquoi je pense qu’il est important que nous la jouions parce que nous n’avons pas, nous n’avons pas beaucoup de cela.Je pense que la musique doit vivre et respirer.

PAN M 360 : Effectivement, il  faut aussi penser à l’évolution de son interprétation.

Roderick Cox : Oui, elle se nourrit de performances et d’interprétations différentes. Et ce que je constate, c’est qu’à chaque fois que je travaille, même avec un nouvel orchestre, et même ce matin avec cet orchestre en particulier, en l’entendant dans cet espace, la musique me parlait différemment, elle disait des choses différentes. Et peut-être un peu plus lent ici, peut-être un peu plus rapide ici, peut-être un peu plus lourd ici, si vous le souhaitez, et c’est la beauté du processus d’une répétition, et de permettre à une musique comme celle-ci de respirer. Parce qu’au fur et à mesure que nous changeons, les interprétations changent dans les orchestres. Je suis donc encore plus revigorée et inspirée par le travail que nous venons de faire, et immédiatement après, j’étais dans ma loge en train de penser à ceci, à cela, et peut-être que nous pouvons faire ceci ou peut-être que cela ne convient pas. Et c’est ce dont la musique a besoin. Le bon. Les grands chefs-d’œuvre ont existé. Beaucoup d’entre eux le sont, parce qu’ils ont été interprétés et joués de nombreuses fois et qu’ils ont fait l’objet de recherches scientifiques et autres qui les ont placés au premier plan de notre répertoire.

PAN M 360 : Il y a donc une tension intéressante entre le fait de laisser respirer les musiciens avec la partition, tout en gardant sa propre touche en tant que chef d’orchestre. Comment voyez-vous cet équilibre ?

Roderick Cox : Et bien, parfois quand vous faites un morceau pour la première fois, vous avez beaucoup plus de points d’interrogation que plus tard. Et je pense qu’après avoir fait ce travail un certain nombre de fois, j’ai moins de points d’interrogation, mais j’ai aussi un peu d’assurance sur ce que la musique me dit, qui n’est pas nécessairement dans la partition. Et cela implique que vous, en tant qu’artiste, soyez ouvert et à l’écoute de ce que la musique essaie de dire et de ce que vous pensez qu’elle essaie d’être. Cela signifie que si la tension monte, vous savez, voulez-vous accélérer le rythme ? Ou ralentir ? Combien de temps voulez-vous créer pour ce genre de moment d’impact ou d’apogée ? Quel type de couleur voulez-vous créer ici ? Je pense que c’est là que mon expérience personnelle de l’œuvre intervient un peu plus dans l’interprétation de la musique et, avec ces musiciens qui expliquent aussi un peu de ce dont il s’agit dans l’œuvre et qui permettent et voient leur interprétation. C’est aussi révélateur, c’est aussi révélateur… un bon orchestre sera capable de voir une phrase ou de voir une ligne et de jouer une phrase avec ses idées sur ce que la musique veut dire.

PAN M 360 : Vous recherchez donc un juste équilibre entre vous et l’orchestre.

Roderick Cox : Bien sûr, il doit toujours y avoir une collaboration.

PAN M 360 : Parlons un peu du programme de Montréal.

Roderick Cox : Le programme est assez romantique. Nous commençons donc par la Tempête de Tchaïkovski, qui est, je pense, un poème assez peu connu ici, dans le même genre que Roméo et Juliette de Tchaïkovski. Il est basé sur La Tempête de Shakespeare. Et bien sûr, c’est l’histoire d’un sorcier sur une île isolée au milieu de nulle part, placé là par ses ennemis, des nobles italiens, qui maudit ses ennemis en créant une tempête pour les détruire.

C’est une œuvre magnifique, l’une de mes préférées de Tchaïkovski, parce que je pense qu’elle a aussi ce sens de l’écriture impressionniste, semblable pour moi à une œuvre de Debussy ou de Mendelssohn – notamment l’ouverture des Hébrides. J’aime la façon dont il crée cette tension dans l’orchestre. Et bien sûr, Tchaïkovski était l’un des plus grands compositeurs mélodiques de tous les temps, ce qui est absolument démontré dans cette œuvre.

PAN M 360 : A propos du Concerto pour violon de Samuel Barber ?

Roderick Cox : Cette œuvre a été écrite pendant qu’il ressentait les signes annonciateurs de la Seconde Guerre mondiale, avant qu’elle n’éclate. Barber a commencé à l’écrire à Paris et à l’étranger, en Europe, avant que l’Amérique n’entre en guerre. Il savait donc que le vent tournait en Europe à cette époque, et il a terminé l’œuvre aux États-Unis.

Je pense qu’il s’agit d’une œuvre très intime. Il s’agit d’une sorte de confession personnelle du compositeur sur les sentiments qu’il éprouve, mais on y visualise aussi les ombres et les ténèbres de la guerre à venir, en particulier dans le deuxième mouvement. Le premier mouvement commence de façon très pittoresque, je pense à un beau paysage d’été, et l’orchestration est vraiment très réduite. Il y a un piano qui crée ce sentiment d’intimité et de musique de chambre. Et, bien sûr, le troisième mouvement est une musique passionnante, vigoureuse, excitante, dont je pense qu’il est fascinant d’être témoin et de l’entendre sur scène.

PAN M 360 : C’est la première fois que vous travaillez avec Blake Pouliot ?

Roderick Cox : C’est la première fois que je travaille avec lui, mais nous nous connaissons depuis que nous avons participé au Festival de musique d’Aspen en 2014. C’est donc la première fois que nous travaillons professionnellement ensemble.

PAN M 360 : Enfin, nous avons cette pièce de William Levi Dawson.

Roderick Cox : Cette pièce a également été écrite dans les années 30, donc à l’époque du Concerto pour violon de Barber, et cette pièce de Dawson était l’une des trois symphonies noires américaines jouées à l’époque par les principaux orchestres américains – il y avait William Grant Still, Florence Price et William Dawson. Parmi ces trois symphonies, celle de Dawson était la plus célèbre, jouée par l’orchestre de Philadelphie au Carnegie Hall avec un accueil enthousiaste de la part des critiques, d’énormes applaudissements après le deuxième mouvement, qui s’appelle Hope in the Night.

Ce qui est magnifique dans cette œuvre, c’est qu’elle me rappelle beaucoup ma propre culture, à savoir que la culture noire américaine est en plein bouleversement, un bouleversement dû à l’esclavage, vous savez, 300 ans de travail éreintant, où des familles ont été déplacées ou des cultures ont été perdues. Si vous écoutez un certain nombre de spirituals et d’airs folkloriques de cette époque, vous verrez que Moïse traverse l’Égypte, à la recherche d’une terre où la vie sera meilleure. Je pense que le folklore noir américain a donné de l’espoir aux gens. Quand on pense au gospel, tout parle de l’espoir d’un avenir meilleur. Cette pièce était l’un des principaux thèmes du mouvement des droits civiques.

Au milieu de ce travail, il y a donc aussi des moments très excitants, magnifiques et festifs. Ainsi, de nombreux rythmes de danse rappellent ceci : après avoir terminé leur travail éreintant, les esclaves se réunissaient souvent en cercle autour d’un feu pour frapper des mains et des pieds afin de garder l’esprit en éveil. Ils gardaient ainsi l’espoir et la vie tout en faisant bouger leur corps. C’est ce que j’aime dans cette musique : au milieu des ténèbres, surtout dans le deuxième mouvement, on entend ce thème très statique qui représente les enfants noirs, complètement inconscients de la situation qui les entoure, et qui représente leur naïveté et leur innocence. Quand on est enfant, on ne sait pas si on est blanc ou noir. Les jeunes enfants noirs étaient les meilleurs amis des enfants des maîtres d’esclaves et jouaient dans la maison, et finalement on leur a dit qu’ils n’étaient pas blancs. C’est ainsi que le bonheur s’installe, jusqu’à ce que surviennent la discorde et la pénombre.

Le dernier mouvement commence en mi bémol majeur, comme la quatrième symphonie de Bruckner et d’autres grandes œuvres musicales, mais dans cette tonalité qui représente le soleil, l’espoir et la beauté. Le dernier mouvement est donc très axé sur la célébration et le regard vers l’avenir.

PAN M 360 : Cette pièce a donc été célébrée à son époque. Aujourd’hui, nous la faisons revivre. Elle a été enregistrée par Yannick Nézet Séguin et l’Orchestre de Philadelphie, et vous la dirigerez avec le MSO, entre autres orchestres.

Roderick Cox : Absolument. Je veux dire qu’elle était en quelque sorte perdue, et n’a pas vraiment été jouée pendant 90 ans. Je l’ai découverte moi-même pendant COVID. Et j’ai vraiment travaillé avec les éditeurs pour sortir cette nouvelle édition.

PAN M 360 : L’histoire le dira, mais nous venons de réaliser que de nombreux compositeurs devenus obscurs après avoir été célébrés il y a près d’un siècle, reviennent d’une certaine manière sur le devant de la scène. Oui. Grâce à des gens comme vous.

Roderick Cox : Merci et, bien sûr, les autres et je veux dire, et encore une fois, il est important de jouer les œuvres parce que beaucoup de matériel, beaucoup de fois les œuvres ne sont pas faites parce qu’elles ont été si mal gérées. Elles sont encore, je veux dire, cette œuvre avant il y a quelques années, était à peine lisible, mal copiée avec des erreurs. Et cela a demandé beaucoup de travail. Et cela demande beaucoup de ressources aux éditeurs. Je pense que cette œuvre de Dawson est l’une des plus grandes symphonies américaines écrites et qu’elle devrait figurer aux côtés de Copland, Barber, Gershwin, Charles Ives, John Adams.

C’est vraiment dommage que Dawson n’ait écrit qu’une seule symphonie, j’aurais été très intéressé d’entendre ce que nous avions au moins quatre. Mais je pense que les circonstances de la vie ont fait qu’il a dû élever une famille. Il a pris un poste d’enseignant à Tuskegee, où il a surtout écrit de la musique chorale, qui est devenue célèbre, mais le fait qu’il ait écrit cette belle symphonie à un jeune âge. J’aurais aimé voir sa vie de compositeur.

Roderick Cox dirigera l’OSM les 12 et 14 octobre. Billets et info ICI.

Crédit photo: Susie Knoll

Ruiqi Wang est peut-être une réponse chinoise à la Japonaise Hiromi et la Sud-Coréenne Youn Sun-Nah, si le potentiel manifesté se réalise. Et Montréal y sera un peu pour quelque chose! En effet l’étudiante à McGill y a développé une solide formation en jazz, qu’elle marie avec ses racines culturelles chinoises et la tradition classique européenne. Ruiqi sortira un tout premier album que je vous invite fortement à ne pas rater le 27 octobre prochain (à écouter ci-contre). En attendant, je vous invite tout aussi fortement à aller l’entendre demain soir à 17h dans le cadre de la série Apéroffs de l’OFF Jazz à Impro Montréal, rue Notre-Dame Ouest. Ruiqi sera entourée d’un orchestre de chambre adepte d’impro, avec Stephanie Urquhart – piano, Summer KoDama – basse, Mili Hong – batterie, Sadie Hamrin – violon, Eddie Rosen – violon, Dannick Bujold-Senss – alto et Julian Shively – violoncelle.

PAN M 360 réalisé une entrevue avec cette jeune dame inspirante, créative, originale, éloquente. 

PAN M 360 : Parlez-moi de votre parcours musical et de votre éducation familiale…

Ruiqi Wang : Je suis la première et la seule musicienne/artiste de ma famille. Mes parents aiment la musique de temps en temps mais ce n’est pour eux qu’un petit ajout occasionnel dans la vie. J’ai su très tôt que j’aimais chanter. Je ressentais une joie immense chaque fois que je chantais. Ma mère m’a fait prendre des cours de piano dès l’âge de 7 ans. Je n’ai jamais eu de grands succès au piano, mais le fait d’avoir pris des cours pendant près de dix ans signifie que la structure de ma vie quotidienne m’a permis de me consacrer régulièrement et à en retirer un excellent sens de la discipline. Lorsque j’étais à l’école primaire, j’étais une grande fan d’un chanteur taïwanais appelé Jay Chou. Je crois que je connaissais par cœur plus d’une centaine de ses chansons par cœur. J’ai arrêté à l’adolescence car en Chine, nous sommes soumis à une forte pression scolaire et je passais tout mon temps à étudier. J’ai commencé à McGill en tant qu’étudiante en psychologie, et j’avais presque oublié que j’avais toujours voulu être musicienne dans mon enfance. McGill a réveillé ce rêve car la faculté de musique était juste à côté!

PAN M 360 : Que pense votre famille de votre choix de carrière ?

Ruiqi Wang : Ils me soutiennent beaucoup. Ils pensent que c’est vraiment bien qu’il y ait un artiste dans la famille, car mes parents n’ont pas vraiment eu la possibilité de s’intéresser à l’art lorsqu’ils ont grandi. Je pense qu’ils sont heureux de voir à quel point mon état d’esprit est positif, vivant et clair. Il y a encore des inquiétudes et des doutes, parce que personne dans ma famille ne connaît l’industrie musicale. Je pense qu’une fois qu’ils me verront capable de subvenir à mes besoins, ils seront 100 % détendus et heureux.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous a mené à Montréal ?

Ruiqi Wang : Lorsque j’étais au lycée, j’ai décidé de poursuivre des études de premier cycle à l’étranger pour découvrir d’autres types d’enseignement et d’autres modes de vie. J’ai décidé de venir au Canada parce que cela coûte beaucoup moins cher qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La majeure en psychologie de McGill jouit également d’une bonne réputation. J’ai également pensé que Montréal était une ville cool parce que les gens y parlent français. Ce sont en fait quelques pensées intuitives qui m’ont amené ici.

PAN M 360 : Comment évaluez-vous ce que vos études à McGill vous ont apporté ?

Ruiqi Wang : Je suis extrêmement reconnaissante de cette expérience. Je me suis sentie très bien accueillie par la communauté, même si je n’avais pas étudié la musique autant que mes collègues avant d’arriver. J’ai rencontré des professeurs extraordinaires comme Ranee Lee, Camille Thurman, John Hollenbeck, Christine Jensen, Jean-Nicolas Trottier, Jacqueline Leclair. Ce sont d’excellents musiciens et des personnes formidables. Étudier avec eux a changé ma vie.

Cependant, vers la fin de mon cursus, j’ai senti qu’il était temps pour moi d’explorer un autre type d’institut artistique. Je pense que l’école de musique de McGill a un style « conservatoire ». Le programme d’études est strict et met fortement l’accent sur la tradition du jazz. Cela m’a bien servi car je voulais plonger dans cette culture, mais j’étais aussi consciente que jouer uniquement du jazz n’était pas pour moi. Je voulais toujours aller à l’école, mais j’avais envie d’un environnement où l’expression personnelle et et l’exploration de sa propre vision artistique sont possibles.

PAN M 360 : Quels sont vos projets professionnels ? Où vous voyez-vous dans 5 ou 10 ans ?

Ruiqi Wang : J’ai l’intention de faire carrière en Europe. J’envisage de m’installer à Berlin après ma maîtrise. J’aimerais continuer à jouer et à composer pour divers ensembles dans les domaines du jazz d’avant-garde et de la musique contemporaine. J’aimerais également me lancer dans un travail interdisciplinaire, en incorporant le mouvement et la musique, et en réalisant des installations. J’aimerais aussi maintenir mon lien avec Montréal par le biais de projets et de festivals. Dans 5 ou 10 ans, j’aimerais idéalement vivre entre Berlin, Montréal, la Chine et peut-être New York.

PAN M 360 : Si je vous disais que vous pourriez être la réponse de la Chine à la japonaise Hiromi et à la sud-coréenne Youn Sun Nah, que diriez-vous ?

Ruiqi Wang : C’est motivant d’entendre cela. Je veux travailler pour atteindre ce niveau de musicalité, et ce serait bien de recevoir ce genre de reconnaissance un jour. Mais je ne pense pas beaucoup à ce genre de résultats. Dans ma vie de tous les jours, je m’efforce simplement de trouver un bon équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie privée, de laisser libre cours à ma créativité et de rester en bonne santé. Si je continue à mener une vie créative, saine et durable, je ne pense pas que je me préoccuperai beaucoup de savoir si j’obtiendrai ce genre de reconnaissance. Mais en même temps, je suis une personne ambitieuse et j’ai des exigences élevées pour moi-même. Entendre quelque chose de ce genre est donc une belle motivation.

PAN M 360 : Votre musique est influencée par de nombreuses choses : la musique traditionnelle chinoise, la musique classique, le jazz. Quelle est la proportion de chacun de ces éléments dans vos résultats finaux, diriez-vous ?

Ruiqi Wang : Il est difficile de mesurer la proportion, car la musique est souvent très dynamique et fluide. Mais ils jouent des rôles différents. Je pense que ma base musicale est le jazz. J’ai appris à composer et à improviser principalement en étudiant le jazz. La musique classique est une importante source d’inspiration pour la composition, quant à elle. J’ai toujours l’impression qu’elle élargit et approfondit ce que j’apprends dans le jazz. Elle me fait envisager la musique et la composition différemment.

J’ai la musique traditionnelle chinoise dans le sang. Bien que je ne l’aie jamais étudiée avec un professeur, j’ai l’impression qu’elle fait partie intégrante de moi. J’en introduis des éléments dans mon interprétation et ma composition avec beaucoup de parcimonie, car je sais qu’il me reste encore beaucoup de choses à apprendre. Mais ce que je finis par introduire dans mon univers musical me semble très authentique et proche de moi.

PAN M 360 : Par où commencez-vous lorsque vous composez ? Une figure écrite que vous faites grandir ensuite ? Une improvisation que vous  »organisez » après ? Quel est le processus ?

Ruiqi Wang : J’aime expérimenter différentes manières et différents processus de composition. « Une figure écrite, puis vous la faites grandir », A Descent of Lilies est née exactement comme ceci! J’ai entendu une phrase mélodique dans mon esprit lors d’une promenade matinale. Après, je l’ai écrite et j’ai ensuite développé l’ensemble du morceau à partir de cette courte phrase. Je n’ai composé rien de plus que cette phrase.

Le concept ou l’histoire que je veux raconter à travers un morceau est toujours la chose la plus importante. Lorsque j’écris, je cherche toujours à savoir ce que je veux dire en premier. 

PAN M 360 : Question diabolique : Improvisez-vous avec des sons contemporains ou écrivez-vous de la musique contemporaine qui improvise ?

Ruiqi Wang : Réponse diabolique : Les deux ! Je suis improvisatrice et je considère que j’utilise des sons contemporains, parce que j’essaie de développer mon propre langage d’improvisation, au lieu d’être un médium pour poursuivre un certain type d’improvisation déjà bien connu.  Je pense qu’il est important d’étudier les traditions en profondeur, mais je n’ai pas envie d’improviser d’une manière redondante. Je cherche des sons qui m’appartiennent complètement. J’écris de la musique pour les improvisateurs! C’est comme un facteur X, et j’aime travailler avec ce genre d’imprévisibilité.

PAN M 360 : Vous allez poursuivre vos études à Berne, en Suisse. Est-ce un adieu ?

Ruiqi Wang : Certainement pas. J’ai encore besoin de voir et de vivre dans d’autres endroits pour décider où je veux vivre à long terme. Mais ce que je sais, c’est que j’ai beaucoup d’amis ici, à Montréal, et beaucoup de gens qui m’entourent. Beaucoup d’entre eux sont des musiciens et des artistes incroyables avec lesquels je veux créer de la musique et de l’art. Je chéris ces amitiés et je reviendrai pour eux.

Pan M 360 : A propos du concert du 12 (demain soir), à quoi peut-on s’attendre ? Dans quelle mesure cela ressemblera-t-il à l’album ?

Ruiqi Wang : Oui, nous jouerons l’album. Mais il sera différent des versions enregistrées, tout comme lorsque vous racontez une histoire pour la deuxième fois, vous racontez toujours la même histoire, mais vous allez plus ou moins la modifier afin de ne pas s’ennuyer, et que les choses restent naturelles et fraîches.

PAN M 360 : Pouvez-vous me parler de Orchard and Pomegranates (le label sous lequel votre album sortira) ? Quelle est sa mission ?

Ruiqi Wang : Orchard of Pomegranates est une communauté internationale d’improvisateurs, vocaux, de musiciens et d’artistes qu’Ayelet Rose Gottlieb a fondée en 2019. J’ai fait la connaissance d’Ayelet en 2020 en participant aux ateliers et aux cours qu’elle propose en ligne par l’intermédiaire de cette communauté. Finalement, j’ai commencé à étudier avec elle en personne. Et c’est grâce à ce processus de mentorat que nous avons commencé à brasser des idées sur l’album. Je pense que la mission est de créer une communauté mondiale où les gens partagent des idées créatives, improvisent, chantent et écoutent profondément ensemble.

PAN M 360 : Que signifie jouer à l’OFF Jazz ?


Ruiqi Wang : C’est mon premier grand spectacle à Montréal, non pas en tant qu’étudiante en jazz, mais en tant que moi-même, en tant que Ruiqi, en tant qu’artiste. C’est un spectacle très spécial et personnel pour moi. Je suis très honorée d’avoir l’occasion de jouer à l’OFF Jazz et je suis reconnaissante de pouvoir partager ma vision culturelle.

Ruiqi Wang se produira le 12 octobre à 17h à Impro Montréal. Pour infos et billets, c’est ICI.

Dominique Fils-Aimé est prolifique. Après une trilogie d’albums sur l’histoire de la musique afro-américaine, elle entreprend avec Our Roots Run Deep une nouvelle trilogie sur des angles plus personnels et contemporains.

Cet album laisse une grande place aux voix multiples de la chanteuse montréalaise issue de la communauté haïtienne.Nous avons discuté avec elle de l’évolution de sa musique, de sa vie et de sa tournée à venir.

PAN M 360: Si vous permettez, on va faire un petit retour en arrière, avant de devenir musicienne professionnelle, que faisiez-vous?

Dominique Fils-Aimé : J’ai eu mille vies avant. En grandissant, j’ai toujours aimé les arts: je chantais, je dansais, je dessinais. Mais pour beaucoup de gens dans la communauté haïtienne, l’art, ce n’est pas un travail, c’est un hobby. J’y donc cherché une trajectoire plus conforme. J’ai étudié en design de mode, en philosophie, en photo, en relation publique, puis en psychologie. Je cherchais une façon d’aider les gens.

Par la suite, j’ai travaillé avec des enfants autistes, je faisais du support psychologique avec les employés d’une entreprise, mais c’était très pesant au niveau mental. Alors, j’ai commencé à faire de la musique, d’abord comme thérapie personnelle, avant de réaliser que je me sentais très bien dans cet univers. Et que tous ces domaines d’études qui m’intéressaient menaient naturellement à la musique.

PAN M 360: Et comment découvrez-vous votre identité musicale à travers cette trilogie d’albums afro américains: Nameless (2018), Stay Tuned (2019) et Three Little Words (2021) ?

Dominique Fils-Aimé : Il y avait une quête d’identité dans cette trilogie, personnelle et musicale. Je voulais retourner à la source. Qui m’a allumée ? Qui m’a fait vibrer musicalement ? J’ai écouté des documentaires et mes albums: Billie Holiday, BB King , Aretha Franklin, Nina Simone, Erykah Badu, Lauryn Hill, Mariah Carey… Et j’ai réalisé que tous ces styles musicaux sont nés dans un contexte historique. Comment les Afro-Américains se sentaient, quelles étaient leurs émotions, etc. La lourdeur du blues, le jazz perçu comme un feu de révolution, une communauté d’artistes qui cherche des avenues de liberté. Et après, le disco, le funk, le soul, un peu plus de soleil et de légèreté .C’est à partir de cela que je me suis mise à chercher mon identité, ma singularité. Et ça m’a menée au jazz, qui, pour moi, est la liberté.

PAN M 360: Cette singularité est clairement dans l’utilisation de votre voix, de vos voix plurielles. Car vous aimez multiplier les voix, non?

Dominique Fils-Aimé : Oui, c’est très agréable à faire. Et ces voix cherchaient à raconter une histoire. Une volonté quasi académique de raconter cette histoire afro-américaine, le fil conducteur entre tous ces styles. J’essaie aussi de raconter cette histoire avec empathie, pour réunir les gens plutôt que créer des divisions.

PAN M 360: Après cette trilogie musicale, vous décidez d’en faire une seconde, dont le premier opus est Our Roots Run Deep, nos racines sont profondes. Pourquoi fonctionner par trilogies?

Dominique Fils-Aimé : Je ne sais pas… J’aime prendre le temps… Beaucoup de gens me disent : “Aujourd’hui, tout va très vite, les gens n’ont pas le temps de prêter attention aux contenus trop longs ». J’entends, mais je voulais aller à l’encontre de ce mouvement-là parce que je ne suis pas d’accord. J’ai décidé de me donner cette liberté et j’aime la cohérence de cette idée de trilogie, de fil conducteur.

PAN M 360: Et quel est le fil conducteur de cette nouvelle trilogie ?

Dominique Fils-Aimé : On est plus dans mon intérieur, dans une quête personnelle d’amélioration de moi-même. Je m’assume davantage, je puise dans mes racines pour présenter qui je suis aujourd’hui, quelles sont mes croyances. Il s’agit de partager mes croyances d’un monde plus uni, plus doux et créer une musique qui va avec. Par contre, cette nouvelle trilogie sera moins planifiée à l’avance comme l’était la première. Je me laisse de l’espace pour la faire évoluer au gré de mon expérience de vie.

PAN M 360: Dans Our Roots Run Deep , vous avez tout composé, alors que dans les albums précédents, il y avait des reprises telles Strange Fruit ou Stand By Me. Comment décrivez-vous l’évolution musicale dans ce nouveau disque? Je sens encore plus de présence vocale.

Dominique Fils-Aimé : C’est vrai. L’instrumentation rappelle davantage l’album Nameless dans sa simplicité. Par contre, en 2018, je me sentais une musicienne illégitime parce que mon seul instrument était la voix. Aujourd’hui, j’assume pleinement ma voix comme un instrument légitime. Avant, j’essayais de relier ma voix à d’autres instruments. Maintenant, ma voix est l’instrument principal. Il y a aussi la notion de répétition, le côté mantra dans lequel je voulais m’inscrire davantage. J’aime bien démarrer avec une phrase, puis la complexifier lentement avec d’autres voix qui s’ajoutent et faire entrer les gens dans un espace méditatif qui ressemble à celui dans lequel je me trouve quand je chante. Il y a aussi l’importance des percussions en tous genres, qui prennent davantage de place.

PAN M 360: Vous multipliez vraiment les partitions vocales dans cet album. Dans la pièce où il y a le plus de partitions vocales, combien y a-t-il de Dominique Fils-Aimé qui chantent simultanément?

Dominique Fils-Aimé : Il faudrait demander au réalisateur, Jacques Roy, mais il y en a vraiment beaucoup. Parfois on triplait certaines harmonies, après on ajoutait des effets et des textures. C’est un peu fou, mais on a joué avec ça.

PAN M 360: Mais comment pouvez-vous reproduire ces effets sur scène ?

Dominique Fils-Aimé : On se pose cette question à la veille de commencer la tournée. C’est sûr que les musiciens feront certaines voix. Ils pourront mettre certaines partitions à leur main. Il y aura sans doute aussi des effets de boucles, on veut aussi que la prestation sur scène soit différente de l’album. C’est sûr que si on avait les moyens, j’embaucherais une chorale. Mais on n’est pas rendus là.

PAN M 360 : C’est une grosse tournée qui s’annonce : Québec, Canada et aussi l’Europe et les Etats-Unis.

Dominique Fils-Aimé : Je me considère très chanceuse, l’intérêt et l’accueil sont vraiment formidables. Je me demande parfois comment les organisateurs de spectacles nous ont trouvés. Pour la première fois, nous commencerons à tourner aux États-Unis. C’est très chouette .

PAN M 360: Pour terminer, parlons un peu de politique. Il y a tout un débat sur le racisme et le wokisme au Québec. Comment percevez-vous cette réalité?

Dominique Fils-Aimé : Pour ma part, je trouve qu’on vit dans un monde très divisé, qu’il y a beaucoup d’espace pour crier haut et fort de tous les côtés, mais qu’il y a très peu d’espace pour comprendre comment l’autre se sent et d’où il vient. Nous manquons d’espace de conversation plutôt que de confrontation. Tout le monde ressent des frustrations de son côté, est pris dans sa douleur et on n’arrive pas à comprendre le ressenti de l’autre. Peut-être que la musique peut aider. Elle procure un peu de bien-être et conduit les gens à un état d’ouverture d’esprit. Ça peut peut-être mettre la table pour des conversations plus empathiques. Il faut dépasser le stade du « moi j’ai raison et tu as tort ». Peut être que tout le monde a raison ou tort. J’aimerais voir un espace de discussion.

Dominique Fils-Aimé démarre une grande tournée à Drummondville, le 5 octobre, le 17 et 18 à Montréal au Théâtre du Nouveau Monde et puis dans de nombreuses villes du Québec et de l’Ontario. Elle se rendra jusqu’à Paris et Los Angeles par la suite.

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Vu la sortie imminente de son album Racines, nous avons parlé avec le Montréalais d’origine malienne Iba Diabaté de cette œuvre, ainsi que de sa prochaine prestation au Club Balattou. Son profil biographique nous rappelle qu’il a appris le chant, le balafon et la guitare sans le dire à  son père, le célèbre griot Abdoulaye Diabaté – comme tant d’autres parents artistes qui savent les périls financiers de cette profession, le paternel l’aurait bien vu embrasser les professions libérales  Acteur et mannequin en parallèle, sa vocation se trouve dans la musique pop africaine, la culture bambara et la transmission des traditions stylistiques. 

Lisez la critique de l’album Racines

PAN M 360 : Tout d’abord félicitations pour votre album. Qu’est-ce que ça fait d’être sur le point de diffuser cette œuvre dans le monde ?

Iba Diabaté : Eh bien, je dirais que ça fait du bien. Un bon retour avec un album assez original, voilà. Donc ça me fait du bien.

PAN M 360 : Est-ce que ça a pris beaucoup de temps pour le préparer, cet album-là ?

Iba Diabaté : Bien sûr, bien sûr. Cet album, Racines, ça m’a pris quasiment deux ans et demi, trois ans presque, pour préparer l’album. Parce que c’est un album quand même assez original, c’est acoustique. Donc c’est pas comme les autres albums, on peut le faire avec les machines et tout, mais dans cet album tout est joué en live, 100% live. Donc c’est pour ça que ça a pris du temps.

PAN M 360 : Quelle est  la motivation particulière de cette collection de chansons?

Iba Diabaté : La motivation particulière, c’est que la musique traditionnelle africaine est en train de disparaître. Donc vu que je viens d’une grande lignée de griots,  détenteurs de la tradition africaine, plus précisément les Diabatés de la région de Ségou, je décide de poursuivre ce que fait mon père, j’ai donc décidé de venir un petit peu vraiment à la source.

La source c’est d’aller puiser un peu dans les instruments traditionnels, l’inspiration traditionnelle de tout ce qui est la musique traditionnelle malienne, avec des sonorités comme le n’goni, le balafon, la calebasse et tout. Or, cette musique a tendance  à disparaître.

Maintenant on est plus dans la musique commerciale et tout. Donc vraiment j’ai voulu aller puiser vraiment dans la racine des instruments traditionnels. C’est une musique qu’on ne se fatigue pas d’écouter. Ça peut être utilisé dans n’importe quel événement, que ce soit dans le cinéma et puis dans le théâtre, dans n’importe quel événement, donc c’était vraiment très important pour moi de réaliser cet album.

PAN M 360 : J’ai vu que votre premier album est sorti en 2007, diriez-vous que beaucoup de choses ont changé pour vous musicalement depuis ?

Iba Diabaté : Beaucoup de choses qui ont changé musicalement. Après album Mouna, j’ai beaucoup travaillé avec les gens du Cirque du Soleil, j’ai fait des musiques avec TVA, Radio-Canada, j’ai fait pas mal de musiques de films, de cinéma, des documentaires. Je joue beaucoup avec le son, avec la voix. Je peux faire des chansons juste avec la voix qui devient un instrument africain. Je peux faire des voix  pigmées, sud-africaines, un peu ouest africaines, donc je fais beaucoup de mélanges. Donc, les choses ont changé pour le mieux.

PAN M 360 : Pourriez-vous expliquer les différents genres de musiques

Maliennes prises en compte ?

Iba Diabaté : Oui, au Mali il n’y a pas mal de musique. En fait, le Mali, je dirais que c’est le berceau de la musique africaine parce qu’on y trouve de tout, on trouve de tout. On trouve la musique du Nord qui est aussi variée, les Touaregs, les Tamacheks, les Sonrai, tout le monde a sa musique. Donc sur chaque côté, par exemple, je prends la région de Sikasso, qui est la région des xylophones, des xylophones traditionnels qu’on appelle le balafon. Et juste dans la région de Sikasso, tu peux trouver 30 à 40 différentes sonorités de balafon. En fait, c’est tous des balafons, mais c’est des sonorités différentes. 

Donc les accords, les gammes à laquelle les gars jouent, la sonorité est très différente. Et puis aussi, quand tu reviens un peu vers Sigu, c’est vraiment la source de la musique blues-gaz. Tout ce qu’il y a de bambara, tout ce qu’il y a musique jazz, blues, funk, la source vient de là. C’est la région de Ségou. Donc c’est vraiment le berceau de la grande musique. Moi je viens de là, mon papa est né là. Et si nous venons d’une famille de griots qui sont les détenteurs de la tradition la culture africaine et la musique malienne en tant que telle, il y a tellement de couleurs, il y a tellement de couleurs, on n’a jamais fini d’exploiter.

C’est pour ça je dis qu’au lieu de chercher un petit peu dans la modernité, dans la musique moderne, dans la musique commerciale, on a tellement de choses qui sont les instruments qu’on peut mettre en valeur. Donc je veux vraiment essayer de faire un wake-up à tout le monde concernant la musique de chez nous. Et je te parle précisément de la région du nord, le centre, et puis un peu vers Cigasso. e Mali est hyper riche en culture. 

PAN M 360 : Comment s’est passée la préparation de votre prestation à Montréal, prévue dimanche au Balattou ?

Iba Diabaté : Je suis en train de mettre le paquet pour vraiment faire revivre l’album aux spectateurs, aux fans. Voilà, on est en pleine répétition.  On prépare bien le spectacle et puis ça se sent bien ! Et puis il y a beaucoup d’autres choses qui arrivent aussi. les festivals, l’année prochaine d’été et tout, on est là-dessus, on est là-dessus et puis ça va vraiment bien donner et tout, voilà quoi.

PAN M 360 : Et vas-tu jouer l’album en complet, hein?

Iba Diabaté : Exactement.. C’est vraiment  de  faire revivre l’album en live.

PAN M 360 : Y a-t-il quelque chose que vous voudriez que le public sache à l’avance de ce spectacle, ou non ?


Iba Diabaté : Oui, mais ce que je dirais au public, est-ce que c’est un grand retour, le grand elle est très très spéciale pour moi parce que en quelque sorte ça parle non seulement de l’Afrique ça parle aussi de ma vie, de mon parcours et tout et je vous invite tout le monde à venir passer ce bon moment avec nous le dimanche voilà tout et voilà il y a de belles surprises qui les attendent !

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