Masego fait la fête au Mtelus

par Jacob Langlois-Pelletier

Le chanteur et multi-instrumentiste Masego en a mis plein la vue et les oreilles lundi soir, au Mtelus, dans le cadre du FIJM. 

Devant une foule débordante d’énergie, l’as du trap-house-jazz a débuté avec une version revisitée de son titre Navajo. Le refrain de cette dernière, un échantillon sonore de la chanson Michelle de The Singers Unlimited, était chanté entièrement par la foule. Masego avait avec lui son synthétiseur, son piano et bien évidemment son instrument fétiche, le saxophone. Aussi, il était accompagné d’un batteur et d’un pianiste, conférant des intonations soul à sa prestation. À chaque pas de l’artiste vers son saxophone, la foule s’exclamait et applaudissait. Tout au long du spectacle, Masego a terminé ses titres avec quelques notes de son synthétiseur, non sans rappeler les finales du producteur hip-hop, Mike Dean. 
Durant ses morceaux, l’artiste américain se déhanchait tel Michael Jackson, effectuant même le moonwalk à un certain moment. À mi-chemin du spectacle, Masego a brandi le drapeau de son pays d’origine, la Jamaïque, et a livré deux titres aux intonations de reggae, au grand plaisir de la foule. Vocalement, le beatmaker a livré une prestation quasi identique à ses enregistrements. Pour conclure, il a offert son titre le plus populaire, Tadow. Malgré la courte durée du spectacle, les fans de l’artiste se sont régalés.

Dee Dee et Bill, savoureux comfort food

par Alain Brunet

Le Great American Songbook n’a pas de secret pour la chanteuse Dee Dee Bridgewater et le pianiste Bill Charlap, vieux routiers du jazz consensuel. L’immense bagage de ces performers les mènent tout droit au panthéon des maîtres du genre.

Lundi au Monument National, cette parfaite journée d’été était coiffée par de suaves interprétations de grands classiques du jazz: Duke Ellington, Fats Waller, Cole Porter, George Gershwin… Caravan, Mood Indigo, Lush Life, Honeysuckle Rose, Love for Sale, S Wonderful, The Man I Love, nomme-la je l’ai.

Le pianiste au service de la chanteuse, la chanteuse au service du pianiste, voilà un duo équitable à la perfection, deux artistes de même niveau, deux interprètes et improvisateurs d’une très grande maîtrise, aptes à transcender les standards en y conférant leurs propres variations, leurs ornements, leurs prolongements improvisés, leur passion ou leur humour débridé.

Bref, ces plats connus sont finement cuisinés, divertissement de grande classe.

Hubert Lenoir 101

par Alain Brunet

Pour tout vous dire, Hubert Lenoir me les cassait, et j’étais loin d’être le seul à ne pas le supporter. Sa voix de vilain petit canard et ses tubes diffusés ad nauseam sur la bande FM, sorte de bouillie réchauffée de glam rock et de jazz bancal, tout ça était pour moi un authentique turn-off. Mes jeunes collègues avaient beau le porter aux nues, rien n’y faisait. Ses sparages n’étaient qu’une série d’agacements artistiques, bien que l’assomption de son queerisme fusse réjouissant.

Puis… vint La nuit se plaindre, une collaboration avec Robert Robert, cette création mâtinée d’électro a amorcé chez moi un total changement de perception. Vint ensuite Picture de Ipse: musique directe, 2e album studio d’Hubert Lenoir et… wow.

Le vilain petit canard s’était transformé en cygne. Cet album excellent, très original, hautement créatif, est mon album keb préféré de la dernière année. L’usage des références, les concepts studio, les brillantes transgressions stylistiques, enfin bref un des meilleurs opus avant-pop produits en Amérique francophone ces dernières années.

Je viens de compléter mon cours de Hubert Lenoir 101. À l’instar de ses fans et de ses supporters médiatiques, je me joins au consensus: en plus d’être un auteur-compositeur et beatmaker très inspiré, Hubert Lenoir s’avère un showman hors du commun, un naturel de la scène comme on en trouve peu en Amérique francophone. Tant en version pop déjantée (aux Francos il y a deux semaines) qu’en version crooner queer (dimanche au Gesù) il affirme un grand talent de performer.

En formule trio, soit aux côtés du pianiste Gabriel Desjardins et du saxophoniste et beatmaker Félix Petit, il a pu entrelarder les versions intimistes de ses succès de classiques My Funny Valentine (Rogers & Hartz) en duo, This Girls In Love With You (Burt Bacharach), Si on s’y mettait (Jean-Pierre Ferland). Ces versions quasi acoustiques on produit l’effet escompté, inutile de l’ajouter.

Tiré à quatre épingles, il s’est montré capable de faire rimer élégance et irrévérence, il s’est montré tout simplement fumant dimanche au Gesù… smoking oblige !

Ravis par Coltrane, subjugués par Holanda

par Frédéric Cardin

Un concert envoûtant, divisé en deux temps aussi contrastés que complémentaires, mais unifiés par un même sens de la transcendance musicale. Voilà ce à quoi nous ont conviés d’abord Hamilton de Holanda, véritable Paganini/McLaughlin du bandolim, petite mandoline pas plus grosse qu’un banjo, mais dont les possibilités coloristes et dynamiques semblent infinies dans les mains de cet artiste brésilien d’exception. Poète de cet instrument, aussi bien que pilote effréné, Holanda nous a proposé une cinquantaine de minutes de bonheur et de montagnes russes musicales avec son seul outil, en plein milieu de la scène chaleureusement éclairée de la Maison symphonique.

Ce chef-d’œuvre acoustique était l’écrin parfait pour rendre intelligibles toutes les notes, même 50 à la seconde, déversées par ce virtuose surnaturel. Virtuosité improbable, certes, mais entièrement dédiée à une expressivité concentrée, directe et accueillie insatiablement par un public conquis. À l’image du grand Villa-Lobos, Holanda a fait du genre traditionnel du Brésil, le choro, son véhicule préféré. En y mélangeant, tout comme Villa-Lobos aussi, des éléments de musique savante (Bach, ainsi qu’un de ses propres 24 Caprices, inspirés de Paganini), de musique populaire et de jazz très personnel, il en a fait un langage unique de notre époque. 

Ravis par Ravi

Beau contraste qui nous a préparé à l’arrivée du quintette attendu de la soirée, celui de Ravi Coltrane, avec ses compagnons David Gilmore à la guitare, Gadi Lehavi au piano et à l’orgue, Dezron Douglas à la contrebasse et Élé Howell la batterie. Le principe était celui d’un hommage à la musique ‘’cosmique, mystique, spirituelle’’ de ses parents John et Alice. On est d’abord un peu surpris de la pudeur de ce que l’on voit sur la scène, compte tenu des extravagances instrumentales utilisées par maman Alice. Il faut dire que l’hommage a été majoritairement offert à John. Déjà, dès la première pièce, le ton est donné : nous sommes dans un espace sonore qui emplit la salle, qui la cajole et s’y love comme en symbiose. On était presque dans Debussy symphonique. 

Le voyage astral prend de l’ampleur et s’épanouit, doucement, inexorablement, jusqu’à saturation des textures, mais sans jamais perdre un sentiment de plénitude bienveillante. On imagine une immense nébuleuse, somptueusement teintée de couleurs chaudes, s’étendre devant l’œil captif du télescope Hubble. Nous sommes aux premières loges. On est quelque part entre Ballads et Interstellar, deux absolus (et très différents) chefs-d’œuvre du grand John. Encore une fois, la Maison symphonique s’avère un vaisseau parfait pour cette richissime expressivité sonore. Cela dit, le résultat final est un hommage assez poli en fin de compte. Ce n’est que lors de la dernière escapade qu’on a retrouvé la ferveur pleine de fulgurance qu’on pouvait associer, également, à la musique ‘’cosmique- spirituelle’’ de Coltrane père et mère. Poli, l’hommage? Peut-être. Mais on a été totalement ravis quand même.

Kamasi superstar !

par Alain Brunet

Depuis des années, rarissimes sont les artistes purement jazz qui attirent les publics de masse. Qui d’autre que Kamasi Washington est capable d’y parvenir? Poser la question, c’est y répondre.

Ainsi, ce à quoi ont eu droit samedi les dizaines de milliers de festivaliers et autres curieux massés au pied de la scène TD, Place des Festivals, était purement jazz.

Certes, la prestation impériale de l’imposant ténorman californien et sa bande était relativement similaire à celles données à deux reprises au MTelus avant la pandémie, mais ce passage d’un auditoire important à un public de masse demeure un exploit en soi. Qui se formalisera de cette redondance ? Bien peu d’observateurs.

Personnel comparable, deux batteurs d’enfer (Mike Mitchell, notamment ), le paternel à la flûte et au sax soprano (papa Washington est très chanceux de tourner avec fiston), un tromboniste, une choriste bien en voix, un pianiste hors du commun (Cameron Graves, wow ! ), et bien sûr n leader à la stature monumentale.

Ambiance paroxystique du début à la fin, esthétique totalement black américaine, approche parfois équarrie à la hache mais toujours fervente, esthétique jazz 1955-1965 sans actualisations tangibles mais une ferveur des plus contagieuses pour galvaniser les foules venues enfin à la rencontre du jazz.

Oui, il a fallu que le génial MC Kendrick Lamar propulse ces musiciens dans l’espace, mais ils sont toujours là depuis des années ! Kamasi Washington et sa tribu patrouillent le firmament de leurs prédécesseurs pour ainsi faire exploser les nuages de notes bleues.

Cécile McLorin Salvant, la plus inspirée du chant jazz au féminin

par Alain Brunet

Le chant jazz au féminin n’a pas changé fondamentalement depuis les années 40 ou 50, mais il se trouve à l’occasion des solistes qui tirent leur épingle du jeu… d’un jeu apparemment classique voire redondant.

Cécile McLorin Salvant est de ces rarissimes chanteuse de jazz « classique » à imposer une facture parfaitement singulière. Origines françaises et antillaises, son éducation américaine, maîtrise parfaite de l’anglais et du français, humour subtil profondeur intellectuelle, connaissance profonde du jazz, théâtralité, sensualité, grande autorité sur scène, voilà autant de caractéristiques d’une artiste d’exception.

La plus douée du chant jazz d’aujourd’hui, en 2022 ? La plus intéressante sur le circuit ? Osons l’affirmer.

Non seulement notre Cécile préférée incarne-t-elle la tradition, mais encore s’autoriste-t-elle de la prolonger par un chant audacieux et subtil, mais aussi par les incursions beaucoup plus contemporaines de son accompagnement (piano, guitare, contrebasse, batterie).

Trios de première partie

En première partie de Wynton Marsalis en ouverture de festival à la Salle Wilfrid-Pelletier, nous avions eu droit jeudi au trio acoustique d’Ariane Racicot , nouvelle élue du piano jazz québécois. Très bonne technique au clavier, main droite aguerrie, bonne main gauche , coefficient de difficulté parfois élevé, bon esprit, sens de la pesanteur. Cette étudiante modèle peut compter sur très bons accompagnateurs dont le bassiste virtuose Carl Mayotte.

Samedi soir au Monument National, c’était au tour de la pianiste Gentiane MG de présenter son trio acoustique . Moins axé sur la performance technique, et plus sur une belle exploration harmonique moderne ou contemporaine. Une autre affaire du côté de cette autre jazzwoman québécoise. Jazz de chambre de bonne tenue, en somme.

Louis Cole et son big band cassent toutes les baraques

par Alain Brunet

Les fans de Dirty Loops, Badbadnotgood, Snarky Puppy, Moon Hooch et autres Too Many Zooz, très populaires auprès des hip cats désireux de pousser plus loin l’expérience musicale et possiblement migrer vers le jazz, verrons en Louis Cole un incontournable. 

Le public jazz pop du FIJM accueillait vendredi l’un de ses plus influents protagonistes. C’était donc la première et la dernière fois que ce batteur, claviériste, chanteur, performer de première classe, se produisait gratuitement au Studio TD. À son retour, on devra payer chèrement ses places dans un amphithéâtre beaucoup plus vaste. 

Méchante créature! 

Vous n’avez qu’à visionner nos modestes vidéos et vous comprendrez illico que le mec est tout un showman et qu’il dispose d’un engin très puissant, huilé au quart de tour.

Il s’amène seul sur scène, cause brièvement au public pendant qu’il procède à ses derniers réglages et puis… son big band se pointe. Deux choristes/solistes, un contre-ténor, des synthés, une basse électrique, une meute de cuivres, anches et bois. Toutes et tous sont vêtus de combinaisons affichant un squelette devant comme derrière, non sans rappeler le syncrétisme mexicain au Jour des morts. 

Méchant paquet d’os!

Oui c’est de la pop, et c’en est de l’excellente.Dans le cas qui nous occupe, le funk et la soul ne dominent pas la proposition rythmique, Louis Cole et ses excellents collègues optent plutôt pour des beats jungle, drum’n’bass et footwork sur lesquels s’échafaude un discours orchestral à la fois rude et contemporain, ce qui contraste vachement avec le rythme propice à la danse. La pédale dans le tapis du début à la fin, le tout effectué dans une ambiance désinvolte qui n’exclut pas un humour décapant. Le tout est entrelardé de ballades croisant entre la soul/R&B et Broadway. Ces moments calmes ne dominent en rien la prestation, il faut plutôt y voir des pauses à ce feu roulant de groove, question de reprendre son souffle. 

Voilà la rencontre parfaitement réussie entre jazz orchestral d’aujourd’hui et club culture électronique d’aujourd’hui. Voilà l’intégration parfaite de cette culture électro propice au plancher de danse et d’orchestrations contemporaines, ce qui mène Louis Cole et son big band à casser toutes les baraques sur son passage.

Tash Sultana: la femme-orchestre envoûte le FIJM

par Jacob Langlois-Pelletier

As des loops et de la construction musicale en direct, Tash Sultana a offert une prestation électrisante et envoûtante jeudi soir, en ouverture du Festival international de jazz de Montréal. 

Devant une foule de plus de 40 000 personnes, l’Australienne a joué et chanté ses plus grands succès. Au milieu de la scène principale, l’artiste de 27 ans était entourée d’une panoplie d’instruments: nombreuses guitares,  saxophone, claviers,  électronique et bien évidemment son outil de prédilection, la fameuse loop pedal qui lui permet de superposer les boucles enregistrées en temps réel. Tout au long du concert, la multi-instrumentiste créait sa musique de toutes pièces, démontrant ainsi  toute la complexité et l’ingéniosité de son art. Puis trois musiciens ont fait leur entrée sur scène, conférant une profondeur supplémentaire à sa musique.

Devant une mise en scène lumineuse et colorée, la foule était captivée par les moindres faits et gestes de la jeune femme. À plusieurs moments, Tash Sultana a regardé le ciel, visiblement habitée par la musique. À mi-chemin du concert, Tash Sultana a offert un excellent solo de saxophone. À la dernière note de cette envolée, l’ensemble a fait un bond avec sa soliste , offrant à la foule un moment fort en énergie. Pic de guitare à la bouche, la chanteuse a conclu son concert avec une version inédite de son titre le populaire, Jungle. La foule en redemandait ! Même si sa musique n’est pas tout à fait jazz, que demander de mieux pour lancer l’édition 2022 de ce grand festival ? 

Pourquoi Makaya McCraven ? Parce que…

par Alain Brunet

PAN M 360 ne témoigne pas souvent des concerts auxquels assistent ses contributeurs. Nous aimerions le faire plus souvent mais il y a tant à faire pour faire évoluer cette plateforme que nous devons y aller au compte-gouttes. Mais… le retour des festivals nous incite à reprendre du service.   

Makaya McCraven est mon tout premier choix de ce Festival international de jazz de Montréal présenté en version complète après deux ans de retrait pandémique.

Vous ne jurez que par Kamasi Washington et Thundercat? Très bien mais…  ces vedettes du nouveau jazz composent essentiellement de la musique conçue entre 1959 et 1967. C’est très cool de mêler tout ça au hip-hop de Kendrick Lamar, je ne veux surtout pas éteindre l’enthousiasme des nouveaux fans du style mais on doit leur rappeler que le jazz se trouve ailleurs que dans les collaborations cool avec les vedettes du hip hop.

Forcément, Makaya McCraven ne jouit pas de la même coolitude que Kamasi ou Snarky Puppy, il ne figure pas dans les collaborations des vedettes du hip-hop ou de la neo-soul, il est forcément moins connu et s’adresse (pour l’instant) aux  mélomanes avertis.  À n’en point douter, il est de ces authentiques visionnaires de ce jazz qui fera école au cours des prochaines décennies. 

Pourquoi donc? Parce que son approche de la percussion s’inspire à la fois du jazz contemporain et des avancées de la musique électronique. La reproduction instrumentale de concepts rythmiques imaginés par des beatmakers au cours des dernières décennies conduit à un élargissement de la forme et à d’autres façon d’imaginer le jazz aujourd’hui.

Ainsi, le batteur virtuose  Makaya McCraven menait jeudi (au Gesù) un quartette batterie-basse-trompette-sax alto où les propositions innovantes s’enchaînent pendant 80 minutes. Le contrepoint improvisé de la batterie, de la basse, des instruments à vent, percussions collectives et  menus déclencheurs électroniques génèrent une musique authentiquement jazz, d’une fraîcheur absolue.
On peut observer  notamment que les lignes de la basse et de la batterie donnent parfois l’impression de trajectoires indépendantes , ce qui est un leurre extrêmement créatif. C’est idem pour les lignes mélodiques des deux instruments à vent, à la fois autonomes et collectifs, toujours au service des concepts imaginés par leur leader. Certes, nous étions loin du hard bop et du swing… apparemment, mais pas si loin à bien y penser : les hachures rythmiques inspirées du beatmaking hip hop nourrissent l’esprit résolument jazz de la proposition. En fin de concert, l’insertion de Blue In Green, un thème composé par Bill Evans pour l’ensemble de Miles Davis (Kind Of Blue), en est une éloquente démonstration. La suite aujourd’hui! Makaya enchaîne à 18h, il en sera de même samedi.

À noter: In These Times, son prochain album, est prévu pour septembre prochain sous étiquette International Anthem.

Wynton Marsalis, gardien du temple

par Alain Brunet

Il y a environ 80 ans, une part congrue du jazz afro-américain est devenue musique savante. Tout en puisant dans la culture populaire, d’abord le blues, dans les musiques de fanfares afro-américaines et puis dans les grands airs de Broadway et autres musiques de masse en Amérique, le jazz moderne a transformé cette matière en musiques complexes, destinées à des auditoires avertis comme le sont ceux des musiques classiques occidentales.

On vit alors s’imposer des créateurs de très haut niveau au cours des années 40, 50 et 60. C’est ce corpus précis que le grand ensemble du trompettiste Wynton Marsalis s’applique à explorer et mettre de l’avant depuis les années 90.. 

On a souvent décrit le trompettiste et directeur artistique comme un intraitable puriste, esprit conservateur selon qui ce qui s’est créé dans le jazz à partir des années 80 n’était que dérive et édulcoration. Si on ne s’en tenait qu’à la prestation du supravirtuose et de son big band au Festival international de jazz de Montréal, on pourrait ainsi conclure. Ce serait une erreur, car Wynton a maintes fois fait preuve d’ouverture d’esprit en incluant des œuvre contemporaines de musique impliquant l’improvisation. Contre toute attente, Wynton est moins crispé qu’on le prévoyait dans les années 80.

À la salle Wilfrid-Pelletier, c’était néanmoins le retour à la leçon d’histoire : Thelonious Monk, Duke Ellington, Billy Strayhorn, Charles Mingus, Kenny Dorham et autres œuvres récentes des membres de l’orchestre composées à la manière des grands concepteurs et improvisateurs ayant sévi à l’âge d’or du jazz moderne, on pense notamment à la manière de feu le pianiste Horace Silver. 

À l’instar des meilleurs orchestres de la planète musique, Wynton peut compter sur un noyau de musiciens fidèles et d’autant plus compétents : Chris Creenshaw (trombone), Victor Goines (saxo), Carlos Henriquez (contrebasse), Sherman Irby (saxo), Marcus Printup (trompette), Ali Jackson (batterie), pour ne nommer que ceux-là. Chacun fait preuve de haute virtuosité, chacun a été sélectionné par le leader new-yorkais (originaire de la Nouvelle-Orléans) comme un maestro sélectionne les meilleurs éléments d’un orchestre symphonique.  Et que dire de ses propres qualités de soliste: les deux séquences où il fut mis en évidence étaient tout simplement incroyables ! Personne ne fait ce qu’il fait à la trompette, point barre.

Je me souviens, lorsque j’étais dans la vingtaine, avoir réprouvé cette approche de Wynton, la considérant rétrograde et crispée. Quatre décennies plus tard, je ne vois plus les choses ainsi. Nous avons effectivement besoin de virtuoses, interprètes, improvisateurs, arrangeurs et leaders dont la mission première est de perpétuer la grande musique de jazz afro-américaine, dont les principaux compositeurs et leaders ont la stature des plus brillants concepteurs de la musique classique de tradition européenne. 

À ce titre, Wynton Marsalis demeure le champion toutes catégories.

https://www.youtube.com/watch?v=MvOB8fmYGBU&t=4s

Sónar Barcelona 2022 : Retour sur trois jours de technofolies.

par Patrick Baillargeon

La 29e édition de Sónar a fait appel à de nouveaux sons en provenance des cinq continents, sur un thème résolument inclusif, festif, coloré et entraînant.

Après une pause forcée de deux ans pour les raisons que vous connaissez tous, le festival international de musique électronique, de créativité et de technologie Sónar Barcelona a tout mis en œuvre pour rameuter les aficionados de musique électronique de tous acabits. Du jeudi 16 au samedi 18 juin très tard (dimanche matin pour être précis), l’événement a attiré des milliers de fans, professionnels et artistes venus d’un peu partout sur la planète. En tout, 117 spectacles et un total de 150 artistes répartis sur 12 scènes.

Pour cette première incursion de PAN M 360 à Sónar, nous nous sommes attardés à la programmation du Sónar de jour plutôt qu’à celui de la nuit, ce dernier se déroulant les 17 et 18 juin, dans de grands hangars proches de l’aéroport de la ville Catalane.

Sónar By Day, et son volet plus didactique revitalisé Sónar+D, se déroulent quant à eux dans le centre de Barcelone, à Fiera Montjuïc, au pied de l’imposant Palais national. Avec ses deux scènes extérieures, disposées côte à côte, et quatre autres réparties à l’intérieur de trois très grandes salles, l’événement permettait aisément de se déplacer d’un univers à un autre en quelques pas.

Si à l’extérieur l’emphase était souvent mise sur le côté festif et plus fédérateur des différentes mouvances électro, on pouvait rapidement se retrouver confortablement assis dans la salle climatisée de Sónar Complex pour se plonger au coeur de performances beaucoup plus pointues. Et quand on sait à quel point le soleil de Barcelone peut taper fort, ces échappées à l’ombre et au frais permettaient de reprendre un peu de force. Le Sónar de jour est aussi beaucoup plus convivial que son pendant nocturne qui attire un public beaucoup plus nombreux dans un environnement moins intime et chaleureux. Donc pour vraiment vivre une expérience de proximité avec les artistes et le public, le Sónar diurne est incontournable. Ensuite, lorsque les derniers beats cessent de résonner, les bars de la ville méditerranéenne, monopolisés par de nombreux labels, accueillent plusieurs DJs de renommée internationale. Donc il y a toujours une proposition alléchante quelque part !

Jour 1

En cette première journée Sónar, c’est clairement le très intègre duo britannique Paranoid London qui s’est démarqué du lot, faisant quasiment l’unanimité auprès des différents professionnels présents et de nombreux festivaliers. Le duo acid-house, inspiré de Liaisons Dangereuses et au penchant électro-punk à la Suicide (le binôme a d’ailleurs collaboré avec le regretté Alan Vega), réussit à respecter la diversité propre aux débuts de la culture acid, sans pour autant tomber dans la nostalgie, et livre des sons bruts sur lesquels un MC vient de temps en temps poser une voix déformée par des effets de distorsion et de reverb. Ce désir de fournir une alternative cinétique à l’aspect plus clinique et cosmopolite de la musique house contemporaine se retrouve dans tout le travail de Paranoid London. Ils puisent dans la même esthétique DIY sans fioritures qui a façonné les débuts de la scène house, et leur refus de suivre les règles – aucune promo, aucun album, aucun téléchargement et aucun écart – est admirable.

Saluons aussi la performance de la diva du kuduro Pongo. L’ex chanteuse de Buraka Som Sistema, qui s’est fait connaître à travers le monde avec l’hymne Wegue Wegue, a offert une prestation entraînante et au niveau d’énergie franchement impressionnant. Impossible de rester sur place.

PARANOID LONDON

Jour 2

Cette deuxième journée a clairement été marquée par l’impressionnante performance du montréalais Martin Messier, venu présenter sa nouvelle œuvre, Echo Chamber. inspirée par deux pratiques médicales différentes, les ultrasons et l’acupuncture. À l’aide d’un dispositif de performance qu’il a lui-même créé – trois panneaux équipés de plaques génératrices de son auto-réactives et de longues aiguilles maniées comme des instruments – Messier met en scène un spectacle qui explore la résonance, l’ombre et la lumière et le corps lui-même. Les aiguilles sont utilisées pour percer les panneaux, générant des séquences sonores spécifiques, tandis que l’éclairage brutal illumine ou projette des ombres sur l’ensemble du spectacle. À d’autres moments, les panneaux deviennent des écrans de projection, transposant les mouvements de Messier en formes obscures, ou affichant des charges électriques. Un spectacle envoûtant, où sobriété et minimalisme riment avec puissance.

DJ MARCELLE

L’autre belle surprise de la journée fut le set de l’improbable DJ Marcelle (Marcelle Van Hoof). Considérée comme une sorte de blague par plusieurs, la DJ et productrice néerlandaise se tient loin des conventions et des normes du milieu du DJing, d’abord par son (non) look et surtout par sa sélection musicale et sa façon de mixer, qui s’apparente plus à celle des DJs de sound systems jamaïcains. Le beat to beat et la précision n’ont pas vraiment d’importance avec DJ Marcelle, c’est le choix des musiques qui prime avant toute chose, et c’est ce qu’on aime. Celle qui a longtemps pratiqué le métier de journaliste écrit et radio, aime surprendre et amener le public à sortir de sa zone de confort. Ses 20 000 vinyles et ses nombreux albums témoignent de son expérience et de l’étendue de sa connaissance musicale. Jungle, free jazz, musiques traditionnelles, dancehall, techno et davantage font partie des caisses de disques qu’elle traîne d’un événement à l’autre.

Dernières mais certainement pas des moindres, Octo Octa et sa partenaire Eris Drew ont offert une perfo b2b époustouflante et euphorisante. Un set plein de bonheur et d’énergie servi avec passion par les deux icônes d’une house libertaire et fédératrice. Le plaisir plus qu’évident qu’ont les deux DJ à collaborer ensemble et faire jouer une musique qu’elles aiment et connaissent jusqu’au bout des doigts était franchement transcendant. Une véritable science du dancefloor.

ERIS DREW / OCTO OCTA

Jour 3

L’américain DJ Python, (Brian Piñeyro, également connu sous les alias Deejay Xanax et DJ Wey), a livré un set chaud et sensuel sous un soleil de plomb. Qualifiant sa musique de « deep reggaeton », Python va beaucoup plus loin que les rythmiques redondantes associées au genre. Sa proposition est à la fois tribale et sexy, touchant à la deep house, à l’afro-house, au dancehall, à l’IDM et à d’autres assemblages musicaux inattendus. Le producteur et DJ new-yorkais affiche un certain goût pour le décalage avec une belle cohérence.

Déjà présent la veille pour la conférence Androids Singing The Body Electric dans le cadre du Sónar+D, le mythique réalisateur, arrangeur, compositeur et musicien Craig Leon était samedi à l’affiche du Sónar By Day pour présenter quelques-unes de ses œuvres en compagnie de sa complice de longue date Cassell Webb. Assis derrière leurs laptops et machines, le duo a offert une prestation assez statique (il a 70 ans et elle 74 tout de même) dans laquelle Leon revenait en partie sur ses premières œuvres Nommos et Visiting, jouant quelques pièces des deux albums aujourd’hui quarantenaire. Affichant une feuille de route plus qu’exemplaire (outre son travail du côté de la musique classique, on lui doit la réalisation d’un nombre incroyable d’albums mythiques, notamment le premier des Ramones, de Suicide, de Blondie, de Richard Hell en passant par les Talking Heads, The Fall, The Sound, Front 242, The Weirdoes, DMZ, The Pogues, Bangles, etc.), inutile de dire que le personnage était attendu par une bonne poignée de festivaliers. La musique électronique de Leon est minimale, obsédante, joliment surannée ; les rythmes et les sons nous ramenant parfois aux premiers Suicide, Kraftwerk et autres pionniers de la musique électronique.

DJ PYTHON

30 ans demain

Un bon festival, c’est une curation qui suit une certaine vision artistique d’une édition à l’autre, c’est bien entendu un site convivial offrant une qualité sonore et visuelle optimale et c’est bien sûr le public. Sónar réunit tout cela, à quelques écarts près, notamment au niveau de la programmation qui parfois suit un peu trop les tendances actuelles au détriment de la qualité artistique. Mais comme l’offre est tellement généreuse, il est facile de tourner le dos à un spectacle un peu trop cheesy pour s’enligner vers quelque chose de plus pointu, ou de simplement faire un tour au bar.

Sónar Village cp: Ariel Martini

Ce qui est assez remarquable avec le Sónar By Day est sans conteste l’auditoire. Une foule excentrique, bigarrée, colorée, festive et étonnamment bien plus âgée que celle que l’on peut croiser dans les festivals du (presque) même acabit ailleurs. On se sent à sa place, entouré d’une bonne vibe positive et sympathique. C’est ça le gros plus de Sónar et c’est en grande partie pour cette raison (et la musique!) qu’on espère y retourner l’an prochain pour la 30e édition, édition qui promet d’être encore plus magique!

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