Takuya Kuroda : soleil brûlant au Festival

par Frédéric Cardin

Takuya Kuroda est trompettiste et on l’a connu principalement pour son unique album chez Blue Note, Rising Son (il en a d’autres ailleurs), et aussi pour ses collaborations avec José James (un pote d’école de jazz). Arrivé à Brooklyn au début des années 2000, le Japonais a rapidement trouvé ses repères dans un jazz mâtiné de musiques black modernes. Rythmes hip-hop et drum & bass bien musclés, fulgurances des horns (sa trompette et le ténor de son complice Craig Hill) dans des phrasés souvent courts et incisifs, genre motifs afro-beat ou chorus de cuivres funk, basse bondissante, batterie puissante, on s’y retrouve en pleine urbanité contemporaine, épanouie et affirmative. Kuroda s’échappe parfois dans des monologues néo-bop très libérés mais bien ancrés dans ce soutien groove omniprésent. Surtout, son jeu vire à l’incandescence et éblouit la foule dans une lumière crue mais stimulante. L’ajout des claviers parfois cosmiques genre science-fiction années 50 du camarade Takahiro Izumikawa (excellent pianiste par ailleurs) apporte un élément de surprise et même de légèreté à cette trame sonore ultra-actuelle, mais pas déconnectée d’un bagage culturel pop plutôt sympathique. L’artiste nous a même donné un avant-goût de son prochain album, qui devrait sortir cet automne. Aucun doute, ça promet!

Les Django Festival All-Stars : une soirée au « hot club » du Gésù

par Frédéric Cardin

Certains mélomanes ont tendance à se rendre à reculons à un concert de musique manouche, comme vous le savez peut-être. Pas qu’ils n’aiment pas le style ni ne reconnaissent la qualité des musiciens de renom qui s’y adonnent. Ça relève plutôt de la mode « manouche partout » d’il y a 15-20 ans et de la surenchère des standards du genre, pas toujours joués dans les meilleures conditions, et des adaptations de chansons populaires qui ont tourné jusqu’à plus soif sur certaines ondes (Ai-je besoin de rappeler le groupe qui commençait par « Lost » et finissait par « Fingers »? Bien charmant au début, mais étiré jusqu’à la mort cérébrale par la suite).

Bref, les auspices d’un concert intitulé Django Festival All-Stars n’étaient pas avantageux d’un point de vue blasé. Mais heureusement, le quintette présent au Gésù le 7 juillet est d’un autre acabit. Toutes des compos originales provenant de l’album Attitude manouche, à l’exception d’un seul « standard » (The Sheik of Araby), les Django Festival All-Stars ont lancé la soirée avec Attitude manouche (la pièce-titre), une intro qui montre toute la vélocité, la virtuosité et la précision technique des cinq mecs sympathiques. Ça s’est poursuivi comme ça pendant une plus que généreuse heure et demie, avec quelques moments de repos ici et là, des interventions amusantes des musiciens et des taquineries entre eux (ils ont de toute évidence une intimité amicale très forte). La soirée s’est terminée avec la foule nombreuse et debout, intimant avec les mains le rythme endiablé d’une pièce finale parfaitement conçue pour faire cet effet.

Les pièces, toutes composées par l’un des membres du groupe, soit Ludovic Beier (remarquable accordéoniste), Samson Schmitt (épatant guitariste, fils de Dorado et petit-cousin de Tchavolo) et Pierre Blanchard (violoniste virtuose des doigts duquel sortent autant des torrents de notes que d’inflexions raffinées de musique classique) ont ceci de magnifique qu’elles exhibent tous les codes, les réflexes et les caractéristiques fondamentales du style, sans en faire des pastiches lassants. Voici une musique rendue vivante, jamais figée dans une mémoire lénifiante. Un seul bémol cependant, mais aucunement de la responsabilité du groupe : le guitariste rythmique habituel, DouDou Cuillerier, malade, a dû être remplacé à la toute dernière minute par un Américain venu de Baltimore, Michael Harris. Le type est assurément compétent, mais il pouvait difficilement s’aventurer dans des éclats personnels qui auraient coloré les compositions originales étant donné qu’il n’en connaissait la nature ni d’Ève ni d’Adam. Voilà pourquoi on lui a laissé The Sheik of Araby pour s’épivarder un peu. Notons aussi la pétulance communicatrice d’Antonio Licusati à la contrebasse.

CRi au FIJM : la Place des Festivals devient le plus gros plancher de danse à MTL

par Jacob Langlois-Pelletier

CRi a transformé la Place des Festivals en une immense boîte de nuit, mercredi soir.

Détrompez-vous : DJ Tiësto n’était pas en ville hier soir, c’était bel et bien une étoile de la musique électronique montréalaise qui y brillait. Des milliers d’amateurs d’électro, de pop, de house et d’indietronica se sont amassés devant la scène principale pour danser sur les compositions de l’artiste québécois. 

« J’espère que vous êtes bien chaussés, car ça va danser en p’tit péché ce soir! », a-t-il lancé avant de balancer les premières notes de son titre Lonely Romance. À l’aide de ses claviers et de sa console, Christophe Dubé, alias CRi, s’est amusé à construire ses mélodies en temps réel. La révélation de l’année au Gala de l’ADISQ 2021 a offert un set infusé de synthés, spécialement concocté pour l’occasion. À mi-chemin, CRi a carrément qualifié cette soirée  d’« historique pour la musique électronique québécoise ».
Ses amis Robert Robert, Jean-Michel Blais, Jesse Mac Cormack et Sophia Bel l’ont rejoint sur scène. À la fin de Never Really Get There, Mac Cormack est venu assister le DJ au clavier, insufflant une intensité supplémentaire à sa musique. À l’arrivée de Jean-Michel Blais et de son piano à queue, la foule s’est faite bruyante, visiblement prise par surprise par la venue du pianiste et compositeur néoclassique. Le spectacle s’est conclu avec Me and My Friends, une collaboration entre CRi et les quatre invités de la soirée. Sous étiquette Anjunadeep depuis 2020, CRi est promis à un avenir radieux, tant sur la scène électronique montréalaise qu’à l’international.

Robert Glasper, Prix Miles-Davis, de l’illumination à la paresse

par Alain Brunet

Robert Glasper vient de remporter le Prix Miles-Davis du Festival international de jazz de Montréal. On ne peut présumer d’une exécution devant public mais… force est de constater que le concert présenté mercredi du Théâtre Maisonneuve était loin d’être à la hauteur du plus grand honneur du FIJM réservé aux plus grands praticiens du jazz. Les cendres de Miles ont-elles frémi dans leur amphore ?

Avec DJ, bassiste et batteur (merci Chris Dave), le célébrissime multi-claviériste offrait mercredi le versant soul-funk-fusion de son art. On y allait de bonne foi, après avoir absorbé le troisième chapitre d’un projet en continu, Black Radio. Le concept se résume par une rencontre entre musiques populaires afro-américaines et jazz. On y observe des collaborations de Q-Tip, Killer Mike, Esperanza Spalding, India.Arie, Ty Dolla $ign, Lalah Hathaway, Meshell Ndegeocello, d’autres moins connues… Jusque-là, tout va bien. Le nouvel album est cool quoique… les musiciens de jazz qui font dans le hip hop s’en tiennent souvent à des formes prédigérées de culture populaire et y injectent des suppléments rythmiques et harmoniques propices à des improvisations de plus haut niveau. C’est dire que Black Radio III me semble un tantinet empoussiéré mais bon, la matière est assez intéressante pour une relecture vivifiante devant public.

Or, sur scène, tout ce travail studio est plus ou moins remplacé par… pas grand-chose. Une intro insignifiante de hits soul enchaînés par un DJ peu créatif, puis un jam informe, longuet, sans intérêt aucun. À l’évidence, Robert Glasper n’avait rien préparé. Il nous a servi une performance paresseuse, oisive, cabotine, assortie de quelques soubresauts de virtuosité pour épater la galerie comme il se doit. La jazzification de Smells Like Teen Spirit (Nirvana) ou de In The Air Tonight (Phil Collins) n’avait strictement rien d’excitant, d’autant plus que le claviériste est un piètre chanteur qui devrait s’en tenir aux ivoires de ses claviers électroniques. Plutôt que de procéder à une relecture concluante de son nouvel album, donc, il a erré, entraînant ses collègues dans cette errance.

C’est dommage, car on l’a considéré comme un game changer il y a une quinzaine d’années, pour sa dextérité phénoménale et ses riffs inédits au clavier, très inspirés des formes récentes de musique black , ce qui le mène aujourd’hui à jouir d’une immense coolitude et même l’obtention d’un Prix Miles-Davis dans le cas qui occupe Montréal. Or, force est de constater que Robert Glasper n’est plus le visionnaire, le game changer qu’il fut d’entrée de jeu. Le virtuose se tient pour acquis et tient son public pour acquis.

À court terme, remarquez, ses fans n’y voient que du feu. Personne ne l’a hué au Théâtre Maisonneuve, bien au contraire. On peut comprendre, Robert Glasper est perçu comme le Herbie Hancock de sa génération – sans vouloir faire dans la comparaison directe. Il est immensément respecté des mélomanes, jeunes et moins jeunes s’intéressant à la soul/R&B de qualité, au hip-hop champ gauche et au jazz groove. Oui, sa contribution innovante au jeu du clavier fut considérable au milieu des années 2000. Depuis lors, il a atteint un plateau conceptuel et, aujourd’hui, il surfe visiblement sur ses acquis. Arrive la pente descendante…

Souhaitons-lui d’en prendre conscience avant que statut de has been ne lui soit collé au front. Ça pourrait se produire plus vite qu’il ne semble le croire.

Christian Scott aTunde Adjuah, sur les routes d’Afrique et d’Amérique

par Alain Brunet

Christian Scott aTunde Adjuah est un invité récurrent du volet jazz au FIJM. Mardi soir au Monument National, il se produisait devant une salle bien garnie pour y résumer ses deux dernières années de travail trans-pandémiques. Que nous réservait-il cette fois?

Le musicien de 39 ans se produisait en quintette : Lawrence Fields, (Fender Rhodes et Korg Kronos), Ele Howell (batterie), Elena Pinderhughes (flûte traversière), Luques Curtis (contrebasse), lui même aux trompettes modifiées (à la manière des cornets de feu Dizzy Gillespie), sans compter un instrument à cordes pincées de sa conception, inspiré d’instruments traditionnels d’Afrique de l’Ouest tel le n‘goni ou la kora.

Les premier moments de ce concert d’environ une heure et demie ont été consacrés à cet instrument fraîchement sorti de l’atelier, qu’il utilise à la manière des griots tout en chantant (pas toujours juste). La quête de Christian Scott aTunde Adjuah est multiple : jazz contemporain, jazz antillais ou créole, réappropriation des racines ancestrales africaines, sans compter la promotion de son identité afro-autochtone que l’on peut observer dans sa Louisiane natale depuis plusieurs générations.

On a déjà loué l’immense talent d’Elena Pinderhughes, 27 ans, certes la plus brillante flûtiste de jazz (connue) de sa génération., on a une fois de plus observé la qualité du groove, du son et du phrasé. On a aussi remarqué une deuxième fois cette semaine le niveau exceptionnel d’Ele Howell, qui a brillé aux côtés de Ravi Coltrane à la Maison symphonique. Il va sans dire, Christian Scott aTunde Adjuah est un crack de la trompette, sa recherche texturale le mène également à l’usage circonspect de pédale d’effets.

Ce concert était aussi marqué par les premières explorations jazz-rock ou jazz-funk de Miles Davis à la fin des années 60. De manière générale, les compositions étaient des tremplins destinés aux expressions individuelles et au groove. On aura aussi apprécié les thèmes pour flûte et trompette exécutés à l’unisson.

On connaissait déjà toutes ces facettes du leader, interprète de haute intensité qui pêche parfois par d’interminables présentations, beaucoup trop longues pour un set de festival qui ne peut dépasser 90 minutes. Le prolixe musicien est néanmoins prolifique et créatif, entouré d’interprètes et improvisateurs top niveau.Très clairement Christian Scott aTunde Adjuah pouvait compter sur un ensemble bien soudé et capable de haute voltige, sans nous en apprendre beaucoup sur ses avancées formelles.

Woodkid, l’immersion faite homme

par Alain Brunet

Woodkid, alias Yoann Lemoine, est un artiste de l’immersion : auteur, compositeur, vidéaste, artiste visuel, on en passe. Sa multidisciplinarité est la condition essentielle de son succès. S’il n’était que musicien, jamais ses chansons et arrangements n’auraient l’impact obtenu depuis une décennie. On a pu vérifier de nouveau ce culte pop mardi au Mtelus, soit dans une salle pleine d’êtres humains subjugués par la proposition de l’artiste français s’exprimant en anglais. Il devrait en être de même un deuxième soir consécutif.

Woodkid a très bon goût. Sa scénographie est impeccable, comme elle le fut lors de ses précédents passages. Il sait choisir des éléments visuels de grande qualité et créer un espace immersif dans lequel ses fans sautent à pieds joints. Les accompagnateurs sont alignés de gauche à droite devant l’auditoire : percussions, trio de cordes, clarinette basse, trombone, claviers et machines. Au-dessus de la rangée d’instrumentistes, une passerelle traverse la scène, le chanteur s’y exprime et change parfois de palier. Derrière le tout, des images HD de grande qualité ornent chacune des chansons, surtout tirées de l’album S16 paru en 2016, mais aussi tirées d’enregistrements précédents.

Musicalement, Woodkid construit des chansons sur une instrumentation hybride : pop, électro, chant choral, musique de chambre. Les références sont connues de quiconque. Cet amalgame d’évidences est séduisant parce que consonant, mélodique, plutôt simple de manière générale, mais assez chargé et finement emballé  pour épater la galerie.  

On ne peut néanmoins isoler cette proposition musicale du reste; ce qu’offre Woodkid est  spectacle complet, sorte de trame sonore normalement destinée au cinéma ou à la télé, mais cette fois au service d’une immersion audiovisuelle devant public. Et ça marche pas à peu prés.

Clichés bon chic bon genre? Certainement mais…. À sa décharge, Yoann Lemoine a su identifier ce qui fonctionne vraiment dans une chanson pop et y enrober ces évidences mélodico-harmoniques d’un vernis attractif et actuel, juste assez visionnaire pour conquérir un public désireux de s’élever au-dessus de la pop de masse. Son image, son propos, sa vision du monde, sa quête personnelle n’ont rien de profondément singulier. Tout ça constitue un miroir dans lequel se mirent des adultes de sa génération (25-40 ans, surtout) et peuvent y voir le prolongement esthétique de leur existence.  

Moor Mother : poésie, futurisme, féminisme afro-américain, jazz

par Alain Brunet

Jazz Codes, le tout récent opus de Moor Mother sous étiquette Anti-, est un véhicule pour la poésie et la déclamation. La musique afro-américaine, particulièrement le jazz moderne ou contemporain, est la matière sonore sur laquelle Moor Mother couche ses mots.

Il n’en fut pas toujours ainsi. La première fois qu’elle s’était pointée à Pop Montréal il y a quelques années, l’approche était fondamentalement bruitiste et hip-hop – écoutez l’album Fetish Bones. Par la suite, le langage a évolué vers le jazz déjà présent à très petites doses. On a revu Moor Mother au FIMAV en duo avec le légendaire multi-saxophoniste et clarinettiste Roscoe Mitchell, puis cette semaine au FIJM, soit en tandem avec la très grande batteure Terri Lyne Carrington et plus tard en solo.

« À travers son travail, elle met en lumière les principes de sa pratique collaborative interdisciplinaire Black Quantum Futurism, un cadre théorique permettant de créer des contre-chronologies et d’envisager des avenirs féministes quantiques noirs qui rompent les versions exclusives de l’histoire et de l’avenir par l’art, l’écriture, la musique et la performance. »

Moor Mother est aussi théoricienne et pédagogue à la Thornton School of Music de l’université de Californie du Sud.

Sa démarche fondamentale consiste à forer l’inconscient noir américain et en faire rejaillir les substrats à travers le prisme de l’art électroacoustique, de la poésie de la déclamation improvisée sous l’angle féministe d’une femme de couleur.

Pas sûr que le FIJM soit le meilleur contexte pour en absorber l’oeuvre pourtant vibrante et substantielle. Les fans de musiques exploratoires auraient fort probablement plus apprécié… à Victo, aux Suoni, à Mutek… Lundi soir, la réaction était trop polie compte tenu de la charge au programme.

Pour encore mieux saisir l’art et les concepts de Moor Mother, je vous recommande chaudement la critique de son superbe nouvel album, Jazz Codes, par notre très apprécié collègue Steve Naud.

Vincent Peirani : le souffle épique du groove

par Frédéric Cardin

L’accordéoniste niçois Vincent Peirani était sur la scène plutôt intime de la nouvelle Place Tranquille du Quartier des spectacles hier soir pour deux sets. Je ne sais pas comment était le 1er, à 20 h, mais celui de 22 h était à couper le souffle.

Le nôtre bien sûr, pas celui, épique, de l’instrument du Français. 

Accompagné de deux amis (Federico Casagrande à la guitare et Ziv Ravitz à la batterie et aux claviers) aussi inspirés que lui, Peirani nous a donné une généreuse heure d’élans musicaux hors norme où son accordéon a démontré toute sa fabuleuse polyvalence. Quelques minutes bien placées de douceur ambiante (très morriconesque ballade genre Il était une fois dans l’Ouest de Nina Nanna et envoûtant Twilight) ont suffit à équilibrer ce qui a été dans l’ensemble une chevauchée puissante et souvent endiablée de musique aux accents de groove implacables.

 La batterie musclée et les beats électros profonds de Ravitz (en même temps, chapeau!) ainsi que l’ébouriffante guitare électrique (qui servait aussi de basse!) de Casagrande ont ajouté des éléments blues-hard rock assez jouissifs au déferlement de notes spectaculaire de Vincent Peirani. Les gars trippaient sur scène, ça se voyait, et on était emportés aussi. Casagrande bougeait tellement qu’il a brisé son siège et on a dû lui en apporter un autre!

 Ce trio méritera une scène bien plus grande quand il reviendra, ce qui est certain à moins que les décideurs du Festival ne vivent dans un monde parallèle!

Masego fait la fête au Mtelus

par Jacob Langlois-Pelletier

Le chanteur et multi-instrumentiste Masego en a mis plein la vue et les oreilles lundi soir, au Mtelus, dans le cadre du FIJM. 

Devant une foule débordante d’énergie, l’as du trap-house-jazz a débuté avec une version revisitée de son titre Navajo. Le refrain de cette dernière, un échantillon sonore de la chanson Michelle de The Singers Unlimited, était chanté entièrement par la foule. Masego avait avec lui son synthétiseur, son piano et bien évidemment son instrument fétiche, le saxophone. Aussi, il était accompagné d’un batteur et d’un pianiste, conférant des intonations soul à sa prestation. À chaque pas de l’artiste vers son saxophone, la foule s’exclamait et applaudissait. Tout au long du spectacle, Masego a terminé ses titres avec quelques notes de son synthétiseur, non sans rappeler les finales du producteur hip-hop, Mike Dean. 
Durant ses morceaux, l’artiste américain se déhanchait tel Michael Jackson, effectuant même le moonwalk à un certain moment. À mi-chemin du spectacle, Masego a brandi le drapeau de son pays d’origine, la Jamaïque, et a livré deux titres aux intonations de reggae, au grand plaisir de la foule. Vocalement, le beatmaker a livré une prestation quasi identique à ses enregistrements. Pour conclure, il a offert son titre le plus populaire, Tadow. Malgré la courte durée du spectacle, les fans de l’artiste se sont régalés.

Dee Dee et Bill, savoureux comfort food

par Alain Brunet

Le Great American Songbook n’a pas de secret pour la chanteuse Dee Dee Bridgewater et le pianiste Bill Charlap, vieux routiers du jazz consensuel. L’immense bagage de ces performers les mènent tout droit au panthéon des maîtres du genre.

Lundi au Monument National, cette parfaite journée d’été était coiffée par de suaves interprétations de grands classiques du jazz: Duke Ellington, Fats Waller, Cole Porter, George Gershwin… Caravan, Mood Indigo, Lush Life, Honeysuckle Rose, Love for Sale, S Wonderful, The Man I Love, nomme-la je l’ai.

Le pianiste au service de la chanteuse, la chanteuse au service du pianiste, voilà un duo équitable à la perfection, deux artistes de même niveau, deux interprètes et improvisateurs d’une très grande maîtrise, aptes à transcender les standards en y conférant leurs propres variations, leurs ornements, leurs prolongements improvisés, leur passion ou leur humour débridé.

Bref, ces plats connus sont finement cuisinés, divertissement de grande classe.

Hubert Lenoir 101

par Alain Brunet

Pour tout vous dire, Hubert Lenoir me les cassait, et j’étais loin d’être le seul à ne pas le supporter. Sa voix de vilain petit canard et ses tubes diffusés ad nauseam sur la bande FM, sorte de bouillie réchauffée de glam rock et de jazz bancal, tout ça était pour moi un authentique turn-off. Mes jeunes collègues avaient beau le porter aux nues, rien n’y faisait. Ses sparages n’étaient qu’une série d’agacements artistiques, bien que l’assomption de son queerisme fusse réjouissant.

Puis… vint La nuit se plaindre, une collaboration avec Robert Robert, cette création mâtinée d’électro a amorcé chez moi un total changement de perception. Vint ensuite Picture de Ipse: musique directe, 2e album studio d’Hubert Lenoir et… wow.

Le vilain petit canard s’était transformé en cygne. Cet album excellent, très original, hautement créatif, est mon album keb préféré de la dernière année. L’usage des références, les concepts studio, les brillantes transgressions stylistiques, enfin bref un des meilleurs opus avant-pop produits en Amérique francophone ces dernières années.

Je viens de compléter mon cours de Hubert Lenoir 101. À l’instar de ses fans et de ses supporters médiatiques, je me joins au consensus: en plus d’être un auteur-compositeur et beatmaker très inspiré, Hubert Lenoir s’avère un showman hors du commun, un naturel de la scène comme on en trouve peu en Amérique francophone. Tant en version pop déjantée (aux Francos il y a deux semaines) qu’en version crooner queer (dimanche au Gesù) il affirme un grand talent de performer.

En formule trio, soit aux côtés du pianiste Gabriel Desjardins et du saxophoniste et beatmaker Félix Petit, il a pu entrelarder les versions intimistes de ses succès de classiques My Funny Valentine (Rogers & Hartz) en duo, This Girls In Love With You (Burt Bacharach), Si on s’y mettait (Jean-Pierre Ferland). Ces versions quasi acoustiques on produit l’effet escompté, inutile de l’ajouter.

Tiré à quatre épingles, il s’est montré capable de faire rimer élégance et irrévérence, il s’est montré tout simplement fumant dimanche au Gesù… smoking oblige !

Ravis par Coltrane, subjugués par Holanda

par Frédéric Cardin

Un concert envoûtant, divisé en deux temps aussi contrastés que complémentaires, mais unifiés par un même sens de la transcendance musicale. Voilà ce à quoi nous ont conviés d’abord Hamilton de Holanda, véritable Paganini/McLaughlin du bandolim, petite mandoline pas plus grosse qu’un banjo, mais dont les possibilités coloristes et dynamiques semblent infinies dans les mains de cet artiste brésilien d’exception. Poète de cet instrument, aussi bien que pilote effréné, Holanda nous a proposé une cinquantaine de minutes de bonheur et de montagnes russes musicales avec son seul outil, en plein milieu de la scène chaleureusement éclairée de la Maison symphonique.

Ce chef-d’œuvre acoustique était l’écrin parfait pour rendre intelligibles toutes les notes, même 50 à la seconde, déversées par ce virtuose surnaturel. Virtuosité improbable, certes, mais entièrement dédiée à une expressivité concentrée, directe et accueillie insatiablement par un public conquis. À l’image du grand Villa-Lobos, Holanda a fait du genre traditionnel du Brésil, le choro, son véhicule préféré. En y mélangeant, tout comme Villa-Lobos aussi, des éléments de musique savante (Bach, ainsi qu’un de ses propres 24 Caprices, inspirés de Paganini), de musique populaire et de jazz très personnel, il en a fait un langage unique de notre époque. 

Ravis par Ravi

Beau contraste qui nous a préparé à l’arrivée du quintette attendu de la soirée, celui de Ravi Coltrane, avec ses compagnons David Gilmore à la guitare, Gadi Lehavi au piano et à l’orgue, Dezron Douglas à la contrebasse et Élé Howell la batterie. Le principe était celui d’un hommage à la musique ‘’cosmique, mystique, spirituelle’’ de ses parents John et Alice. On est d’abord un peu surpris de la pudeur de ce que l’on voit sur la scène, compte tenu des extravagances instrumentales utilisées par maman Alice. Il faut dire que l’hommage a été majoritairement offert à John. Déjà, dès la première pièce, le ton est donné : nous sommes dans un espace sonore qui emplit la salle, qui la cajole et s’y love comme en symbiose. On était presque dans Debussy symphonique. 

Le voyage astral prend de l’ampleur et s’épanouit, doucement, inexorablement, jusqu’à saturation des textures, mais sans jamais perdre un sentiment de plénitude bienveillante. On imagine une immense nébuleuse, somptueusement teintée de couleurs chaudes, s’étendre devant l’œil captif du télescope Hubble. Nous sommes aux premières loges. On est quelque part entre Ballads et Interstellar, deux absolus (et très différents) chefs-d’œuvre du grand John. Encore une fois, la Maison symphonique s’avère un vaisseau parfait pour cette richissime expressivité sonore. Cela dit, le résultat final est un hommage assez poli en fin de compte. Ce n’est que lors de la dernière escapade qu’on a retrouvé la ferveur pleine de fulgurance qu’on pouvait associer, également, à la musique ‘’cosmique- spirituelle’’ de Coltrane père et mère. Poli, l’hommage? Peut-être. Mais on a été totalement ravis quand même.

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