Bran Van 3000 à la Place des Festivals : Montréal rassemblé et rassembleur

par Frédéric Cardin

C’était une soirée retrouvailles hier soir sur la Place des Festivals. Un hommage à 25 ans de jeunesse pour l’album qui a marqué toute une génération : Glee de Bran Van 3000. James (Di Salvio) était là, Sara (Johnston) aussi, puis plusieurs autres. Presque tous. On a entendu les meilleures, mais pas toutes, puisque l’hommage a en fait été distillé à part presque égales avec Discosis, l’autre album culte du band montréalais. Sur scène. Ça dansait, ça groovait, ça chantait, ça souriait. Le groupe, à l’image de Montréal, mélangeant français (pas chanté) et anglais, styles musicaux allant du dancefloor au rock en passant par le reggae, le hip-hop, la soul vintage et l’électro dans une communion syncrétique qui rappelle le métissage de cette foule multi-inter-culturelle savoureuse à voir. Toutes les tonalités de couleur de peau, toutes les générations, peu importe la lettre de l’alphabet, probablement les confessions aussi, les langues et les orientations sentimentales, tout Montréal y était et célébrait le simple fait d’avoir une identité commune aussi rassembleuse. Ma blonde m’a dit « Des fois, c’est faux » en parlant des voix. Elle a l’oreille classique, voyez-vous. Moi aussi d’ailleurs. Et je ne peux nier qu’elle a raison. Astounded sans Curtis Mayfield comme sur Discosis, eh bien, c’est pas aussi pareil. Ben non. Pis la pop, en général, c’est comme ça. Faut pas s’attendre à l’impeccabilité d’autres styles plus savants comme le classique et le jazz (on est pourtant à la grand-messe mondiale de ce genre!). Mais il faut faire fi de certaines notions, tout à fait légitimes par ailleurs, et se laisser entraîner par le sentiment de plénitude collective que crée ce groupe, devenu culte par la force des choses, et par son énergie communicatrice.

Clay & Friends, triomphe du chocolat blanc

par Alain Brunet

Des dizaines de milliers de fans et badauds ont pu en témoigner jeudi soir, Place des Festivals, Clay and Friends est l’incarnation même des références musicales intégrées par les vingtenaires québécois francos.

Vincent Roberge, alias Les Louanges, avait ouvert le bal il y a quelques albums de cela; l’intégration de la culture afro-américaine récente à la culture chansonnière québécoise fait désormais partie de la nouvelle normalité. Mike Clay et ses amis ont désormais acquis le statut de vedettes populaires en franglophonie d’Amérique.

Enfin, on peut cesser de soupirer devant l’omniprésence de l’americana et de la chanson rock chez les francos qui passent leur vie sur ce continent. Ce retard chronique a été comblé, passons à un autre sujet et revenons brièvement sur la prestation consensuelle de Mike Clay, ses collègues et invités spéciaux.

Depuis quelques années, on a observé un changement radical au sein des publics d’ici avec l’intégration populaire de la soul, du R&B, du funk, du hip-hop, d’un zeste de jazz mais aussi d’un lien solide avec la chanson keb de qualité, et même une ouverture disco-funk à la musica popular brasileira de TomJobim et Vinicius De Moraes, revisitée par feu Pierre Barouh (Agua de Beber – Ce n’est que de l’eau), Louis-Jean « 360 » Cormier à l’appui.

Les tubes s’intitulement Bouge ton thang, Chocolat, Lovely Day (avec Comment Debord), Cardin, Sweat and Smokes (autre bossa nova kebericana) , Que onda, cheese, Going Up the Coast et plus encore.

Le chocolat blanc de Verdun est en vogue, sa musica popular est bel et bien implantée pour de bon. Réjouissons-nous.

DOMi & JD Beck : fraîcheur absolue!

par Alain Brunet

Née à Metz, Domitille Degalle, 22 ans, a commencé à jouer du piano et de la batterie dès la petite enfance. Diplômée du Conservatoire de Nancy, elle s’est déplacée brièvement au Conservatoire de Paris, puis traversa l’Atlantique afin de faire ses études au Berklee College of Music.

Elle devint DOMi et mit en ligne ses propres vidéos sur les réseaux sociaux, ce qui lui valut l’attention de plusieurs musiciens de jazz et de hip-hop de premier plan, tels Anderson .Paak, Louis Cole et Thundercat.

JD Beck est né à Dallas, Texas, 19 ans. Il a commencé à jouer de la batterie à l’âge de 10 ans, notamment avec le groupe d’Erykah Badu, ainsi qu’avec le bassiste MonoNeo. À 14 ans, il fut pris en charge par Robert « Sput » Searight (Snarky Puppy , Ghost-Note).

DOMi et JD Beck se sont connus lors du spectacle Namm 2018. Les deux ados ont commencé illico à se produire en duo. Très rapidement, ils ont créé un buzz dans la communauté jazz-groove. La bonne nouvelle s’est répandue à la vitesse grand V avec la sortie de Take A Chance, une chanson mettant en vedette Anderson.Paak.

Voilà pourquoi le Club Soda était plein mercredi dernier. Deux jeunes prodiges dans le vent, deux vedettes instantanées du jazz groove, pour les meilleures raisons. Le concept d’un duo électro-jazz-groove est brillant, la jeunesse et la fraîcheur de ces musiciens éduqués et extrêmement doués ne peut que réjouir les jazzophiles.

Terri Lyne Carrington : qu’est-ce que ça prend pour attirer les jazzophiles?

par Alain Brunet
Terri Lyne Carrington n’a pas le pouvoir attractif des batteurs vedettes de sexe masculin. C’est le froid constat à faire au terme de trois concerts présentés par la virtuose dans un Gesù peu garni. Niet, pas de buzz pour cette musicienne de très grand talent et de très grande expérience, ayant tourné et enregistré dans les formations de Herbie Hancock, Wayne Shorter, Carlos Santana, Al Jarreau et Stan Getz, pour ne nommer que ceux-là. Pas de buzz à l’endroit de la première batteuse ayant atteint un tel niveau de virtuosité, de surcroît directrice artistique et fondatrice du Berklee Institute of Jazz and Gender Justice. Féministe opiniâtre en plus d’être une percussionniste surdouée, une authentique pionnière dans le jazz. Qu’est-ce que ça prend de plus pour attirer les jazzophiles? Ses duos avec la déclamatrice électroacousticienne Moor Mother et le pianiste Aaron Parks étaient pourtant bien ficelés, tout comme sa conclusion de mercredi en quintette. Carrington y creusait le legs de Charlie Parker, génie du be-bop, extirpant des thèmes mélodiques, riffs, fragments de solos, pour ensuite reconstruire le tout dans un contexte contemporain. L’exécution était solide, mais encore peu incarnée puisque c’était la première fois que l’ensemble de cette matière était jouée en quintette. Autour de la batteuse, une trompettiste, un saxophoniste, une contrebassiste, ainsi qu’une pianiste et pas n’importe laquelle : transplantée à New York depuis quelques années, la Canadienne Kris Davis brille sur les scènes du jazz et de la musique contemporaine impliquant l’improvisation. Musicienne plus qu’excellente, Kris Davis a offert mercredi une superbe performance. Qu’est-ce que ça prend de plus, donc, pour remplir une salle de la taille du Gesù? Sauf exception, soit des réputations construites au fil des décennies précédentes, le jazz plus sérieux présenté au FIJM n’attire plus grand monde. Le FIJM a même entrepris d’offrir des concerts gratuits en salle, pour sa programmation jazz plus sérieuse. Intéressant… le jazz « jazz » serait-il en train de devenir un produit d’appel, dans les grandes manifestations où il est inscrit? Sa tribune a été remplacée et la réduction progressive de sa place dans un tel happening musical en accélère le vieillissement. Encore plus étrangement, le jazz contemporain des dernières décennies voit son public prendre de l’âge, quasiment plus que celui de la musique classique, qui trouve davantage de nouveaux adeptes. Qu’est-ce que ça prend donc? Un autre contexte. Un contexte où les grandes musiques de tous genres, musiques plus conceptuelles ou formes plus classiques, convergent au plus grand plaisir des mélomanes. Qui offre ce contexte désormais, pour ce type de jazz ?

EDDY : un univers musical éclectique

par Jacob Langlois-Pelletier

Connue auparavant sous le nom de Soul Secret Agency, la formation montréalaise EDDY a transporté la foule du FIJM dans son univers musical atypique.

Formé d’Abigail Galwey au chant et de Danny Trudeau à la basse, EDDY était accompagné d’un batteur, d’un guitariste et d’un claviériste. Tout au long du concert, la formation a navigué entre le jazz, la soul, le punk et l’électro. À mi-chemin, il était même possible d’entendre certains arrangements musicaux influencés par le populaire groupe britannique Radiohead. À un certain moment, le claviériste a effectué un solo, aux grands plaisirs des amateurs présents.

Bien évidemment, le groupe a chanté Room in a Bubble et Can’t Shake This Feeling, leurs deux seules titres disponibles à ce jour. Aussi, la formation montréalaise a chanté de nombreux titres inédits issus de leur prochain album. Sous étiquette Ensoul Records, celui-ci paraîtra le 9 septembre prochain. La chanteuse a offert une performance vocale impeccable et rythmée; Abigail Galwey se laissait emporter par les mélodies et dansait aux rythmes de celles-ci.  Les nombreux refrains accrocheurs d’EDDY ont fait danser la foule, et ce, malgré l’averse. En anglais, « eddy »signifie « tourbillon », et la formation montréalaise en est un : un tourbillon de genres musicaux.

Stacey Ryan : la recrue du FIJM impressionne

par Jacob Langlois-Pelletier

Âgée de seulement 21 ans, la Montréalaise Stacey Ryan a fait une bonne première impression mardi soir au FIJM.

La chanteuse et multi-instrumentiste a débuté avec son titre Fall in Love Alone. Malgré la pluie, une foule considérable était présente devant la scène TD. La jeune artiste démontrait une aisance déconcertante sur scène. À maintes reprises, Stacey Ryan interagissait avec le public, invitant les gens à chanter et danser. Tout au long de son concert, la jeune femme était accompagnée d’un batteur, un bassiste, un guitariste et un claviériste. Stacey, quant à elle, était entourée de son piano et de sa guitare.

Victime de son succès rapide et de sa discographie peu nantie, elle a chanté des titres inédits et quelques reprises de succès du passé. Elle a réalisé une interprétation douce et sans anicroche du succès American Boy d’Estelle. Stacey Ryan a conclu son spectacle avec une version inédite de son titre Don’t Text Me When You’re Drunk. L’introduction de la chanson était douce et nettement plus lente qu’à l’habitude. D’ailleurs, la chanteuse a gagné en popularité grâce à la publication de cette composition sur le réseau social Tik Tok. Il sera intéressant de suivre la progression de la jeune artiste lors des prochaines années. Prêt à parier que cette participation au FIJM ne sera pas sa dernière!

Takuya Kuroda : soleil brûlant au Festival

par Frédéric Cardin

Takuya Kuroda est trompettiste et on l’a connu principalement pour son unique album chez Blue Note, Rising Son (il en a d’autres ailleurs), et aussi pour ses collaborations avec José James (un pote d’école de jazz). Arrivé à Brooklyn au début des années 2000, le Japonais a rapidement trouvé ses repères dans un jazz mâtiné de musiques black modernes. Rythmes hip-hop et drum & bass bien musclés, fulgurances des horns (sa trompette et le ténor de son complice Craig Hill) dans des phrasés souvent courts et incisifs, genre motifs afro-beat ou chorus de cuivres funk, basse bondissante, batterie puissante, on s’y retrouve en pleine urbanité contemporaine, épanouie et affirmative. Kuroda s’échappe parfois dans des monologues néo-bop très libérés mais bien ancrés dans ce soutien groove omniprésent. Surtout, son jeu vire à l’incandescence et éblouit la foule dans une lumière crue mais stimulante. L’ajout des claviers parfois cosmiques genre science-fiction années 50 du camarade Takahiro Izumikawa (excellent pianiste par ailleurs) apporte un élément de surprise et même de légèreté à cette trame sonore ultra-actuelle, mais pas déconnectée d’un bagage culturel pop plutôt sympathique. L’artiste nous a même donné un avant-goût de son prochain album, qui devrait sortir cet automne. Aucun doute, ça promet!

Les Django Festival All-Stars : une soirée au « hot club » du Gésù

par Frédéric Cardin

Certains mélomanes ont tendance à se rendre à reculons à un concert de musique manouche, comme vous le savez peut-être. Pas qu’ils n’aiment pas le style ni ne reconnaissent la qualité des musiciens de renom qui s’y adonnent. Ça relève plutôt de la mode « manouche partout » d’il y a 15-20 ans et de la surenchère des standards du genre, pas toujours joués dans les meilleures conditions, et des adaptations de chansons populaires qui ont tourné jusqu’à plus soif sur certaines ondes (Ai-je besoin de rappeler le groupe qui commençait par « Lost » et finissait par « Fingers »? Bien charmant au début, mais étiré jusqu’à la mort cérébrale par la suite).

Bref, les auspices d’un concert intitulé Django Festival All-Stars n’étaient pas avantageux d’un point de vue blasé. Mais heureusement, le quintette présent au Gésù le 7 juillet est d’un autre acabit. Toutes des compos originales provenant de l’album Attitude manouche, à l’exception d’un seul « standard » (The Sheik of Araby), les Django Festival All-Stars ont lancé la soirée avec Attitude manouche (la pièce-titre), une intro qui montre toute la vélocité, la virtuosité et la précision technique des cinq mecs sympathiques. Ça s’est poursuivi comme ça pendant une plus que généreuse heure et demie, avec quelques moments de repos ici et là, des interventions amusantes des musiciens et des taquineries entre eux (ils ont de toute évidence une intimité amicale très forte). La soirée s’est terminée avec la foule nombreuse et debout, intimant avec les mains le rythme endiablé d’une pièce finale parfaitement conçue pour faire cet effet.

Les pièces, toutes composées par l’un des membres du groupe, soit Ludovic Beier (remarquable accordéoniste), Samson Schmitt (épatant guitariste, fils de Dorado et petit-cousin de Tchavolo) et Pierre Blanchard (violoniste virtuose des doigts duquel sortent autant des torrents de notes que d’inflexions raffinées de musique classique) ont ceci de magnifique qu’elles exhibent tous les codes, les réflexes et les caractéristiques fondamentales du style, sans en faire des pastiches lassants. Voici une musique rendue vivante, jamais figée dans une mémoire lénifiante. Un seul bémol cependant, mais aucunement de la responsabilité du groupe : le guitariste rythmique habituel, DouDou Cuillerier, malade, a dû être remplacé à la toute dernière minute par un Américain venu de Baltimore, Michael Harris. Le type est assurément compétent, mais il pouvait difficilement s’aventurer dans des éclats personnels qui auraient coloré les compositions originales étant donné qu’il n’en connaissait la nature ni d’Ève ni d’Adam. Voilà pourquoi on lui a laissé The Sheik of Araby pour s’épivarder un peu. Notons aussi la pétulance communicatrice d’Antonio Licusati à la contrebasse.

CRi au FIJM : la Place des Festivals devient le plus gros plancher de danse à MTL

par Jacob Langlois-Pelletier

CRi a transformé la Place des Festivals en une immense boîte de nuit, mercredi soir.

Détrompez-vous : DJ Tiësto n’était pas en ville hier soir, c’était bel et bien une étoile de la musique électronique montréalaise qui y brillait. Des milliers d’amateurs d’électro, de pop, de house et d’indietronica se sont amassés devant la scène principale pour danser sur les compositions de l’artiste québécois. 

« J’espère que vous êtes bien chaussés, car ça va danser en p’tit péché ce soir! », a-t-il lancé avant de balancer les premières notes de son titre Lonely Romance. À l’aide de ses claviers et de sa console, Christophe Dubé, alias CRi, s’est amusé à construire ses mélodies en temps réel. La révélation de l’année au Gala de l’ADISQ 2021 a offert un set infusé de synthés, spécialement concocté pour l’occasion. À mi-chemin, CRi a carrément qualifié cette soirée  d’« historique pour la musique électronique québécoise ».
Ses amis Robert Robert, Jean-Michel Blais, Jesse Mac Cormack et Sophia Bel l’ont rejoint sur scène. À la fin de Never Really Get There, Mac Cormack est venu assister le DJ au clavier, insufflant une intensité supplémentaire à sa musique. À l’arrivée de Jean-Michel Blais et de son piano à queue, la foule s’est faite bruyante, visiblement prise par surprise par la venue du pianiste et compositeur néoclassique. Le spectacle s’est conclu avec Me and My Friends, une collaboration entre CRi et les quatre invités de la soirée. Sous étiquette Anjunadeep depuis 2020, CRi est promis à un avenir radieux, tant sur la scène électronique montréalaise qu’à l’international.

Robert Glasper, Prix Miles-Davis, de l’illumination à la paresse

par Alain Brunet

Robert Glasper vient de remporter le Prix Miles-Davis du Festival international de jazz de Montréal. On ne peut présumer d’une exécution devant public mais… force est de constater que le concert présenté mercredi du Théâtre Maisonneuve était loin d’être à la hauteur du plus grand honneur du FIJM réservé aux plus grands praticiens du jazz. Les cendres de Miles ont-elles frémi dans leur amphore ?

Avec DJ, bassiste et batteur (merci Chris Dave), le célébrissime multi-claviériste offrait mercredi le versant soul-funk-fusion de son art. On y allait de bonne foi, après avoir absorbé le troisième chapitre d’un projet en continu, Black Radio. Le concept se résume par une rencontre entre musiques populaires afro-américaines et jazz. On y observe des collaborations de Q-Tip, Killer Mike, Esperanza Spalding, India.Arie, Ty Dolla $ign, Lalah Hathaway, Meshell Ndegeocello, d’autres moins connues… Jusque-là, tout va bien. Le nouvel album est cool quoique… les musiciens de jazz qui font dans le hip hop s’en tiennent souvent à des formes prédigérées de culture populaire et y injectent des suppléments rythmiques et harmoniques propices à des improvisations de plus haut niveau. C’est dire que Black Radio III me semble un tantinet empoussiéré mais bon, la matière est assez intéressante pour une relecture vivifiante devant public.

Or, sur scène, tout ce travail studio est plus ou moins remplacé par… pas grand-chose. Une intro insignifiante de hits soul enchaînés par un DJ peu créatif, puis un jam informe, longuet, sans intérêt aucun. À l’évidence, Robert Glasper n’avait rien préparé. Il nous a servi une performance paresseuse, oisive, cabotine, assortie de quelques soubresauts de virtuosité pour épater la galerie comme il se doit. La jazzification de Smells Like Teen Spirit (Nirvana) ou de In The Air Tonight (Phil Collins) n’avait strictement rien d’excitant, d’autant plus que le claviériste est un piètre chanteur qui devrait s’en tenir aux ivoires de ses claviers électroniques. Plutôt que de procéder à une relecture concluante de son nouvel album, donc, il a erré, entraînant ses collègues dans cette errance.

C’est dommage, car on l’a considéré comme un game changer il y a une quinzaine d’années, pour sa dextérité phénoménale et ses riffs inédits au clavier, très inspirés des formes récentes de musique black , ce qui le mène aujourd’hui à jouir d’une immense coolitude et même l’obtention d’un Prix Miles-Davis dans le cas qui occupe Montréal. Or, force est de constater que Robert Glasper n’est plus le visionnaire, le game changer qu’il fut d’entrée de jeu. Le virtuose se tient pour acquis et tient son public pour acquis.

À court terme, remarquez, ses fans n’y voient que du feu. Personne ne l’a hué au Théâtre Maisonneuve, bien au contraire. On peut comprendre, Robert Glasper est perçu comme le Herbie Hancock de sa génération – sans vouloir faire dans la comparaison directe. Il est immensément respecté des mélomanes, jeunes et moins jeunes s’intéressant à la soul/R&B de qualité, au hip-hop champ gauche et au jazz groove. Oui, sa contribution innovante au jeu du clavier fut considérable au milieu des années 2000. Depuis lors, il a atteint un plateau conceptuel et, aujourd’hui, il surfe visiblement sur ses acquis. Arrive la pente descendante…

Souhaitons-lui d’en prendre conscience avant que statut de has been ne lui soit collé au front. Ça pourrait se produire plus vite qu’il ne semble le croire.

Christian Scott aTunde Adjuah, sur les routes d’Afrique et d’Amérique

par Alain Brunet

Christian Scott aTunde Adjuah est un invité récurrent du volet jazz au FIJM. Mardi soir au Monument National, il se produisait devant une salle bien garnie pour y résumer ses deux dernières années de travail trans-pandémiques. Que nous réservait-il cette fois?

Le musicien de 39 ans se produisait en quintette : Lawrence Fields, (Fender Rhodes et Korg Kronos), Ele Howell (batterie), Elena Pinderhughes (flûte traversière), Luques Curtis (contrebasse), lui même aux trompettes modifiées (à la manière des cornets de feu Dizzy Gillespie), sans compter un instrument à cordes pincées de sa conception, inspiré d’instruments traditionnels d’Afrique de l’Ouest tel le n‘goni ou la kora.

Les premier moments de ce concert d’environ une heure et demie ont été consacrés à cet instrument fraîchement sorti de l’atelier, qu’il utilise à la manière des griots tout en chantant (pas toujours juste). La quête de Christian Scott aTunde Adjuah est multiple : jazz contemporain, jazz antillais ou créole, réappropriation des racines ancestrales africaines, sans compter la promotion de son identité afro-autochtone que l’on peut observer dans sa Louisiane natale depuis plusieurs générations.

On a déjà loué l’immense talent d’Elena Pinderhughes, 27 ans, certes la plus brillante flûtiste de jazz (connue) de sa génération., on a une fois de plus observé la qualité du groove, du son et du phrasé. On a aussi remarqué une deuxième fois cette semaine le niveau exceptionnel d’Ele Howell, qui a brillé aux côtés de Ravi Coltrane à la Maison symphonique. Il va sans dire, Christian Scott aTunde Adjuah est un crack de la trompette, sa recherche texturale le mène également à l’usage circonspect de pédale d’effets.

Ce concert était aussi marqué par les premières explorations jazz-rock ou jazz-funk de Miles Davis à la fin des années 60. De manière générale, les compositions étaient des tremplins destinés aux expressions individuelles et au groove. On aura aussi apprécié les thèmes pour flûte et trompette exécutés à l’unisson.

On connaissait déjà toutes ces facettes du leader, interprète de haute intensité qui pêche parfois par d’interminables présentations, beaucoup trop longues pour un set de festival qui ne peut dépasser 90 minutes. Le prolixe musicien est néanmoins prolifique et créatif, entouré d’interprètes et improvisateurs top niveau.Très clairement Christian Scott aTunde Adjuah pouvait compter sur un ensemble bien soudé et capable de haute voltige, sans nous en apprendre beaucoup sur ses avancées formelles.

Woodkid, l’immersion faite homme

par Alain Brunet

Woodkid, alias Yoann Lemoine, est un artiste de l’immersion : auteur, compositeur, vidéaste, artiste visuel, on en passe. Sa multidisciplinarité est la condition essentielle de son succès. S’il n’était que musicien, jamais ses chansons et arrangements n’auraient l’impact obtenu depuis une décennie. On a pu vérifier de nouveau ce culte pop mardi au Mtelus, soit dans une salle pleine d’êtres humains subjugués par la proposition de l’artiste français s’exprimant en anglais. Il devrait en être de même un deuxième soir consécutif.

Woodkid a très bon goût. Sa scénographie est impeccable, comme elle le fut lors de ses précédents passages. Il sait choisir des éléments visuels de grande qualité et créer un espace immersif dans lequel ses fans sautent à pieds joints. Les accompagnateurs sont alignés de gauche à droite devant l’auditoire : percussions, trio de cordes, clarinette basse, trombone, claviers et machines. Au-dessus de la rangée d’instrumentistes, une passerelle traverse la scène, le chanteur s’y exprime et change parfois de palier. Derrière le tout, des images HD de grande qualité ornent chacune des chansons, surtout tirées de l’album S16 paru en 2016, mais aussi tirées d’enregistrements précédents.

Musicalement, Woodkid construit des chansons sur une instrumentation hybride : pop, électro, chant choral, musique de chambre. Les références sont connues de quiconque. Cet amalgame d’évidences est séduisant parce que consonant, mélodique, plutôt simple de manière générale, mais assez chargé et finement emballé  pour épater la galerie.  

On ne peut néanmoins isoler cette proposition musicale du reste; ce qu’offre Woodkid est  spectacle complet, sorte de trame sonore normalement destinée au cinéma ou à la télé, mais cette fois au service d’une immersion audiovisuelle devant public. Et ça marche pas à peu prés.

Clichés bon chic bon genre? Certainement mais…. À sa décharge, Yoann Lemoine a su identifier ce qui fonctionne vraiment dans une chanson pop et y enrober ces évidences mélodico-harmoniques d’un vernis attractif et actuel, juste assez visionnaire pour conquérir un public désireux de s’élever au-dessus de la pop de masse. Son image, son propos, sa vision du monde, sa quête personnelle n’ont rien de profondément singulier. Tout ça constitue un miroir dans lequel se mirent des adultes de sa génération (25-40 ans, surtout) et peuvent y voir le prolongement esthétique de leur existence.  

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