MUTEK 2023 | Nocturne 4 : SUFYVN, Deadbeats present Ark Welders Guild, Honeydrip, µ-Ziq & ID :Mora, dBridge

par Laurent Bellemare

L’équipe de PAN M 360 vous offre une couverture exhaustive de MUTEK Montréal 2023. Voilà une sélection des meilleurs sets présentés samedi soir à la SAT, dans le cadre de la série Nocturne.

Crédits photos : Vivien Gaumand

SUFYVN

Dès son entrée sur scène, SUFYVN a installé une ambiance de club dans la salle, avec une musique électronique puissante et accrocheuse. Ce style s’est toutefois nuancé dès le second morceau, plongeant plutôt l’auditoire dans un langage IDM équilibrant bien les sonorités familières avec un traitement varié du rythme et du timbre. Il est dit que l’artiste s’inspire de sonorités et de rythmes soudanais, ce qui n’est pas immédiatement accessible comme référence pour la majorité des auditeurs. Quoi qu’il en soit, SUFYVN produisait sans équivoque une musique pour faire danser. La performance parcourait une variété de tempi, alourdissant ou précipitant l’énergie du parterre aux moments opportuns. Les projections de Kaminska faisaient défiler des formes ondulées dans des teintes multicolores. Si ces formes étaient apparemment puisées dans les graphiques économiques, leur résultat produisait une esthétique psychédélique bien connue dans le milieu de la musique électronique. Une performance variée, quoiqu’un peu générique, qui fonctionnait bien comme avant-goût, à une heure où le public entrait toujours au compte-goutte.

Deadbeats present Ark Welders Guild

Ark Welders Guild, c’est le nom d’une collaboration entre le producteur canadien Scott Monteith (Deadbeats) et la chanteuse italienne Leitizia Trussi. Avec ce duo, c’est une ambiance plus sombre qui se développait. Les pièces lourdes et planantes avaient notamment des échos de trip-hop par leur tempi plus lents. La voix noyée dans la réverbération y était également pour beaucoup, tout à fait dans le style. Le registre grave était très chargé, faisant onduler des basses qui supplantaient souvent les autres éléments du mix. Le reste du spectre harmonique était flottant, suffisamment libre pour y ajouter toute sorte d’interventions sonores. Des moments plus agressifs contrastaient l’occasion avec cette direction musicale. Par ailleurs, un mélange de sépia et de noir prédominait sur le plan visuel. Des images granuleuses de paysages désertiques ont graduellement laissé place à des formes sphériques évoquant une cartographie céleste imaginaire, puis à des alvéoles de matière spongieuse. Ces éléments s’arrimaient plutôt bien avec la nostalgie générale se dégageant de la musique.

Honeydrip

Artiste très attendue de la soirée, la Montréalaise Honeydrip s’est emparée de la scène avec son Bass/Dub énergique. Dans cette musique, la mélodie et l’harmonie ne font plus partie des paramètres. Plutôt, on a affaire à des boucles rythmiques aux subdivisions de « hi-hat » bien marquées et aux basses fréquences grondantes. L’élément le plus distinctif de cette performance était la participation du chanteur reggae King Shadrock. Cette collaboration ajoutait un élément performatif supplémentaire, en plus de créer une esthétique originale. La performance présentait le matériel d’un album au titre très approprié de Psychotropical. Dépourvu de ses accords de guitares et de son accentuation des contretemps, le reggae était ici recontextualisé dans une musique électronique inharmonique et aux downbeats bien lourds. Le tout était accompagné d’un visuel constitué d’archives vidéos filtrées de diverses façons, voulu comme une représentation de l’expérience vécue sous les drogues psychotropes. Signée par Emma Forgues, cette conception visuelle complémentait bien la présence scénique et les costumes des artistes.

µ-Ziq & ID :Mora

Vétéran de la scène britannique µ-Ziq s’est imposé à une SAT bondée de monde avec une musique complètement déjantée. Davantage breakcore qu’IDM, la musique se développait à toute allure, laissant place à peu de répétition. Structures déconstruites et entrées fréquentes de rythmes typiquement drum’n’bass, la performance débutait avec un matériel somme toute assez harmonique, créant même un sentiment de légèreté chez l’auditoire. La partie centrale était, quant à elle, tout à fait atonale et chaotique. Sans jamais décroître en énergie, Muziq a fait évoluer sa trame en la tapissant de progressions majeures à l’effet planant vers la fin. On avait ainsi droit à un mélange intéressant de breakcore sur le plan rythmique et de trance sur le plan mélodique. Visuellement, le spectacle était tout aussi prenant. Les animations 3D de l’artiste tchèque ID:Mora étaient totalement loufoques, passant d’une pluie d’autobus scolaires à des pantins faisant de l’escrime. Les couleurs étaient vives, les personnages étaient enfantins et le traitement graphique rappelait des ébauches d’écrans de veille Windows 1995. Ces éléments visuels enjolivaient nettement l’expérience.

dBridge

Au petit matin, c’était finalement au tour de dBridge de s’emparer de la scène. Cependant, c’est toute la SAT qui vibrait au rythme des basses extrêmes de cet autre vétéran britannique. On pouvait sentir une catharsis générale dans la foule, qui prenait collectivement ces attaques fréquentielles de plein fouet. La musique de dBridge était physique, et mettait surtout en valeur le registre grave. Des percées de courts motifs mélodiques au clavier venaient parfois décorer la trame, à l’instar d’échantillons de voix variés qui intervenaient à d’autres moments. L’artiste livrait une performance entièrement analogue, synthétiseurs modulaires et pédales en guise de matériel. Il y avait dans sa musique une urgence menaçante. Les projections de Line Katcho, très minimalistes, complémentaient bien cette énergie. Un moment Mutek vécu par le corps tout entier.

MUTEK 2023 | Expérience 5: Sara Berts, Sheenah Ko, OBUXUM, ROSINA

par Théo Reinhardt

MUTEK Montréal 2023 et PAN M 360, voilà une combinaison qui tombe sous le sens ! Voilà pourquoi notre équipe s’y consacre cette semaine. Les férus de musiques électroniques de pointe et de création numérique se retrouvent cette semaine à Montréal, alors suivez la vibrante couverture de notre équipe , et ce jusqu’à dimanche!

Crédits photos : Bruno Aiello Destombes

Sara Berts

Sara Berts est une conceptrice de mondes parallèles. Je suis arrivé légèrement après le début de sa performance, et dès les premiers sons qui me parvenaient en sortant de la station Saint-Laurent, je me sentais doucement transporté ailleurs. 

La compositrice et artiste sonore italienne utilise des tons ronds, lisses, et d’autres qui claquent un peu comme un marimba, ainsi que des enregistrements de sons de vagues, de criquets et d’autres bruits nocturnes, le tout de manière très élémentaire. Du petit bonbon pour les oreilles, quoi. Souvent, alors que les mélodies basses se meuvent lentement, d’autres sons plus aigus tournent beaucoup plus vite: accords arpégés, petites bulles de savon synthétisées, cui-cui d’oiseaux électroniques… Les compositions font ressortir leurs couches, du souterrain au sol, du sol aux nuages, des nuages à l’atmosphère.

Se créent ainsi des espaces sonores qui ressemblent étrangement à des mondes vivants, riches et mûrs pour l’acte de contemplation. Des mondes calmes et étrangement sauvages, mais tout de même en harmonie. « Une conversation entre écosystèmes naturels et synthétiseurs », explique la page de l’artiste sur le site de MUTEK. 

C’est un son qui fait beaucoup penser aux saveurs électro tribales et déjantées que le groupe The Knife a avancées sur leur album Shaking the Habitual, mais en plus relax. Le même monde, peut-être, mais sur un autre continent, à une autre ère, sous d’autres cieux, avec d’autres créatures. Tout aussi enchanteur.

Sheenah Ko

« Je ne suis pas une DJ » dit Sheenah Ko avant de débuter sa performance 100% improvisée. « L’énergie que je vais recevoir de vous, je vais vous la renvoyer ». Un set spontané, donc. 

Le tout commence avec un loop de percussion lente et une basse bourdonnante. Rapidement, l’artiste assombrit le son, usant d’une gamme inhabituelle. Cela ne lui prend pas longtemps pour se mettre à chanter des semblants de paroles, avec beaucoup de réverbération. 

Après des changements progressifs d’effets, des jeux de polyrythmie, un alourdissement des coups de basse, une intensification des chants, nous sommes dans un territoire étrangement céleste. On se demande où la musicienne chinoise-irlandaise pourrait bien aller par la suite. Elle aussi, probablement. 

Les percussions sont ensuite enfouies, et l’allure générale ralentie, pour une nouvelle section. Nouveaux sons de percussion, énervés et métalliques, tempo accéléré, progression d’accords lumineux qui enflent comme des vagues, ajoutant une touche de clarté et d’espoir à l’atmosphère.

15 minutes plus tard, une basse vrombissante et un rythme club prennent le dessus, alors que des accords arpégés à intensité variable voguent au-dessus, leur timbre rappelant surtout les années 80, dont l’artiste utilise souvent l’esthétique dans ses œuvres. 

Le tout se termine sur une éclaircie musicale très cinématique, un zoom-out général au synthétiseur, suivi d’un mouvement panoramique vers le ciel… au synthétiseur aussi. Retour au vrai monde.

Une performance très fluide qui relève certainement d’une préparation rigoureuse de la part de Sheenah Ko, ainsi que d’une maîtrise impressionnante de son arsenal sonore. Surtout, un coup d’œil satisfaisant dans sa créativité atypique.

OBUXUM

Les sons d’OBUXUM sont variés. On passe de ce qui pourrait être un sample de hip-hop à des tambours et des bâtons, à de l’électro cyberpunk rétro, à un groove abstrait industriel, et à plein d’autres de ces sons qui ne semblent pas congrus du tout. Tout de même, et malgré les transitions abruptes, on sent une narrativité à l’expérience. On sent qu’une histoire se construit, que chaque petit morceau rentrera éventuellement dans l’ordre des autres. 

À travers les rythmes déroutants, les virages à 90 degrés, et le caractère généralement kaléidoscopique de son approche, OBUXUM effectue peut-être une œuvre anthologique, un ratissage un peu aléatoire de différentes ère de l’histoire musicale. Ce qu’elle présente est une mosaïque d’échantillons de créativité provenant des quatre coins du monde et de l’esprit, un grand exercice de variété, de bricolage sonore historique qu’une heure peut à peine contenir… ou quelque chose comme ça. On sent qu’une grande démarche se dissimule derrière, et il n’est pas difficile de l’apprécier.

ROSINA

On dit peut-être de ROSINA qu’iels ne sont pas des « people-pleasers ». Pourtant, observons leurs demandes: un monde où n’importe qui peut aimer la personne qui lui plaît, un monde où les gens ont leurs besoins de base comblés, un monde où on peut ressentir de la joie. Ces choses, elles, feraient bien plaisir aux gens, non?

Le trio ROSINA est dirigé par l’interprète de drag et artiste multidisciplinaire Franny Galore-Wngz et la poétesse, chanteuse et productrice ROSINA. Personnalités excentriques, les deux font semblant, pendant leur performance, d’être Anglaises. Ce n’est qu’un aperçu de l’espièglerie qui irradie de ces deux personnes.

Les membres de ROSINA aiment jouer leur musique lors du crépuscule. Rappel symbolique de leur mantra que rien ne dure pour toujours, que tout est éphémère, autant la joie que la souffrance. « We’re tired. We don’t want to be mad all the f****** time. », dit ROSINA (l’artiste). Face à l’adversité, ces mauvaises herbes qui poussent dans les craques de l’espoir décident de se tourner vers l’amour, vers les autres, d’embrasser la sensuelle bizarrerie de nos mondes extérieur et intérieur. Une reconquête du monde par une reconquête de soi qui, comme iels le disent, peut faire peur. Le tout dans une attitude assumée, affranchie, presque punk, l’esprit DIY à fond, sur un fond de musique dansante, agrémenté par des paroles affirmatives comme « I want to feel joy », et des mantras qui semblent provenir d’un train de conscience pur et inaltéré. Testée, pliée, tordue et grafignée par le monde, peut-être, cette conscience, mais honnête.

Peut-être pas la performance la plus cohérente, ou lisse, ou musicalement impressionnante, mais la force de ROSINA réside définitivement dans l’énergie. Un des meilleurs flux  d’énergie, qui prend sa source dans l’euphorie, la terreur, la montagne russe florissante de la queerness, et qui, en fin de compte, provoque un grand plaisir, et, sans doute, une grande libération à qui en aurait besoin.

MUTEK 2023 | Métropolis 1: .VRIL, E-Saggila, SYNC. (AtomTM & Peter Van Hoesen)

par Salima Bouaraour

Des jambes engourdies par la danse, des yeux plein d’étoiles et des cris de joie: Métropolis 1 a su déployer de l’amour à profusion! Cette première soirée MUTEK consacrée à la Techno fut étonnamment redoutable jusqu’aux premières lueurs du jour. La programmation, finement pensée, a offert au public une formule plus qu’efficace. Résultat : une foule électrisée par des rythmes binaires et fulgurants.

Crédits photos : Bruno Aiello Destombes

.VRIL

.VRIL s’est promené sur des phases break, house et des voix féminines entraînantes qui ont su amener en douceur un set percutant et progressif au kick puissant. Au milieu de la nuit, l’ambiance s’est enrichie de sonorités industrielles, froides et répétitives créant les conditions sine qua non à une expérience digne d’un club underground allemand.

E-Saggila

En utilisant des nappes énergiques, la Canadienne E-Saggila a relancé l’intensité de la soirée, placée sous haute tension. La compositrice a activé le détonateur avec une masse de beats lourds, ronds et massifs. Les basses venaient vous chercher au corps et au cœur. Entrecoupée avec délicatesse par des sons de synthé vaporeux, sa performance nous a plongé dans les abîmes cachées du festival.

SYNC. (AtomTM & Peter Van Hoesen)

Les tant attendus AtomTM & Peter Van Hoesen ont investi la scène avec une longue table de 3 mètres environ où s’entremêlaient un capharnaüm hybride de machines analogiques, de modulaires, de boîtes à rythme, de pédales d’effet, de contrôleurs et d’un CDJ… Bien que tous les sets furent d’une très grande qualité, il faut souligner que la performance hardware était remarquable. Après une introduction teintée de basse groovy, le duo s’est lâché dans un libre dialogue endiablé durant trois heures!

Dans une arborescence de techno pure, le Métropolis, bondé, s’est perdu avec générosité tout en sachant que la course folle de MUTEK se poursuivra de plus belle samedi et dimanche!

MUTEK 2023 | Nocturne 3 : upsammy & Jonathan Castro, Nick León, Halina Rice, Quan & DBY

par Alain Brunet

L’équipe de PAN M 360 vous offre une couverture exhaustive de MUTEK Montréal 2023. Voilà une sélection des meilleurs sets présentés vendredi soir à la SAT, dans le cadre de la série Nocturne.

Crédits photos : Nina Gibelin-Souchon

upsammy & Jonathan Castro

Posées sur des surfaces végétales, des formes cabalistiques sont projetées sur les écrans. Au milieu de tout ça, une femme, un homme. DJ, productrice et artiste multidisciplinaire, la Néerlandaise  upsammy (Thessa Torsing) aime illustrer les extrêmes: le confort, l’inconfort, la beauté harmonieuse, la désolation. Elle use de différentes couleurs pour peindre ses fresques sonores: voix traitées, rythmes et tempos variés, les sons de l’eau, les sons de la manipulation tactile, fragments mélodico-harmoniques, quelques poussées de beats fiévreux contrastants avec des séquences froides et arythmiques. On dit de cette approche illustrée dans l’espace par l’artiste péruvien Jonathan Castro Alejos, designer graphique de profession et artiste visuel de l’univers numérique, qu’elle serait de la techno expérimentale et de l’IDM. Peut-être… De notre côté, cette approche n’a pas de genre apparent a priori sauf l’usage de rythmes tirés de la techno minimale et de l’ambient cérébrale. On a plutôt ici un langage composite aux fondements électroacoustiques qui peuvent néanmoins accrocher le nuitard  avec quelques électrochocs qui peuvent le rendre agité.

Nick León

Le Floridien Nick León est féru des avancées latines en matière de musique électronique, particulièrement portoricaines et colombiennes. Un galbe psychédélique enveloppe les rythmes et en transforment l’identité originelle. Le psychédélisme et l’électronique, il faut le rappeler, font bon ménage depuis un demi-siècle,  nous en avons ici une version latine. Reggaeton, afrobeats, cumbia, krautrock et ambient se lient en direct. Juste assez groove pour un vendredi, juste assez nourrissant pour un set digne de MUTEK. D’une partenaire présente à ses côtés, des  projections top niveau appuient le tout, motifs de joaillerie en mouvement, scintillements, kaléidoscopes stylisés et plus encore. À l’écoute de ce set tout à fait concluant, on constate avec intérêt que le reggaeton a déjà généré des formes les plus raffinées. À l’évidence, Nick León et sa partenaire de scène font de belles choses.

Halina Rice

Suite d’harmonies et de fragments mélodiques au clavier,  musiques préenregistrées et modulées en direct. Techno cérébrale, électroacoustique, IDM. La Londonienne Halina Rice n’a pas le look de l’emploi, aucune extravagance vestimentaire sur scène, on la verrait fort bien animer un séminaire de doctorat. Les apparences sont trompeuses car Halina Rice crée une excellente musique technoïde,assortie d’une variété probante  d’arrangements consonants, d’une superbe sélection de sons industriels, de techno, de big beat, de chant choral au féminin, de hululements synthétiques non sans rappeler celui des  femmes arabes. Cette succession de climats contrastés, embrumés de glace sèche et de visuels conçus  par la principale intéressée, illustrent l’envergure conceptuelle,  l’intelligence et la sensibilité supérieures de cette femme qui, prédisons-le, marquera sa profession.

Quan & DBY

Au cœur de la nuit, un tandem montréalais de l’étiquette Chez.Kito.Kat fait dans la techno minimale, archi binaire pour les besoins évident du plancher de danse à l’heure qu’il est – de 2h à 3h. Les surimpressions sont relativement discrètes, absolument rien d’ostentatoire à ce programme déployé à la SAT: chuchotements variés, lignes rauques, ébullitions de microbasses et autres borborygmes de synthèse produisent un contrepoint sans l’emporter sur le beat. Plutôt que d’étaler toute la science qu’on leur connaît, breakbeat, deep house, acid, ambient, dub, bass music, dub, le tout produit par une impressionnante lutherie, notamment les synthétiseurs modulaires conçus pour les besoins de l’exercice, Quan et Dog Bless You (d’où l’acronyme D.B.Y., Samuel Ricciuti de son vrai nom) nous feront passer une  heure concluante de petites modulations et de gros beat destiné aux danseurs qui n’ont pas migré au MTELUS où sévit Sync en même temps qu’eux.

MUTEK 2023 | A/Visions 1 : Kyoka & Shohei Fujimoto, Alexis Langevin-Tétreault & Guillaume Côté, Alessandro Cortini & Marco Ciceri

par Laurent Bellemare

Pour le premier volet de sa série A/Visions, le festival MUTEK accueillait son public dans un Théâtre Maisonneuve muni d’un simple écran géant. C’est effectivement par les projections et les haut-parleurs que toute l’action artistique était communiquée à l’auditoire, du moins pour le premier des numéros. Au total, trois duos d’artistes étaient à l’honneur dans ce concert de vidéomusiques expérimentales et immersives.

Crédits photos : Bruno Aiello Destombes

Kyoka & Shohei Fujimoto

Le premier quart de l’œuvre Cinema Blackbox faisait immédiatement croire à un pastiche de Ryoji Ikeda, avec ses sonorités aiguës et sinusoïdales et son visuel désincarné. On y trouvait effectivement plusieurs codes de la sommité japonaise en installations sonores : exclusivité du noir, blanc et rouge, lignes et formes rectangulaires stroboscopiques, esthétique minimaliste et abondance de sons de synthèses. Plus tard, la composition s’est complexifiée, en s’attaquant à des rythmes plus structurés et en décuplant les plans visuels en mosaïques se mouvant à toute allure. Un bref moment de statisme a fait intervenir quelques hauteurs tonales définies, colorant une musique autrement très industrielle, fidèle à la performance de Kyoka présentée la veille au festival. Des échantillons de voix et de gouttes d’eau ont également ramené l’œuvre sur la plaine terrestre. Autrement, Cinema Blackbox semblait volontairement adopter une posture autoréférentielle, où l’art technologique choisit de représenter la technologie elle-même. À l’écran, on voyait effectivement d’innombrables éléments de sonogrammes, d’encéphalogrammes, de quadrants de radars et de codes de programmation.

Alexis Langevin-Tétreault & Guillaume Côté

Pour la seconde partie du spectacle, une table avec dispositifs électroniques a été ajoutée au décor. Cela tombait sous le sen, car la démarche d’Alexis Langevin-Tétreault s’attèle à la « performance électroacoustique », soit le fait de créer en direct une musique habituellement conçue entièrement en studio. Avec son comparse Guillaume Côté, il faisait effectivement évoluer la masse sonore qu’est Aubes en variant les couches timbrales et mélodiques avec un synthétiseur modulaire. La minutie qu’impose le style très académique de l’électroacoustique pouvait se faire entendre, car les textures étaient riches et complexes. Toutefois, l’atmosphère demeurait toujours celle d’une rêverie, voire d’une évasion du monde physique. Le contenu harmonique gardait toujours l’auditoire dans des tonalités majeures, emplissant d’espoir et d’émotion une proposition par ailleurs plutôt cérébrale. Le visuel était lui aussi composé de textures colorées, mais complexes, confirmant une formule équilibrée d’expérimentalisme et d’éléments accrocheurs. On pardonne aisément le son intrusif Macintosh très reconnaissable qui ponctuait drôlement bien un changement abrupt au centre de l’œuvre.

Alessandro Cortini & Marco Ciceri

Le duo italien présentait une performance beaucoup plus lourde. En plus d’un tempo beaucoup plus lent, toute la pièce conservait une tonalité mineure, donc perceptiblement plus mélancolique. Des arpèges joués aux synthétiseurs progressaient lentement, résultant en une trame relativement statique qui s’est densifiée allègrement durant la finale. À ce moment, le spectre harmonique s’approchait tranquillement du bruit blanc, alors qu’on percevait toujours clairement les éléments mélodiques. Visuellement, les projections étaient une sorte d’étude sur les motifs microscopiques d’ailes d’abeilles. Alessandro Cortini impressionne par son synthétiseur inventé et un curriculum vitae rempli de collaborations prestigieuses—de Nine Inch Nails à Merzbow. Toutefois, sa performance à A/V Visions enthousiasmait de façon plus modérée. Sans être soporifique, la musique qui était proposée était loin de sortir de l’ordinaire. Elle était tout de même efficace comme mantra pour réfléchir sur la disparition éventuelle des abeilles pollinisatrices et sur le dérèglement des cycles de fertilisation des plantes.

MUTEK 2023 | Nocturne 2: SAT – Twin Rising, Efe Ce Ele, Paraadiso, Animistic Belief, et plus…

par Laurent Bellemare

Opening Photo By: Frédérique Ménard-Aubin

Pour une seconde nuit, la Société des Arts Technologiques ouvrait ses portes à MUTEK 2023 pour l’événement Nocturne 2, présentant une palette d’artistes électroniques nichés. Avec ses deux espaces de prestations ouverts, les performances se sont enchaînées sans interruption, de sorte qu’il fallait parfois faire des choix déchirants entre l’une et l’autre des salles.

Twin Rising (VJ Isotone)

// Frédérique Ménard-Aubin

À travers son masque orné de chaînes, Twin Rising laissait entendre une voix douce et aiguë, dont la vulnérabilité faisait contraste avec les sonorités souvent rugueuses du registre grave. En effet, malgré une trame toujours harmonique, les basses fréquences onduleuses marquaient un tempo lent et pesant. Dans les moments les plus lourds, on se serait cru devant une performance de dubstep tel que le définissaient les années 2000. Une oreille attentive pouvait également déceler des « caisses claires » synthétiques volontairement asynchrones, créant un effet d’anticipation très efficace. Un équilibre entre pulsation accrocheuse et déconstruction rythmique gardait ainsi le public en haleine, tout comme le visuel hétéroclite projeté par Isotone sur le dôme de la satosphère. Entre déferlements aquatiques et géométrie granuleuse, il n’y avait que la palette multicolore pour s’accrocher à un fil conducteur. Quoi qu’il en soit, ces formes se mariaient très bien avec la musique de Twin Rising, créant une ambiance vaguement mélancolique. Une excellente façon de démarrer la soirée.

Efe Ce Ele

// Nina-Gibelin Souchon

En descendant au rez-de-chaussée, on pouvait tout de suite constater le changement d’atmosphère. Pour la performance de Efe Ce Ele, le ton s’est nettement assombri : pulsation insistante, éclairage stroboscopique, visuel psychédélique et messages politiques explicites. Il y avait des échos de techno et de musique industrielle dans cette trame sonore d’une époque anxiogène. Mélodiquement, la musique évoluait surtout dans le registre grave, avec quelques percées de piano, de percussions et de voix échantillonnées. Le plus souvent, on baignait dans un bourdon complexe où les voix modulaient lentement. Les transitions étaient souvent articulées par superpositions de sections, créant momentanément un passage très dense et dissonant.

Nadia Struiwigh

// Frédérique Ménard-Aubin

De retour dans une Satosphère bondée de monde, l’ambiance créée par Nadia Struiwigh était la première de la soirée à rappeler celle d’un rave. L’expérience était nécessairement plus physique que les autres, la musique de l’artiste hollandaise opérant avec des rythmes toujours en 4/4 et toujours accrocheurs. Des syncopes ajoutaient çà et là de légers échos de drum’n’bass et de breakbeat. Harmoniquement, des accords tenus ou entrants en fondu s’enchaînaient en une progression simple. Ces  dernières étaient couplées avec de courtes cellules mélodiques répétées, créant un contraste de densité rythmique toujours présent. Les textures s’ajoutant à cette base accrocheuse permettaient de maintenir l’intérêt sur le plan sonore, alors que le corps se laissait aisément entraîner par la backbeats continus. Au visuel, les artistes BunBun et Alex Vlair proposaient une composition fort réussie. Motifs spiralés, cercles concentriques et mosaïques circulaires; ces formes s’arrimaient parfaitement avec le dôme de la SAT.


Paraadiso

// Nina-Gibelin Souchon

Composé des artistes TSVI et Seven Orbits, le duo Paraadiso livrait un son beaucoup moins convenu. L’atmosphère était tantôt éthérée et consonante, et tantôt soudainement chaotique et bruitiste. Le  dénominateur commun ici, c’était les rythmes bien calculés pour éviter le prévisible. Les temps forts étaient souvent évités, accentuant plutôt les syncopes. À d’autres moments, des polyrythmies créaient des effets de déphasages très efficaces. Des subdivisions irrégulières venaient à leur tour déstabiliser la construction d’un rythme. De manière générale, les sonorités du duo étaient abstraites, plus près de l’art numérique que de la musique dansante. Cette expérimentation se reflétait également dans les projections, composées d’images microscopiques du monde naturel, lesquelles étaient hautement traitées jusqu’à devenir des textures méconnaissables. Avec une palette sonore riche, le duo Paraadiso offrait une savante performance de « musique pour ne pas danser ».

Amselysen/Racine

// Frédérique Ménard-Aubin

Le duo Amselysen/Racine présentait une musique austère, où tout était rythme et timbre. Pas de mélodie ni repères harmoniques. Qui plus est, la pulsation était noyée dans des syncopes rapides ou des tapis de bass drum rapides. Résolument industriel, ce son rappelait celui d’un Autechre dans ses moments les moins consonants. À l’image de cette musique grise, mais pas moins grisante, le visuel projeté sur le dôme par Diagraf était tout de noir et blanc vêtu. Des stalagmites en origami superposées de poussière d’étoiles se transformaient en nébuleuses de suie. Amselysen et Racine ont su habilement envoûter son public malgré une musique difficile et rigide.

X/O

// Nina-Gibelin Souchon

Déjà passé minuit, x/o montait sur scène pour présenter des morceaux de son excellent album Chaos Butterfly. Cette musique pesante, tout en contraste grâce à un chant rêveur, réinvestissait de nombreux repères musicaux connus. De l’IDM au métal, du dream pop au breakbeat; l’artiste de Vancouver performait de manière convaincante. On regrettait malheureusement une interprétation vocale un peu trop timide, laquelle ne perçait pas dans l’équilibre sonore. Problème technique ou manque d’assurance? Quoi qu’il en soit, la voix n’a pas eu un traitement qui rendait pleinement justice aux compositions, bémol qui s’est quelque peu corrigé vers la fin. Néanmoins, x/o a su captiver son auditoire sans problème, créant une atmosphère sombre augmentée d’un éclairage stroboscopique bleuté et de projections hypnotisantes. On pouvait apprécier des envolées noise presque shoegaze illustrées par des personnages dessinés à la japonaise. En somme, x/o a fait vivre un moment de catharsis aussi lourd qu’apaisant, avec une montée d’intensité bien contrôlée d’une pièce à l’autre.

// Frédérique Ménard-Aubin

D’emblée, Kyoka proposait une musique presque entièrement inharmonique, axée sur la plénitude de ses échantillons sonores et l’insistance de ses rythmes. Le début de la performance n’était pratiquement coloré que par les projections somme toute très cubistes de BunBun et Alex Vlair. Pourtant, dans un moment d’apesanteur soudain, toute trace de rythme s’est estompée pour laisser place à un long passage atmosphérique et harmonique. Il s’agissait là d’un réel vent de fraîcheur, dans une soirée où la pulsation continue était reine. Une musique rythmée, mais plus nuancée et avec de nouveaux éléments mélodique, a ensuite émergé de cette accalmie, bouclant une séquence de variations euphorisantes.

Animistic Beliefs

// Nina-Gibelin Souchon

Que leur apparition sur scène soit programmée aux petites heures importait peu à Animistic Beliefs. Le duo a vraiment transformé la SAT en fête nocturne, enivrant le parterre d’une pulsation incessante et de sonorités psychédéliques empilées les unes sur les autres. Leur musique expérimentale est générée en temps réel par un travail de synthétiseurs modulaires qui ne fait pas dans la dentelle. Le son était dense, le son était fort, et les sifflements rugueux aigus prenaient d’assaut les sens tout autant que les basses fréquences tonitruantes. La musique du duo était parsemée de sonorités intrigantes, des échantillons aux élans vocaux déclamés comme une chanteuse punk s’époumonerait dans un porte-voix. Il est dit qu’Animistic Belief incorpore des influences sud-est asiatiques dans leur son, échantillonnant notamment de la poésie vietnamienne et du totobuang, carillon de gongs des îles Moluques en Indonésie. Ce n’est toutefois pas le genre de nuances qu’on aurait pu percevoir sur le vif tant le duo a cassé la baraque avec son spectacle. Une découverte qui donne envie d’aller écouter leur album MERDEKA (indépendance en indonésien).

Eƨƨe Ran

// Frédérique Ménard-Aubin

Voilà un autre cas où la tonalité était bien peu présente. Alternant une pulsation effrénée à des rythmes syncopés puissants, Eƨƨe Ran avait la tâche ingrate de clôturer une soirée haute en stimulations.  La formule de l’artiste aurait pu rester un peu drabe n’eut-ce été des nombreux écarts de conduite. Le montréalais n’hésitait pas à détourner son tapis rythmique en improvisant un passage bruitiste évoquant des sonorités de vocoder inintelligibles, ou en étirant ou compressant momentanément le tempo. Tout était dans le travail de texture. Autrement, la musique partageait cette froideur industrielle, commune à de nombreux artistes de la soirée, dans laquelle bruit blanc est davantage la norme que note de musique. De manière peut-être un peu aléatoire, les images pointillistes de structures moléculaires et de nébuleuses spatiales s’intercalaient avec des paysages désertiques et rocheux, le tout créant une atmosphère d’abandon presque nihiliste à la danse et aux décibels de trop. La soirée s’est finalement terminée sur un rallentando et un decrescendo vers le néant.

MUTEK 2023 | Satosphère 2 : UNION — Nancy Lee & Kiran Bhumber

par Alain Brunet

Crédit photo : Ash KG

Voilà le résumé de cette œuvre de 25 minutes inscrite au programme de la Satosphère, un 23 août à MUTEK: « UNION est un récit immersif qui raconte l’histoire de deux êtres découvrant leurs souvenirs ancestraux à travers le désir de toucher et les rituels pratiqués lors de leur cérémonie de mariage post-apocalyptique. »

Nancy Lee et Kiran Bhumber ont imaginé leur récit de manière à illustrer artistiquement leurs identités issus de diasporas. Ils ont pour objet de  « dévoiler et reconstituer la mémoire culturelle à travers le rituel sacré de l’union spirituelle et de l’intimité physique ». Autrement dit, cette union spirituelle ne peut fonctionner rondement si les souches de ses acteurs.trices ne sont pas identifiées, comprises et intégrées.

L’immersion ici proposée se fonde sur des images abstraites projetées sur un dôme : couleurs chatoyantes qui se mêlent sur l’écran concave, mains géantes qui tournoient, bustes humanoïdes en suspension, gisements de pierreries, deux femmes en chair et en os esquissant de courtes chorégraphies, évocation du mariage post-apocalyptique.

Côté son, la bande originale inclut une brève narration de cette fiction et offre à l’oreille une série d’effets électroniques assez typiques de ce type d’immersion : percussions de synthèse, sons industriels, procédés électroacoustiques généralement connus des amateurs de l’immersion sous dôme. Soulignons en outre la qualité exemplaire de la sonorisation.

Enfi bref, l’abstraction de cette œuvre l’emporte sur sa trame de fond, la cohérence esthétique de ce travail est à parfaire, l’intégration des formes et des sons témoignent d’un art encore exploratoire et surtout intéressant pour ses effets fragmentaires et non pour leur intégration dans un tout intégré.

Voilà d’ailleurs un problème récurrent dans les œuvres immersives incluant sons et images; la fascination pour ces nouveaux outils de création mène rarement à une esthétique intégrée, on en contemple les avancées technologiques sans être marqué par une œuvre totale.

MUTEK 2023 | Expérience 2 : Airheart, Dawn To Dawn, The Mole

par Théo Reinhardt

MUTEK Montréal 2023 et PAN M 360, voilà une combinaison qui tombe sous le sens ! Voilà pourquoi notre équipe s’y consacre cette semaine. Les férus de musiques électroniques de pointe et de création numérique se retrouvent cette semaine à Montréal, alors suivez la vibrante couverture de notre équipe , et ce jusqu’à dimanche!

Crédits photos : Frédérique Ménard-Aubin

Airhaert

Airhaert foule moins la scène qu’elle la remplit, telle un nuage de fumée. Sa musique, comme elle, trouve sa source dans les profondeurs de la terre, et cherche à nous y ramener. Entre rythmes trip-hop, techno ambient, passages de voix drapées à la Grouper, l’aspect méditatif et spirituel du projet se fait entendre et ressentir. La voix est utilisée comme un courant d’énergie céleste qui traverse l’espace autrement sombre de la musique. Elle fait penser à des fantômes d’une phrase, d’une pensée, oubliées depuis longtemps dans le fond de l’être, déconstruits peut-être en leur forme, mais ayant acquis un tout nouveau sens. Ces voix sont texture, elles sont le cours d’un ruisseau, et il est tentant de les laisser entrer en nous pour ce qu’elles mêlent à nos courants, chauds et froids, incertains et obsédés. Parce qu’après tout, l’eau est un courant sûr, qui aboutit toujours.

Le récent album d’Airhaert, I. I. (pour Intuitive Intelligence) se veut une exploration de l’Être dans ses profondeurs, une expérience hypnotique, méditative, enracinée et introspective qui cherche à explorer la notion de musique thérapeutique. Sur scène, l’album prend quelques tournures spontanées, sans doute au gré du moment et de l’attrait des boutons, roulettes et indicateurs qui entourent l’artiste. Malgré l’improvisation qui engendre parfois des transitions plus brusques, on peut quand même se perdre au fond de la musique, ou de nous-mêmes!

Dawn to Dawn

Dawn to Dawn est ce trio formé de la chanteuse montréalaise Tess Roby, avec Patrick Lee et Adam Ohr. Ensemble, ils possèdent ce son électro vespéral qui caresse les oreilles, son parfait pour s’imaginer une promenade nocturne à haute vitesse dans un paysage urbain futuriste et bourré de néons.

Empruntant aux codes de la pop, leur style est sobre, mais efficace. Les synthés sont ronds et luisants, comme des nuages au crépuscule, alors que la basse et les percussions, aux accents techno et breakbeat, sont prépondérantes. La voix de Tess Roby, elle, est planante, dansant légèrement dans les fines éclaircies du paysage que les trois confectionnent.

Vers la moitié du spectacle, les chansons montent en énergie et en tempo. La voix de Roby, se produisant à l’avant-scène, s’élève avec la musique. Ils ne sont peut-être pas les plus tape-à-l’oeil, mais parfois on aime mieux quand les lumières sont tamisées. La musique de Dawn to Dawn est ainsi: chaude, légère et attirante comme des lumières lointaines lors d’une nuit d’été. Celles qui nous rappellent que nous ne sommes pas seuls.

The Mole

Après plus de 20 ans à Berlin, The Mole, alias Colin de La Plante, est de retour au Canada. 

Celui qui s’est fait connaître à Montréal comme DJ dans les années 2000 offre une proposition lourde en échantillons. Des voix découpées, des extraits de breaks instrumentaux, des morceaux de paroles, tout s’enchaîne dans un espace sonore bâti sur mesure avec grand soin. Son projet « Go Wiggle! », qu’il présente sur la scène de l’Esplanade Tranquille, est basé sur les paroles de Parliament/Funkadelic.

À travers sa performance, The Mole tisse les différentes parties de son exposé musical avec des fondus. Des rythmes entrent alors que d’autres partent, une nouvelle mélodie supplante la précédente, et, progressivement, de nouveaux sons s’intègrent, au point où on ne se rappelle plus ce qui sortait des haut-parleurs quelques minutes plus tôt.

Travaillant partiellement avec des vinyles, Colin de La Plante recherche définitivement une esthétique rétro. La proposition reste assez conventionnelle et ne s’avance pas trop dans l’expérimentation. Plutôt, chaque morceau se déploie lentement et minutieusement, dévoilant une sensibilité ainsi qu’un instinct de progression de la part de l’artiste, qui nous laisse le temps de remarquer les changements, fluctuations et perturbations qu’il engendre. En fin de compte, cela devient un spectacle qui a du bon groove, et qui arrive à être agréablement varié et envoûtant.

FORUM MUTEK JOUR 2 | Face à l’avenir de l’Intelligence Artificielle

par Elsa Fortant

Lors de sa création, le Forum MUTEK se tenait 6 mois avant le festival. En 2018, les deux évènements se sont greffés l’un à l’autre, offrant une perspective unique sur la créativité numérique. Programmée par Sarah Mackenzie et animée par Claudine Hubert, la 9e édition s’intitule « Courants d’avenir » et se tiendra toute la semaine aux 7 doigts de la main. MUTEK nous propose de plonger dans des thèmes diversifiés et dans l’air du temps : la relation entre culture, technologie et la crise climatique ; l’accessibilité, l’inclusion au sein des technologies immersives ; le pouvoir de la tech ; l’art, la gouvernance et l’intelligence artificielle et le futur des festivals. Voici un compte rendu de la conférence principale de la deuxième journée qui portait sur l’intelligence artificielle.

Crédits photos : Maryse Boyce

Conférence

Les discours changeants de l’IA : faire face au pouvoir

Sarah Myers West – AI Now Institute

« Nous sommes à un moment où le travail critique ne doit pas être réduit au pire des scénarios, mais où il peut être fermement enraciné dans ses origines, dans la possibilité d’une vision alternative d’un monde où la démocratie à petite échelle est possible. »

Les propos de Sarah Myers West ont touché par leur justesse. Son message est clair : les artistes et les travailleurs créatifs ont un rôle essentiel à jouer face aux enjeux soulevés par l’intelligence artificielle (IA) et dans le façonnage du monde dans lequel nous souhaitons vivre.

L’IA est un sujet chaud et le terme devient galvaudé, comme nous le rappelle la chercheuse, qui a commencé par remettre en question l’appellation même. Le terme intelligence artificielle est souvent utilisé comme un outil marketing. C’est un « signifiant flottant » que l’on remplit d’idées et de visions, détaché d’une réalité matérielle et surtout technique. Autrement dit, on prête à l’IA des pouvoirs qu’elle n’a pas forcément. Car autour d’elle s’est créée tout un imaginaire, largement nourri par les grandes œuvres de science-fiction.

L’intelligence artificielle, c’est aussi un terme utilisé parfois pour parler de statistiques appliquées, de régression linéaire. Puis, Sarah Myers West cite la définition de l’IA donnée par la chercheuse américaine spécialiste de l’éthique de l’IA Meredith Whittaker. Cette technologie, puisque nourrie par des données d’usagers et utilisée commercialement, peut aussi être définie comme une forme de produit dérivé de la surveillance. À ce sujet, il est important de souligner que non seulement les compagnies manquent de transparence sur la provenance des données qu’elles utilisent pour entraîner les modèles d’intelligence artificielle, faisant fi des questions de droit d’auteur et de propriété intellectuelle.

Face à la montée en puissance de l’IA et surtout à la volonté des compagnies de développer ces modèles à grande échelle – ce qui cause des problèmes environnementaux, discriminatoires et affecte les travailleurs – Sarah Myers West nous rappelle qu’il existe d’autres trajectoires possibles.

Pour un changement significatif, il faut s’attaquer à différentes formes d’avantage :

  • L’avantage des données : l’asymétrie d’information entre les entreprises et le public
  • L’avantage computationnel : la dépendance aux infrastructures, hardware et software
  • L’avantage géopolitique : encadré par (l’absence ?) de régulation, et des gouvernements qui soutiennent le développement de l’IA comme un atout stratégique et économique

Aller au-delà du cadre réglementaire des politiques publiques

Les négociations pour la régulation de l’IA aux États-Unis, Canada et dans l’Union Européenne sont en cours mais posent pour l’instant la sécurité comme une priorité, plutôt que la question des biais algorithmique et de la discrimination. À ce jour, nous manquons toujours d’informations sur les données utilisées pour entraîner les modèles comme GPT-4 et Sarah Myers West nous rappelle qu’on ne peut pas croire les compagnies sur parole lorsqu’elles nous disent qu’elles savent ce qu’elles font. Jusqu’ici elles ont prouvé qu’elles étaient prêtes à commercialiser leurs technologies même si celles-ci ne sont pas prêtes.

Il faut donc instaurer des mécanismes pour que les compagnies soient tenues responsables de leurs actions. Et le Frontier Model Forum, « un nouvel organisme industriel pour promouvoir le développement sûr et responsable des systèmes d’IA d’avant-garde » lancé par Anthropic, Google, Microsoft et OpenAI, ne suffit pas.

Comment peut-on agir et faire entendre sa voix ? Il faut confronter la concentration du pouvoir des entreprises et s’organiser nous dit Sarah Myers West. Travailleurs, travailleurs créatifs, artistes sont au cœur de la résistance face à ces géants de la tech. Ils sont en mesure, collectivement, de créer un effet de levier pour s’assurer que l’IA n’est pas utilisée pour dévaloriser leur travail. La plus récente grève des auteurs WGA est un exemple de cette lutte.

Ne pas vouloir entendre parler de l’IA est une chose, mais ce qui est sûr, c’est que le train a quitté la gare et qu’il vaut mieux être prêt à le prendre en marche, pour être en mesure d’agir collectivement.

MUTEK 2023 | Couverture croisée, de Moon Apple à Tim Hecker

par Rédaction PAN M 360

MUTEK Montréal 2023 et PAN M 360, voilà une combinaison qui tombe sous le sens ! Voilà pourquoi notre équipe s’y consacre cette semaine. Les férus de musiques électroniques de pointe et de création numérique se retrouvent cette semaine à Montréal, alors suivez la vibrante couverture de notre équipe , et ce jusqu’à dimanche!

Expérience 1

Ce mardi 22 mai, Mutek Montréal 2023 a pris son envol sur l’esplanade Tranquille du Quartier des spectacles. Dehors et gratuit ? Il ne faut pas y voir une programmation extérieure constituée des restes de la programmation en salle, il s’agit plutôt d’un mélange d’artistes confirmés internationalement mais dont le buzz actuel par chez nous ne justifie pas encore une entrée payante. 
Alain Brunet


Leon Louder

// Vivien Gaumand

Avec Leon Lounder, l’auditoire n’était pas certain de devoir écouter avec le corps ou avec la tête seulement. D’une part, la pulsation était noyée dans un sound design construit autour de sons d’insectes, une commande de l’Insectarium de Montréal. Ici, l’harmonie et la mélodie n’étaient pas des paramètres. D’autre part, le rythme était surtout créé par des phrasés sonores d’une certaine longueur et qui se répétaient en boucle. Plus tard, des basses fréquences sont venues changer la texture et se coupler à des sons courts, mais répétés si rapidement qu’ils créaient l’effet de sons continus. Vers la fin de la prestation, un passage plus harmonique avec ce qui donnait l’illusion d’être des voix synthétisées est venu dérouter cette musique entomologique.
Laurent Bellemare


Moon Apple

// Vivien Gaumand


Cela dit, on trouve aussi dans cette série Expérience 1 des artistes en émergence, qui doivent peaufiner leurs propositions et affichent un potentiel intéressant. C’est le cas de Moon Apple, productrice montréalaise d’adoption dont la grand-maman est devenue moine bouddhiste, ce qui en inspire son pseudo. Équipée de synthétiseurs modulaires, d’une pédale de loop et d’instruments de percussion, la musicienne  offre un son organique filtré par différents effets dont l’objet pourrait ritualiste en certains moments. Également, elle chante et peut tapocher en direct sur une surface numérisée. Un peu maladroitement, avons-nous noté lorsque le pattern rythmique fut associé à d’autres séquences préenregistrées,

Elle présentait une sorte de cérémonie dont l’objet est de représenter les Quatre Piliers de la Destinée. Des invitées, Dédé Chen, auteure, performeuse, et Ahreun Lee, artiste multimédia et musicienne, sont venues prêter main forte à une Moon Apple s’adressant symboliquement à des créatures mythiques – c’est du moins ce qu’on peut lire sur son profil biographique. Cette intégration d’une synth-pop mélodique à cette expérience multi-couches est intéressante mais nécessitera encore quelques soins avant de frapper dans le mille.
Alain Brunet

La musique proposée par Moon Apple venait faire contraste avec la performance d’ouverture. L’artiste a immédiatement plongé le public dans un univers harmonique, aux sonorités douces et aux voix éthérées. Malgré cette délicatesse, de puissantes attaques dans le registre grave venaient rapidement saturer le registre des fréquences, créant un bain de son retentissant mais apaisant. La musicienne originaire de Séoul (Corée) incorporait une part d’interprétation instrumentale, notamment avec les rythmes qu’elle jouait sur un pad numérique avant de faire répéter en boucle. Malheureusement, ces séquences n’étaient pas synchrones, ce qui a même amené l’artiste à abandonner cette technique vers la fin de la performance. En revanche, les voix hautement traitées des deux artistes invitées ajoutaient à cette sonorité pop qui doit sans doute être délectable en album.
Laurent Bellemare


Indus

// Vivien Gaumand

Ce duo Colombien, autoproclamé « electro-folk » est le numéro qui a fait lever le parterre. Dès les premiers coups de tambora combinés aux puissants rythmes électroniques, le public s’est mis à danser. La musique, très accrocheuse, était parsemée d’échantillons de voix entonnant des chants choraux, bien qu’au final le rythme et la performance corporelle l’emportent allègrement sur les contenus mélodiques ou harmoniques de cette musique. Décidément, le mariage de la percussion traditionnelle avec la musique électronique est une recette gagnante, car la performance d’Indus aura sans doute été la plus énergique d’Expérience 1.
Laurent Bellemare

Exclusivité au programme, le duo colombien Indus a fait boum sur l’esplanade Tranquille. Indus est constitué du producteur Oscar Alford  et du percussionniste Andres Mercado, dont l’album homonyme n’est pas passé inaperçu en 2020. L’intérêt que soulève Indus se fonde sur l’usage des chants et rythmes afro-colombiens et afrodescendants (champeta, currulao, mapalé, etc.) au cœur d’une approche électronique plutôt pop, en phase avec plusieurs musiques du genre destinées au plancher de danse. On aura parfois noté un manque de justesse dans les voix (problème de moniteurs ?) mais l’ensemble de la facture nous a fait oublier ces petits écarts. L’approche d’Indus est solide et fédératrice, les rythmes chauds des percussions et les chants traditionnels se marient fort bien aux claviers synthétiques et autres outils numériques constituant la lutherie de ce tandem fort bien accueilli.
Alain Brunet


Événement d’ouverture à New City Gas: Grand River et Tim Hecker

// Bruno-Aiello-Destombes


Au New City Gas dans Griffintown, l’immense club New City Gas accueillait le programme d’ouverture en salle. Parfaitement rénovée (depuis 2012), cette usine de la révolution industrielle (1847) témoigne d’une sonorisation étonnamment efficace pour la formule concert. 

La première artiste au programme ne s’était jamais produite à MUTEK mais jouit d’un buzz authentique dans les réseaux mutékiens. Buzz parfaitement justifié !  D’origines italienne et néerlandaise, la Berlinoise Aimée Portiori alias Grand River offre de merveilleuses surimpressions aux fans de musique ambient pétrie de minimalisme. Elle choisit d’insérer quelques accords consonants et fragments mélodiques ou choraux à titre de balises lui permettant ses brillantes explorations. Dans la veine des Christian Fennesz et Tim Hecker, les propositions électroacoustiques de Grand River sont entrelardées de multiples filtres synthétiques de très bon goût. Elles sont couchées sur des rythmes généralement lents, parfois plus rapides et plus costauds mais qui n’ont rien à voir avec la binarité essentielle au plancher de danse.
Alain Brunet

La performance de Grand River en était une de celles qui opèrent par densification progressive du matériau musical. Avec très peu de développement, les différents moments du spectacles étaient construits sur de courtes boucles mélodiques ainsi qu’une accumulation de couches sonores. Rythmiquement, on passait de l’abstraction totale à la pulsation. Des moments de contrastes entre de lents accords de clavier et du bruitisme d’arrière-plan, ou encore d’échantillonnage vocal venaient parfois étendre le registre sonore de l’artiste, qui a plongé son auditoire plus d’une fois dans une forme de transe urbaine.
Laurent Bellemare


Tim Hecker

// Bruno-Aiello-Destombes

On ne vous refera pas le parcours de Tim Hecker, un des plus respectés compositeurs électroniques à provenir du Canada. No Highs, son album le plus récent, est le prolongement attendu de ses approches les plus remarquables. As des surimpressions de fréquences saturées, Tim Hecker ne s’est pas contenté de construire ces œuvres très riches malgré leur apparente linéarité. Son dernier album est une longue courbe sinusoïdale, si peu prononcée qu’elle peut s’aplanir avant de reprendre ses rondeurs. Au fil du temps, le compositeur a ajouté une dimension instrumentale à ses propositions, la clarinette basse est tangible sur son nouvel album pour ne citer que cet exemple. 

En salle, ce qu’offre Hecker n’est aucunement une reproduction exacte de sa discographie récente. Les effets de distorsion peuvent y être plus violents, les pulsations plus lourdes (et vlan dans le plexus!), les citations parfois différentes, tirées notamment des enregistrements Anoyo et Konoyo, d’inspiration japonaise en bonne partie. Mais ces subtilités se fondent discrètement dans les coulées parfois brûlantes de ce concert donné en toute cohérence. Tim Hecker pur jus, nul doute là-dessus.
Alain Brunet

Dès les premières notes de la performance de Tim Hecker, on pouvait reconnaître le monde sonore de son album de 2018 Konoyo. Les trames d’instruments appartenant au Gagaku japonais débutaient une longue session de drone ambiant, naviguant toujours entre l’harmonie et la dissonance. Les glissandi de hichirki qui ouvrent si distinctement la pièce « This Life » sont ensuite venus colorer l’abrasion, en servant de transition vers un nouveau passage. Considérant que c’était plutôt la musique de No Highs (2023) qui était à l’honneur, ces clins d’œil à un album antérieur créaient un effet subversif. Il en va de même pour les interventions de shô par Fumiya Otonashi, malheureusement inaudible pendant la première partie du concert.

Plus généralement, le public a eu droit à une expérience immersive forcée, avec des basses fréquences si intenses qu’on pouvait les sentir à travers le corps. Heureusement, la musique de Tim Hecker fascine et on se prête allègrement au jeu enivrant que l’artiste nous propose, derrière ses machines analogues et numériques.
Laurent Bellemare

MUTEK 2023 | Satosphère 1 : Metaract et Iwakura

par Théo Reinhardt

Le premier événement Satosphère de MUTEK 2023 est un programme double, avec les projets audiovisuels Metaract et Iwakura. Le premier est, selon le site web du festival, « une exploration de la dualité entre l’analogique et le numérique », et le second, « un voyage surnaturel pour redécouvrir la transcendance de la nature ». Voici nos impressions.

Crédits photo : Ash KG

Metaract

Metaract est la première des deux présentations, créée par les artistes japonais Manami Sakamoto et Yuri Urano. C’est un film immersif concentré sur la nature qui, dans le cadre de la SAT, s’interroge certainement sur les relations entre le monde naturel et technologique. 

D’une particule de poussière dans le néant, à une goutte d’eau dans une rivière qui gèle, à un morceau de terre dans une forêt, on semble nous faire passer à travers tous les états de la matière, comme si nous les vivions à la première personne. Les choses bougent lentement, même si on a l’impression de traverser des distances temporelles à l’échelle de l’univers en quelque 20 minutes. Qui plus est, le ton explorateur mais tout de même pudique de cette représentation assez abstraite de la nature n’est pas sans rappeler la lentille curieuse et avide envers la nature dans les films de Terrence Malick, je pense surtout à The Tree of Life et à son récent documentaire Voyage of Time.

La musique reste assez sobre, des nappes ambient qui nous placent dans un espace sans début ni fin, avec quelques sons de cloche et carillons lointains ici et là. L’image qui revient le plus souvent est celle de milliers de petits points flottants dans le néant, qui peuvent autant être infiniment petits ou grands. Il n’y a pas vraiment d’échelle de référence ici, mais même le petit paraît immense lorsque assis, la tête levée, sous le dôme de la satosphère. 

À la fin du film, alors que des coups de basse fréquence imitent un coeur bien vivant, les milliers de points colorés se dotent d’une intelligence et forment des arbres, avant d’éclore, de retomber dans un chaos galactique, et finalement, de revenir en tant qu’arbres, leur forme finale. Du moins, pour le moment.

Iwakura

Cette deuxième présentation, par les artistes Kazuka Naya, Ali Mahmut Demirel et Maurice Jones, est plus abstraite, plus bizarre, plus préoccupante et surtout, plus psychédélique.

Né de ce qui paraît être une obsession pour la géologie, le voyage d’Iwakura commence en arpentant lentement, et de très près, des parois de grottes variées, qui se fondent l’une dans l’autre. La musique ici est sombre, ténébreuse, calcifiée. On se croirait plongé dans une recherche minutieuse, sinon un peu fantasmatique, d’un fossile, d’un secret quelconque taillé dans le roc. Mais nous ne nous arrêterons pas là. Le voyage doit nous emmener bien plus loin, dans les limbes de la forme, et nous ne sommes pas certains d’en revenir. 

Au fil des images, les entités rocheuses, maintenant solitaires dans le néant, se succèdent, et leur mouvement devient de plus en plus surnaturel: elles se retournent en elles-mêmes, s’ouvrent vers nous en un tunnel qui s’écrase et s’allonge à l’infini, se creusent et se déploient en même temps par excroissances géométriques, symétriques, alors qu’on oublie la musique et que toute notre attention est piégée par ce trou noir géologique.

Finalement, on revient à notre point de départ, avec des parois de rochers, auxquelles se fondent des chutes d’eau et des arbres, alors que la musique monte en intensité, en orchestration, et en sentimentalité. Tout un voyage. A-t-on atteint la transcendance? Le sublime? L’horreur? Un peu des trois, peut-être…

FORUM MUTEK JOUR 1 | Nouveaux horizons : création et curation numérique

par Elsa Fortant

Lors de sa création, le Forum MUTEK se tenait 6 mois avant le festival. En 2018, les deux évènements se sont greffés l’un à l’autre, offrant une perspective unique sur la créativité numérique. Programmée par Sarah Mackenzie et animée par Claudine Hubert, la 9e édition s’intitule « Courants d’avenir » et se tiendra toute la semaine aux 7 doigts de la main. MUTEK nous propose de plonger dans des thèmes diversifiés et dans l’air du temps : la relation entre culture, technologie et la crise climatique ; l’accessibilité, l’inclusion au sein des technologies immersives ; le pouvoir de la tech ; l’art, la gouvernance et l’intelligence artificielle et le futur des festivals. Voici un compte rendu de la première journée.

Crédits photo : Maryse Boyce

Conférence d’ouvertureLes festivals comme rituels radicaux

Frankie Decaiza Hutchinson – fondatrice de Dweller et cofondatrice de Discwoman

En tant que programmatrice du Bossa Nova Civic Club à Brooklyn, Frankie Hutchinson était aux premières loges pour observer l’impact de l’industrie des musiques électroniques sur l’expression des artistes et des personnes noires, c’est-à-dire un manque d’espace et de visibilité. Ça l’a particulièrement frappée lorsqu’un artiste l’a approchée pour organiser un événement spécial à l’occasion du Black History Month. Pourquoi se limiter à un événement, une semaine, un mois ? C’est donc naturellement qu’elle a fini par prendre les devants et créer un espace d’expression pour les talents électroniques issus des communautés noires, sous la forme du Dweller, un festival DIY, lancé en 2018.

Rapidement devenu « un rituel » offrant l’espace nécessaire à une forme de catharsis individuelle et collective, Dweller a grandi au point de s’internationaliser avec un événement au fameux Berghain (Berlin) et de programmer des têtes d’affiche comme Jeff Mills. Avec cette expansion, des questions se posent : comment grandir sans sacrifier l’intimité des événements ? Comment développer son public sans perdre son point de vue curatorial ? Et bien sûr, comment assurer sa pérennisation et son financement ? Chez Dweller, le financement repose en grande partie sur le merchandising et la communauté peut se retrouver et connecter autrement sur un blog, Dweller Electronics, qui comporte une dimension politique. Autant de réflexions intéressantes pour penser le développement d’événements indépendants, imaginer le futur des festivals et leur ancrage communautaire.

Panel Future Festivals : Forger de nouveaux horizons

Maurice Jones, modérateur; Jasmin Grimm, NEW NOW Festival ; David Lavoie, FTA; Naomi Johnson, imagineNATIVE Film | Media Arts Festival

Introduite par Maurice Jones de Future Festivals Lab, la discussion avait pour objectif de questionner le pouvoir des festivals. Les échanges ont débuté par un tour de table sur les enjeux rencontrés par les festivals lors de la pandémie et l’après-pandémie.

David Lavoie du Festival TransAmériques a pour sa part été l’un des 16 initiateurs de la lettre ouverte « Attention, festivals fragilisés » publiée en février 2023 dans Le Devoir. Les signataires ont fait front pour souligner leur fragilité et les enjeux qu’ils partagent, principalement la santé mentale des employé-es, le maintien des événements et leurs modalités. La couverture de cette lettre leur a permis de faire entendre leur voix et d’engager des discussions avec le gouvernement.

Pour Naomi Johnson, la priorité était de payer les artistes, ce qui a fait évoluer la mission du festival en l’amenant à devenir producteur de contenu. Par ailleurs, les expérimentations avec la vidéo sur demande leur ont permis de développer leur public. Naomi Johnson déplore par ailleurs la perte de connaissances institutionnelles lorsqu’il y a un départ dans l’équipe, ce qui rend la tâche de se rendre à « là où on était avant » d’autant plus difficile.

Du côté du NEW NOW Festival, le changement a été assez radical puisque l’événement annuel est devenu biennal, seule façon pour Jasmin Grimm et son équipe de rester en santé. Comme les autres festivals, ils ont dû faire face à l’inflation, la pénurie de travailleur-euses mais c’est surtout l’enjeu climatique qui les inquiète. NEW NOW se tient sur l’ancienne plus grosse mine de charbon d’Europe, Zollverein, à Essen (Allemagne). Ce site historique est classé patrimoine de l’unesco depuis 2001. Par son utilisation passée et présente, ce lieu fait inévitablement réfléchir aux conséquences climatiques des activités industrielles d’hier, et événementielles d’aujourd’hui. Pour cette raison, le festival s’est emparé de la thématique des changements climatiques et a offert des ateliers sur l’autosuffisance à des organisateurs de festivals.

Il est intéressant de noter que le degré de maturité des festivals les amène à expérimenter des enjeux qui leur sont propres. En effet, après presque 40 ans d’existence (création en 1985), le FTA se demande comment rester pertinent face à l’évolution rapide de leur public. Les plus jeunes générations portent des valeurs différentes de celles qui les ont précédées et auxquelles le FTA doit s’adapter. Le processus est déjà amorcé grâce à la nouvelle codirection artistique, plus jeune et plus en phase avec le contexte actuel.

Un festival plus jeune comme NEW NOW fait plutôt face à des enjeux bureaucratiques en lien avec le site patrimonial. Cependant, comme pour ses homologues, réussir à faire le pont entre les besoins des artistes et des communautés est un défi.

Quid de la mort des festivals ? Car comme le souligne David Lavoie, les institutions doivent parfois mourir et il faut être capable d’adresser la question pour entrevoir le futur des festivals. C’est d’ailleurs pour cette raison que le New Now Festival s’est donné 10 ans de durée de vie.

On vous laisse méditer là-dessus.

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