Au Festival International de Jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 assistent aux concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe !
Buddy Guy, increvable malgré les adieux

Buddy Guy au FIJM / Benoit Rousseau
Ă€ 86 ans, Buddy Guy a fait comprendre Ă la salle Wilfrid-Pelletier, qui affichait complet, pourquoi il est une lĂ©gende vĂ©nĂ©rĂ©e du blues. Après une heure du jeune ouvreur, Christone « Kingfish » Ingram – qui prend la relève de gars comme Buddy Guy – la lĂ©gende elle-mĂŞme est entrĂ©e lentement sur scène en salopette de jean et chemise Ă pois. Sa voix est toujours aussi pure et pleine d’âme que le jour oĂą il a commencĂ©, comme s’il guidait la foule Ă travers un sermon religieux. Mais au lieu de Dieu, il prĂŞche le blues, la chose mĂŞme qu’il est en quelque sorte responsable d’avoir popularisĂ©e et vraiment maintenue en vie ces dernières annĂ©es. « Ils ont arrĂŞtĂ© de jouer ce genre de blues aux États-Unis et je ne sais pas trop pourquoi », a dĂ©clarĂ© Buddy Guy Ă voix basse Ă la foule. « Et ces hip-hoppers commencent Ă jurer Ă la radio, alors maintenant je me dis, merde, il faut que je commence Ă jurer Ă mes concerts ».
Sur scène, Buddy Guy est en partie comĂ©dien, il se trĂ©mousse et s’enfonce dans sa guitare, donnant parfaitement l’impression qu’elle pleure ou qu’elle rit. Il a toujours le mĂŞme charisme que l’on attend de Buddy Guy. Il aurait pu s’asseoir sur une chaise et personne n’aurait pu lui reprocher quoi que ce soit, mais non, il se dĂ©plaçait sur la scène, faisait des blagues en s’inspirant de la foule – un vrai showman. Et il est toujours aussi douĂ©, jouant des solos comme un dieu ennuyĂ©, avec un son et une sonoritĂ© de guitare Ă couper le souffle. Pendant le standard du blues « How Blue Can You Get », il s’est arrĂŞtĂ© Ă mi-chemin en disant : « Je ne veux pas que quelqu’un dise : ‘Oh, je suis venu au concert et c’Ă©tait bien, mais il n’a pas jouĂ© ceci ou cela' ». Il s’est ensuite lancĂ© dans une version d’une minute de « Boom Boom » de John Lee Hooker et a enchaĂ®nĂ© avec « Voodoo Child (Slight Return) » de Jimi Hendrix, reprenant parfaitement les diffĂ©rents styles de guitare. La soirĂ©e s’est terminĂ©e en beautĂ© lorsqu’il a fait venir les Kingfish pour un jam, mais Buddy Guy a laissĂ© le jeune homme de 24 ans prendre la vedette en chantant « Cheaper to Keep Her ».
Mesdames et messieurs, je me souviens d’avoir entendu ce jeune homme jouer au Mississippi et de m’ĂŞtre dit : « Hmm, il faut que je fasse quelque chose pour ça » », a dĂ©clarĂ© Buddy Ă la foule. C’est en effet la tournĂ©e d’adieu de Buddy Guy, mais j’ai l’impression qu’il ne cessera jamais de jouer, de prĂŞcher le blues ou de trouver la prochaine gĂ©nĂ©ration de jeunes talents. « Bye Montreal, I’ll see y’all next time ». Bien sĂ»r, Buddy. Ă€ la prochaine fois.
Stephan Boissonneault

The Avishai Cohen trio // Benoit Rousseau
Avishai Cohen ne s’enfonce jamais dans les sables mouvants
Pour les fans d’Avishai Cohen, les deux dernières annĂ©es du festival ont Ă©tĂ© particulières. L’annĂ©e dernière, Avishai devait se produire avec son trio mais, Ă la dernière minute, son pianiste n’a pas pu venir. Avishai a su tirer le meilleur parti de la situation et a interprĂ©tĂ© un ensemble intime de chansons folkloriques israĂ©liennes en chantant et en jouant du piano, ainsi qu’en jouant en duo avec la batteure Roni Kaspi. Cette annĂ©e, Avishai est revenu au Théâtre Maisonneuve et a tenu ses promesses, et plus encore.
La soirĂ©e Ă©tait dĂ©bordante d’Ă©nergie et le groupe a jouĂ© une liste de chansons prĂ©fĂ©rĂ©es du public comme  » Seven Seas « ,  » Dreaming  » et  » Beyond « . Le trio a prĂ©sentĂ© quelques morceaux de leur dernier album, Shifting Sands, mais a conçu le spectacle comme une vitrine que tout le monde peut apprĂ©cier. L’Ă©quipe chargĂ©e du son et de l’Ă©clairage a fait un travail remarquable pour crĂ©er une atmosphère.
Ă€ certains moments, on avait l’impression que le groupe pouvait tout aussi bien s’appeler le Roni Kaspi Trio, tant elle semblait occuper le devant de la scène. Ses solos ont toujours Ă©tĂ© passionnants et ont tenu tout le monde en haleine ; lors d’un solo en particulier, il y a eu une ovation !
Varun Swarup
Snarky Puppy comme prĂ©vu…

Depuis plus d’une quinzaine d’années, le bassiste et compositeur Michael League érige son édifice via le web et autres moyens autrefois considérés comme parallèles ou indies. Aujourd’hui, on affirme que c’est devenu un façon incontournable de construire une carrière. Aujourd’hui, le véhicule principal de Michael League, Snarky Puppy est un incontournable et remplit des salles de 2000 places et plus partout où il accoste.
Vendredi soir, c’était évidemment archi plein et ce fut une soirée de groove fusion à grand déploiement, avec section de vents, deux assortiments de claviers dont un Hammond B3, guitare, violon, basse, percussions. Bref, beaucoup de monde agité sur une scène agitée.
Snarky Puppy est renommé pour ses croisements jazzy groove, ses thèmes mélodiques fédérateurs et ses formes amples assorties de bridges relativement exigeants pour ses interprètes. Généralement, cette musique est propice à la fête, à la levée des coudes pendant qu’on « tchèque la passe », et offre juste assez de prétentions virtuoses pour réjouir certains mélomanes plus aguerris. C’est pas mal ça… comme prévu.
Alain Brunet
Mark Guiliana , pur délice

crédit : Benoît Rousseau
Le Gesù était rempli à pleine capacité pour le quartette de Mark Guiliana, un excellent choix dans la programmation 2023 du FIJM.
Transplanté sur la Côte Ouest avec sa compagne Gretchen Parlato et leur fils, Guiliana poursuit la traversée d’un plateau acoustique, amorcée au milieu de la décennie précédente. Importante était cette impression d’une langue musicale affranchie de ses évidences fondatrices.
Après nous avoir ébloui à l’époque où prévalait son groupe Beat Music, ensemble électro-jazz avec lequel il s’est permis de brefs retours, Mark Guiliana a fait le choix d’une instrumentation acoustique depuis plusieurs années déjà .
La formation ici réunie était d’une grande cohésion, composée du saxophoniste ténor Jason Rigby (aussi excellent clarinettiste, mais pas ce soir-là ) , du contrebassiste Chris Morrissey et du pianiste Jason Lindner. On aurait pu s’attendre à entendre Shai Maestro, qui joue au sein de la même formation dans le superbe enregistrement The Sound of Listening, c’était plutôt Lindner qui a offert un jeu circonspect et raffiné.
Fondé sur le jeu très particulier et les goûts de Guiliana, ce quartette acoustique a acquis une maturité d’expression à laquelle peu d’ensembles de ce type parviennent. Tout le spectre des émotions est sobrement ratissé de manière générale, mais peut laisser place à plus de testostérone et d’aventure.
On se trouve dans des mouvances comparables aux ensembles acoustiques de David Binney ou de Brian Blade, soit des formations clairement jazz pour son swing augmenté de cellules rythmiques très contemporaines. Il en est de même pour la mélodie et l’harmonie, c’est-à -dire y a bien assez de lignes consonantes pour qu’on soit prêt à admettre certains passages plus savants.
Pur délice.
Alain Brunet