Culture Cible en très mauvaise posture

par Alain Brunet

Je viens d’écouter le balado pour commémorer 10 ans de la coopérative Culture Cible, qui réunit les plateformes Atuvu.ca, Sors-tu.ca, Le Canal Auditif, Bible Urbaine et Baron Mag. Certaines de ces plateformes éprouvent actuellement de très graves problèmes financiers, à tel point que Sors-Tu et Le Canal Auditif pourraient même envisager fermer boutique ou réduire considérablement leurs activités à l’orée de 2025. C’est sérieux.

Le balado de Culture Cible raconte la décennie de son existence. Marc-André Mongrain (Sors-tu), Louis-Philippe Labrèche (Le Canal Auditif) et Arnaud Nobile (Atuvu) y relatent leur émergence et leur mutualisation en coopérative, afin de partager des services administratifs, de développer des services de rédaction et de maximiser leur circulation en l’additionnant pour ainsi vendre de la pub.

Pour expliquer le contexte dans lequel ils ont émergé et évolué, ils évoquent de la mort de Voir et la complémentarité de leurs plateformes avec un monde médiatique traditionnel (La Presse, le Devoir, Radio-Canada) peu enclin désormais à couvrir exhaustivement la diversité des propositions artistiques au pays. Toutefois, ils ne parlent pas de l’arrivée de PAN M 360 il y a 5 ans dans l’environnement numérique, sans compter les autres petites plateformes de la même constellation – Écoute donc ça, Feu à volonté, Ludwig Van, etc. Mais bon, dans le contexte, on peut comprendre et excuser cette omission consciente ou inconsciente.

En bref, on y rappelle que les acteurs Culture Cible se sont constitués en coopérative pour mutualiser leurs services et pour maximiser leurs revenus publicitaires, vu la circulation quintuplée de leurs usagers, et donc un marché publicitaire potentiellement attractif. Ce modèle d’affaires a plutôt bien fonctionné pendant un moment, on a alors observé de l’optimisme chez les propriétaires de ces plateformes – il faut préciser ici que ces sites web unifiés en coop sont à but lucratif et enrichissent d’abord leurs propriétaires si argent il y a bien sûr, comme c’est le cas de toute entreprise privée.

On y comprend surtout que ces efforts louables de mutualisation des plateformes en question résultent de plusieurs réflexions sur la professionnalisation des plateformes indépendantes, aussi du développement visionnaire de Data-Coop par Arnaud Nobile pour ainsi maximiser le référencement de nos contenus en partageant les métadonnées des éventuels participants.

Mais… depuis la pandémie, les revenus publicitaires de Culture Cible se sont mis à chuter, le développement de la coopérative a été freiné, la production de contenus n’a pas progressé comme elle aurait dû (sinon ralenti), sauf peut-être le développement de Data-Coop Culture par Arnaud Nobile. Avant que cette dernière initiative ne porte fruit, il pourrait ne plus avoir de Culture Cible pour en bénéficier et en faire bénéficier ses éventuels adhérents. La dernière année fiscale a été très éprouvante, à tel point que la tragédie serait à l’horizon pour certains. D’où l’alarme sonnée cette semaine.

Nous, de PAN M 360, croyons ferme à la mutualisation de ces initiatives de médiation culturelle (interviews, recensions, analyses, etc.) via les médias culturels indépendants. Leur mutualisation est essentielle à leur pérennisation. Dans le contexte actuel, une « saine concurrence » dans un environnement médiatique aussi ingrat, n’est vraiment pas un gage de réussite pour les nouveaux médias que nous sommes. Et c’est pourquoi nous souhaitons tisser des liens pour construire un environnement propice à la croissance avec nos alliés de Culture Cible, même si nous ne faisons pas partie de cette coopérative.

Depuis ses débuts, en fait, PAN M 360 réfléchit au modèle de mutualisation qui permettra la consolidation et l’expansion de ces initiatives porteuses d’avenir. Depuis deux ans, d’ailleurs PAN M 360 a tenu plusieurs discussions de rapprochement avec les acteurs de Culture Cible afin de faire évoluer ce dossier. Afin d’amorcer ce processus de mutualisation des plateformes indépendantes, des demandes de subvention ont été acheminées par notre organisation au Conseil des Arts du Canada après avoir obtenu notre éligibilité au terme d’un long processus. Subvention refusée au printemps dernier. Pendant de temps, Culture Cible demandait une aide complémentaire au ministère du Patrimoine Canadien pour mener à bien ce projet ambitieux. Subvention aussi refusée. Après quoi… retour à la survie et à la précarité.

Plus tôt cet automne, PAN M 360 et Culture Cible avaient l’intention d’organiser sans subventions un grand rassemblement des plateformes culturelles indépendantes pour y lancer le processus de mutualisation, au-delà d’une simple association. Force est d’observer que cela risque de ne pas se produire.

Voilà qui est TOTALEMENT inacceptable.

Rappelons que l’aide publique à la culture existe entre autres pour la production de musique, de cinéma et de télé, pour des périodiques culturels imprimés destinés à des publics extrêmement spécialisés et donc à rayonnement restreint – ce qui est tout à fait défendable en ce qui nous concerne. Grosso modo, si vous créez ou produisez ou encore écrivez des pavés très spécialisés sur une forme d’art, vous êtes subventionné. Alors pourquoi eux et pas nous ??? Pourquoi ces plateformes nous incluant cumulent ensemble des centaines de milliers d’ouvertures de leurs contenus en ligne, dont une portion importante est consommée à l’étranger (allo découvrablité !) n’ont droit qu’à des pinottes du financement public ?

Il faut ici insister: sans subventions fédérales et provinciales, sans crédits d’impôts, les acteurs québécois et canadiens de la culture ne pourraient fonctionner comme ils l’ont fait depuis des décennies. Notre cinéma et notre télé n’existeraient pas ou si peu, idem pour les écrivains et leurs éditeurs qui seraient en très mauvaise posture pour passer les mois nécessaires à la rédaction de leurs manuscrits… on en passe et des meilleures.

Par voie de conséquence, ce laxisme ou cette ignorance des pouvoirs publics en matière de culture en ligne contribue indirectement à tuer dans l’œuf nos initiatives passionnées et courageuses. Que les principales plateformes de Culture Cible soient au bord du gouffre en est une triste démonstration.

À l’évidence, le modèle d’affaires des plateformes indépendantes au Québec comme au Canada doit aussi passer par un soutien public permanent à leur fonctionnement, comme c’est le cas de TOUT le secteur culturel – formation, création, production, diffusion. Croire que les médias traditionnels pourront de nouveau assurer cette médiation comme ils l’ont fait depuis les années 50 est un leurre et un manque de vision pour le développement et le rayonnement de notre culture.

Pour assurer la découvrabilité de cette diversité dont tout le monde parle dans le secteur culturel, le vieux monde des médias n’y pourra pas grand-chose. L’avenir d’un nouvel écosystème numérique, juste et équitable, appartient plutôt aux grappes organisées et cohérentes de la médiation culturelle, à la circulation maximisée des contenus spécialisés en ligne. Le sauvetage provisoire des médias traditionnels ne changera aucunement la donne – bien qu’il soit souhaitable à court terme, si ce n’est que pour maintenir la production de ses artisans compétents et rigoureux.

Or, pendant qu’on soupèse en haut lieu le bien-fondé de nos initiatives, des artisans cruciaux de Culture Cible sont au bord du gouffre. Pour nos alliés que sont Le Canal Auditif, Sors-tu.ca et Atuvu.ca, cela pourrait donc être catastrophique. Éventuellement, cela pourrait être aussi tragique pour PAN M 360, dont le modèle d’affaires est différent – nous sommes un OBNL, personne n’est propriétaire de quoi que ce soit, nos minuscules bénéfices résultant surtout de nos partenariats avec l’écosystème musical sont partagés entre nos artisans, le reste de la cagnotte étant investi dans le produit et assurant le paiement des frais fixes.

À PAN M 360, notre croissance est réelle mais ô combien modeste… et pourrait être stoppée à tout moment si l’écosystème de la musique cessait d’y contribuer dans un contexte où l’argent public venait à fondre dans les budgets de nos partenaires. Qui serait alors coupé illico dans leurs dépenses? Je vous le donne en mille.

Voilà pourquoi une aide d’urgence est nécessaire à la survie de Culture Cible et aussi à celle de PAN M 360, les acteurs les plus importants de cette jungle médiatique, protagonistes auxquels se joignent de plus petits joueurs ayant droit au chapitre.

Aujourd’hui, nous compatissons avec nos alliés de Culture Cible qui souhaitent d’abord sauver leurs peaux et… nous nous inquiétons tout autant de notre propre sort, à court et moyen termes.

Un seul mot en conclusion : solidarité.

Lucien Francoeur (1948-2024) – Requiem pour un rockeur

par Patrice Caron

C’est au lendemain de l’incarnation du Cauchemar américain que Lucien Francoeur sanglait son dernier bagage sur son bicyk et décollait rejoindre le grand orchestre de l’aut’bord. Et comme il se doit, les médias lui ont rendu hommage à la hauteur de sa légende. Il aurait été, je crois, assez satisfait de l’effet produit par sa sortie côté ciel. En tout cas moi, j’en suis bien fier pour lui, enfin redevenu aussi big qu’il aurait dû l’être pendant les dernières années de son existence.

Trop jeune pour avoir connu Lucien Francoeur du temps de la première période d’Aut’chose, c’est avec le classique Nancy Beaudoin et le Rap-à-Billy (et les publicités de Burger King) que j’ai pris conscience de son existence. C’était aussi l’époque CKOI, avec ses plogues de garages, restaurants et autres retours d’ascenseurs. Il parait qu’il y lisait aussi de la poésie mais je ne l’ai jamais écouté assez longtemps pour en être témoin, il me donnait plutôt envie de changer de poste. Il était associé dans ma tête au rock fm québécois à la Gerry Boulet, rien pour me donner le goût d’écouter le vinyle qui trainait dans la pile de disques à ma mère.

En 2001, je travaillais aux Foufounes Électriques quand Aut’chose tente un retour avec La Jungle des villes, un album sans grand intérêt et vu la foule parsemée présente ce soir-là, c’était un retour qui n’excitait pas grand monde. J’avais écouté 3-4 chansons pour voir ce qu’était Aut’chose mais ce n’était pas encore la meilleure introduction et j’ai fini par passer le reste du show à mon bureau à attendre que ça finisse. En faisant le tour après, j’ai croisé Lucien dans les loges mais vu mes a priori, je l’ai regardé un peu de haut et il me l’a bien rendu, haha.

C’est en 2005, avec le spectacle commémoratif du 30e anniversaire de son premier album et la parution de Chansons d’épouvantes un mois plus tard, que le déclic s’est fait. Attiré par le super groupe qui revisite des classiques de Aut’Chose, avec en plus du membre original Jacques Racine (décédé le 18 septembre dernier), s’ajoutaient feu Denis « Piggy » D’Amour et Michel « Away » Langevin de Voivod, Vincent Peake de Groovy Aardvark et Joe Evil de Grimskunk, la musique d’Aut’chose prenait tout d’un coup une dimension dépassant la caricature qui avait fini par remplacer l’original. Lucien brillait carrément, fier de présenter cette version d’Aut’chose, fier d’être encore là et fier d’être à sa place, au devant de la scène avec un micro dans les mains.

Il était sorti de sa passe « vendeur de char ». Enfin. Et il saisissait la chance qu’il avait d’avoir ces musiciens avec lui, il était toujours Francoeur mais avec une coche moins prétentieuse. Et qu’il fut avec des musiciens que je considérais de ma gang aidait aussi.

J’ai donc donné une autre chance à Aut’chose, en commençant par le début et bang, tout se place. Je comprends le choc de l’époque et de l’influence que ça a eu sur la suite du rock au Québec, musicalement au diapason du rock tripeux de ces années et surtout, avec un frontman unique qui a donné toute sa saveur à la discographie d’ Aut’chose.

Habité d’un idéal presque naïf quant au rock’n’roll et de son importance, le personnage choque autant, sinon plus, en entrevue que sur disque ou sur scène, ce qui moussera la personnalité de Francoeur au détriment éventuel du groupe. Mais la graine était semée, et pour le meilleur et pour le pire, l’effet Francoeur s’est fait sentir depuis.

C’est à la parution du livre L’Évolution du heavy métal québécois en 2014 que je rencontre vraiment Lucien pour la première fois. Comme mon regard sur lui avait changé et quand il sentait qu’on l’aimait, Francoeur laissait la place à Lucien, ça a cliqué.

Quelques mois plus tard, je décide de changer le nom du trophée remis aux GAMIQ, jusque là nommé Panache, par celui de Lucien. Parce qu’il méritait qu’on souligne son apport à l’histoire du rock au Québec, particulièrement pour son influence sur ce qui allait devenir la scène alternative, avec Voivod bien sûr mais aussi Groovy Aardvark, Grimskunk, Gatineau, Galaxie et quantité d’autres mais surtout pour son attitude qui, à mon avis, a été aussi fondamentale dans l’érection de sa légende que sa poésie ou la musique qui l’a porté. Parce que c’est ça qui a fait la différence. Et qui la fait encore, c’est ce qui explique le succès, ou non, d’un artiste plus qu’un autre. Bref, je trouvais que ça incarnait bien l’idée derrière le GAMIQ.

Il n’a pas été le premier mais il a été celui dont on parlait. Parce qu’il était unique, que le timing était bon et qu’il a saisi l’occasion.  C’est une chimie difficilement atteignable, même lui a souvent failli à retrouver cet état de grâce mais au début des années 70. Cette fois, Francoeur était sur son x et y a bâti un monument qui se tient toujours debout.

Parce qu’au-delà d’une discographie ou de littérature, c’est surtout de son influence qu’on se rappellera dans l’histoire du Québec. Ça ne tient pas à des premières places aux palmarès ou des trophées sur la cheminée mais à une œuvre qui a marqué son époque et inspiré la suite de l’histoire. Y’a pas tant d’artistes qui peuvent se vanter de ça. Lucien Francoeur oui.

Photo Camille Gladu-Drouin

La Tulipe, la honte, la bouette…

par Alain Brunet

Au début de ma carrière, j’avais interviewé Gilles Latulippe à son bureau du Théâtre des Variétés, alors le temple par excellence du burlesque et de la comédie populaire. Je n’avais pas grand-chose à voir avec Manda Parent et Juliette Pétry mais j’étais très impressionné par l’histoire des lieux et surtout, par l’intelligence de Gilles Latulippe qui m’avait accordé une excellente interview.

Pendant plus d’un siècle, cet amphithéâtre n’a fait l’objet d’aucune réprobation, bien au contraire. Une seule personne s’est plainte avec détermination de ses pratiques et de son rôle dans la communauté. Et cette plainte a causé la fermeture de cet amphithéâtre parce qu’un juge a tranché avec une interprétation rigoriste du règlement sur le bruit tout en excluant le contexte de la plainte désormais célèbre.

Quelle honte. Un promoteur sans vergogne obtient un permis de construction, octroyé par un fonctionnaire totalement à côté de ses pompes. Le promoteur transforme la bâtisse en immeuble locatif (et non commercial) et puis se plaint du bruit une fois son œuvre achevée et occupée par des êtres humains qui n’ont visiblement pas réalisé le contexte dans lequel ils sont plongés aujourd’hui.

« Le jugement rendu lundi par la Cour d’appel donne partiellement raison au plaignant, Pierre-Yves Beaudoin, propriétaire du bâtiment voisin de La Tulipe, rue Papineau, qui se plaint du bruit depuis qu’il a acheté l’immeuble en 2016. M. Beaudoin avait déposé une demande d’injonction à cet effet en décembre 2020 », rapporte Isabelle Ducas dans La Presse.

« Partiellement raison » signifie pratiquement que ce jugement limite La Tulipe à des prestations relativement calmes sur scène, ce qui est totalement absurde pour un tel amphithéâtre chargé d’histoire, authentique monument de notre culture populaire. La Tribu, l’entreprise qui avait remis La Tulipe au goût du jour après avoir acheté jadis le Théâtre des Variétés, est ainsi contrainte de cesser ses activités car elles devraient se terminer beaucoup trop tôt dans le contexte du showbizz tel qu’on le vit en 2024. Musique de chambre et folk acoustique en exclusivité ??? Ben voyons. N’importe quoi.

Honte à Pierre-Yves Beaudoin qui n’a pas vu plus loin que le bout de son nez et de son portefeuille. Honte au fonctionnaire qui a dormi au gaz. Honte à notre système juridique, puisqu’un juge de la Cour d’appel du Québec ne peut prendre en cause dans sa décision l’erreur bureaucratique générant l’effet de domino menant à une injustice totale, c’est-à-dire une décision rendue au profit d’un entrepreneur sans vision, en voie de passer à l’histoire montréalaise comme un authentique destructeur de patrimoine.

Mais… pourquoi donc la Ville n’a-t-elle pas rectifié le tir dès qu’elle a su ? Il y avait peut-être anguille sous roche: «Si c’était du vaudeville comme ce l’était à l’époque de Gilles Latulippe, il y aurait du bruit, de la fureur, des chaises renversées et à 22h, c’est fermé. Là, ça dure jusqu’à trois heures du matin et c’est le son dans le tapis», a indiqué l’animateur Luc Ferrandez au 98,5, considérant que l’amphithéâtre était devenu une « discothèque » dans la majorité de ses interventions. L’ex-maire de l’arrondissement (où se situe La Tulipe) a-t-il exprimé ce que pensaient des fonctionnaires en poste, dont celui qui a autorisé la construction du promoteur Pierre-Yves Beaudoin? Ne prêtons pas d’intentions mais…

Quoi qu’il en fut, la « discothèque », c’était ainsi depuis de nombreuses années et la réprobation du voisinage était à peu près nulle, tout simplement parce que personne n’y dormait à proximité.

Les conséquences dramatiques de cette lamentable erreur bureaucratique peuvent-elles être réparées? Un revirement de situation est-il possible ? C’est ce que nous pourrons observer dans un avenir proche. Au delà-des réunions d’urgence, le maire d’arrondissement, Luc Rabouin, doit impérativement mettre ses culottes et contraindre les occupants du nouveau bâtiment connexe à La Tulipe à en endurer le son et assumer les conséquences de leur occupation à proximité.

Ces derniers devront-ils se conformer à une nouvelle réglementation du bruit ? Poursuivront-ils la Ville si tel est le cas ? Difficile à prédire. Chose certaine, un règlement protégeant les acquis des salles de spectacles à Montréal devient absolument essentiel, vu le flou règlementaire nous ayant menés à cette gadoue.

Quelle bouette….

Jeremy Dutcher, un 2e Polaris… ce qui en dit long sur le Prix.

par Alain Brunet

Depuis les presque débuts du Prix Polaris, je passe une journée ou deux par an afin de repasser les longue et courte listes d’artistes ou groupes nommés, après avoir fourni mes 5 préférences au début du processus de sélection.

Chaque année, je soumets et vote de nouveau, surtout pour accéder aux découvertes et recommandations effectuées par les jurés, journalistes culturels et communicateurs recrutés partout au Canada. C’est ce qui m’intéresse essentiellement: obtenir un portrait complet de l’actualité musicale canadienne que ni les Junos ni les Félix ne peuvent fournir.

La liste longue du Polaris est ce qui me semble le plus précieux, plus précieux que la liste courte et encore plus que le premier prix accordé mardi soir à l’artiste autochtone Jeremy Dutcher.

Bien sûr, je loue son talent, je le sais brillant et inspiré, il demeure pour moi l’un des grands artistes du renouveau de la culture indigène canadienne, lui-même issu de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk – établie au Nouveau-Brunswick, au Québec et dans le Maine. Encore cette fois avec le superbe album Motewolomuwok qui lui vaut un second Polaris, Jeremy Dutcher a su concevoir un alliage solide de culture classique en chant (formation de ténor), de culture numérique et d’une pop de création richement arrangée. Nous l’avons reconnu et célébré en 2018 lorsqu’il a remporté un premier Polaris. Qu’il en gagne un deuxième alors que le Canada a cruellement besoin de faire valoir ses nouveaux talents ou récompenser ceux ou celles qui bossent dur et proposent du matériel de grande qualité, je me dis… ouin.

Force est de constater que le respectable Jeremy Dutcher a dominé la dizaine d’artistes s’étant hissés en finale… mais combien de productions équivalentes à la sienne n’ont pas été retenues en cours de route par un jury vaste, hétérogène et… pas tout à fait cohérent en bout de ligne ?

L’objectif consistant à récompenser le meilleur album canadien choisi sans considération d’ordre commercial ou d’impact quantitatif par les spécialistes, je constate annuellement que le choix ultime correspond souvent à une posture idéologique et générationnelle plutôt qu’artistique. Les choix résultent inévitablement de tendances lourdes au sein des votants, pour la plupart incapables d’évaluer l’ensemble de la production canadienne. Et ce pour de multiples raisons.

Plus précisément, la majorité anglophone au sein des votants ne comprend pas la deuxième langue officielle au Canada. Impossible alors de saisir la qualité d’un texte français, essentiel à une grande chanson. Oui, la majorité des votants est très sensible aux enjeux des communautés culturelles au Canada, de la condition autochtone ou aux enjeux LGBTQ+, ce qui tout à fait louable en soi, mais… très souvent, cette posture exclut plusieurs artistes émergents qui ne sont pas impactés par l’oppression inhérente aux communautés mentionnées, ce qui peut paradoxalement produire une évaluation injuste en fin de processus. Aussi, la majorité des votants s’y connaît surtout dans les différentes déclinaisons de musiques populaires: hip-hop, soul/R&B, rock, chanson d’auteur, électro… quant au jazz contemporain, aux musiques instrumentales contemporaines, aux musiques classiques non occidentales, aux musiques électroniques plus complexes, ces expressions sont exclues systématiquement des listes courtes et de la grande finale.

Comment pourrait-il en être autrement ? Comment célébrer équitablement l’archipel des cultures, langues et styles musicaux canadiens ?

Comment comparer la pop de création d’un artiste autochtone et un producteur électro-ambient ou encore un auteur-compositeur-interprète country ? Comment évaluer une poésie écrite en langue autochtone si on n’en comprend que la traduction ? Comment évaluer les chansons d’un artiste si on ne parle pas sa langue ? Les genres musicaux sont-ils comparables dans le contexte de l’attribution d’un prix?

Je vous le donne en mille.

Alors ? Faites-vous plutôt une tête sur les 10 finalistes du Prix-Polaris 2024. Écoutez ces artistes et vous verrez à votre tour l’impossibilité théorique de leur comparaison. Je gage ma chemise que très peu d’entre vous ont fait cet exercice, mieux vaut tard que jamais.

Publicité panam
Publicité panam

La valeur marchande du jazz « sérieux »

par Alain Brunet

Il y a 40 ans, le jazz avait perdu considérablement de sa valeur marchande, le rock et la contre-culture en avaient diminué la coolitude. Les seuls musiciens associés à cette forme qui attiraient des foules substantielles étaient les artistes liant le jazz au funk et au rock, c’est-à-dire des formes liées à la jeunesse de l’époque. On pense à Chick Corea, Mahavishnu Orchestra, Weather Report, etc.

Et puis le CD est devenu le support dominant dans les années 80, les étiquettes de disques pouvaient alors remettre aux goûts du jour les répertoires de ses figures mythiques : Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker, Duke Ellington, Thelonious Monk, etc. 

Nés à cette même époque, de grands festivals de jazz avaient d’autant plus contribué à relancer le genre et même sortir quelques légendes de leur retraite ou redonner du travail à la troisième division des musiciens abandonnés par l’industrie de la musique depuis le milieu des années 60 : dixieland, swing, bebop, hardbop, third stream et free-jazz pouvaient retrouver leurs publics et en conquérir de nouveaux, plus jeunes, qui abordaient le jazz comme une musique classique.

Et il y avait plus encore.

Mis de l’avant par une nouvelle génération de musiciens éduqués dans les facultés de musique, virtuoses avérés, arborant des vêtements chic comme c’est le cas des interprètes de la musique classique, le jazz acoustique pouvait atteindre des publics beaucoup plus considérables et connaître un véritable essor économique. On pense évidemment à la famille Marsalis et consorts. La consommation du jazz en salle ne se passait pas exactement comme la musique classique, cependant: le public était au rendez-vous pendant les grands festivals tenus durant la saison chaude et il prenait congé le reste de l’année, sauf exceptions.

Les promoteurs des plus grands festivals, en Amérique comme en Europe, ont alors réalisé les limites du jazz « sérieux » quant à sa capacité de conquérir les masses. 

Il fallait se rendre à l’évidence, le jazz moderne était une musique complexe, savante, au même titre que la musique classique. Les formes du jazz moderne s’inspiraient certes du Great American Songbook mais en transformaient les rythmes et harmonies et n’en conservaient que les thèmes mélodiques. Et ce n’était que le début de cette forme devenue « savante ». Ce procédé de complexification était parfaitement comparable aux transformations des musiques populaires engendrées par les grands compositeurs européens depuis la Renaissance.

Plusieurs formes de jazz devenaient savantes et leurs adeptes ne représentaient pas la majorité. Sauf exceptions, le jazz ne serait pas une musique surtout  populaire et ne pourrait pas attirer des auditoires de masse, encore moins de gros commanditaires pour financer ces événements en bonne partie. Les gestionnaires des grands festivals ont alors saisi que les styles de musique complémentaires au jazz, des styles forcément plus pop, étaient essentiels à l’expansion de leurs événements. C’est ainsi que le jazz « sérieux » a progressivement dû céder une part importante de l’espace en salles qui lui était consenti. Dans le même ordre d’idée, le public du jazz a vieilli, moins alimenté par de nouvelles propositions moins soutenues par l’industrie de la musique.

Où en sommes-nous aujourd’hui? Moins de jazzmen et jazzwomen « sérieux.ses » sont capables de remplir des salles payantes. Certes, il existe encore des valeurs sûres (Brad Mehldau, Joshua Redman, etc.) et de rares phénomènes  jazz issus des médias sociaux (Laufey cette année, est un bon exemple), et ces valeurs sûres doivent cohabiter avec un nombre croissant d’artistes de différents styles dont ceux de la tendance néo-classique, sorte de zone intermédiaire entre la musique populaire et ladite musique sérieuse.

À tel point que des musiciens de très haut niveau, on pense notamment à Chris Potter qui est un des meilleurs saxophonistes sur Terre, acceptent de se produire sur une scène extérieure secondaire, et gratuite. Un peu comme si Charles Richard Hamelin jouait à Lanaudière sur une scène secondaire d’accès gratuit pendant qu’Alexandra Streliski remplirait l’amphithéâtre Fernand-Lindsay.

Force est d’admettre que l’économie du jazz n’est pas celle de la musique classique occidentale. Le jazz « sérieux » bénéficie nettement moins du soutien étatique et du mécénat, ce qui nuit considérablement à son maintien et à sa continuité créative. 

Tous ces facteurs font en sorte que le jazz décline depuis un moment et ses nouveaux protagonistes doivent reconquérir un espace public perdu au fil des dernières décennies.

On sait aussi qu’une génération montante de musiciens liés au jazz tient à ramener le party et un esprit jeune dans l’affaire, ce qui est comparable au jazz rock des années 70 et 80. Très bien !  Sans conteste, on apprécie  que Hiatus Kaiyote et Robert Glasper puissent remplir la Place des Festivals, on aime aussi découvrir gratuitement le nec plus ultra du jazz d’aujourd’hui sur les scènes Pub Molson et Studio TD, on se désole néanmoins que des musiciens de haut niveau sont aujourd’hui incapables (ou nettement moins capables) d’attirer des publics désireux de débourser comme le font les mélomanes de la musique classique. 

Sans grimper dans les rideaux, il faut faire ce constat pragmatique: le jazz « sérieux » ne vend pas.

Pour l’instant, les directions d’événements hybrides à saveur jazz (ou qui en portent le nom) n’ont pas d’autre choix que de le relancer comme un produit d’appel, autrement plusieurs salles payantes seraient vides ou clairsemées. À Montréal, en tout cas, on ne lésine pas sur cette relance, au grand plaisir des connaisseurs qui se régalent sans avoir à payer. Cette programmation gratuite, on peut le dire, est la meilleure côté jazz depuis longtemps. Paradoxal ? Peut-être mais… cette situation est généralisée partout dans le monde, une dynamique amorcée il y a longtemps. Les forces du marché, n’est-ce pas ?

Que faire alors ? Déplacer le jazz « sérieux » dans les festivals et saisons de concerts classiques ou bien attendre les fruits de cette reconstruction que l’on observe cette année sur les scènes gratuites ?

Chose certaine, il faudra un jour accepter qu’une frange importante des jazzophiles, et l’on ne parle pas ici des férus de jazz groove traversé par le hip-hop, aiment les formes plus complexes et plus exigeantes, au même titre que les amateurs de musique classique occidentale. Il faudra surtout prendre conscience que les artistes du jazz « sérieux » doivent s’épanouir avec un public sans cesse renouvelé et encouragé à le faire, comme c’est le cas de la musique classique et de la musique contemporaine. Pour que le jazz  « avancé » puisse revoir sa valeur marchande à la hausse comme ce fut le cas il y a 40 ans, il faudra d’autres conditions que celles prévalant aujourd’hui. Pas demain la veille…

PAN M 360 au FIJM 2024 | Au sujet du phénomène Laufey

par Alain Brunet

Aucun autre média montréalais que PAN M 360 ne dispose d’autant de ressources humaines pour assurer une couverture experte du Festival International de Jazz de Montréal. Nous sommes nombreux à parcourir le site extérieur et les salles de concert : Jacob Langlois-Pelletier, Frédéric Cardin, Stephan Boissonneault, Michel Labrecque, Varun Swarup, Vitta Morales et Alain Brunet vous présentent leurs critiques d’albums, leurs comptes rendus de concerts et quelques entrevues. Bonne lecture et bonne écoute !

Laufey s’est produite à Montréal l’an dernier, je l’ai vue et entendue…froidement, sans émotion ressenties pour ces nobles et bons sentiments mis en musique jazzy. Pour moi, c’était assez vu et entendu, vraiment pas ma tasse de thé que de réhabiliter les vamps anglo-américaines de l’Après-Guerre. Mais… ces considérations étaient parfaitement inutiles, force est de constater un an plus tard. L’ébullition pop de la chanteuse sino-islandaise était déjà en marche, nous voilà en 2024, elle est LA superstar en salle de ce Festival international de jazz de Montréal, celle qui vend le plus de billets à fort prix.

Je vous invite à lire le compte-rendu respectueux de notre collaborateur Vitta Morales, il y rapporte que l’auditoire de Laufey est super jeune et embrasse, pour ne pas dire frencher goulument, cette esthétique pop des années 40 et 50 : ballades sentimentales with strings, bossa nova et autre torch songs que prisaient leurs grands-parents, alors adolescents ou jeunes adultes à une époque où triomphait une pop culture américaine encore tributaire du jazz. Puis vinrent les années 60 et 70, la contre-culture, le rock, le jazz électrique… et ces mélodies veloutées se sont butées à la réprobation de tous, à commencer par celle des jazzophiles, considérant cette approche pop ringarde, kétaine, morte et enterrée. Le temps passa, passa, passa et… surprise en 2024.

Évidemment, les ruptures se font généralement sans nuances, les générations ayant succédé à cette époque faste de la pop jazzy et orchestrale en avaient oublié la qualité des arrangements, la richesse harmonique, l’expressivité lascive et élégante, cette expression des hauts et bas de la vie sentimentale.

Pas moins de 8 décennies plus tard, Laufey reprend ces formes satinées et des millions de jeunes, surtout de sexe féminin, capotent. Sur toutes les grandes scènes du monde, les diffuseurs se frottent les mains, si rares sont les chanteuses associées à la chose jazzistique sont capables d’un tel impact de masse.

Régulièrement, la jazz business mise à mal au depuis le début de ce siècle, essaie de lancer une autre Diana Krall sans pour autant réussir à déborder le marché d’une nostalgie agonisante… puisque la majorité absolue des fans du genre ayant vécu cette époque ne sont plus de ce monde ou incapable de se déplacer dans une salle de concert. Et puis voilà cette résurrection d’un genre très longtemps jugé suranné.

Le phénomène Laufey n’est pas unique. Les médias sociaux, surtout TicTok dans le cas qui nous occupe, concourent déterrer, relancer et classiciser les formes musicales issues d’un lointain passé. Le néoclassicisme s’en nourrit avec les résultats que l’on sait, voici le jazz qui fait de même. Que dire de plus?

crédit photo : @frederiquema pour le FIJM

RIP l’ami JP

par Alain Brunet

La mort de Jean-Pierre Ferland (1934-2024), nous ramène inévitablement à son legs, réparti en trois cycles importants.

Notre ami JP nous laisse d’abord une discographie chansonnière considérable dans les années 60, soit l’époque des Bozos (Léveillée, Lévesque, Desrochers, Brousseau) à l’apogée des boîtes à chansons et aussi de son exil parisien où il avait réussi pendant un moment à surfer sur la vague keb déclenchée précédemment par Félix Leclerc, Pauline Julien, Gilles Vigneault, Raymond Lévesque.

Comme ce dernier, JP n,a pas connu le grand succès en Europe et décida de rentrer au bercail pour y mener une carrière locale, fort enviable au demeurant. Certains le placent au même rang que les Brel, Brassens et Ferré, mais cette évaluation demeure nord-américaine. Car peu de Français lui reconnaissent aujourd’hui la paternité de Je reviens chez nous, popularisée jadis par Nana Mouskouri. La contribution québécoise à la rive gauche est loin derrière nous et se termine avec Charlebois au tournant des années 70, tant et si bien qu’il se trouve peu de non Québécois qui associent JP Ferland aux grands classiques de la chanson d’expression française. Évidemment il y a eu Céline mais ce succès est d’une tout autre mouture, cela n’a rien à voir avec les vagues précédentes et le plus ou moins néant d’aujourd’hui.

Au QC, c’est évidemment différent. Depuis sont retour au pays après un séjour de quelques années en France, Jean-Pierre Ferland a marqué presque exclusivement les francophones d’Amérique, d’abord pour ses albums créés de 1959 à 1969, mais surtout à cause de Jaune, 33 tours lancé en 1970 et qui demeure un des grands classiques de la pop de création made in Québec.

Je me souviens encore de la commotion à la sortie de cet album! Ma cousine adolescente avait fait jouer ça aux plus jeunes, on croyait alors que Ferland essayait de rattraper Charlebois qui avait déjà fait la révolution avec l’Osstidcho et l’album Lindbergh, de concert avec Louise Forestier. C’était une erreur d’évaluation car Jaune partage aujourd’hui les premières places de la discographie québécoise, toutes époques confondues. Plus précisément, Jaune (1970), Soleil (1971) et Les vierges du Québec (1974) constituent un second chapitre important dans les années 70.

Après quoi JP s’était recyclé dans la variété télé et avait mis à profit ses talents de séducteur pour ne revenir à la chanson top niveau qu’avec la sortie de Écoute pas ça, superbe opus créé de concert avec Alain Leblanc en 1995. Authentique survivant de la création, Jean-Pierre Ferland avait réussi le grand exploit d’un troisième cycle de chansons avec Écoute pas ça (1995) et L’amour c’est d’l’ouvrage (1999).

J’ai eu la chance d’être aux premières loges de ce cycle. Alors chroniqueur à La Presse, je m’étais déplacé plusieurs fois au domaine de JP à Saint-Norbert. Excellent souvenirs de l’accueil chaleureux de mon hôte. Les interviews duraient des heures, nous avions beaucoup de plaisir à échanger et je repartais à MTL rassasié avant d’écrire le texte de l’interview. Je garde un excellent souvenir de ces entretiens.

Une décennie plus tard, virent les fameux adieux de Jean-Pierre au Centre Bell, soit en 2007. Puis ce fut son retour scène et le projet relativement avorté d’une comédie musicale de son cru, conçu autour de la femme du roi Édouard VIII. Pour JP, le sujet était formidable : un roi qui renonce au trône par amour pour sa compagne (préalablement divorcée et non éligible de facto)…. Or on sut par la suite que l’ex-roi avait aussi traficoté avec l’Allemagne nazie et même envisagé un retour à la royauté. Heureusement, les recherches insuffisantes voire erronées de JP sur cette trame dramatique ne l’ont pas trop esquinté, personne ne s’en formalise aujourd’hui, pas plus que l’échec relatif de Gala, une autre comédie musicale de son cru inspiré de la femme du flamboyant Salvator Dali.

Je l’ai rarement croisé par la suite, la dernière rencontre eut lieu en 2020 lors d’un récital plutôt à la PdA, destiné à un public vieillissant. JP commençait alors à décliner sur scène mais il avait encore l’esprit alerte et l’humour acéré. Je me souviendrai de cette vivacité, d’un auteur-compositeur-interprète nettement au-dessus de la moyenne, inspiré, très intelligent, un brin opportuniste, très attachant. Merci pour tout l’ami JP!

crédit photo: Melany Bernier dans la page FB de JPF.

Bras de fer entre Universal Music et Tik Tok: l’enjeu de l’IA

par Luc Tremblay

Depuis vendredi 1er mars dernier, tout le catalogue détenu par Universal Music Publishing Group (UMPG), soit l’une des 3 majors de la musique, n’est plus disponible sur Tik Tok. Environ 4 millions de chansons n’y bénéficient plus d’une licence active. 

Mon ado a remarqué que beaucoup de chansons avaient disparu de son feed, sans trop comprendre. Ma progéniture me permet de suivre les trends de TikTok, voilà une partie de la pertinence de la procréation: s’actualiser.

Ce n’est pas tant la disparition d’Irving Berlin qui a retenu l’attention de Béatrice, on s’en doute, mais plutôt l’absence de Billy Ellish, SZA, Justin Bieber, Drake, Bad Bunny et Taylor Swift.

L’impact est majeur. Pour UMPG comme pour Tik Tok et c’est une histoire de gros sous, mais pas que cela.  À terme, ce qui est en jeu est la valeur de la création artistique et sa protection dans le contexte où l’intelligence artificielle se développe à une vitesse vertigineuse.

Il faut savoir que Tik Tok investit massivement en intelligence artificielle. L’entreprise a fait l’acquisition en 2019 de la start-up Jukedeck, spécialisée dans la création de musique générée par l’IA et libre de droit. Dans les années qui ont suivi, elle a embauché massivement pour développer cette nouvelle division.

Produire de la musique générée par l’IA pourrait permettre à TikTok d’opérer sans avoir des contrats de licence avec Sony, Warner et Universal. Elle épargnerait alors sur les droits d’auteurs qu’elle verse aux artistes et aux compagnies qui les représentent. Mais elle pourrait aussi repousser du revers de la main les prétentions de ce trio dans le cadre des négociations actuelles: obtenir, en plus des droits de licence, une part des revenus publicitaires que génère Tik Tok.

Beaucoup d’argent.

L’argumentaire de UMPG et ses comparses se défend. Les vidéos produits sur TikTok perdent de leur impact, de leur saveur et de leur capacité d’engagement quand on en retire la musique. UPMG veut donc sa part du gâteau. Mais l’histoire ne dit pas si, advenant que la major mette la main sur un pourcentage des revenus publicitaires de TikTok, elle partagerait une partie de ces gains avec les artistes de son répertoire. 

Pour l’instant, UMPG présente son combat comme étant celui du protecteur des droits d’auteur contre le dragon de l’intelligence artificielle.

Dans une note envoyée aux artistes le 29 février, elle argue que Tik Tok refuse de donner la garantie qu’elle n’entraînera pas ses modèles d’intelligence artificielle avec les œuvres de ses artistes. Alors que pour faire du “Billy Eilish, l’IA doit écouter du “Billy Eilish » pour ensuite être en mesure d’en reproduire la facture. L’intelligence, même artificielle, a besoin d’un professeur.

L’enjeu est réel. Immense. Il pose toute la question du droit d’auteur sur la planète I.A. Un débat qui s’étend au-delà de l’univers musical. Le New-York Times a entamé des poursuites judiciaires, en décembre dernier, contre Open AI (la compagnie mère de Chat GPT) pour utilisation non autorisée de son contenu pour entraîner Chat GPT. Encore là, pour ne pas dire n’importe quoi, Chat GPT et ses semblables doivent apprendre de journalistes qui se sont tapés le travail du terrain, de la vérification de faits. 

Tik Tok compte plus de 1,2 milliard d’utilisateurs, majoritairement âgés de moins de 35 ans.

L’âge où l’on écoute beaucoup de musique, mais surtout où l’on en découvre beaucoup.

Et si le contenu des majors venait à disparaître de TikTok, alors remplacé par des artistes indépendants, forcément vulnérables sur la question de la propriété intellectuelle, et de la musique généré par l’IA ? Ne serait-ce pas (un autre) changement majeur dans l’industrie musicale ?

Notre hip-hop afro-descendant: rap, conscience… sous-représentation

par Gabriella Kinté

En ce Mois de l’histoire des Noirs, PAN M 360 met fièrement en relief la pensée de sa nouvelle collaboratrice Gabriella Kinté, libraire engagée, autrice montréalaise et grande fan de hip-hop. Jouxtant l’espace Ausgang Plaza sur la Plaza Saint-Hubert, la librairie Racines qu’elle a fondée propose une vaste éventail d’ouvrages concernant les histoires, la culture ou les conditions de vie des personnes racisé.e.s au Québec. Le travail de Gabriella se prolonge désormais sur les pages de PAN M 360 !

En ce mois dédié à la célébration de l’histoire des Noirs, j’ai envie de vous partager mes impressions concernant le hip-hop, une culture que j’adore et que ma communauté afro-descendante a activement contribué à créer. Mes éléments préférés de cette culture sont le rap et la conscience. 

Alors voici:

Il est impossible de se promener dans les rues de Montréal sans y voir l’influence de ce mouvement mondial. Au Québec, je suis très bien servie par l’offre de talents locaux mais je suis agacée qu’ils soient trop souvent mal représentés dans les médias grand public. Il me semble en fait que ces médias institutionnels aient tendance à mettre en évidence le même type d’artistes … hommes, cis, blancs.

En tout cas, rares sont ceux qui me ressemblent et dont les enregistrements sont joués à la radio commerciale ou encore sont invités sur les grands plateaux de télé. Je trouve que les médias traditionnels favorisent la visibilité de rappeurs blancs, ce qui peut être attribué à divers facteurs, dont les opinions préconçues des décideurs.

Certains journalistes, probablement de manière inconsciente, intègrent les perceptions négatives ancrées dans la société, les orientant vers une préférence envers les artistes aux origines non minoritaires. Cela contribue à créer un déséquilibre dans la représentation de la diversité au sein de la scène hip-hop québécoise, tout comme dans d’autres secteurs de la culture.

Ce que je n’aime surtout pas entendre, c’est que la non présence de la diversité dans les médias est liée au manque de bons artistes émergents issus de cette diversité. Je ne crois donc pas qu’il y ait un lien directement proportionnel entre le talent et la présence médiatique. En 2024, on ne doit plus fermer les yeux! Nous savons toustes que persistent dans le paysage médiatique des comportements discriminatoires, même si complexes à percevoir. 

Régulièrement, je dois consulter des médias indépendants tels que Onz Montréal, Hit’Story, Da Main Source et Rapolitik, afin de demeurer informée des dernières tendances. Je n’ai pas le choix, car ce que me proposent les “leaders médiatiques’’ est souvent ennuyeux, déconnecté ou encore met de l’avant des talents américains, alors que nous pouvons compter sur d’excellents artistes locaux. C’est pourquoi les médias indépendants me passionnent car ils sont plus proches des artistes de toutes sortes. 

C’est grâce à eux que j’ai eu le plaisir de découvrir des artistes tels que Chung, Planet Giza, SLM, Ya Cetidon, etc. Si je m’en tenais qu’à ce qui est offert sur les canaux traditionnels il en aurait fallu du temps pour que leurs œuvres atteignent mes oreilles. Ça aurait été décevant pour moi de les découvrir qu’une fois leur succès international établi. C’est très regrettable étant donné leur talent. Avec la multitudes de plateformes existantes je crois qu’ils méritent d’être plus vus/entendus.

Mais comment, au fait, peut-on contribuer à l’amélioration des choses, que l’on soit fan ou acteur médiatique ? D’abord se mettre dans de meilleures dispositions :

Pour les fans: aller vers ce qui ne leur ressemble pas, élargir leur champ de vision et remettre en question nos propres préjugés inconscients.

Pour les chroniqueurs : dépasser la simple rédaction de leurs préférences, explorer des perspectives différentes et s’interroger sur leurs biais inconscients. 

Fans ou chroniqueurs, je crois que nous avons toustes un certain pouvoir d’influence.  En attendant les changements dans des sphères médiatiques rigides, agissons ensemble en explorant et en partageant le profil de talents souvent méconnus, et contribuons ainsi à enrichir nous-mêmes la scène culturelle.  Pourquoi? Pour assurer une couverture plus équitable et authentique du hip-hop au Québec. 

Néanmoins… shout out pour les avancées positives suivantes :

  • Le documentaire Les Racines du Hip-Hop au Québec. À l’origine de cette pépite se trouve une équipe diversifiée, compétente, offrant au grand public l’occasion de découvrir des acteurs majeurs. 
  • Le rappeur Lost, le seul Montréalais ou même carrément le seul Canadien à faire partie de la nouvelle campagne Fifty Deep de YouTube Music. C’était une fierté pour moi de voir cela! 
  • Les médias indépendants pour leur travail exceptionnel et authentique, une bouffée d’air frais au sein du paysage médiatique.

Bien que la route vers une représentation juste, authentique et équitable s’annonce longue, ma confiance dans l’émergence de nouveaux talents musicaux locaux persiste.  De toute façon, l’ère actuelle offre aux esprits créatifs plusieurs occasions de se faire entendre. Mon souhait pour 2024 ? Que la quête de nouveaux publics soit moins ardue pour les artistes racisés. Qu’on se base exclusivement sur les capacités artistiques réelles plutôt que sur le statut ou les privilèges.

Pendant que meurt Alexeï Navalny, renaît Mireille Mathieu… toujours pro-Poutine ?

par Alain Brunet

Célèbre pour son opposition à Vladimir Poutine, le politicien Alexeï Navalny serait mort ce vendredi 16 février, au centre pénitentiaire N° 3, dans l’Arctique russe. Il y purgeait une peine de 19 ans pour les raisons que l’on sait. Pendant ce temps, Mireille Mathieu s’apprête à renaître sur scène en Amérique francophone, 35 ans après son dernier passage – samedi et dimanche à la Salle Wilfrid-Pelletier de MTL, mardi au Grand Théâtre de Québec et vendredi à la Salle Maurice-O’Bready de Sherbrooke.  

Quel est le lien au juste? Bienvenue à l’émission Personne n’en parle (en Amérique) et parlons-y des affinités assumées de la chanteuse de 77 ans avec le dictateur russe Vladimir Poutine, dont l’opposant vient de disparaître tragiquement.

Amalgame toxique ou lien plausible ?  

Convenons une fois de plus que les positions politiques des artistes et leur art devraient être idéalement dissociés. Un premier exemple vient en tête : Valery Gergiev, un des plus doués maestros de notre ère, est un proche de Poutine… et demeure un artiste colossal. Un autre : Gérard Depardieu, naturalisé russe depuis 2013, par ailleurs dénoncé de toutes parts en France pour ses inconduites sexuelles pour le moins dégoûtantes, il délire à souhait sur toutes les tribunes qui lui sont offertes… et n’en demeure pas moins l’un des plus grands acteurs gaulois, toutes époques confondues.

Cela étant posé, il devient de plus en plus ardu de gommer ces irritants poutiniens lorsqu’on s’intéresse encore aujourd’hui à la fabuleuse direction d’orchestre de Gergiev ou d’un nouveau film mettant en vedette Depardieu. Dans l’actuel contexte géopolitique, il faut travailler fort dans les coins pour faire en sorte que ces considérations négatives nous laissent tranquilles et savourer l’art de ces géants comme si de rien n’était.

C’est idem pour tant de figures iconiques de la pop culture, Mireille Mathieu en est un autre exemple probant. Incontournable de la variété française, 1200 chansons, 200 millions d’albums vendus, archi-tubes tels Acropolis Adieu ou Une femme amoureuse, fameuse version de Woman In Love de l’immense Barbra Streisand. 

Bien sûr, on peut faire la part des choses et admettre le talent d’artistes aux positions controversées mais rien n’empêche de s’enquérir de la posture idéologique d’une personnalité publique, fusse-t-elle issue du merveilleux monde des variétés comme l’est « Merveille » Mathieu – merci Clémence DesRochers.

Alors voici quelques citations dignes d’intérêt, émanant de la vedette française (que nous éviterons ici de juger artistiquement), citations  glanées chez les cousins médiatiques exerçant le journalisme avec la rigueur nécessaire :

Le Point, 19 juillet 2022 : « Mireille Mathieu sort du silence. Ce jeudi 18 août, la chanteuse aux 200 millions d’albums vendus s’est exprimée dans les colonnes du quotidien Nice-Matin, notamment sur Vladimir Poutine, pour la première fois depuis le 24 février. Avant le conflit en Ukraine, elle n’avait pas hésité à dire qu’elle « admir[ait] Vladimir Poutine ». Si la chanteuse populaire dans le monde entier – et particulièrement en Russie – ne renie pas ses propos, elle les adapte. »

Le Point, 19 juillet 2022 : « Interrogée par nos confrères afin de savoir si elle « admire » toujours le chef du Kremlin, l’interprète de  La Paloma adieu assure que cet avis « est personnel ». « Ma relation avec [Vladimir Poutine, NDLR] est différente de celle du simple chef d’État, puisqu’il m’a accueillie personnellement plusieurs fois lorsque je chantais [en Russie] », se défend-elle. Et de poursuivre, en déclarant qu’elle « aime beaucoup les peuples russe et ukrainien ». »

Le Point, 23 juillet 2026 :  « La demoiselle d’Avignon vient de fêter ses 70 printemps. Si elle a refusé de célébrer son anniversaire si tôt après la mort de sa première fan, sa mère, décédée en mars dernier, la chanteuse a tout de même eu droit à un hommage appuyé de Vladimir Poutine, avec qui elle entretient de très bonnes relations depuis des années. « En France, en Russie et dans les autres pays, on vous aime comme une chanteuse brillante avec un talent extraordinaire et comme une personne charmante, bienveillante et communicative », a écrit le chef d’État dans un message relayé par l’ambassade de Russie. »

Var Matin, 10 juillet 2023 :   Quand le journal lui a demandé si elle comptait chanter pour le peuple de Kiev, la chanteuse répond : « Ce serait politique et je ne  veux pas de cela. Pas plus qu’en Russie, même si j’aime ce grand peuple… Elle exprime ensuite son avis et affirme que les sujets abordés ne sont pas les bons : « En ce moment, j’entends « missiles », « drones »… pas « paix »… Mais où va-t-on ? », se demande-t-elle. « J’attends un médiateur de la carrure d’un Mandela pour provoquer une éclaircie. Hélas, je doute que ce soit Emmanuel Macron… » .

Elle (France) : « Si de nombreuses célébrités, comme Madonna, Björk ou Jeanne Cherhal, ont pris la défense du groupe punk et féministe Pussy Riot – condamné à deux ans de camp pour « hooliganisme » après avoir improvisé une « prière » punk anti-poutine dans une cathédrale de Moscou –, il y en a une qui ne voit pas les choses de la même façon. Mireille Mathieu, a en effet estimé, dans une interview accordée à une chaîne de télé moscovite, que les jeunes femmes avaient commis un « sacrilège ».  

Voici une interprétation sommaire de ces citations. Touchée par le soutien de Vladimir Poutine, Mireille Mathieu admire cet homme fort, comme le font d’ailleurs tant de citoyens européens d’extrême droite. Feu Bernard Tapie n’a-t-il pas déjà comparé directement Mireille Mathieu à Marine Le Pen?

La comparaison peut paraître douteuse mais… la position de Mme Mathieu sur la carrure souhaitée d’un médiateur de la paix tel Nelson Mandela (exemple rusé!), et que n’aurait pas Emmanuel Macron selon sa propre évaluation, en dit long sur sa quête d’un dirigeant fort à la tête d’un État, i.e un leader plus ferme, forcément plus autoritaire.

Comme tant de supporters occidentaux ouvertement pro-Poutine avant l’opération de « dénazification » de l’Ukraine, Mireille Mathieu se montre désormais stratégique, préférant souhaiter la paix, rien que la paix, et ne plus rien révéler de ses opinions politiques sur le conflit, à l’instar d’autres figures connues pour leur soutien à Vladimir Poutine, notamment le grand hockeyeur Alexander Ovechkin.

Petite gêne probablement stratégique, vu la diversité idéologique de leurs millions d’admirateurs, petite gêne qui pourrait possiblement s’évaporer côté Mireille Mathieu, au lendemain des présidentielles de France en 2027. 

D’ici là, la chanteuse parlera de paix et chantera ses grands succès, il va sans dire.

Photo tirée du site de la Place des Arts

Sur la crédibilité de Bob Marley One Love, ze film

par Richard Lafrance

Très attendu, le biopic du mythique Bob Marley fait ici l’objet de l’analyse éclairante de notre contributeur Richard Lafrance, sans conteste l’un des plus grands spécialistes québécois de la musique jamaïcaine. Au Canada, Bob Marley One Love sort en salle le jour de de la Saint-Valentin et PAN M 360 vous en offre la plus complète des chroniques en ligne sur ce territoire… et plus encore !

Le 2 novembre 1979, je me rendais au Forum de Montréal pour assister à l’un de spectacles les plus marquants de ma jeune existence : Bob Marley and The Wailers y étaient de passage dans le cadre de la tournée Survival. Quel sentiment étrange donc, de me retrouver au même endroit 45 ans plus tard (rebaptisé le Forum Pepsi, aujourd’hui Cinéma Cineplex Forum) pour un visionnement du film Bob Marley One Love. Le film, rend  hommage à l’icône rasta et qui le présente de belle manière aux plus récentes générations.

Guerre tribale à Kingston

Le scénario nous ramène en Jamaïque durant la période 1976-80, avec un Marley en pleine gloire internationale, alors qu’il accepte de se produire pour ses compatriotes dans le cadre du concert Smile Jamaica, proposé par Michael Manley, alors premier ministre jamaïcain, au plus fort d’une guerre politique tribale et urbaine. 

Quelques jours plus tard, perçu comme étant beaucoup plus près du People National Party à tendance socialiste de Michael Manley que du Jamaican Labour Party pro-américain d’Eddie Seaga, le chanteur sera victime d’un attentat armé à sa résidence d’Hope Road. Il se prendra deux balles, sa femme Rita sera touchée (légèrement) à la tête et son manager Don Taylor, atteint de 6 balles, devra être transporté d’urgence en Floride pour y être soigné. 

Sur un coup de tête de dernière minute, Bob et Rita, encore ensanglantés et sous le choc de l’attentat, décident de monter sur scène avec les musiciens présents assez braves pour les accompagner et donnent l’une des deux performances jamaïcaines déterminantes de leur carrière. 

La seconde étant évidemment le désormais légendaire One Love Peace Concert, lors duquel Bob a littéralement forcé les deux opposants politiques à se serrer la main sur scène, devant une Jamaïque dévastée par la violence armée. Le film se termine justement sur les vraies scènes de cet événement de 1978.

Pour bonifier le contenu biographique du film, plusieurs flashbacks avec deux autres plus jeunes Bobs- l’un vers 10 ans et l’autre, superbement incarné par le jeune acteur américain Quadajay Henriques (cousin de Sean Paul) vers 20 ans, exposent des moments cruciaux de sa vie et de sa carrière.

Les meilleurs exemples en sont l’audition des Wailers, auprès de l’intimidant producteur Coxson Dodd et l’hilarant Lee « Scratch » Perry à Studio One, le « Motown jamaïcain », ou encore le Groundation, un rassemblement rasta sur la plage, oùRita présente Bob à Mortimer Planno, qui deviendra son guide spirituel rasta.

Depuis 1972 et la parution du film-culte The Harder They Come mettant en vedette Jimmy Cliff, aucune autre production cinématographique n’avait autant marqué l’imaginaire jamaïcain (et international) que celle-ci. 

Dans ce contexte actualisé, les gens de Paramount ont bien compris que l’apport de la Jamaïque serait essentiel au projet : plus de 400 acteurs et techniciens, en plus de 1,800 figurants jamaïcains furent utilisés pour ce projet de 25 jours de tournage, spécifiquement à Trench Town, le ghetto de Kingston Bob grandit et au Stade national de Kingston, lieu du One Love Peace Concert.

Les costumes sont les répliques exactes de la garde-robe de Bob et de sa cohorte; les dialogues et le patois sont naturels et fluides, très collés sur les faits réels, sauf quelques libertés prises dans le scénario.

Kingsley Ben-Adir et Lashana Lynch,  Oscarisables ?

Évidemment, le plus grand exploit de ce film financé par Brad Pitt, produit par Rita, Cedella et Ziggy Marley et réalisé par Reinaldo Marcus Green, concerne la transformation de Kingsley Ben-Adir en véritable « yardie » kingstonien! La méthode Williams, Joe Bell, Monsters and Men, en fait.

On l’attendait bien sûr au tournant… La ressemblance physique étant la seule évidence de départ (et oui, ses dreadlocks « artificiels » sont tout à fait crédibles!), l’acteur britannique de 38 ans a dû apprendre à jouer la guitare, chanter, danser et surtout parler un patois crédible et fluide… dans la voix et avec les intonations particulières au Tuff Gong. Ben-Adir aurait fait traduire phonétiquement une cinquantaine d’entrevues, pour ensuite bénéficier d’un accompagnement linguistique. 

Ce qui soulève la question cruciale : Ziggy Marley a affirmé qu’aucun des descendants, parmi les 7 fils et 10 petits-fils, ni aucun acteur jamaïcain n’aurait pu jouer le rôle de Bob, pour les besoins du film, vers l’âge de 36 ans. On suppose que la perle rare fut longue et ardue à trouver, mais plutôt du côté du Royaume-Uni.

Kingsley Ben-Adir semble crédible à tous points de vue. En spectacle, on reconnaît la vraie voix de Bob sur des bandes sonores remixées, qui donnent aux chansons connues une sonorité un peu plus contemporaine. Mais pour les prestations acoustiques, c’est bel et bien l’acteur qui chantonne. On a alors l’impression qu’il rend généralement son personnage un peu plus enjoué que mélancolique, malgré toute la vulnérabilité et l’insécurité exprimées à d’autres moments.

De son côté, Lashana Lynch, l’actrice britannique qui fut la première femme à incarner James Bond dans No Time to Die (2021) incarne avec finesse et aplomb la matriarche du clan Marley et choriste des I-Threes, le trio vocal qui accompagna les Wailers dans toutes leurs tournées internationales, pour lequel elle aura mis une sérieuse carrière solo de côté.

Fils et filles de…

Autre facteur jamaïcain digne d’intérêt: plusieurs acteurs et chanteurs du film ont déjà des carrières musicales : les chanteuses Naomi Cowan, fille de Carlene Davis et Tommy Cowan (ex-gérant de tournée des Wailers) qui joue Marcia Griffiths et Sevana, reprenant le rôle de Judy Mowatt. Abijah Livingston y joue son père, Bunny Wailer, et Aston Barrett Junior reprend le rôle du sien, le réputé bassiste Family Man Barrett, décédé à 77 ans il y a deux semaines.

Jamais sans controverses

Puisque le film est produit par le clan Marley lui-même, pas surprenant que les aventures extraconjugales du Gong, particulièrement cette histoire d’amour torride à la fin de sa vie avec Cindy Breakspeare, ex-Miss Monde 1976 qui a produit Damian « Junior Gong » Marley, vraisemblablement l’un de ses plus talentueux enfants, passent à la trappe.

Les plus belles chansons d’amour de Marley, Turn Your Lights Down Low et Waiting In Vain furent inspirées par la reine de beauté. Malgré toutes ses incartades, Bob resta marié à Rita jusqu’à sa mort.  

Rappelons qu’en 36 ans de vie, Bob Marley aurait eu plus d’une quinzaine d’enfants, soit 11 officiellement avec 7 mères différentes,  5 avec Rita, dont 2 adoptés.

Une scène marquante du film se déroule à Paris, où justement Rita rappelle à son mari jaloux qu’elle doit élever tous ses enfants – incluant ceux des autres maîtresses- tout en étant sa choriste et enfilant les tournées mondiales.

Mes bémols 

La scène (inventée) où l’assaillant de Bob lui apparaît (dans un songe?) pour lui demander pardon, scène tout à fait superflue et très loin de la vérité de ce qu’il advint du gunman en question.

Les scènes métaphoriques du jeune Bob qui s’échappe d’une forêt en flammes, accompagné de son père blanc biologique qu’il n’a vu que deux fois dans sa vie, ou de son père spirituel, celui à qui il a voué son existence, l’empereur Hailé Selassié 1er, Jah Rastafari !

En somme ?

Les attentes étaient évidemment très élevées pour ce film et…  malgré les réserves ici formulées, Ziggy Marley et ses proches ont relevé le défi de belle manière.

870 millions à un stade… critique

par Alain Brunet

Ce n’est pas comme si on rénovait les ruines du Colisée de Rome pour en faire un stade high-tech… N’en demeure pas moins que l’actuel Stade olympique de Montréal est une coquille vétuste à rebâtir ou à démolir.

Ainsi, on a décidé de reconstruire, 870 millions $ ont été consentis comme on le sait. Bon choix? En ces temps de Super Bowl LVII tenu au rutilant Allegiant Stadium, l’occasion est belle d’y réfléchir un tantinet.

Démolir coûterait plusieurs centaines de millions de dollars canadiens, 2 milliards selon les promoteurs de la réfection et… on se retrouverait alors sans stade. Une ville de la taille de Montréal n’a-t-elle pas besoin d’un tel équipement, capable d’attirer 60 000 personnes? Oui, absolument.

Pour une population de 4 à 5 millions d’habitants, un stade moderne est un bien public essentiel. Certains événements culturels et sportifs ne peuvent tout simplement pas être tenus dans un aréna de 20 000 personnes, c’est désormais un fait objectif.  

Alors que faire? Voyons voir les coûts des trois stades les plus high-tech aux USA. L’Allegiant Stadium de Las Vegas, où s’est tenu le Super Bowl cette année, a coûté 1,9 milliard US$ avant la pandémie, on imagine facilement 2,5 à 4 milliards si le chantier commençait cette année. Le SoFi stadium de Los Angeles, où jouent les Rams, a coûté 5,5 milliards US$. Le stade AT&T des Cowboys de Dallas a coûté 1,3 milliard US$… en 2009! 

Vous aurez saisi que construire un stade coûte au moins une paire de milliards pour être concurrentiel et souscrire aux nouveaux standards internationaux. Alors démolir le Stade olympique  et en construire un autre coûterait de 3 à 4 milliards minimum, inutile d’ajouter ce choix est exclu et qu’il faut choisir le moindre mal.

La somme présumée de 870 millions pour la reconstruction du toit et de son anneau technique est  acceptable dans le contexte mais… Rénover le Stade olympique, entendons-nous bien, ne coûtera pas 870 millions CAD$. La rénovation de sa coquille n’est que la première étape d’un processus beaucoup plus long, et ses promoteurs ont peut-être intérêt à ne pas le crier sur le toit… en voie d’être rénové.

Combien au juste coûtera la résolution de l’acoustique défaillante? Très cher car le stade montréalais est un cancre à ce titre, peut-être le pire au monde. Feu l’architecte Roger Taillibert, son concepteur et grand esthète, n’y avait visiblement pas songé.

J’ai personnellement assisté à la plupart des méga-concerts jusqu’aux années 90. Au fil du temps, mon métier m’a mené à assister à des concerts dans d’autres stades du monde, nettement plus acceptables côté sonorisation. À un stade avancé de ma carrière de chroniqueur musique pop, je me suis promis de ne plus jamais y retourner dans ces conditions aussi pourries.

J’ajoute qu’aucun concert auquel j’ai assisté au Stade olympique, Emerson, Lake & Palmer, Pink Floyd, U2, David Bowie, les Stones, Madonna, George Michael, Bruce Springsteen, enfin bref, tous ces concerts furent handicapés par une acoustique médiocre. On comprendra pourquoi seuls 3 programmes musicaux y ont été présentés depuis une décennie… Il faut vraiment être motivé pour s’y rendre et je ne fais plus partie de ces croyants depuis belle lurette.

Combien coûtera le remplacement et la reconfiguration des sièges vétustes? Très cher itou. Il faudra des travaux considérables à l’intérieur de sa structure pour créer une meilleure impression de proximité.   

Combien coûteront les équipements audiovisuels? Une fortune. Les écrans  led d’un stade sont désormais un fondement de l’expérience, on ne peut lésiner sur les coûts d’un tel équipement que le Stade olympique n’a pas. Celui du stade SoFi de  LA a coûté 40 millions il y a quelques années, imaginons aisément le double (en dollars canadiens) pour le  Stade olympique.

Et il y a les coursives, les stands de bouffe, les loges VIP, enfin tout ce dont un stade a besoin en 2024 pour attirer les mégastars, les grands tournois sportifs, les grandes équipes professionnelles.

Soyons sérieux, ça ne coûtera pas 870 millions de dollars canadiens pour rivaliser avec l’offre internationale. Une coquille rafraîchie, aussi belle et historique soit-elle,  ne suffira pas. Envisageons au moins le double, possiblement le triple afin que l’expérience vécue au Stade olympique puisse souscrire aux nouveaux standards du marché mondial. Sinon… on aura encore une œuvre signature de l’extérieur et un gâchis permanent à l’intérieur.

Inscrivez-vous à l'infolettre