La Tulipe, la honte, la bouette…

par Alain Brunet

Au début de ma carrière, j’avais interviewé Gilles Latulippe à son bureau du Théâtre des Variétés, alors le temple par excellence du burlesque et de la comédie populaire. Je n’avais pas grand-chose à voir avec Manda Parent et Juliette Pétry mais j’étais très impressionné par l’histoire des lieux et surtout, par l’intelligence de Gilles Latulippe qui m’avait accordé une excellente interview.

Pendant plus d’un siècle, cet amphithéâtre n’a fait l’objet d’aucune réprobation, bien au contraire. Une seule personne s’est plainte avec détermination de ses pratiques et de son rôle dans la communauté. Et cette plainte a causé la fermeture de cet amphithéâtre parce qu’un juge a tranché avec une interprétation rigoriste du règlement sur le bruit tout en excluant le contexte de la plainte désormais célèbre.

Quelle honte. Un promoteur sans vergogne obtient un permis de construction, octroyé par un fonctionnaire totalement à côté de ses pompes. Le promoteur transforme la bâtisse en immeuble locatif (et non commercial) et puis se plaint du bruit une fois son œuvre achevée et occupée par des êtres humains qui n’ont visiblement pas réalisé le contexte dans lequel ils sont plongés aujourd’hui.

« Le jugement rendu lundi par la Cour d’appel donne partiellement raison au plaignant, Pierre-Yves Beaudoin, propriétaire du bâtiment voisin de La Tulipe, rue Papineau, qui se plaint du bruit depuis qu’il a acheté l’immeuble en 2016. M. Beaudoin avait déposé une demande d’injonction à cet effet en décembre 2020 », rapporte Isabelle Ducas dans La Presse.

« Partiellement raison » signifie pratiquement que ce jugement limite La Tulipe à des prestations relativement calmes sur scène, ce qui est totalement absurde pour un tel amphithéâtre chargé d’histoire, authentique monument de notre culture populaire. La Tribu, l’entreprise qui avait remis La Tulipe au goût du jour après avoir acheté jadis le Théâtre des Variétés, est ainsi contrainte de cesser ses activités car elles devraient se terminer beaucoup trop tôt dans le contexte du showbizz tel qu’on le vit en 2024. Musique de chambre et folk acoustique en exclusivité ??? Ben voyons. N’importe quoi.

Honte à Pierre-Yves Beaudoin qui n’a pas vu plus loin que le bout de son nez et de son portefeuille. Honte au fonctionnaire qui a dormi au gaz. Honte à notre système juridique, puisqu’un juge de la Cour d’appel du Québec ne peut prendre en cause dans sa décision l’erreur bureaucratique générant l’effet de domino menant à une injustice totale, c’est-à-dire une décision rendue au profit d’un entrepreneur sans vision, en voie de passer à l’histoire montréalaise comme un authentique destructeur de patrimoine.

Mais… pourquoi donc la Ville n’a-t-elle pas rectifié le tir dès qu’elle a su ? Il y avait peut-être anguille sous roche: «Si c’était du vaudeville comme ce l’était à l’époque de Gilles Latulippe, il y aurait du bruit, de la fureur, des chaises renversées et à 22h, c’est fermé. Là, ça dure jusqu’à trois heures du matin et c’est le son dans le tapis», a indiqué l’animateur Luc Ferrandez au 98,5, considérant que l’amphithéâtre était devenu une « discothèque » dans la majorité de ses interventions. L’ex-maire de l’arrondissement (où se situe La Tulipe) a-t-il exprimé ce que pensaient des fonctionnaires en poste, dont celui qui a autorisé la construction du promoteur Pierre-Yves Beaudoin? Ne prêtons pas d’intentions mais…

Quoi qu’il en fut, la « discothèque », c’était ainsi depuis de nombreuses années et la réprobation du voisinage était à peu près nulle, tout simplement parce que personne n’y dormait à proximité.

Les conséquences dramatiques de cette lamentable erreur bureaucratique peuvent-elles être réparées? Un revirement de situation est-il possible ? C’est ce que nous pourrons observer dans un avenir proche. Au delà-des réunions d’urgence, le maire d’arrondissement, Luc Rabouin, doit impérativement mettre ses culottes et contraindre les occupants du nouveau bâtiment connexe à La Tulipe à en endurer le son et assumer les conséquences de leur occupation à proximité.

Ces derniers devront-ils se conformer à une nouvelle réglementation du bruit ? Poursuivront-ils la Ville si tel est le cas ? Difficile à prédire. Chose certaine, un règlement protégeant les acquis des salles de spectacles à Montréal devient absolument essentiel, vu le flou règlementaire nous ayant menés à cette gadoue.

Quelle bouette….

Jeremy Dutcher, un 2e Polaris… ce qui en dit long sur le Prix.

par Alain Brunet

Depuis les presque débuts du Prix Polaris, je passe une journée ou deux par an afin de repasser les longue et courte listes d’artistes ou groupes nommés, après avoir fourni mes 5 préférences au début du processus de sélection.

Chaque année, je soumets et vote de nouveau, surtout pour accéder aux découvertes et recommandations effectuées par les jurés, journalistes culturels et communicateurs recrutés partout au Canada. C’est ce qui m’intéresse essentiellement: obtenir un portrait complet de l’actualité musicale canadienne que ni les Junos ni les Félix ne peuvent fournir.

La liste longue du Polaris est ce qui me semble le plus précieux, plus précieux que la liste courte et encore plus que le premier prix accordé mardi soir à l’artiste autochtone Jeremy Dutcher.

Bien sûr, je loue son talent, je le sais brillant et inspiré, il demeure pour moi l’un des grands artistes du renouveau de la culture indigène canadienne, lui-même issu de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk – établie au Nouveau-Brunswick, au Québec et dans le Maine. Encore cette fois avec le superbe album Motewolomuwok qui lui vaut un second Polaris, Jeremy Dutcher a su concevoir un alliage solide de culture classique en chant (formation de ténor), de culture numérique et d’une pop de création richement arrangée. Nous l’avons reconnu et célébré en 2018 lorsqu’il a remporté un premier Polaris. Qu’il en gagne un deuxième alors que le Canada a cruellement besoin de faire valoir ses nouveaux talents ou récompenser ceux ou celles qui bossent dur et proposent du matériel de grande qualité, je me dis… ouin.

Force est de constater que le respectable Jeremy Dutcher a dominé la dizaine d’artistes s’étant hissés en finale… mais combien de productions équivalentes à la sienne n’ont pas été retenues en cours de route par un jury vaste, hétérogène et… pas tout à fait cohérent en bout de ligne ?

L’objectif consistant à récompenser le meilleur album canadien choisi sans considération d’ordre commercial ou d’impact quantitatif par les spécialistes, je constate annuellement que le choix ultime correspond souvent à une posture idéologique et générationnelle plutôt qu’artistique. Les choix résultent inévitablement de tendances lourdes au sein des votants, pour la plupart incapables d’évaluer l’ensemble de la production canadienne. Et ce pour de multiples raisons.

Plus précisément, la majorité anglophone au sein des votants ne comprend pas la deuxième langue officielle au Canada. Impossible alors de saisir la qualité d’un texte français, essentiel à une grande chanson. Oui, la majorité des votants est très sensible aux enjeux des communautés culturelles au Canada, de la condition autochtone ou aux enjeux LGBTQ+, ce qui tout à fait louable en soi, mais… très souvent, cette posture exclut plusieurs artistes émergents qui ne sont pas impactés par l’oppression inhérente aux communautés mentionnées, ce qui peut paradoxalement produire une évaluation injuste en fin de processus. Aussi, la majorité des votants s’y connaît surtout dans les différentes déclinaisons de musiques populaires: hip-hop, soul/R&B, rock, chanson d’auteur, électro… quant au jazz contemporain, aux musiques instrumentales contemporaines, aux musiques classiques non occidentales, aux musiques électroniques plus complexes, ces expressions sont exclues systématiquement des listes courtes et de la grande finale.

Comment pourrait-il en être autrement ? Comment célébrer équitablement l’archipel des cultures, langues et styles musicaux canadiens ?

Comment comparer la pop de création d’un artiste autochtone et un producteur électro-ambient ou encore un auteur-compositeur-interprète country ? Comment évaluer une poésie écrite en langue autochtone si on n’en comprend que la traduction ? Comment évaluer les chansons d’un artiste si on ne parle pas sa langue ? Les genres musicaux sont-ils comparables dans le contexte de l’attribution d’un prix?

Je vous le donne en mille.

Alors ? Faites-vous plutôt une tête sur les 10 finalistes du Prix-Polaris 2024. Écoutez ces artistes et vous verrez à votre tour l’impossibilité théorique de leur comparaison. Je gage ma chemise que très peu d’entre vous ont fait cet exercice, mieux vaut tard que jamais.

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La valeur marchande du jazz « sérieux »

par Alain Brunet

Il y a 40 ans, le jazz avait perdu considérablement de sa valeur marchande, le rock et la contre-culture en avaient diminué la coolitude. Les seuls musiciens associés à cette forme qui attiraient des foules substantielles étaient les artistes liant le jazz au funk et au rock, c’est-à-dire des formes liées à la jeunesse de l’époque. On pense à Chick Corea, Mahavishnu Orchestra, Weather Report, etc.

Et puis le CD est devenu le support dominant dans les années 80, les étiquettes de disques pouvaient alors remettre aux goûts du jour les répertoires de ses figures mythiques : Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker, Duke Ellington, Thelonious Monk, etc. 

Nés à cette même époque, de grands festivals de jazz avaient d’autant plus contribué à relancer le genre et même sortir quelques légendes de leur retraite ou redonner du travail à la troisième division des musiciens abandonnés par l’industrie de la musique depuis le milieu des années 60 : dixieland, swing, bebop, hardbop, third stream et free-jazz pouvaient retrouver leurs publics et en conquérir de nouveaux, plus jeunes, qui abordaient le jazz comme une musique classique.

Et il y avait plus encore.

Mis de l’avant par une nouvelle génération de musiciens éduqués dans les facultés de musique, virtuoses avérés, arborant des vêtements chic comme c’est le cas des interprètes de la musique classique, le jazz acoustique pouvait atteindre des publics beaucoup plus considérables et connaître un véritable essor économique. On pense évidemment à la famille Marsalis et consorts. La consommation du jazz en salle ne se passait pas exactement comme la musique classique, cependant: le public était au rendez-vous pendant les grands festivals tenus durant la saison chaude et il prenait congé le reste de l’année, sauf exceptions.

Les promoteurs des plus grands festivals, en Amérique comme en Europe, ont alors réalisé les limites du jazz « sérieux » quant à sa capacité de conquérir les masses. 

Il fallait se rendre à l’évidence, le jazz moderne était une musique complexe, savante, au même titre que la musique classique. Les formes du jazz moderne s’inspiraient certes du Great American Songbook mais en transformaient les rythmes et harmonies et n’en conservaient que les thèmes mélodiques. Et ce n’était que le début de cette forme devenue « savante ». Ce procédé de complexification était parfaitement comparable aux transformations des musiques populaires engendrées par les grands compositeurs européens depuis la Renaissance.

Plusieurs formes de jazz devenaient savantes et leurs adeptes ne représentaient pas la majorité. Sauf exceptions, le jazz ne serait pas une musique surtout  populaire et ne pourrait pas attirer des auditoires de masse, encore moins de gros commanditaires pour financer ces événements en bonne partie. Les gestionnaires des grands festivals ont alors saisi que les styles de musique complémentaires au jazz, des styles forcément plus pop, étaient essentiels à l’expansion de leurs événements. C’est ainsi que le jazz « sérieux » a progressivement dû céder une part importante de l’espace en salles qui lui était consenti. Dans le même ordre d’idée, le public du jazz a vieilli, moins alimenté par de nouvelles propositions moins soutenues par l’industrie de la musique.

Où en sommes-nous aujourd’hui? Moins de jazzmen et jazzwomen « sérieux.ses » sont capables de remplir des salles payantes. Certes, il existe encore des valeurs sûres (Brad Mehldau, Joshua Redman, etc.) et de rares phénomènes  jazz issus des médias sociaux (Laufey cette année, est un bon exemple), et ces valeurs sûres doivent cohabiter avec un nombre croissant d’artistes de différents styles dont ceux de la tendance néo-classique, sorte de zone intermédiaire entre la musique populaire et ladite musique sérieuse.

À tel point que des musiciens de très haut niveau, on pense notamment à Chris Potter qui est un des meilleurs saxophonistes sur Terre, acceptent de se produire sur une scène extérieure secondaire, et gratuite. Un peu comme si Charles Richard Hamelin jouait à Lanaudière sur une scène secondaire d’accès gratuit pendant qu’Alexandra Streliski remplirait l’amphithéâtre Fernand-Lindsay.

Force est d’admettre que l’économie du jazz n’est pas celle de la musique classique occidentale. Le jazz « sérieux » bénéficie nettement moins du soutien étatique et du mécénat, ce qui nuit considérablement à son maintien et à sa continuité créative. 

Tous ces facteurs font en sorte que le jazz décline depuis un moment et ses nouveaux protagonistes doivent reconquérir un espace public perdu au fil des dernières décennies.

On sait aussi qu’une génération montante de musiciens liés au jazz tient à ramener le party et un esprit jeune dans l’affaire, ce qui est comparable au jazz rock des années 70 et 80. Très bien !  Sans conteste, on apprécie  que Hiatus Kaiyote et Robert Glasper puissent remplir la Place des Festivals, on aime aussi découvrir gratuitement le nec plus ultra du jazz d’aujourd’hui sur les scènes Pub Molson et Studio TD, on se désole néanmoins que des musiciens de haut niveau sont aujourd’hui incapables (ou nettement moins capables) d’attirer des publics désireux de débourser comme le font les mélomanes de la musique classique. 

Sans grimper dans les rideaux, il faut faire ce constat pragmatique: le jazz « sérieux » ne vend pas.

Pour l’instant, les directions d’événements hybrides à saveur jazz (ou qui en portent le nom) n’ont pas d’autre choix que de le relancer comme un produit d’appel, autrement plusieurs salles payantes seraient vides ou clairsemées. À Montréal, en tout cas, on ne lésine pas sur cette relance, au grand plaisir des connaisseurs qui se régalent sans avoir à payer. Cette programmation gratuite, on peut le dire, est la meilleure côté jazz depuis longtemps. Paradoxal ? Peut-être mais… cette situation est généralisée partout dans le monde, une dynamique amorcée il y a longtemps. Les forces du marché, n’est-ce pas ?

Que faire alors ? Déplacer le jazz « sérieux » dans les festivals et saisons de concerts classiques ou bien attendre les fruits de cette reconstruction que l’on observe cette année sur les scènes gratuites ?

Chose certaine, il faudra un jour accepter qu’une frange importante des jazzophiles, et l’on ne parle pas ici des férus de jazz groove traversé par le hip-hop, aiment les formes plus complexes et plus exigeantes, au même titre que les amateurs de musique classique occidentale. Il faudra surtout prendre conscience que les artistes du jazz « sérieux » doivent s’épanouir avec un public sans cesse renouvelé et encouragé à le faire, comme c’est le cas de la musique classique et de la musique contemporaine. Pour que le jazz  « avancé » puisse revoir sa valeur marchande à la hausse comme ce fut le cas il y a 40 ans, il faudra d’autres conditions que celles prévalant aujourd’hui. Pas demain la veille…

PAN M 360 au FIJM 2024 | Au sujet du phénomène Laufey

par Alain Brunet

Aucun autre média montréalais que PAN M 360 ne dispose d’autant de ressources humaines pour assurer une couverture experte du Festival International de Jazz de Montréal. Nous sommes nombreux à parcourir le site extérieur et les salles de concert : Jacob Langlois-Pelletier, Frédéric Cardin, Stephan Boissonneault, Michel Labrecque, Varun Swarup, Vitta Morales et Alain Brunet vous présentent leurs critiques d’albums, leurs comptes rendus de concerts et quelques entrevues. Bonne lecture et bonne écoute !

Laufey s’est produite à Montréal l’an dernier, je l’ai vue et entendue…froidement, sans émotion ressenties pour ces nobles et bons sentiments mis en musique jazzy. Pour moi, c’était assez vu et entendu, vraiment pas ma tasse de thé que de réhabiliter les vamps anglo-américaines de l’Après-Guerre. Mais… ces considérations étaient parfaitement inutiles, force est de constater un an plus tard. L’ébullition pop de la chanteuse sino-islandaise était déjà en marche, nous voilà en 2024, elle est LA superstar en salle de ce Festival international de jazz de Montréal, celle qui vend le plus de billets à fort prix.

Je vous invite à lire le compte-rendu respectueux de notre collaborateur Vitta Morales, il y rapporte que l’auditoire de Laufey est super jeune et embrasse, pour ne pas dire frencher goulument, cette esthétique pop des années 40 et 50 : ballades sentimentales with strings, bossa nova et autre torch songs que prisaient leurs grands-parents, alors adolescents ou jeunes adultes à une époque où triomphait une pop culture américaine encore tributaire du jazz. Puis vinrent les années 60 et 70, la contre-culture, le rock, le jazz électrique… et ces mélodies veloutées se sont butées à la réprobation de tous, à commencer par celle des jazzophiles, considérant cette approche pop ringarde, kétaine, morte et enterrée. Le temps passa, passa, passa et… surprise en 2024.

Évidemment, les ruptures se font généralement sans nuances, les générations ayant succédé à cette époque faste de la pop jazzy et orchestrale en avaient oublié la qualité des arrangements, la richesse harmonique, l’expressivité lascive et élégante, cette expression des hauts et bas de la vie sentimentale.

Pas moins de 8 décennies plus tard, Laufey reprend ces formes satinées et des millions de jeunes, surtout de sexe féminin, capotent. Sur toutes les grandes scènes du monde, les diffuseurs se frottent les mains, si rares sont les chanteuses associées à la chose jazzistique sont capables d’un tel impact de masse.

Régulièrement, la jazz business mise à mal au depuis le début de ce siècle, essaie de lancer une autre Diana Krall sans pour autant réussir à déborder le marché d’une nostalgie agonisante… puisque la majorité absolue des fans du genre ayant vécu cette époque ne sont plus de ce monde ou incapable de se déplacer dans une salle de concert. Et puis voilà cette résurrection d’un genre très longtemps jugé suranné.

Le phénomène Laufey n’est pas unique. Les médias sociaux, surtout TicTok dans le cas qui nous occupe, concourent déterrer, relancer et classiciser les formes musicales issues d’un lointain passé. Le néoclassicisme s’en nourrit avec les résultats que l’on sait, voici le jazz qui fait de même. Que dire de plus?

crédit photo : @frederiquema pour le FIJM

RIP l’ami JP

par Alain Brunet

La mort de Jean-Pierre Ferland (1934-2024), nous ramène inévitablement à son legs, réparti en trois cycles importants.

Notre ami JP nous laisse d’abord une discographie chansonnière considérable dans les années 60, soit l’époque des Bozos (Léveillée, Lévesque, Desrochers, Brousseau) à l’apogée des boîtes à chansons et aussi de son exil parisien où il avait réussi pendant un moment à surfer sur la vague keb déclenchée précédemment par Félix Leclerc, Pauline Julien, Gilles Vigneault, Raymond Lévesque.

Comme ce dernier, JP n,a pas connu le grand succès en Europe et décida de rentrer au bercail pour y mener une carrière locale, fort enviable au demeurant. Certains le placent au même rang que les Brel, Brassens et Ferré, mais cette évaluation demeure nord-américaine. Car peu de Français lui reconnaissent aujourd’hui la paternité de Je reviens chez nous, popularisée jadis par Nana Mouskouri. La contribution québécoise à la rive gauche est loin derrière nous et se termine avec Charlebois au tournant des années 70, tant et si bien qu’il se trouve peu de non Québécois qui associent JP Ferland aux grands classiques de la chanson d’expression française. Évidemment il y a eu Céline mais ce succès est d’une tout autre mouture, cela n’a rien à voir avec les vagues précédentes et le plus ou moins néant d’aujourd’hui.

Au QC, c’est évidemment différent. Depuis sont retour au pays après un séjour de quelques années en France, Jean-Pierre Ferland a marqué presque exclusivement les francophones d’Amérique, d’abord pour ses albums créés de 1959 à 1969, mais surtout à cause de Jaune, 33 tours lancé en 1970 et qui demeure un des grands classiques de la pop de création made in Québec.

Je me souviens encore de la commotion à la sortie de cet album! Ma cousine adolescente avait fait jouer ça aux plus jeunes, on croyait alors que Ferland essayait de rattraper Charlebois qui avait déjà fait la révolution avec l’Osstidcho et l’album Lindbergh, de concert avec Louise Forestier. C’était une erreur d’évaluation car Jaune partage aujourd’hui les premières places de la discographie québécoise, toutes époques confondues. Plus précisément, Jaune (1970), Soleil (1971) et Les vierges du Québec (1974) constituent un second chapitre important dans les années 70.

Après quoi JP s’était recyclé dans la variété télé et avait mis à profit ses talents de séducteur pour ne revenir à la chanson top niveau qu’avec la sortie de Écoute pas ça, superbe opus créé de concert avec Alain Leblanc en 1995. Authentique survivant de la création, Jean-Pierre Ferland avait réussi le grand exploit d’un troisième cycle de chansons avec Écoute pas ça (1995) et L’amour c’est d’l’ouvrage (1999).

J’ai eu la chance d’être aux premières loges de ce cycle. Alors chroniqueur à La Presse, je m’étais déplacé plusieurs fois au domaine de JP à Saint-Norbert. Excellent souvenirs de l’accueil chaleureux de mon hôte. Les interviews duraient des heures, nous avions beaucoup de plaisir à échanger et je repartais à MTL rassasié avant d’écrire le texte de l’interview. Je garde un excellent souvenir de ces entretiens.

Une décennie plus tard, virent les fameux adieux de Jean-Pierre au Centre Bell, soit en 2007. Puis ce fut son retour scène et le projet relativement avorté d’une comédie musicale de son cru, conçu autour de la femme du roi Édouard VIII. Pour JP, le sujet était formidable : un roi qui renonce au trône par amour pour sa compagne (préalablement divorcée et non éligible de facto)…. Or on sut par la suite que l’ex-roi avait aussi traficoté avec l’Allemagne nazie et même envisagé un retour à la royauté. Heureusement, les recherches insuffisantes voire erronées de JP sur cette trame dramatique ne l’ont pas trop esquinté, personne ne s’en formalise aujourd’hui, pas plus que l’échec relatif de Gala, une autre comédie musicale de son cru inspiré de la femme du flamboyant Salvator Dali.

Je l’ai rarement croisé par la suite, la dernière rencontre eut lieu en 2020 lors d’un récital plutôt à la PdA, destiné à un public vieillissant. JP commençait alors à décliner sur scène mais il avait encore l’esprit alerte et l’humour acéré. Je me souviendrai de cette vivacité, d’un auteur-compositeur-interprète nettement au-dessus de la moyenne, inspiré, très intelligent, un brin opportuniste, très attachant. Merci pour tout l’ami JP!

crédit photo: Melany Bernier dans la page FB de JPF.

Bras de fer entre Universal Music et Tik Tok: l’enjeu de l’IA

par Luc Tremblay

Depuis vendredi 1er mars dernier, tout le catalogue détenu par Universal Music Publishing Group (UMPG), soit l’une des 3 majors de la musique, n’est plus disponible sur Tik Tok. Environ 4 millions de chansons n’y bénéficient plus d’une licence active. 

Mon ado a remarqué que beaucoup de chansons avaient disparu de son feed, sans trop comprendre. Ma progéniture me permet de suivre les trends de TikTok, voilà une partie de la pertinence de la procréation: s’actualiser.

Ce n’est pas tant la disparition d’Irving Berlin qui a retenu l’attention de Béatrice, on s’en doute, mais plutôt l’absence de Billy Ellish, SZA, Justin Bieber, Drake, Bad Bunny et Taylor Swift.

L’impact est majeur. Pour UMPG comme pour Tik Tok et c’est une histoire de gros sous, mais pas que cela.  À terme, ce qui est en jeu est la valeur de la création artistique et sa protection dans le contexte où l’intelligence artificielle se développe à une vitesse vertigineuse.

Il faut savoir que Tik Tok investit massivement en intelligence artificielle. L’entreprise a fait l’acquisition en 2019 de la start-up Jukedeck, spécialisée dans la création de musique générée par l’IA et libre de droit. Dans les années qui ont suivi, elle a embauché massivement pour développer cette nouvelle division.

Produire de la musique générée par l’IA pourrait permettre à TikTok d’opérer sans avoir des contrats de licence avec Sony, Warner et Universal. Elle épargnerait alors sur les droits d’auteurs qu’elle verse aux artistes et aux compagnies qui les représentent. Mais elle pourrait aussi repousser du revers de la main les prétentions de ce trio dans le cadre des négociations actuelles: obtenir, en plus des droits de licence, une part des revenus publicitaires que génère Tik Tok.

Beaucoup d’argent.

L’argumentaire de UMPG et ses comparses se défend. Les vidéos produits sur TikTok perdent de leur impact, de leur saveur et de leur capacité d’engagement quand on en retire la musique. UPMG veut donc sa part du gâteau. Mais l’histoire ne dit pas si, advenant que la major mette la main sur un pourcentage des revenus publicitaires de TikTok, elle partagerait une partie de ces gains avec les artistes de son répertoire. 

Pour l’instant, UMPG présente son combat comme étant celui du protecteur des droits d’auteur contre le dragon de l’intelligence artificielle.

Dans une note envoyée aux artistes le 29 février, elle argue que Tik Tok refuse de donner la garantie qu’elle n’entraînera pas ses modèles d’intelligence artificielle avec les œuvres de ses artistes. Alors que pour faire du “Billy Eilish, l’IA doit écouter du “Billy Eilish » pour ensuite être en mesure d’en reproduire la facture. L’intelligence, même artificielle, a besoin d’un professeur.

L’enjeu est réel. Immense. Il pose toute la question du droit d’auteur sur la planète I.A. Un débat qui s’étend au-delà de l’univers musical. Le New-York Times a entamé des poursuites judiciaires, en décembre dernier, contre Open AI (la compagnie mère de Chat GPT) pour utilisation non autorisée de son contenu pour entraîner Chat GPT. Encore là, pour ne pas dire n’importe quoi, Chat GPT et ses semblables doivent apprendre de journalistes qui se sont tapés le travail du terrain, de la vérification de faits. 

Tik Tok compte plus de 1,2 milliard d’utilisateurs, majoritairement âgés de moins de 35 ans.

L’âge où l’on écoute beaucoup de musique, mais surtout où l’on en découvre beaucoup.

Et si le contenu des majors venait à disparaître de TikTok, alors remplacé par des artistes indépendants, forcément vulnérables sur la question de la propriété intellectuelle, et de la musique généré par l’IA ? Ne serait-ce pas (un autre) changement majeur dans l’industrie musicale ?

Notre hip-hop afro-descendant: rap, conscience… sous-représentation

par Gabriella Kinté

En ce Mois de l’histoire des Noirs, PAN M 360 met fièrement en relief la pensée de sa nouvelle collaboratrice Gabriella Kinté, libraire engagée, autrice montréalaise et grande fan de hip-hop. Jouxtant l’espace Ausgang Plaza sur la Plaza Saint-Hubert, la librairie Racines qu’elle a fondée propose une vaste éventail d’ouvrages concernant les histoires, la culture ou les conditions de vie des personnes racisé.e.s au Québec. Le travail de Gabriella se prolonge désormais sur les pages de PAN M 360 !

En ce mois dédié à la célébration de l’histoire des Noirs, j’ai envie de vous partager mes impressions concernant le hip-hop, une culture que j’adore et que ma communauté afro-descendante a activement contribué à créer. Mes éléments préférés de cette culture sont le rap et la conscience. 

Alors voici:

Il est impossible de se promener dans les rues de Montréal sans y voir l’influence de ce mouvement mondial. Au Québec, je suis très bien servie par l’offre de talents locaux mais je suis agacée qu’ils soient trop souvent mal représentés dans les médias grand public. Il me semble en fait que ces médias institutionnels aient tendance à mettre en évidence le même type d’artistes … hommes, cis, blancs.

En tout cas, rares sont ceux qui me ressemblent et dont les enregistrements sont joués à la radio commerciale ou encore sont invités sur les grands plateaux de télé. Je trouve que les médias traditionnels favorisent la visibilité de rappeurs blancs, ce qui peut être attribué à divers facteurs, dont les opinions préconçues des décideurs.

Certains journalistes, probablement de manière inconsciente, intègrent les perceptions négatives ancrées dans la société, les orientant vers une préférence envers les artistes aux origines non minoritaires. Cela contribue à créer un déséquilibre dans la représentation de la diversité au sein de la scène hip-hop québécoise, tout comme dans d’autres secteurs de la culture.

Ce que je n’aime surtout pas entendre, c’est que la non présence de la diversité dans les médias est liée au manque de bons artistes émergents issus de cette diversité. Je ne crois donc pas qu’il y ait un lien directement proportionnel entre le talent et la présence médiatique. En 2024, on ne doit plus fermer les yeux! Nous savons toustes que persistent dans le paysage médiatique des comportements discriminatoires, même si complexes à percevoir. 

Régulièrement, je dois consulter des médias indépendants tels que Onz Montréal, Hit’Story, Da Main Source et Rapolitik, afin de demeurer informée des dernières tendances. Je n’ai pas le choix, car ce que me proposent les “leaders médiatiques’’ est souvent ennuyeux, déconnecté ou encore met de l’avant des talents américains, alors que nous pouvons compter sur d’excellents artistes locaux. C’est pourquoi les médias indépendants me passionnent car ils sont plus proches des artistes de toutes sortes. 

C’est grâce à eux que j’ai eu le plaisir de découvrir des artistes tels que Chung, Planet Giza, SLM, Ya Cetidon, etc. Si je m’en tenais qu’à ce qui est offert sur les canaux traditionnels il en aurait fallu du temps pour que leurs œuvres atteignent mes oreilles. Ça aurait été décevant pour moi de les découvrir qu’une fois leur succès international établi. C’est très regrettable étant donné leur talent. Avec la multitudes de plateformes existantes je crois qu’ils méritent d’être plus vus/entendus.

Mais comment, au fait, peut-on contribuer à l’amélioration des choses, que l’on soit fan ou acteur médiatique ? D’abord se mettre dans de meilleures dispositions :

Pour les fans: aller vers ce qui ne leur ressemble pas, élargir leur champ de vision et remettre en question nos propres préjugés inconscients.

Pour les chroniqueurs : dépasser la simple rédaction de leurs préférences, explorer des perspectives différentes et s’interroger sur leurs biais inconscients. 

Fans ou chroniqueurs, je crois que nous avons toustes un certain pouvoir d’influence.  En attendant les changements dans des sphères médiatiques rigides, agissons ensemble en explorant et en partageant le profil de talents souvent méconnus, et contribuons ainsi à enrichir nous-mêmes la scène culturelle.  Pourquoi? Pour assurer une couverture plus équitable et authentique du hip-hop au Québec. 

Néanmoins… shout out pour les avancées positives suivantes :

  • Le documentaire Les Racines du Hip-Hop au Québec. À l’origine de cette pépite se trouve une équipe diversifiée, compétente, offrant au grand public l’occasion de découvrir des acteurs majeurs. 
  • Le rappeur Lost, le seul Montréalais ou même carrément le seul Canadien à faire partie de la nouvelle campagne Fifty Deep de YouTube Music. C’était une fierté pour moi de voir cela! 
  • Les médias indépendants pour leur travail exceptionnel et authentique, une bouffée d’air frais au sein du paysage médiatique.

Bien que la route vers une représentation juste, authentique et équitable s’annonce longue, ma confiance dans l’émergence de nouveaux talents musicaux locaux persiste.  De toute façon, l’ère actuelle offre aux esprits créatifs plusieurs occasions de se faire entendre. Mon souhait pour 2024 ? Que la quête de nouveaux publics soit moins ardue pour les artistes racisés. Qu’on se base exclusivement sur les capacités artistiques réelles plutôt que sur le statut ou les privilèges.

Pendant que meurt Alexeï Navalny, renaît Mireille Mathieu… toujours pro-Poutine ?

par Alain Brunet

Célèbre pour son opposition à Vladimir Poutine, le politicien Alexeï Navalny serait mort ce vendredi 16 février, au centre pénitentiaire N° 3, dans l’Arctique russe. Il y purgeait une peine de 19 ans pour les raisons que l’on sait. Pendant ce temps, Mireille Mathieu s’apprête à renaître sur scène en Amérique francophone, 35 ans après son dernier passage – samedi et dimanche à la Salle Wilfrid-Pelletier de MTL, mardi au Grand Théâtre de Québec et vendredi à la Salle Maurice-O’Bready de Sherbrooke.  

Quel est le lien au juste? Bienvenue à l’émission Personne n’en parle (en Amérique) et parlons-y des affinités assumées de la chanteuse de 77 ans avec le dictateur russe Vladimir Poutine, dont l’opposant vient de disparaître tragiquement.

Amalgame toxique ou lien plausible ?  

Convenons une fois de plus que les positions politiques des artistes et leur art devraient être idéalement dissociés. Un premier exemple vient en tête : Valery Gergiev, un des plus doués maestros de notre ère, est un proche de Poutine… et demeure un artiste colossal. Un autre : Gérard Depardieu, naturalisé russe depuis 2013, par ailleurs dénoncé de toutes parts en France pour ses inconduites sexuelles pour le moins dégoûtantes, il délire à souhait sur toutes les tribunes qui lui sont offertes… et n’en demeure pas moins l’un des plus grands acteurs gaulois, toutes époques confondues.

Cela étant posé, il devient de plus en plus ardu de gommer ces irritants poutiniens lorsqu’on s’intéresse encore aujourd’hui à la fabuleuse direction d’orchestre de Gergiev ou d’un nouveau film mettant en vedette Depardieu. Dans l’actuel contexte géopolitique, il faut travailler fort dans les coins pour faire en sorte que ces considérations négatives nous laissent tranquilles et savourer l’art de ces géants comme si de rien n’était.

C’est idem pour tant de figures iconiques de la pop culture, Mireille Mathieu en est un autre exemple probant. Incontournable de la variété française, 1200 chansons, 200 millions d’albums vendus, archi-tubes tels Acropolis Adieu ou Une femme amoureuse, fameuse version de Woman In Love de l’immense Barbra Streisand. 

Bien sûr, on peut faire la part des choses et admettre le talent d’artistes aux positions controversées mais rien n’empêche de s’enquérir de la posture idéologique d’une personnalité publique, fusse-t-elle issue du merveilleux monde des variétés comme l’est « Merveille » Mathieu – merci Clémence DesRochers.

Alors voici quelques citations dignes d’intérêt, émanant de la vedette française (que nous éviterons ici de juger artistiquement), citations  glanées chez les cousins médiatiques exerçant le journalisme avec la rigueur nécessaire :

Le Point, 19 juillet 2022 : « Mireille Mathieu sort du silence. Ce jeudi 18 août, la chanteuse aux 200 millions d’albums vendus s’est exprimée dans les colonnes du quotidien Nice-Matin, notamment sur Vladimir Poutine, pour la première fois depuis le 24 février. Avant le conflit en Ukraine, elle n’avait pas hésité à dire qu’elle « admir[ait] Vladimir Poutine ». Si la chanteuse populaire dans le monde entier – et particulièrement en Russie – ne renie pas ses propos, elle les adapte. »

Le Point, 19 juillet 2022 : « Interrogée par nos confrères afin de savoir si elle « admire » toujours le chef du Kremlin, l’interprète de  La Paloma adieu assure que cet avis « est personnel ». « Ma relation avec [Vladimir Poutine, NDLR] est différente de celle du simple chef d’État, puisqu’il m’a accueillie personnellement plusieurs fois lorsque je chantais [en Russie] », se défend-elle. Et de poursuivre, en déclarant qu’elle « aime beaucoup les peuples russe et ukrainien ». »

Le Point, 23 juillet 2026 :  « La demoiselle d’Avignon vient de fêter ses 70 printemps. Si elle a refusé de célébrer son anniversaire si tôt après la mort de sa première fan, sa mère, décédée en mars dernier, la chanteuse a tout de même eu droit à un hommage appuyé de Vladimir Poutine, avec qui elle entretient de très bonnes relations depuis des années. « En France, en Russie et dans les autres pays, on vous aime comme une chanteuse brillante avec un talent extraordinaire et comme une personne charmante, bienveillante et communicative », a écrit le chef d’État dans un message relayé par l’ambassade de Russie. »

Var Matin, 10 juillet 2023 :   Quand le journal lui a demandé si elle comptait chanter pour le peuple de Kiev, la chanteuse répond : « Ce serait politique et je ne  veux pas de cela. Pas plus qu’en Russie, même si j’aime ce grand peuple… Elle exprime ensuite son avis et affirme que les sujets abordés ne sont pas les bons : « En ce moment, j’entends « missiles », « drones »… pas « paix »… Mais où va-t-on ? », se demande-t-elle. « J’attends un médiateur de la carrure d’un Mandela pour provoquer une éclaircie. Hélas, je doute que ce soit Emmanuel Macron… » .

Elle (France) : « Si de nombreuses célébrités, comme Madonna, Björk ou Jeanne Cherhal, ont pris la défense du groupe punk et féministe Pussy Riot – condamné à deux ans de camp pour « hooliganisme » après avoir improvisé une « prière » punk anti-poutine dans une cathédrale de Moscou –, il y en a une qui ne voit pas les choses de la même façon. Mireille Mathieu, a en effet estimé, dans une interview accordée à une chaîne de télé moscovite, que les jeunes femmes avaient commis un « sacrilège ».  

Voici une interprétation sommaire de ces citations. Touchée par le soutien de Vladimir Poutine, Mireille Mathieu admire cet homme fort, comme le font d’ailleurs tant de citoyens européens d’extrême droite. Feu Bernard Tapie n’a-t-il pas déjà comparé directement Mireille Mathieu à Marine Le Pen?

La comparaison peut paraître douteuse mais… la position de Mme Mathieu sur la carrure souhaitée d’un médiateur de la paix tel Nelson Mandela (exemple rusé!), et que n’aurait pas Emmanuel Macron selon sa propre évaluation, en dit long sur sa quête d’un dirigeant fort à la tête d’un État, i.e un leader plus ferme, forcément plus autoritaire.

Comme tant de supporters occidentaux ouvertement pro-Poutine avant l’opération de « dénazification » de l’Ukraine, Mireille Mathieu se montre désormais stratégique, préférant souhaiter la paix, rien que la paix, et ne plus rien révéler de ses opinions politiques sur le conflit, à l’instar d’autres figures connues pour leur soutien à Vladimir Poutine, notamment le grand hockeyeur Alexander Ovechkin.

Petite gêne probablement stratégique, vu la diversité idéologique de leurs millions d’admirateurs, petite gêne qui pourrait possiblement s’évaporer côté Mireille Mathieu, au lendemain des présidentielles de France en 2027. 

D’ici là, la chanteuse parlera de paix et chantera ses grands succès, il va sans dire.

Photo tirée du site de la Place des Arts

Sur la crédibilité de Bob Marley One Love, ze film

par Richard Lafrance

Très attendu, le biopic du mythique Bob Marley fait ici l’objet de l’analyse éclairante de notre contributeur Richard Lafrance, sans conteste l’un des plus grands spécialistes québécois de la musique jamaïcaine. Au Canada, Bob Marley One Love sort en salle le jour de de la Saint-Valentin et PAN M 360 vous en offre la plus complète des chroniques en ligne sur ce territoire… et plus encore !

Le 2 novembre 1979, je me rendais au Forum de Montréal pour assister à l’un de spectacles les plus marquants de ma jeune existence : Bob Marley and The Wailers y étaient de passage dans le cadre de la tournée Survival. Quel sentiment étrange donc, de me retrouver au même endroit 45 ans plus tard (rebaptisé le Forum Pepsi, aujourd’hui Cinéma Cineplex Forum) pour un visionnement du film Bob Marley One Love. Le film, rend  hommage à l’icône rasta et qui le présente de belle manière aux plus récentes générations.

Guerre tribale à Kingston

Le scénario nous ramène en Jamaïque durant la période 1976-80, avec un Marley en pleine gloire internationale, alors qu’il accepte de se produire pour ses compatriotes dans le cadre du concert Smile Jamaica, proposé par Michael Manley, alors premier ministre jamaïcain, au plus fort d’une guerre politique tribale et urbaine. 

Quelques jours plus tard, perçu comme étant beaucoup plus près du People National Party à tendance socialiste de Michael Manley que du Jamaican Labour Party pro-américain d’Eddie Seaga, le chanteur sera victime d’un attentat armé à sa résidence d’Hope Road. Il se prendra deux balles, sa femme Rita sera touchée (légèrement) à la tête et son manager Don Taylor, atteint de 6 balles, devra être transporté d’urgence en Floride pour y être soigné. 

Sur un coup de tête de dernière minute, Bob et Rita, encore ensanglantés et sous le choc de l’attentat, décident de monter sur scène avec les musiciens présents assez braves pour les accompagner et donnent l’une des deux performances jamaïcaines déterminantes de leur carrière. 

La seconde étant évidemment le désormais légendaire One Love Peace Concert, lors duquel Bob a littéralement forcé les deux opposants politiques à se serrer la main sur scène, devant une Jamaïque dévastée par la violence armée. Le film se termine justement sur les vraies scènes de cet événement de 1978.

Pour bonifier le contenu biographique du film, plusieurs flashbacks avec deux autres plus jeunes Bobs- l’un vers 10 ans et l’autre, superbement incarné par le jeune acteur américain Quadajay Henriques (cousin de Sean Paul) vers 20 ans, exposent des moments cruciaux de sa vie et de sa carrière.

Les meilleurs exemples en sont l’audition des Wailers, auprès de l’intimidant producteur Coxson Dodd et l’hilarant Lee « Scratch » Perry à Studio One, le « Motown jamaïcain », ou encore le Groundation, un rassemblement rasta sur la plage, oùRita présente Bob à Mortimer Planno, qui deviendra son guide spirituel rasta.

Depuis 1972 et la parution du film-culte The Harder They Come mettant en vedette Jimmy Cliff, aucune autre production cinématographique n’avait autant marqué l’imaginaire jamaïcain (et international) que celle-ci. 

Dans ce contexte actualisé, les gens de Paramount ont bien compris que l’apport de la Jamaïque serait essentiel au projet : plus de 400 acteurs et techniciens, en plus de 1,800 figurants jamaïcains furent utilisés pour ce projet de 25 jours de tournage, spécifiquement à Trench Town, le ghetto de Kingston Bob grandit et au Stade national de Kingston, lieu du One Love Peace Concert.

Les costumes sont les répliques exactes de la garde-robe de Bob et de sa cohorte; les dialogues et le patois sont naturels et fluides, très collés sur les faits réels, sauf quelques libertés prises dans le scénario.

Kingsley Ben-Adir et Lashana Lynch,  Oscarisables ?

Évidemment, le plus grand exploit de ce film financé par Brad Pitt, produit par Rita, Cedella et Ziggy Marley et réalisé par Reinaldo Marcus Green, concerne la transformation de Kingsley Ben-Adir en véritable « yardie » kingstonien! La méthode Williams, Joe Bell, Monsters and Men, en fait.

On l’attendait bien sûr au tournant… La ressemblance physique étant la seule évidence de départ (et oui, ses dreadlocks « artificiels » sont tout à fait crédibles!), l’acteur britannique de 38 ans a dû apprendre à jouer la guitare, chanter, danser et surtout parler un patois crédible et fluide… dans la voix et avec les intonations particulières au Tuff Gong. Ben-Adir aurait fait traduire phonétiquement une cinquantaine d’entrevues, pour ensuite bénéficier d’un accompagnement linguistique. 

Ce qui soulève la question cruciale : Ziggy Marley a affirmé qu’aucun des descendants, parmi les 7 fils et 10 petits-fils, ni aucun acteur jamaïcain n’aurait pu jouer le rôle de Bob, pour les besoins du film, vers l’âge de 36 ans. On suppose que la perle rare fut longue et ardue à trouver, mais plutôt du côté du Royaume-Uni.

Kingsley Ben-Adir semble crédible à tous points de vue. En spectacle, on reconnaît la vraie voix de Bob sur des bandes sonores remixées, qui donnent aux chansons connues une sonorité un peu plus contemporaine. Mais pour les prestations acoustiques, c’est bel et bien l’acteur qui chantonne. On a alors l’impression qu’il rend généralement son personnage un peu plus enjoué que mélancolique, malgré toute la vulnérabilité et l’insécurité exprimées à d’autres moments.

De son côté, Lashana Lynch, l’actrice britannique qui fut la première femme à incarner James Bond dans No Time to Die (2021) incarne avec finesse et aplomb la matriarche du clan Marley et choriste des I-Threes, le trio vocal qui accompagna les Wailers dans toutes leurs tournées internationales, pour lequel elle aura mis une sérieuse carrière solo de côté.

Fils et filles de…

Autre facteur jamaïcain digne d’intérêt: plusieurs acteurs et chanteurs du film ont déjà des carrières musicales : les chanteuses Naomi Cowan, fille de Carlene Davis et Tommy Cowan (ex-gérant de tournée des Wailers) qui joue Marcia Griffiths et Sevana, reprenant le rôle de Judy Mowatt. Abijah Livingston y joue son père, Bunny Wailer, et Aston Barrett Junior reprend le rôle du sien, le réputé bassiste Family Man Barrett, décédé à 77 ans il y a deux semaines.

Jamais sans controverses

Puisque le film est produit par le clan Marley lui-même, pas surprenant que les aventures extraconjugales du Gong, particulièrement cette histoire d’amour torride à la fin de sa vie avec Cindy Breakspeare, ex-Miss Monde 1976 qui a produit Damian « Junior Gong » Marley, vraisemblablement l’un de ses plus talentueux enfants, passent à la trappe.

Les plus belles chansons d’amour de Marley, Turn Your Lights Down Low et Waiting In Vain furent inspirées par la reine de beauté. Malgré toutes ses incartades, Bob resta marié à Rita jusqu’à sa mort.  

Rappelons qu’en 36 ans de vie, Bob Marley aurait eu plus d’une quinzaine d’enfants, soit 11 officiellement avec 7 mères différentes,  5 avec Rita, dont 2 adoptés.

Une scène marquante du film se déroule à Paris, où justement Rita rappelle à son mari jaloux qu’elle doit élever tous ses enfants – incluant ceux des autres maîtresses- tout en étant sa choriste et enfilant les tournées mondiales.

Mes bémols 

La scène (inventée) où l’assaillant de Bob lui apparaît (dans un songe?) pour lui demander pardon, scène tout à fait superflue et très loin de la vérité de ce qu’il advint du gunman en question.

Les scènes métaphoriques du jeune Bob qui s’échappe d’une forêt en flammes, accompagné de son père blanc biologique qu’il n’a vu que deux fois dans sa vie, ou de son père spirituel, celui à qui il a voué son existence, l’empereur Hailé Selassié 1er, Jah Rastafari !

En somme ?

Les attentes étaient évidemment très élevées pour ce film et…  malgré les réserves ici formulées, Ziggy Marley et ses proches ont relevé le défi de belle manière.

870 millions à un stade… critique

par Alain Brunet

Ce n’est pas comme si on rénovait les ruines du Colisée de Rome pour en faire un stade high-tech… N’en demeure pas moins que l’actuel Stade olympique de Montréal est une coquille vétuste à rebâtir ou à démolir.

Ainsi, on a décidé de reconstruire, 870 millions $ ont été consentis comme on le sait. Bon choix? En ces temps de Super Bowl LVII tenu au rutilant Allegiant Stadium, l’occasion est belle d’y réfléchir un tantinet.

Démolir coûterait plusieurs centaines de millions de dollars canadiens, 2 milliards selon les promoteurs de la réfection et… on se retrouverait alors sans stade. Une ville de la taille de Montréal n’a-t-elle pas besoin d’un tel équipement, capable d’attirer 60 000 personnes? Oui, absolument.

Pour une population de 4 à 5 millions d’habitants, un stade moderne est un bien public essentiel. Certains événements culturels et sportifs ne peuvent tout simplement pas être tenus dans un aréna de 20 000 personnes, c’est désormais un fait objectif.  

Alors que faire? Voyons voir les coûts des trois stades les plus high-tech aux USA. L’Allegiant Stadium de Las Vegas, où s’est tenu le Super Bowl cette année, a coûté 1,9 milliard US$ avant la pandémie, on imagine facilement 2,5 à 4 milliards si le chantier commençait cette année. Le SoFi stadium de Los Angeles, où jouent les Rams, a coûté 5,5 milliards US$. Le stade AT&T des Cowboys de Dallas a coûté 1,3 milliard US$… en 2009! 

Vous aurez saisi que construire un stade coûte au moins une paire de milliards pour être concurrentiel et souscrire aux nouveaux standards internationaux. Alors démolir le Stade olympique  et en construire un autre coûterait de 3 à 4 milliards minimum, inutile d’ajouter ce choix est exclu et qu’il faut choisir le moindre mal.

La somme présumée de 870 millions pour la reconstruction du toit et de son anneau technique est  acceptable dans le contexte mais… Rénover le Stade olympique, entendons-nous bien, ne coûtera pas 870 millions CAD$. La rénovation de sa coquille n’est que la première étape d’un processus beaucoup plus long, et ses promoteurs ont peut-être intérêt à ne pas le crier sur le toit… en voie d’être rénové.

Combien au juste coûtera la résolution de l’acoustique défaillante? Très cher car le stade montréalais est un cancre à ce titre, peut-être le pire au monde. Feu l’architecte Roger Taillibert, son concepteur et grand esthète, n’y avait visiblement pas songé.

J’ai personnellement assisté à la plupart des méga-concerts jusqu’aux années 90. Au fil du temps, mon métier m’a mené à assister à des concerts dans d’autres stades du monde, nettement plus acceptables côté sonorisation. À un stade avancé de ma carrière de chroniqueur musique pop, je me suis promis de ne plus jamais y retourner dans ces conditions aussi pourries.

J’ajoute qu’aucun concert auquel j’ai assisté au Stade olympique, Emerson, Lake & Palmer, Pink Floyd, U2, David Bowie, les Stones, Madonna, George Michael, Bruce Springsteen, enfin bref, tous ces concerts furent handicapés par une acoustique médiocre. On comprendra pourquoi seuls 3 programmes musicaux y ont été présentés depuis une décennie… Il faut vraiment être motivé pour s’y rendre et je ne fais plus partie de ces croyants depuis belle lurette.

Combien coûtera le remplacement et la reconfiguration des sièges vétustes? Très cher itou. Il faudra des travaux considérables à l’intérieur de sa structure pour créer une meilleure impression de proximité.   

Combien coûteront les équipements audiovisuels? Une fortune. Les écrans  led d’un stade sont désormais un fondement de l’expérience, on ne peut lésiner sur les coûts d’un tel équipement que le Stade olympique n’a pas. Celui du stade SoFi de  LA a coûté 40 millions il y a quelques années, imaginons aisément le double (en dollars canadiens) pour le  Stade olympique.

Et il y a les coursives, les stands de bouffe, les loges VIP, enfin tout ce dont un stade a besoin en 2024 pour attirer les mégastars, les grands tournois sportifs, les grandes équipes professionnelles.

Soyons sérieux, ça ne coûtera pas 870 millions de dollars canadiens pour rivaliser avec l’offre internationale. Une coquille rafraîchie, aussi belle et historique soit-elle,  ne suffira pas. Envisageons au moins le double, possiblement le triple afin que l’expérience vécue au Stade olympique puisse souscrire aux nouveaux standards du marché mondial. Sinon… on aura encore une œuvre signature de l’extérieur et un gâchis permanent à l’intérieur.

Grammys 2024: l’arbre qui cache la forêt

par Alain Brunet

Taylor Swift a beau avoir « réécrit l’Histoire » en gagnant un quatrième Grammy dans la catégorie « album de l’année » (Midnights), elle a beau dominer outrageusement le monde de la musique enregistrée à l’échelle planétaire, des millions et des millions d’humains ont beau prononcer son nom quotidiennement, elle a beau bousculer les fans de la NFL par sa relation  amoureuse avec un des plus grands joueurs de l’histoire du football américain, la songwriter et chanteuse américaine, à l’instar de la communauté entière des Grammys, incarne l’arbre (américain) qui cache la forêt (mondiale).

En deux ans, peut-on lire dans le rapport Luminate sur l’industrie mondiale de la musique dont faisait récemment état PAN M 360 sous la plume de Luc Tremblay, l’écoute de chansons en anglais est passée de 67% à 55%, notamment au profit de la production en hindi passée de 4 à 8% durant la période 2022-2023. Aux États-Unis, pendant ce temps, 63% des sondés de la Génération Z et 65% des milléniaux souhaitaient découvrir de nouvelles cultures à travers la musique.

Aux Grammys, le discours du dirigeant de la Recording Academy, Harvey Mason Jr, misait fort sur cette idée que les Grammys sont un concentré planétaire : Dua Lipa provient d’une famille albanaise du Kosovo, Burna Boy est une superstar afrobeats du Nigeria, l’humoriste et animateur Trevor Noah est Sud-Africain. Ainsi, ils font partie de la famille des Grammys, ils font partie de l’Amérique-monde. 

Aux Grammys, ces artistes mondialisés joignaient les rangs des Miley Cyrus et son excellente chanson pop Flowers, les brillantes SZA et Billie Eilish et leurs brillantes contributions à la pop culture, la surdouée Lana Del Rey, notre Céline Dion ignorée par Taylor Swift (maladroite certes mais sans les mauvaises intentions que certains lui prêtent), Victoria Monét et son super tube On My Mama (quel ver d’oreille!), Tracy Chapman et son thuriféraire Luke Combs en duo pour l’interprétation de l’immortelle  Fast Car, le fantôme bienveillant de Tony Bennett en tandem avec Stevie Wonder, l’inattendue et toujours géniale Joni Mitchell, ressuscitée d’un AVC et présente pour l’unique fois de son existence (et de la nôtre) au fameux gala américain. La composition canadienne de l’Amérique-monde n’est pas à considérer dans le cas qui nous occupe, Céline et Joni vivent aux USA depuis belle lurette…

En tant que Nord-Américain, je me sens forcément plus proche des Grammys que de n’importe quel autre gala de la music business, sauf évidemment les galas locaux qui nous interpellent de près ou de loin. Mais… de moins en moins. Je me sens plutôt comme les fans de musique de la génération Z, je me sens plus mondialisé parce que l’Amérique ne représente plus le standard absolu de la pop culture mondiale. Les industries du divertissement indien ou nigérian ne sont que les premières manifestations d’une inéluctable mondialisation de la culture.

Tangiblement, le rêve américain devient moins attractif pour le reste du monde et le non Occident, des décennies d’impérialisme économique ont fait déchanter tant de populations.

La montée des régimes autoritaires dans le non Occident est aussi une conséquence indirecte de l’échec culturel de l’Amérique-monde, aux prises avec une poussée honteuse du néofascisme sur son propre territoire, du moins à court terme, et qui tend à faire croire aux populations mondiales défavorisées que l’amélioration de leurs conditions de vie ne passe plus nécessairement par le modèle démocratique à l’américaine.

On sait fort bien que ce modèle est actuellement plombé par l’extrême droite religieuse, le conspirationnisme schizoïde, le bipartisme obsolète, par ce 2e amendement qui maintient un état de violence permanent aux USA, par la corruption endémique dans plusieurs démocraties mondiales, par le racisme systémique, par les mafias bien en place, par le dark web, par des inégalités économiques de plus en plus profondes.

Alors comprenons bien que les modèles américains en matière de mondialisme culturel à travers son propre melting pot sont de moins en moins attrayants… pendant que plus ou moins la moitié des Américains s’identifient à une discographie de plus en plus planétaire et que l’autre moitié y voit une manifestation regrettable de la décadence nationale.

Rien ne permet de croire que le fossé entre ces deux visions sera remblayé dans un avenir proche, le contraire est malheureusement probable.

Photo tirée du site des Grammys

La souveraineté culturelle à l’heure du numérique ou la chambre à gaz feng shui

par Patrice Caron

ou la chambre à gaz feng shui

Dans le contexte de la sortie du rapport La souveraineté culturelle à l’heure du numérique notre contributeur Patrices Caron alias Pat K, toujours à la barre du GAMIQ, plaide pour une utilisation plus rusée et plus pragmatique des plateformes des géants du web afin d’y maximiser la consommation de contenu local.

Il y a une anecdote que je répète ad nauseam, manière de justifier pourquoi j’y crois encore à cette idée de culture musicale nationale. 

Il y a quelques années, je tenais une table à la Foire-O-Disques à Montréal. Militant, même quand je ne suis pas là pour ça, j’offrais une section complète de contenu local, et pas nécessairement du Paul Piché ou du Beau Dommage; plus Antoine Corriveau et Les Guenilles genre. Du bon stock, en toute objectivité. 

Ce n’est pas la section la plus populaire, comme d’habitude, mais j’y tiens et je trouve que ça en vaut la peine, juste pour le symbole. Et ça arrive que j’en vends, comme à ce Français qui voulait ramener quelque chose du Québec chez lui – paradoxalement il est reparti avec les Hôtesses d’Hilaire… du Nouveau-Brunswick. 

Je comprends que certains ne les regardent pas, mon « combat » des 30 quelques dernières années n’est pas terminé. Les conditions sont plus dures qu’avant et il y a des limites à ce qu’un homme blanc francophone de plus de 50 ans peut faire dans le contexte.

Cette réalité m’est revenue dans la face avec force quand un jeune wannabe DJ d’à peine 20 ans, qui venait de s’extasier pendant 15 minutes sur Run DMC, PIL et autres,  arrive au  bac local et fait « Eurk, local », sans même regarder dedans. D’office, son idée était faite, « Eurk, local ».

 Abasourdi, je n’ai pas saisi l’occasion pour lui demander… pourquoi ? Dommage, parce que cette anecdote me revient constamment en tête et cette question, je me la pose presque chaque jour depuis. Mais je me la posais aussi avant cet épisode. Il y a quelques réponses mais veut-on les entendre? 

Concept  à la mode dans certaines sphères, la découvrabilité semble offrir un espoir modeste pour que les contenus locaux soient plus visibles sur les grandes plateformes, mais faudrait au moins qu’on y soit sur ces plateformes.

Publié récemment, le rapport La souveraineté culturelle à l’heure du numérique  identifie à nouveau la problématique mais, à part la connaissance des données nécessaires à  la création de ce rapport, on a l’impression que ses auteurs ne se sont jamais intéressés aux plateformes dont il est question.

Si tu n’es pas très actif sur Spotify et autres méga-plateformes, on te propose les trucs les plus populaires de l’heure et le contenu commandité lorsque tu y débarques. Au vu des statistiques, on comprend que le contenu local (ou francophone) ne s’y trouve pas. Et pour le contenu commandité, mauvais timing, des entreprises locales achètent régulièrement des campagnes mais pas en continu, donc… 

On peut déplorer que, vu de l’extérieur, la culture locale n’y soit peu ou pas visible, mais il y a une mécanique et une logique à appliquer pour circonvenir aux défis. C’est plutôt la visibilité de ce contenu dans nos propres médias qui s’explique mal pendant qu’on blâme quelqu’un d’autre.

Il faut sans doute que les créateurs et gestionnaires de contenus se mettent aux normes actuelles de l’industrie, qu’ils en maîtrisent les outils de base et soient à égalité avec les autres.

On y arrive mais est-il déjà trop tard? Les algorithmes fonctionnent avec la moyenne des écoutes et Taylor Swift sera toujours plus populaire qu’Ariane Moffatt, quoi qu’on fasse. À moins qu’on sélectionne volontairement Ariane Moffatt plus souvent et que l’algorithme s’adapte à vos goûts. Ça ne le fera pas pour votre voisin, ami ou autre, à moins que tous demandent Ariane Moffatt et qu’éventuellement elle obtienne assez de clics pour faire partie des recommandations générales. 

Certains ajustements à l’algorithme sont possibles pour favoriser un contenu plus qu’un autre mais, comme on a peu de contrôle sur la gestion de ces canaux de diffusion en attendant une hypothétique loi qui va en ce sens, le poids démographique des utilisateurs québécois de ces plateformes et surtout leur goût, sont les principaux obstacles à ce que le contenu local (ou francophone) soit plus découvrable.

J’utilise Spotify depuis quelques années et à force de dompter l’algorithme, il a fini par s’adapter à mes goûts. Souvent, je suis agréablement surpris par ses recommandations. Il faut dire que j’ai été hyperactif et que j’ai fait un effort pour que ça soit à mon goût. Je suis passé à Tidal l’année dernière pour diverses raisons et le biais de la plateforme envers les musiques urbaines est dur à circonvenir pour l’amateur de rock et pour la musique québécoise, on part d’encore plus loin.

Le « dressage » de la plateforme est un processus de longue haleine. Par exemple, quand j’écoute du Viagra Boys ou Amyl & The Sniffers, inévitablement on me propose Foo Fighters à la suite, même si chaque fois que je saute la chanson, ça revient tout le temps. J’ai hâte que l’algorithme comprenne que j’haïs Foo Fighters. Est-ce que je vais éventuellement me décourager de « combattre » l’algorithme? Peut-être, mais il y a des combats plus importants et celui-là peut sembler futile. Mais pour le moment, pour que ces plateformes adaptent leurs recommandations, il faut que leurs utilisateurs fassent cet effort. Et à moins d’un miracle, genre que les Québécois francophones s’abonnent en masse à ces plateformes et qu’ils sélectionnent majoritairement du contenu local, les algorithmes vont continuer à proposer ce qui est le plus populaire, c’est-à-dire Taylor Swift et Foo Fighters.

Que les Québécois ne consomment que 8% de contenu local sur ces plateformes est alarmant en soi. Mais… de combien d’utilisateurs parle-t-on au juste? Selon le Guide de mise en marché de la musique québécoise francophone publié par l’Adisq, un tiers des québécois dit consommer de la musique sur ces plateformes, majoritairement sur Youtube, Spotify et Apple Music, dans cet ordre. 

De ce nombre, seulement 30% est intéressé à faire des découvertes. Donc sur le 8%, on peut extrapoler et estimer que moins de 3% est consacré à de nouveaux artistes. C’est ce qui est le plus alarmant. Tant mieux si les artistes déjà établis peuvent y trouver leurs publics mais ce n’est pas le meilleur gage pour assurer la survie d’une industrie qui doit se renouveler à moyen terme pour assurer sa pérennité. 

Sa dépendance aux valeurs sûres comme Ginette Reno ou Harmonium pour assurer sa place actuelle fonctionne à court terme mais finira par lui coûter encore plus de parts de marché dans un avenir pas si lointain. Même si ça plaît à une part non négligeable du marché, ça produit sans doute un effet repoussoir pour les jeunes consommateurs qui,  à défaut d’avoir d’autres références, classera la musique québécoise dans le « Eurk, du local ». 

Comme cette frange du marché consacre une plus grande proportion de son budget aux produits culturels, il est légitime de se demander comment rejoindre cette clientèle. Mais demander à celle-ci de se conformer à l’offre plutôt que de lui offrir des alternatives, c’est l’équivalent de tenter de remettre le dentifrice dans le tube. Vaut mieux avoir un autre tube de dentifrice, tant qu’à être dans l’analogie dentaire.

Symptomatique des difficultés des médias traditionnels et du peu de rayonnement de ceux qui tentent des approches différentes, avec à la clé l’incontournable rentabilité des uns et des autres, l’espace et les moyens consacrés à la prescription culturelle diminuent sans cesse.

Les réflexes généraux du marché consistent à se replier sur les valeurs sûres qui touchent aussi ce qui reste comme tribune et on se retrouve encore à parler plus de Ginette Reno que de Gab Bouchard ou de Choses Sauvages. C’est quand on est « chanceux », car souvent les médias vont plutôt consacrer leurs espaces à Taylor Swift, Madonna ou Kanye West. Parce que c’est plus rentable à court terme et que c’est ce qui est viral en ce moment. Totalement compréhensible dans l’état actuel des choses, mais peu rassurant pour l’avenir d’une industrie culturelle qui fait encore vivre bon nombre de Québécois. 

Je comprends que ce ne soit pas le mandat d’une entreprise privée de protéger une culture locale (même si celle-ci leur permet paradoxalement d’exister) mais il est impératif que la prescription profite d’un peu plus de moyens pour au moins offrir un panorama plus étoffé de ce qui est fait ici plutôt que la couverture d’un énième spectacle symphonique/cirque ou du répertoire inspiré des souvenirs d’adolescence du directeur musical.

Il faut investir dans l’avenir, comme n’importe quelle entreprise doit financer un département de recherche et développement, afin de stopper l’exode du public vers d’autres cieux et l’attirer vers sa culture locale.

Une initiative pour lui donner plus de visibilité sur les plateformes de diffusion ne sera pertinente que si elle est en phase avec les générations qui s’y trouvent plutôt que de tenter d’y attirer une clientèle qui préfère de toute façon la radio et ses week-ends nostalgie. 

En ce sens, il faudrait revoir le financement des entreprises qui commercialisent la musique, créer des mesures incitatives pour ceux qui la diffusent et investir en éducation culturelle. Il faut faire de la place à l’innovation et à l’audace pour que notre culture musicale nationale ne se fige pas dans un folklore de cabane à sucre et qu’elle soit toujours représentative du Québec au présent. 

À la lumière de ce qui se passe avec Meta pour les médias canadiens et les pinottes que Google a laissées tomber dans l’escarcelle, se quêter une place en vitrine d’un commerce qui se fout de nous à la base n’est peut-être pas la formule gagnante recherchée.Et comme tout ça est du ressort du gouvernement canadien, on est loin du but, la technologie a le temps de changer 3 fois avant qu’on y arrive.

Collectivement, on n’a plus le luxe d’attendre. Plusieurs entreprises ont déjà harnaché la bête et tentent de rester en selle en apprivoisant le fonctionnement de cet écosystème plutôt que de crier à l’injustice dans leur coin. C’est l’impitoyable roue du temps qui tourne.

On ne peut forcer personne à aimer une musique. C’est ce qui explique la popularité des plateformes actuelles, il y en a pour tous les goûts, tout le temps. La plupart des utilisateurs savent comment fonctionne la recherche, juste besoin d’avoir quelque chose à chercher. L’algorithme va faire le reste, les listes de lecture vont se créer, les suggestions vont apparaître, bref, si on veut avoir de la place, il faut agir selon la logique de la plateforme et non tenter d’y imposer une vision qui n’aura pas d’incidence sur la trajectoire de la culture musicale nationale. 

Il faut promouvoir la musique faite ici, en parler et la partager. C’est là qu’il faut agir. À moins de vouloir créer une plateforme nationale de diffusion (allo QUB musique), il vaudrait mieux faire pression pour une meilleure rémunération de leur part plutôt que leur donner raison implicitement, en insistant trop pour avoir un meilleur siège dans la chambre à gaz.

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