Le supravirtuose Marc-AndrĂ© Hamelin fait escale cet Ă©tĂ© au QuĂ©bec, dans la continuitĂ© de ses proches relations artistiques avec lâOrchestre MĂ©tropolitain et son chef, Yannick NĂ©zet-SĂ©guin.
« Câest devenu une sorte de tradition lanaudoise : la rĂ©union estivale de deux des plus grands musiciens du QuĂ©bec, auxquels lâon doit certains des plus grands moments de notre Festival depuis quelques annĂ©es », rĂ©sume-t-on sur le site officiel de lâĂ©vĂ©nement.
Ainsi, le pianiste et compositeur quĂ©bĂ©cois (Ă©tabli aux Ătats-Unis depuis ses Ă©tudes supĂ©rieures), dont on sait lâimmense virtuositĂ© et lâimmense musicalitĂ©, s’attaque cette fois Ă deux Ćuvres extrĂȘmement exigeantes, dâautant plus quâelles seront jouĂ©es tour Ă tour, au cĆur dâun mĂȘme programme : les Concertos pour piano no 1 et 2 de Franz Liszt. Autre tour de force en perspective pour Marc-AndrĂ© Hamelin et lâOM, le samedi 28 juillet, 16h, Ă lâAmphithéùtre Fernand Lindsay. Puisque ce grand musicien est incontournable Ă toutes ses escales quĂ©bĂ©coises, Alain Brunet a pu le joindre Ă Seattle, une semaine avant la prĂ©sentation du programme lanaudois.
PAN M 360 : Nous avons mené plusieurs interviews avec vous par le passé, et nous sommes trÚs heureux que ça continue sur notre plateforme, une fois de plus dans le contexte du Festival de LanaudiÚre.
Marc-André Hamelin : Merci! Plaisir partagé.
PAN M 360 : Vous avez tissĂ© des liens serrĂ©s avec lâOrchestre MĂ©tropolitain de MontrĂ©al et Yannick NĂ©zet-SĂ©guin.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Eh bien, oui, cela fait quelques annĂ©es. On mâinvite rĂ©guliĂšrement Ă LanaudiĂšre et câest souvent avec Yannick NĂ©zet-SĂ©guin et lâOM. Et cela me fait extrĂȘmement plaisir que cette association soit si durable.
PAN M 360 : Et on on sait que Yannick NĂ©zet-SĂ©guin aime Liszt, puisque vous vous consacrerez aux concertos n°1 et n°2 pour piano et orchestre. On sait aussi quâil est un irrĂ©ductible brahmsien, ce qui explique que vos interprĂ©tations seront prĂ©cĂ©dĂ©es par une Ćuvre de Brahms et succĂ©dĂ©es par une Ćuvre de Brahm : lâOuverture acadĂ©mique et la Symphonie en mi mineur de Brahms.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Ah ! Je ne connaissais pas le reste du programme, mais c’est gĂ©nial.
PAN M 360 : Revenons donc à Liszt, dont le premier concerto pour piano et orchestre a été créé en 1855, et le deuxiÚme en 1861.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Le n°2 , cependant, avait Ă©tĂ© composĂ© beaucoup plus tĂŽt, soit dans les annĂ©es 1840, mais il ne fut finalement publiĂ© quâen 1861.
PAN M 360 : Alors, comment abordez-vous ces Ćuvres ? Vous les avez jouĂ©es si souvent et ce dans diffĂ©rents contextes!
Marc-AndrĂ© Hamelin : C’est trĂšs difficile d’ĂȘtre objectif avec ces Ćuvres parce que je les connais littĂ©ralement depuis que je suis petit garçon. Elles ont toujours fait partie de ma vie, il est donc peut-ĂȘtre un peu difficile de les Ă©valuer mĂȘme si si jâessaie de prendre du recul. Il est quand mĂȘme assez aisĂ© de constater que ce sont des Ćuvres qui ont grandement innovĂ© la forme du concerto traditionnel que l’on connaĂźt Ă ce jour. Ces Ćuvres sont conçues en plusieurs parties, mais ininterrompues dans lâexĂ©cution. On peut les analyser comme on veut, il y a beaucoup de dĂ©bats lĂ -dessus, mais c’est quand mĂȘme assez extraordinaire parce que je ne pense pas qu’on nâavait vu une telle forme continue auparavant.
PAN M 360 : Effectivement, ces fondus enchaĂźnĂ©s, c‘Ă©tait une pratique innovante Ă lâĂ©poque.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Et c’est l’une des nombreuses innovations de Liszt, bien au-delĂ du poĂšme symphonique quâon lui doit Ă©galement. Ses explorations harmoniques et formelles ont vĂ©ritablement ouvert la voie Ă la musique du XXe siĂšcle. Rien de moins. En fait, je pense que ceux qui critiquent Liszt le connaissent Ă peine. Ils devraient plutĂŽt rĂ©aliser son importance! Oui, c’est vrai qu’il y a composĂ© beaucoup de piĂšces flamboyantes et peut-ĂȘtre un peu gratuites, j’en conviens, mais il Ă©tait un architecte musical hors du commun. Son sens des proportions en termes de construction des notes, c’Ă©tait phĂ©nomĂ©nal. Il fut extrĂȘmement prolifique.
PAN M 360 : Maintenant, si nous prenons le Concerto no 2 de Liszt, comment le distinguez-vous du no 1 ?
Marc-AndrĂ© Hamelin : C’est une forme encore plus difficile Ă dĂ©couper que le no 1, car en fait elle est dĂ©coupĂ©e en plusieurs Ă©pisodes qui se succĂšdent toujours. Cette fois il n’y a pas de pause comme il y en a une dans le no 1, surtout entre le premier et le deuxiĂšme mouvement, ils se succĂšdent complĂštement. Mais c’est une Ćuvre qui, comme la premiĂšre, transforme des thĂšmes fondamentaux, mais qui les transforme d’une maniĂšre absolument presque mĂ©connaissable. Si on reprend le thĂšme du dĂ©but, on l’entend plus tard, mais sous un rythme diffĂ©rent, un caractĂšre diffĂ©rent, et cela contribue Ă apporter une unitĂ©.
PAN M 360 : Puisque vous avez tant Ă©coutĂ© et tant jouĂ© ces Ćuvres, comment ont-elles Ă©voluĂ© en vous, en tant quâinterprĂšte ?
Marc-AndrĂ© Hamelin : Le premier concerto est un peu plus dynamique que le deuxiĂšme, peut-ĂȘtre un peu plus apaisĂ© si on lâobserve globalement. Le premier concerto est surtout traitĂ© comme un grand exercice de virtuositĂ©, et dâailleurs il est souvent jouĂ© trop vite. Pour parler franchement, c’est un morceau qui contient bien plus que ça, et si tu prends le temps d’exprimer les choses, je pense que la musique peut te combler encore davantage.
PAN M 360 : Vous avez Ă©videmment jouĂ© ces Ćuvres avec diffĂ©rents orchestres et vous avez une relation spĂ©ciale avec lâOrchestre MĂ©tropolitain. Comment voir les qualitĂ©s spĂ©cifiques que vous avez ressenties lorsque vous interprĂ©tiez ces deux Ćuvres avec diffĂ©rents orchestres ?
Marc-AndrĂ© Hamelin : C’est un peu difficile Ă dire, car je n’ai pas jouĂ© ces Ćuvres depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ . De nos jours j’ai plutĂŽt tendance Ă jouer du Mozart, Brahms ou Beethoven, mais Liszt, beaucoup moins souvent. C’est donc un peu difficile Ă se remĂ©morer, mais je peux vous dire une chose qui est trĂšs certaine, c’est qu’Ă chaque fois que je reviens Ă lâOrchestre MĂ©tropolitain, c’est toujours un grand plaisir, car je ressens une grande amitiĂ© avec Yannick. Il a cette façon d’ĂȘtre qui me fait croire que je suis la personne la plus importante au monde.
PAN M 360 : Oui, il est si bienveillant.
Marc-AndrĂ© Hamelin : On voit encore ça avec d’autres musiciens, certes, mais avec lui, c’est trĂšs, trĂšs, trĂšs rĂ©confortant. Il est toujours trĂšs rĂ©ceptif Ă ce que je fais, et il respecte beaucoup mes idĂ©es, ce qui m’amĂšne Ă respecter les siennes. C’est donc un travail qui va dans les deux sens, ce qui est en fait trĂšs gĂ©nĂ©reux. JâapprĂ©cie vraiment !
PAN M 360 : Et comment cela se manifeste-t-il ?
Marc-AndrĂ© Hamelin : Vous savez, la plupart des Ă©changes d’idĂ©es se font de maniĂšre non verbale. Nous faisons vraiment cela avec la musique. Nos exigences et nos envies sont « verbalisĂ©es » musicalement, sans ne rien avoir Ă dire. Certains appellent ça de la tĂ©lĂ©pathie, et quand ça se passe de cette façon c’est vraiment gĂ©nial. C’est un high, un sentiment inĂ©galĂ©.
PAN M 360 : Ăvidemment vous ĂȘtes QuĂ©bĂ©cois et, mĂȘme si vous ne vivez pas au QuĂ©bec depuis trĂšs longtemps, vous avez alimentĂ© des liens avec les meilleurs musiciens et vous y revenez rĂ©guliĂšrement, en tant que soliste.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Oui jâaime toujours y rentrer et je ne veux surtout pas comparer mes engagements.
PAN M 360 : Avec raison, ce serait inutile.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Lâobjectif est de tirer le meilleur parti de chaque contexte. Nous nous adaptons du mieux que nous pouvons, et la plupart du temps, nous constatons que nous pouvons tous et toutes nous entendre facilement.
PAN M 360 : Le piano est un instrument vraiment propice à une grande longévité, car on voit des pianistes qui maintiennent de hauts standards à un ùge avancé.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Oui câest vrai.
PAN M 360 : Que ressentez-vous avec lâĂąge qui avance lentement et sĂ»rement ? Comment votre jeu Ă©volue-t-il ? Comment vous sentez-vous physiquement avec le temps ?
Marc-AndrĂ© Hamelin : Ăa se passe toujours bien. Je n’ai jamais eu de blessures, cela ne m’est jamais vraiment arrivĂ©. Je suis dĂ©jĂ passĂ© proche de me blesser, mais ça fait longtemps. A cette Ă©poque, je faisais du rĂ©pertoire et je me posais beaucoup de questions sur ma condition physique. Aujourdâhui je demeure pruden, je prends le temps de me reposer, je m’Ă©loigne de l’instrument pendant un moment et puis jây reviens.
PAN M 360 : Depuis les annĂ©es 2010, vous vous ĂȘtes libĂ©rĂ© de l’image que vous projetiez auparavant, câest-Ă -dire un interprĂšte capable de jouer les Ćuvres les plus difficiles et les plus complexes, au dĂ©triment du reste du rĂ©pertoire.
Marc-AndrĂ© Hamelin : Il y avait une raison Ă cela! Et cela nâest pas vraiment disparu.
Je suis toujours, d’une certaine maniĂšre, attirĂ© par le type d’Ă©criture pour piano qui est assez orchestrale, contrapuntique, bouleversante. Et cela signifiait souvent que ces piĂšces Ă©taient difficiles. Mais la musique en elle-mĂȘme m’intĂ©resse, bien au-delĂ des dĂ©fis techniques qui se posent.J’ai donc fait tout ce que j’ai pu pour en rĂ©ussir les interprĂ©tations. Mais maintenant, bon, j’ai fait ces piĂšces, je les fais encore mais ça m’est moins nĂ©cessaire, depuis que j’ai vraiment commencĂ© Ă jouer des compositions comme celles de Schubert que j’adore. Et ce n’est qu’un exemple parmi dâautres.
PAN M 360 : Nous vous joignons à Seattle, ce qui est complÚtement différent.
Marc-André Hamelin : Je joue ce week-end au Seattle Chamber Music Festival dirigé par le violoniste canadien James Ehnes. Dans deux ou trois heures, on va faire le Quintette avec piano de Joseph Suk avec James Hanne, un joyau de la musique classique.
PAN M 360 : Et vos prochains projets?
Marc-AndrĂ© Hamelin : Trois disques qui ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s et vont sortir… Le premier en octobre des sonates de Beethoven, un autre avec le Quatuor Taccas pour les quintettes de Dvorak et Florence Price. Et puis jâai fait disque solo intitulĂ© Mixtape oĂč je joue notamment des Ćuvres de John Oswald, de Frank Zappa ou une de moi-mĂȘme. Je devrais fort possiblement jouer ces Ćuvres la saison prochaine.
PAN M 360 : Mmm! Parlez-nous de votre attirance pour cette piĂšce de Zappa!
Marc-AndrĂ© Hamelin : Câest sa seule piĂšce pour piano, composĂ©e Ă lâorigine pour Synclavier. Un de ses assistants l’avait transcrite pour 2 pianos ou pour un piano Ă 4 mains. On a ensuite convenu que la partition Ă©tait Ă©galement jouable Ă deux mains, par un seul interprĂšte, bien sĂ»re avec un peu de difficultĂ©.
PAN M 360 : Bonne fin de séjour à Seattle et bienvenue au Québec!
Marc-André Hamelin : Merci Alain, à bientÎt.